Voici un article de The National interest qui se concentre sur les questions géopolitiques d’un point de vue des Etats-Unis et “alliés” . S’il ne fait pas crédit à priori à la Chine de ses intentions, il reste tout à fait équilibré. Il est peut-être un peu audacieux de n’aborder l’Initiative de Sécurité Globale proposée par la Chine que sous l’angle du ‘Dilemme de Malacca’, mais cela souligne que les préoccupations essentielles de la Chine à ce stade sont de se prémunir contre ses vulnérabilités, et – en termes de géopolitique- celle du détroit de Malacca n’est pas la moindre. Il est clair que, pour la Chine, la défense de ses intérêts vitaux passe pour l’instant par la recherche tous azimuts de la paix et de la stabilité, et en particulier dans la région Indo-Pacifique. Se pose malgré tout, en filigrane, la question épineuse du renforcement et de la projection de la force militaire dans la défense des intérêts de sécurité d’un pays bien plus exposé que son rival belliciste qui, lui, est armé jusqu’aux dents d’un pôle à l’autre. Ce type d’analyse nous éclaire sur la profondeur stratégique de l’association avec la Russie et montre aussi la toile de fond sur laquelle s’inscrivent les nouveaux ‘corridors’ commerciaux qui se multiplient sur le continent eurasiatique. Il nous permet aussi de replacer dans un contexte plus large l’action prudente de la Chine à l’égard des provocations et agressions de l’empire occidental, que ce soit en Ukraine, à Taiwan ou ailleurs. Les pieds du nouveau colosse ne sont peut-être encore que de céramique….(note et traduction de Jean luc Picket pour histoire et societe)
En aparté : le passage sur les manifestations autour du port de Gwadar au Pakistan aurait besoin de quelques explications. L’interaction entre la prise de contrôle par une multinationale chinