Oui il est temps, comme le dit ce communiste russe, que la “pensée de gauche”, les progressistes, les communistes se donnent une vision juste et équilibrée de l’histoire de l’humanité et de la place des révolutionnaires dans cette épopée qui se poursuit et dont la vague enfle sous l’éternel appel : “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!” En Russie, chez les communistes eux-mêmes il est difficile de procéder à cette analyse équilibrée, il leur faut vaincre ce sentiment d’être eux-mêmes traités avec injustice et de dépasser la rivalité qui les a opposés. Ce travail politique, théorique a été entamé sous la sage direction de Ziouganov qui a tout fait pour développer des relations fraternelles avec le parti communiste chinois. En réservant aux relations d’État à État ce qui se développe entre Xi et Poutine face à l’agression impérialiste, et en entretenant au plan théorique et d’échanges fraternels des liens constants avec le parti communiste chinois, les chercheurs marxistes chinois. Il serait temps que les communistes français aient au moins connaissance de ce travail théorique qui s’accomplit non seulement en Russie, mais dans tous les pays du sud où il s’accomplit par rapport aux défis du développement et de la souveraineté… la réflexion de la classe sur laquelle s’appuyer prend dans le sud une résonance forte. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)
Auteur : Igor MAKAROV, membre du comité central du KPRF, vice-président du comité central du PCUS-CPSU.
C’est le 130e anniversaire de la naissance de Mao Zedong. Malgré la formule chinoise bien connue : « soixante-dix pour cent de victoires et trente pour cent d’erreurs », la pensée de gauche étrangère n’a pas encore développé une vision objective et équilibrée de son rôle et de sa place dans l’histoire du mouvement communiste mondial. À ce jour, les extrêmes prévalent : de l’apologétique primitive au déni aveugle.
La situation n’est pas meilleure dans notre pays. Apparemment, l’inertie des années précédentes est à l’œuvre : les polémiques acrimonieuses entre le PCUS et le PCC dans la première moitié des années 1960, ainsi que les événements dramatiques qui ont suivi, ont laissé des traces. Même si les camarades chinois eux-mêmes estiment aujourd’hui qu’il s’agissait d’un conflit au cours duquel les deux parties ont prononcé beaucoup de paroles creuses. Le paradoxe est évident : les succès indéniables de la République populaire de Chine obtenus au cours du dernier quart de siècle sont reconnus par tous, il faut simplement analyser et apprendre de leur exemple, mais c’est une tâche ingrate que d’essayer de comprendre d’une manière ou d’une autre la période de trente ans associée au nom de son fondateur.
L’intérêt croissant pour la personnalité de Mao, provoqué par le leadership mondial de l’État qu’il a créé, se manifeste aujourd’hui, malheureusement, non pas tant par l’étude réfléchie de ses œuvres et de son expérience politique unique, que par la reproduction des images du « Grand Timonier » sur toute une série de souvenirs. Toute la richesse de sa pensée théorique est réduite à deux ou trois citations éculées tirées du petit livre rouge, telles que : « Le pouvoir est au bout du fusil ».
À l’heure où ce nom sera prononcé encore et encore dans des centaines de langues à travers le monde, il est nécessaire de tirer de lui quelques leçons qui nous paraissent d’une importance durable.
S’appuyer sur la classe
Dans les années 1960 et 1970, des critiques peu intelligents ont souvent tenté de qualifier Mao Zedong de dogmatique et de doctrinaire. Cependant, sa vie entière et ses luttes réfutent clairement ce genre d’absurdité. L’essence de sa vie est succinctement exprimée par ses propres vers :
“En son temps, Gengis Khan était
choyé par le destin.
Que savait-il faire ?
Attraper des aigles avec une flèche.
Tout a disparu.
Pour connaître la valeur des gens,
il faut regarder dans le présent !
Mao avait l’œil vif non seulement pour le présent, mais aussi pour l’avenir lointain. Il avait l’art inégalé d’identifier la force principale de toutes les forces sociales et de s’appuyer audacieusement sur elle, sans tenir compte des dogmes et des prédestinations « sacrées », pour résoudre les problèmes clés de notre époque. C’est peut-être avant tout ce qui l’a distingué des autres dirigeants du marxisme chinois naissant.
En son temps, Li Dazhao, que l’on peut à juste titre qualifier de fondateur du parti communiste chinois, écrivait, à propos des différences essentielles entre les civilisations du monde : « Dans la vie quotidienne d’un homme de l’Orient, le repos est la règle et le mouvement l’exception ; dans la vie quotidienne d’un homme de l’Occident, le mouvement est la règle et le repos l’exception ».
Au XXe siècle, Mao est devenu l’un de ceux qui ont impitoyablement brisé des milliers d’années de mythe sur le calme et la passivité des peuples orientaux. Ne souhaitant pas rejoindre la « queue » qui attend éternellement que le prolétariat occidental s’organise et crée un avenir communiste radieux pour toute l’humanité, le jeune dirigeant chinois a misé sur une autre classe sociale. En travaillant sur la question paysanne, il se révèle non seulement un praticien révolutionnaire, mais aussi un chercheur scientifique de talent. Suivant les traces de F. Engels, qui avait laissé une brillante analyse sociologique basée sur des observations personnelles, La situation de la classe ouvrière en Angleterre, il résuma théoriquement son expérience de l’étude de l’arrière-pays rural dans son Rapport sur l’enquête du mouvement paysan dans la province du Hunan (1927).
Bientôt, prédit Mao, des centaines de millions de paysans se soulèveront dans toutes les provinces de Chine. Ils seront rapides et irrésistibles, comme un ouragan, et aucune force ne pourra les retenir. Ils briseront les liens qui les unissent et se précipiteront vers la libération. Ce sont eux qui creuseront la tombe des impérialistes, des militaristes et des fonctionnaires des détourneurs de fonds. Enfin, « ils examineront tous les partis et groupes révolutionnaires, tous les révolutionnaires pour les accepter ou les rejeter ».
D’ailleurs, Sun Yatsen, le premier dirigeant de la Chine républicaine, a tenté de s’appuyer pleinement sur la paysannerie. Après avoir formulé trois principes directeurs du nouvel Etat : « le nationalisme, le pouvoir du peuple et le bien-être du peuple », il souligne : « La question de savoir si nous sommes capables ou non de mettre en oeuvre le principe du bien-être du peuple ne peut être tranchée que par les paysans ». Mais le parti Kuomintang, qu’il a fondé, a ignoré ce testament et est devenu le centre de la bureaucratie paramilitaire et des intellectuels nationalistes bourgeois.
Il en va tout autrement du parti communiste qui, sous la pression de Mao, déplace le centre de gravité de sa lutte vers les campagnes dès la fin des années 1920 et y accumule intensément des forces pour « encercler » les villes contre-révolutionnaires. « La révolution chinoise », note-t-il dans Sur la nouvelle démocratie, « est essentiellement une révolution paysanne… Le système politique de la nouvelle démocratie est essentiellement l’octroi du pouvoir à la paysannerie. Le pouvoir de la paysannerie est la force principale de la révolution chinoise ».
À première vue, Mao proposait quelque chose d’inouï et de clairement contraire à la théorie et à la pratique marxistes classiques. Cependant, les « vrais disciples » n’ont jamais compris Marx, pour qui il était évident, même au 19e siècle, qu’en la personne des pauvres des campagnes, la révolution prolétarienne « recevra ce chœur sans lequel son solo dans tous les pays paysans se transformera en un chant du cygne ». Les disciples « exemplaires » comme K. Kautsky ne tenaient pas compte de ces jugements, les renvoyant aux bévues de leur grand mentor. D’ailleurs, lorsque la première vague révolutionnaire du vingtième siècle a frappé la vaste Russie paysanne, Kautsky n’a pas du tout conseillé aux ouvriers révoltés de se mêler des affaires villageoises : « Le mouvement révolutionnaire urbain doit rester neutre dans la question des relations entre paysans et propriétaires ».
Le « socialisme pur » de Kautsky, obtenu par des chamailleries parlementaires et des négociations sans principes, est resté à l’état de mythe. Mao a suivi d’autres exemples : Lénine et Staline. Après avoir commencé son premier congrès en juillet 1921 avec douze délégués, le parti communiste chinois comptait plus de 2 millions 700 mille membres lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 1949. D’ailleurs, près de 90 % de ses militants étaient des paysans pauvres.
Certains « eurocommunistes » du siècle dernier, qui qualifiaient avec arrogance Mao de « leader des campagnes obscures », sont restés à jamais en marge de l’histoire réelle. N’est-ce pas dans leurs « ornières » que s’enlisent aujourd’hui un certain nombre de partis communistes d’Europe occidentale, puissants et influents il y a quarante ans ? Apparemment, en vertu de leurs anciens mérites, ils tentent à nouveau d’enseigner la vie aux quelque 100 millions de communistes du PCC, mais, après avoir emprunté la voie manifestement vouée à l’échec du populisme criard, ils se transforment imperceptiblement en sectes plutôt étranges. Il existe aujourd’hui de nombreuses « interprétations » de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, mais la couleur rouge, l’idéologie de classe, pour laquelle ces partis ont été conçus et créés, est pratiquement absente. Leur base sociale actuelle est constituée par les couches marginalisées. Le problème de la subjectivité politique a complètement disparu du « discours » théorique et des pages de la presse de ces « partis ». Il a disparu parce qu’aucun d’entre eux n’a sérieusement l’intention de changer la réalité sociale de son pays. Après tout, ils en font partie intégrante, ils sont l’un des « soutiens » du monde qui ne cesse de glisser vers l’abîme.
Rester proche des « racines »
L’une des questions fondamentales posées par Mao Zedong dans les années 1930 était la suivante : « Un communiste, en tant qu’internationaliste, peut-il être en même temps un patriote ? » La réponse à cette question, qui n’était pas évidente pour beaucoup à l’époque, était sans équivoque : « Nous pensons que non seulement il le peut, mais qu’il le doit ».
L’envergure internationale de sa personnalité, l’énorme influence qu’il a exercée sur le cours des événements mondiaux n’effacent pas, mais soulignent les racines nationales les plus profondes de Mao. En cela, il contraste directement avec un autre Chinois célèbre du vingtième siècle, Tchang Kai-shek, chauvin Grand Han en paroles et homme de main des Américains en actes. Comme on pouvait le lire à l’époque dans les documents du PCC, « le ‘tchang kai-shisme’ a été créé en Chine par les compradores des grandes entreprises étrangères et les grands serfs féodaux sur les os de millions de victimes du peuple révolutionnaire ».
À la fin des années 1940, Mao et Tchang sont devenus les symboles de l’affrontement séculaire entre le patriotisme populaire authentique et le pseudo-nationalisme entretenu par les hommes d’affaires étrangers. Dès la défaite du Japon militariste, pour soutenir la dictature militaire de Tchang Kai-shek en Chine (en fait, pour poursuivre le massacre fratricide), le gouvernement américain a dépensé la somme astronomique pour l’époque de 4 milliards de dollars, a équipé et entraîné 67 divisions du « Kuomintang », soit un total de 770 000 personnes. Les parrains de Washington de la clique de Tchang Kai-shek, comme aujourd’hui en Ukraine, comptaient se battre « jusqu’au dernier Chinois ». L’agence Associated Press rapportait au début de 1946 : « L’armée américaine a découvert que dans ce pays à fort taux de natalité, la vie humaine est très bon marché… À Tianjin, une “compensation” de 100 000 yuans a été fixée pour le meurtre d’un Chinois par un soldat américain, et de 135 000 yuans pour le meurtre d’un âne ». En contrepartie, le régime fantoche reconnaît avec une obéissance brutale la « souveraineté exclusive » du maître sur l’Empire du Milieu.
« L’agression impérialiste a brisé les illusions chinoises sur l’enseignement de l’Occident », écrivait Mao Zedong. – La civilisation bourgeoise de l’Occident, la démocratie bourgeoise, les projets d’établissement d’une république bourgeoise, tout cela a fait faillite aux yeux du peuple chinois.
« Une grande montagne est faite de petits cailloux, et un grand arbre pousse à partir de la racine », dit un ancien proverbe chinois. La victoire de la Nouvelle Révolution Démocratique, qui a donné un exemple visible à toute l’Asie du Sud-Est, a initié le grand rassemblement d’un peuple socialement divisé et dispersé dans un Front Démocratique Populaire Uni. Sur le plan intérieur, sa politique visait à consolider les partis politiques, les syndicats, les diasporas nationales, les associations religieuses et les personnalités de la science et de la culture nationales autour de la plate-forme idéologique du PCC.
Sur la scène internationale, le principe fondamental des activités du Front patriotique était que tous les Chinois, où qu’ils soient nés et où qu’ils vivent, devaient considérer la RPC comme leur patrie. Une fois de plus, on ne peut s’empêcher de penser à l’expérience soviétique. En 1961, l’invitation au Kremlin, pour le XXIIe congrès du PCUS, de V.V. Choulguine, député scandaleusement célèbre de la Douma tsariste et plus tard émigré blanc, a fait sensation. Ses pensées, exprimées à l’époque dans des lettres à ses camarades d’infortune, rejoignaient les aspirations d’une partie du peuple russe détaché de la Russie : « Ce que font les communistes aujourd’hui, c’est-à-dire dans la seconde moitié du XXe siècle, n’est pas seulement utile, mais absolument nécessaire pour les 220 millions de personnes qu’ils dirigent. Et ce n’est pas tout, c’est salutaire pour l’ensemble de l’humanité ».
Et il ne s’agit pas du tout d’une « surdité » politique des autorités soviétiques à l’égard des fils qui avaient quitté la patrie. L’écrasante majorité d’entre eux étaient devenus des « émigrants internes » bien avant la révolution d’octobre. Ce n’est pas un hasard si Lénine parlait de deux nations et de deux cultures au sein d’une unité nationale imaginaire. L’élite en fuite ne pouvait coexister avec la majeure partie de la population qu’en tant que propriétaires d’esclaves.
La situation était différente en Chine. Lors de la première convocation de l’organe législatif suprême – le Congrès national du peuple – 30 mandats ont été réservés par la loi à des compatriotes étrangers. Jusqu’en 1960, environ 40 000 compatriotes ont été rapatriés de l’étranger vers la Chine chaque année. À leur retour, ils (pour la plupart des petits entrepreneurs et des artisans) se sentaient parmi leurs compatriotes, d’égal à égal, sans perdre le contact avec les très nombreux parents et amis restés à l’étranger.
Les envois de fonds et les dons à la famille, ainsi que les investissements directs des Chinois d’outre-mer dans l’économie de la RPC, sont restés la principale source de recettes en devises pendant plusieurs décennies. En 1978, le revenu total de l’État provenant de l’utilisation des liens avec les diasporas nationales à l’étranger s’élevait à environ 400 millions de dollars par an. Ainsi, pas à pas, le peuple, épuisé par des siècles de pauvreté et de privation de droits, s’est rapproché de son objectif le plus cher : une société d’égalité des chances et de « prospérité moyenne », la société du « rêve chinois ».
Exploiter le capitalisme
En 1960, une rencontre historique a lieu à Pékin. Les futures idoles de la jeunesse rebelle du monde entier – Mao Zedong et Ernesto Che Guevara – se sont retrouvés pour un dialogue de plusieurs heures. Toutefois, la discussion n’a pas porté sur l’allumage d’un feu révolutionnaire mondial, mais sur les méthodes de transfert des économies nationales vers des rails socialistes. Voici un fragment de la conversation qui a eu lieu :
« MAO : Vous avez, en principe, exproprié tout le capital américain.
CHE : Pas en principe, mais en totalité. Peut-être qu’une partie du capital s’est mise à l’abri [de l’expropriation]. Mais cela ne signifie pas que nous n’allons pas [l’exproprier].
MAO : Avez-vous offert une compensation à l’occasion de cette expropriation ?
CHE : Si [une société sucrière] nous achetait plus de trois millions de tonnes de sucre [avant l’expropriation], [nous] offrions une compensation de 5 à 25 % [de la valeur du sucre acheté]. Il serait difficile pour les personnes qui ne connaissent pas la situation à Cuba de comprendre l’ironie de cette politique.
<…>
MAO : Il est stratégiquement acceptable de tolérer temporairement la présence de certaines entreprises impérialistes. Nous avons quelques [monopoles impérialistes] ici aussi ».
Aujourd’hui encore, l’opinion naïve selon laquelle les conditions préalables à l’actuel « miracle économique chinois » ne sont apparues qu’au cours de la première moitié des années 1980 est extrêmement répandue. En réalité, la généralisation des mécanismes capitalistes dans l’économie a commencé bien avant l’arrivée de Deng Xiaoping et de son équipe de réformateurs. En accédant au pouvoir, le PCC a clairement identifié son ennemi de classe sous la forme d’un « dragon à trois têtes » : la bureaucratie coloniale, les propriétaires terriens et le capital compradore. Mais en même temps, le jeune État, qui a choisi la voie du développement socialiste, a besoin d’une alliance avec la bourgeoisie patriotique.
Les communistes chinois étudient en détail la nouvelle politique économique de Lénine et débattent vivement des limites de son application. Les « gauchistes », comme d’habitude, poussaient à l’expropriation totale, en fait au « communisme de guerre ». Mais dans les conditions concrètes d’un pays semi-féodal, cela risquait d’entraîner, selon l’expression ailée de K. Marx, « la généralisation de la pauvreté ». Les têtes brûlées ont été refroidies par le deuxième plénum du comité central du PCC de la septième convocation, qui s’est tenu en mars 1949 et qui a souligné que, pendant assez longtemps, plusieurs modes économiques devraient exister en Chine : l’État, les coopératives, les exploitations agricoles individuelles, le capitalisme privé et, enfin, le capitalisme d’État. Ces modes correspondent aux forces sociales au nom desquelles doit s’exercer la « dictature de la démocratie populaire » : les ouvriers, les paysans, la petite bourgeoisie urbaine et le capital à orientation nationale. Depuis lors, cinq étoiles ont été coulées en or sur le tissu écarlate du drapeau national de la République populaire de Chine, symbolisant l’alliance solide entre le parti communiste et les quatre classes de la société chinoise, unies par la notion succincte de « peuple ».
Il convient de souligner que l’exigence de diversification économique n’est pas restée une simple directive du Parti ; elle a été inscrite dans la Constitution. L’article 10 de la première Constitution de la République populaire de Chine (1954), entre autres, stipulait : « L’État, conformément à la loi, protège le droit de propriété des capitalistes sur les moyens de production et les autres capitaux ». Un peu plus tard, Mao Zedong a expliqué l’essentiel de ce qui se passait de la manière suivante : « Le système socialiste dans notre pays n’a été établi que récemment, sa formation n’est pas encore achevée, il n’est pas encore pleinement consolidé. Dans les entreprises mixtes public-privé de l’industrie et du commerce, les capitalistes reçoivent encore un pourcentage fixe, en d’autres termes, il y a encore de l’exploitation ».
Que signifiait en pratique le terme mystérieux de « pourcentage fixe » ? La « NEP à la chinoise » reposait sur une formule surprenante et presque oubliée de F. Engels : « Que cette expropriation ait lieu avec ou sans rachat dépendra en grande partie non pas de nous, mais des circonstances dans lesquelles nous arriverons au pouvoir » …. « Nous ne pensons pas du tout que le rachat soit inadmissible en toutes circonstances ; Marx m’a exprimé – et combien de fois ! – qu’il serait plus économique pour nous de racheter toute la bande ».
Ainsi, depuis le début des années 1950, dans le cadre de la réorganisation sectorielle de l’industrie et du commerce chinois, une politique de rachat des entreprises privées, qui étaient plus de 133 000 au total, par l’État a été mise en œuvre. Transformant progressivement les entreprises capitalistes en entreprises mixtes (public-privé), le gouvernement a versé des dividendes à la bourgeoisie selon un « pourcentage fixe » fixé au fil des ans. Avant la réorganisation, la part de l’ancien propriétaire à part entière était fixée à un maximum de ¼ de l’ensemble des bénéfices de l’entreprise. Après la réorganisation, les anciens propriétaires ne pouvaient plus utiliser le capital de manière indépendante et étaient privés de la possibilité d’extraire la plus-value dérivée de l’exploitation de la force de travail.
Dans l’un de ses discours, Mao a littéralement repris la pensée d’Engels : « Avec ce peu d’argent, nous achetons toute une classe de 8 millions de personnes, y compris ses intellectuels, ses partis et ses groupes démocratiques. C’est une classe qui est très bien informée ». Au total, une somme non négligeable de 1,7 milliard de yuans a été versée aux capitalistes chinois à partir des caisses de l’État au cours des années 1950 et 1960. L’objectif principal, à savoir jeter les bases des futures « quatre modernisations » (dans l’industrie, l’agriculture, la science et la technologie, et l’armée), a toutefois été atteint.
La combinaison souple des principes socialistes et capitalistes privés dans l’économie a déjà eu un impact sur les résultats du premier plan quinquennal (1953-1957). Le revenu national du pays a été multiplié par 1,53, les dépenses de l’État pour les besoins sociaux et culturels se sont élevées à 19,3 milliards de yuans, soit 14,5 % des dépenses budgétaires, le salaire moyen des ouvriers et des employés a augmenté de 42,8 %, le revenu de la paysannerie de 27,9 % et le chiffre d’affaires du commerce de détail de 71,3 %. Les jeunes ont commencé à sortir de la pauvreté et de l’analphabétisme qui semblaient irréductibles : le nombre d’écoliers a été multiplié par 2,5, celui des élèves des écoles techniques par 122,4 % et celui des étudiants universitaires a plus que doublé.
« Certains, notait à l’époque l’économiste chinois Wu Jiang, désapprouvaient la politique de compensation du Parti et demandaient à l’État d’appliquer à la bourgeoisie nationale des mesures telles que la confiscation et l’expulsion. Ce point de vue reflétait l’incompréhension de la petite bourgeoisie face à la réalité révolutionnaire et son goût pour les extrêmes ».
Nombre d’entre eux, qui ne tolèrent aucune propriété privée et aucune initiative commerciale, qui n’admettent aucun compromis avec le capital, figurent encore aujourd’hui parmi les partisans des idées de gauche. C’est l’une des raisons profondes du multipartisme communiste, notamment dans notre pays.
Rester fidèle à ses principes
À la fin de l’année 1969, le mécanisme idéologique apparemment impeccable du Comité central du PCUS a connu une défaillance de grande ampleur. L’atteinte à sa réputation a été multipliée par deux circonstances. Au centre de l’attention des forces de gauche de la planète se trouvait le prochain centenaire de Lénine. En outre, la confrontation idéologique et politique irréconciliable entre les deux plus grands États socialistes – l’URSS et la Chine – avait atteint son apogée.
Le numéro de décembre du magazine de propagande « Le Communiste » publie les thèses du comité central du parti « À l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de Vladimir Lénine ». Entre autres choses, sur la base d’un document d’archive jusqu’alors inconnu – l’ébauche d’un rapport au Congrès du Comintern – les thèses reflètent la prétendue « doctrine léniniste » des « cinq facteurs sociaux de la force de la classe ouvrière » : « 1) le nombre, 2) l’organisation, 3) la place dans le processus de production et de distribution, 4) l’activité, 5) l’éducation ». La réaction à cette « découverte » théorique à l’étranger ne se fait pas attendre.
Le Parti socialiste unifié d’Allemagne et le Parti communiste chinois, au pouvoir dans leurs pays respectifs, signalent presque simultanément à Moscou que ce qui est attribué à Lénine appartient en réalité au social-démocrate autrichien Otto Bauer. Cet ennemi juré du léninisme refusait aux bolcheviks le droit à la transformation socialiste, précisément parce que les fameux « facteurs sociaux » de force du prolétariat russe n’avaient pas encore mûri. Et l’esquisse retrouvée dans les archives du Parti n’est rien d’autre qu’une note rédigée par le leader de la Révolution d’Octobre pour dénoncer les élucubrations de son adversaire politique.
L’agence de presse pékinoise Xinhua a publié à ce sujet un article très ironique, précédé d’une citation de Mao Zedong : « Le peuple chinois a un proverbe qui dit : “Celui qui soulève une pierre aura les jambes écrasées”, ce qui dénonce les agissements de certains imbéciles ». Cependant, quelle que soit la dureté des propos du président de la République populaire de Chine, il a toujours souligné : « L’Union soviétique est le premier État socialiste et le PCUS est le parti fondé par Lénine. Bien que la direction du parti et de l’État en URSS ait été usurpée par les révisionnistes, je conseille néanmoins aux camarades de croire fermement que la grande masse du peuple, la grande masse des communistes et des cadres de l’Union soviétique sont des gens honorables et qui veulent la révolution, et que la domination du révisionnisme ne durera pas longtemps dans ce pays ».
Il est difficile de nier qu’une attitude négligente à l’égard de la théorie a été l’une des raisons qui ont plongé le parti dirigeant (et avec lui le grand pays) dans la « catastroïka » de Gorbatchev. Les idéologues du parti communiste de l’Union soviétique n’ont pas été les seuls à subir les foudres de Mao. Dans les rudes batailles idéologiques, il s’est opposé à des marxistes majeurs de la seconde moitié du XXe siècle tels que Palmiro Togliatti, Luigi Longo, Enver Hoxha et Josip Broz Tito. Pour ne prendre que deux des déclarations de programme adoptées par le Xe congrès du parti communiste italien en décembre 1962 : « En Europe, il est nécessaire de développer une initiative commune afin de jeter les bases d’une coopération économique européenne, même entre des États ayant des structures sociales différentes ». Et plus loin : « Il est nécessaire d’exiger le déploiement d’activités systématiques qui conduiraient à l’élimination de la division de l’Europe et du monde entier en blocs, en brisant les obstacles politiques et militaires sur lesquels cette division est basée, et … de recréer, de cette façon, un marché mondial unique ».
Ainsi, tous les maux du monde proviennent de « la présence et de l’affrontement des deux plus grands blocs militaires ». Vingt ans avant que l’on ne parle de « nouvelle pensée politique », les dirigeants de l’un des partis communistes les plus anciens et les plus influents d’Europe poussaient sans vergogne l’idée de Manille d’un « monde de coopération pacifique » universel dans le « discours communiste » renouvelé. Il est vrai qu’au nom de la paix et de la stabilité dans le monde, seule l’Organisation du Pacte de Varsovie était censée se dissoudre. Le nouveau secrétaire général du PCE, E. Berlinguer, ne tarde pas à déclarer directement : nous n’exigerons plus le retrait de l’Italie de l’OTAN, non seulement pour ne pas rompre l’équilibre international et ne pas saper la détente naissante, mais aussi pour protéger la « voie italienne vers le socialisme » contre le « scénario tchécoslovaque » de 1968.
L’histoire du 20ème siècle est à jamais marquée par la page honteuse de la façon dont l’Italien Berlinguer, le Français Marchais, l’Espagnol Carrillo et d’autres, tombés dans le bourbier de l’« eurocommunisme », ont dilapidé l’héritage de leurs grands prédécesseurs : Gramsci, Thorez, Ibarruri. Les partisans du « socialisme antisoviétique » n’ont jamais compris que l’impérialisme ne protège les communistes que lorsqu’il les contrôle. La voie « italienne » (ainsi que « française », « espagnole », etc.) vers le socialisme sous le convoi de l’OTAN n’avait pour ces partis qu’une seule direction : le ghetto social.
Déjà à l’époque, le PCC, dirigé par Mao, avait sévèrement averti que l’érosion lente des idées se terminerait misérablement : « De telles idées ne peuvent en fait que conduire à l’abandon ou à l’élimination du pouvoir de défense des États socialistes, conduire à la soi-disant “évolution pacifique” ou “évolution spontanée” du système socialiste vers la libéralisation capitaliste, ce que les impérialistes ont toujours espéré ». Malgré la très récente « leçon hongroise » de 1956, à l’époque, peu de gens auraient pu imaginer à quel point ces paroles allaient s’avérer prophétiques.
Ne pas « bronzer »
En visitant le complexe commémoratif sur le site de la base révolutionnaire de Xibaipo, d’où l’Armée populaire de libération a effectué en 1949 sa ruée victorieuse vers Pékin, l’attention de l’auteur de ces lignes a été attirée par le stand portant des caractères tracés de la main de Mao. Le fac-similé nous permet de juger, entre autres, ce que le futur dirigeant du pays a pensé à la veille d’accéder aux pleins pouvoirs : « Se méfier de l’arrogance… Interdire de célébrer les anniversaires des dirigeants du Parti. Interdire l’attribution de leurs noms à des villes, des rues et des entreprises. Maintenir un style caractérisé par la simplicité dans la vie et l’abnégation dans la lutte, supprimer toute glorification ».
La compréhension de la menace de dégénérescence du parti au pouvoir occupe une des places centrales dans l’héritage idéologique et théorique de Mao Zedong. Si, dans les années 1950, ce thème est évoqué de manière ponctuelle, dans les années 1960, il devient le leitmotiv de presque tous les articles et discours publics de Mao Zedong. En mai 1963, le président du parti initie la participation obligatoire des fonctionnaires au travail physique. Un mois plus tard, lors d’une réunion sur le développement du mouvement « Pour les quatre purges », il « passe un savon » à nouveau aux travailleurs cadres, non seulement ceux qui ont l’habitude de « manger de la bonne nourriture et de se remplir les poches », mais aussi ceux qui « fricotent avec les filles des propriétaires terriens et des paysans riches ».
Dans son article « Contre le bureaucratisme », paru la même année, Mao exhorte le PCC à « s’opposer résolument à l’idéologie et au style de travail inhérents aux classes exploiteuses ». L’objet de son attention particulière est « un type de bureaucratisme de seigneur » qui reproduit les mœurs de la « Cité interdite » impériale. « L’orgueil bureaucratique, la vénération de soi, l’amour des escortes honorables, le cloisonnement, le désir d’inspirer la crainte aux autres, l’incapacité à être égal avec les subordonnés, l’impolitesse, le refus de considérer les autres comme égaux à soi ».
Voitures personnelles avec canapés moelleux, domestiques, « dîners et chasses tsaristes » – ces attributs et bien d’autres de l’« oligarchie » incontrôlée du parti nous sont familiers… C’est cette oligarchie, qui s’opposait à la masse principale des communistes ordinaires, qui a ruiné dans plus d’un pays les germes non encore consolidés du socialisme. Même le « pur et dur » V.M. Molotov a dû admettre : « Eh bien, oui, nous avons tous eu de telles faiblesses – faire les grands seigneurs. On nous y a habitués, c’est indéniable. Tout nous est servi sur un plateau, tout est prévu pour nous ».
La « noblesse » soviétique naissante, avec son triomphalisme nauséabond et sa servilité, a été combattue sans merci par Lénine jusqu’à sa mort. Prévoyant les problèmes, N.K. Kroupskaya, dès les jours de deuil du leader disparu, mettait en garde contre le désir de glisser « vers un hommage extérieur à sa personnalité » : « N’érigez pas de monuments en son honneur, ne créez pas de palais à son nom, ne faites pas de fêtes somptueuses en sa mémoire, etc. – Il accordait si peu d’importance à tout cela de son vivant, tant tout cela l’accablait ».
Mais le premier communiste chinois a-t-il été cohérent dans sa lutte pour la modestie et la retenue ? Le phénomène auquel on a donné le nom obscur de « culte de la personnalité » est devenu caractéristique de tous les premiers États socialistes à un degré ou à un autre. Quoi qu’il en soit, dans un entretien accordé en 1980 au journaliste italien O. Fallaci, Deng Xiaoping a témoigné : « Certaines choses … sont allées à l’encontre des souhaits du président Mao Zedong, comme l’érection d’un panthéon pour lui ».
À travers le prisme de la « catastrophe provoquée » de 1989-1991, qui a détruit l’URSS et la communauté mondiale des pays socialistes, la signification historique et les conséquences de la « Grande révolution culturelle prolétarienne » apparaissent différemment. Autrefois, elle n’était considérée que comme l’un des « vilains rejetons du culte de la personnalité ». Aujourd’hui, il y a lieu de croire que les bouleversements chinois des années 60 ont vu la « neuvième vague » de l’indignation populaire contre les nouveaux « mandarins à téléphone ». Parallèlement, le fameux « problème des générations » a trouvé son expression la plus féroce.
Voici ce que Mao Zedong a écrit à ce sujet : « La question de la préparation d’une succession qui poursuivra la cause de la révolution prolétarienne est, au fond, la question de savoir si nous aurons des successeurs à la cause révolutionnaire du marxisme-léninisme, commencée par l’ancienne génération de révolutionnaires prolétariens… Les oracles impérialistes, se basant sur les changements en Union soviétique, s’attendaient à ce qu’en Chine aussi, une “évolution pacifique” se produise avec la troisième ou la quatrième génération de communistes. Nous devons faire en sorte que ces visionnaires impérialistes soient complètement ruinés ».
Qui sait, si le PCC n’avait pas vécu cette étape extrêmement difficile et dramatique de son parcours, aurait-il survécu à l’assaut contre-révolutionnaire de 1989 ?
Il a fallu près d’un demi-siècle pour redresser le dos servilement courbé d’une grande nation. La nation qui a donné à l’humanité l’imprimerie, la porcelaine, la boussole, le premier calendrier et la carte du ciel étoilé. D’interminables querelles féodales, les invasions dévastatrices des Mongols, des Turcs et des Mandchous, suivies de l’invasion des « Européens éclairés » avec leurs « guerres de l’opium », les conflits civils sanglants, les occupations japonaises et américaines ont transformé la plus ancienne civilisation de la planète, autrefois très développée, en un immense espace de violence et de pillage impunis, un hommage éternel à l’« Occident collectif ». La mission historique de débarrasser l’Empire céleste de la domination étrangère n’est pas revenue à un empereur « solaire », ni à un sage se targuant d’une grande intelligence, ni à un marchand soucieux de son chiffre d’affaires, mais à un paysan qui a pris un fusil et inscrit sur la bannière rouge le slogan de Mao Zedong : « Notre nation ne sera plus jamais humiliée. Nous nous sommes déjà élevés à notre pleine hauteur ».
En 1948, un envoyé spécial de « China Weekly Review » a rapporté du Yunnan : « 80-90% de la population de la province se promène complètement nue, sans aucun signe de vêtement … En raison du manque de tissu, la population ne dort pas sur des lits, ils n’ont rien pour en faire, mais blottis autour de l’âtre, dans une hutte, avec des animaux de compagnie ». Sept décennies plus tard, la Chine a mis en service le plus grand radiotélescope de la planète, d’un diamètre d’un demi-kilomètre. Grâce à lui, la science mondiale étudie la formation et l’évolution des galaxies, la « matière noire » et bien d’autres phénomènes de l’Univers.
Il semble que cette distance révèle pleinement le sens des paroles du professeur Li Junzhu de l’École centrale du Comité central du PCC : « Si vous me demandez quand la Chine retirera le portrait de Mao Zedong de la tour de la place Tiananmen, ma réponse sera : “Jamais !” ».
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Xuan
A propos du « pouvoir au bout du fusil » et de la contradiction principale, distinguer la « pensée maozedong » et le « maoïsme »
Nos camarades chinois différencient ce qu’ils appellent la « pensée maozedong » et le « maoïsme » qui a aussi sévi en Chine.
Pour mémoire, mais sans mettre tout le monde dans le même sac, Stéphane Courtois issu de mouvance « maoïste », milita d’abord dans « Vive le communisme » de 68 à 71, devenu en 69 « Vive la révolution » ce qui n’est pas sans signification, puis dans « Ce que nous voulons : Tout ! », encore plus éloquent, avant de passer de l’ « anarcho-maoïsme » à l’anticommunisme décomplexé dans « Le livre noir du communisme ».
A propos du slogan « Le pouvoir est au bout du fusil »
Le choix de la lutte armée ne peut jamais être écarté parce qu’il ne dépend pas plus de nous que celui du premier ministre. Mais le slogan maoïste « le pouvoir est au bout du fusil » (que Mao associait toujours à « le parti commande aux fusils ») extrapolait à notre pays, avec une référence abusive à l’occupation nazie, la lutte armée de vingt ans des communistes chinois.
Une lutte armée elle-même imposée par l’échec de l’insurrection ouvrière de Shanghai et la répression terrible du Kuomintang que relate Malraux dans « La condition humaine », puis par ses campagnes successives « d’encerclement et d’extermination », puis par l’occupation japonaise. Ce qui nous donne aussi une indication sur la nécessité pour le PCC de s’appuyer sur les 95 % de paysans chinois.
La Cause du Peuple prônait également « l’unité de classe face aux petits chefs », et sa descendance poursuit toujours cette orientation.
Il faut dire un mot des rapports sociaux dans l’entreprise pour comprendre le terreau de cette théorie, qui fait également des petits dans certains combats « sociétaux ».
Christian, un jeune ouvrier gentil et serviable rêvait de devenir pilote de F1, mais après une formation en interne il devint contremaître comme son père, dans une autre équipe en 5×8.
Et comme j’étais passé en journée je le vis moins souvent. Deux ou trois ans plus tard un ouvrier me confia « quel connard ! ». Sans doute avait-il demandé à son équipe de décaler les départs en congés un mois avant les vacances, suivant une décision de la direction.
Plus tard fut embauché un jeune ingénieur, issu d’Arts et Métiers mais timide et discret. Lors du plan de restructuration il fut chargé de dresser la liste des futurs licenciés. Il fumait clope sur clope devant les bureaux et je n’ai pas pu m’empêcher de le chambrer « fais gaffe, aussi bien tu vas te retrouver au bout de la liste ». En quoi je me trompais puisqu’il remplaça le directeur.
Je passe sur le chef de service qui se cassa une jambe en escaladant un portillon derrière l’usine pour éviter d’entrer devant le piquet de grève, la jeune ingé de sécurité qui refusait de signer les triptyques et qui déclencha un chapelet de débrayages parce qu’elle avait jeté à la poubelle la cafetière des ouvriers sous prétexte qu’il y avait des moucherons, et sur ce contremaître qui – après une grève contre lui – fut muté à la gestion des entreprises extérieures. Là, suite à une altercation qui relevait en fait du délit de marchandage, il se retrouva avec un cutter sous la gorge. Le chaudronnier qu’il avait mis hors de lui fut viré de chez le donneur d’ordres puis licencié de sa propre entreprise sous traitante.
Ce sont des exemples ponctuels, j’en ai pas mal d’autres tout aussi tartignoles sur 40 ans, alternés avec des périodes pacifiques voire amicales. Mais une explication psychologique individuelle ne nous renseignerait que sur la forme de ces conflits.
Ils reflètent momentanément l’exploitation capitaliste du travail sur le lieu même de cette exploitation, en milieu industriel, et ils donnent une idée du rapport entre l’idéologie, la conscience de classe spontanée et la position des individus dans les rapports sociaux de production.
Ceci est en lien avec la théorie du reflet, en prenant soin de tenir compte de la quatrième dimension, le temps d’adaptation des individus, du saut quantitatif au qualitatif, c’est-à-dire de l’individu au groupe et à la catégorie voire à la classe sociale, avec le basculement idéologique qui en découle, et puis de la lutte des classes et de ses changements de camp, car la théorie du reflet n’a absolument rien de mécanique évidemment.
Naturellement la France socialiste aura besoin de ces contremaîtres, chefs de service, directeurs, et même patrons dans un premier temps. Et la mentalité de l’encadrement avec ses différentes strates doit être replacée dans le cadre général de l’exploitation capitaliste, dont il n’est que l’exécutant. De sorte que, du point de vue de la révolution prolétarienne, l’unité de classe n’a de sens que par rapport à l’ennemi fondamental du prolétariat et du peuple, le grand capital monopoliste, et non par rapport aux « petits chefs ».
Cette théorie niait de fait la contradiction principale entre l’immense majorité du peuple et la grande bourgeoisie, celle entre le peuple et son ennemi fondamental.
Sur la définition du peuple et de ses ennemis.
Une des erreurs de Mao Zedong fut sans doute d’avoir déclenché la révolution culturelle en dehors du PCC, en soutenant la critique et l’autocritique des « éléments bourgeois » avec le slogan « la révolution n’est pas un dîner de gala ». Ceci permit le déchaînement de vexations injustifiées, de violences extrêmes et armées de certains groupes de gardes rouges, et le bilan du PCC en 1981 décrit de façon détaillée cette longue période au cours de laquelle Mao dut lui-même s’opposer à ce qui constituait l’exact opposé de la pensée maozedong, avant d’y mettre fin y compris avec l’aide de l’Armée Populaire de Libération.
On cite souvent « de la pratique » et « de la contradiction » sur la théorie matérialiste dialectique. Plus rarement « De la juste solution des contradictions au sein du peuple », qui a fait progresser la théorie de la dictature démocratique du prolétariat dans la société socialiste. On en parle d’autant moins que ce texte contredit l’accusation de « totalitarisme » et aussi les débordements très violents de la révolution culturelle.
Ce texte, longuement préparé avec la direction du PCC, suivit les troubles provoqués en Hongrie et leur répercussion en Chine.
La notion du peuple et de ses ennemis n’est pas un absolu métaphysique mais dépend de la période considérée. En France la définition du peuple et de ses ennemis n’est pas la même en 1789, sous la troisième république, sous l’occupation nazie, et diffère encore dans l’après guerre.
En Chine en 1956 : « A l’étape actuelle, qui est la période de l’édification socialiste, toutes les classes et couches sociales, tous les groupes sociaux qui approuvent et soutiennent cette édification, et y participent, forment le peuple, alors que toutes les forces sociales et tous les groupes sociaux qui s’opposent à la révolution socialiste, qui sont hostiles à l’édification socialiste ou s’appliquent à la saboter, sont les ennemis du peuple ».
Mao écrivait sur la poursuite de la lutte des classes en pays socialiste :
«il subsiste des vestiges des classes renversées des propriétaires fonciers et des compradores, la bourgeoisie existe encore, et la transformation de la petite bourgeoisie ne fait que commencer. La lutte de classes n’est nullement arrivée à son terme. La lutte de classes entre le prolétariat et la bourgeoisie, entre les diverses forces politiques et entre les idéologies prolétarienne et bourgeoise sera encore longue et sujette à des vicissitudes, et par moments elle pourra même devenir très aiguë… Il faudra encore un temps assez long pour décider de l’issue de la lutte idéologique entre le socialisme et le capitalisme dans notre pays. La raison en est que l’influence de la bourgeoisie et des intellectuels venus de l’ancienne société existera longtemps encore dans notre pays et y subsistera longtemps en tant qu’idéologie de classe. Si on ne saisit pas bien cela et à plus forte raison si on ne le comprend pas du tout, on commettra les plus graves erreurs, on méconnaîtra la nécessité de la lutte idéologique. Celle-ci se distingue des autres formes de lutte; on ne peut y appliquer que la méthode patiente du raisonnement, et non la méthode brutale de la contrainte ».
Le même texte disait aussi de la situation à long terme :
« La situation telle qu’elle existe aujourd’hui, où les Etats-Unis détiennent la majorité à l’O.N.U. et contrôlent de nombreuses régions du monde, est seulement temporaire. Un jour, elle changera nécessairement. La situation de la Chine en tant que pays pauvre, auquel les droits sont déniés sur l’arène internationale, changera également : le pays pauvre deviendra un pays riche, l’absence de droits deviendra la plénitude des droits, c’est-à-dire qu’il se produira une conversion des choses en leur contraire. Ici, les conditions qui jouent un rôle décisif sont le régime socialiste et les efforts conjugués d’un peuple uni ».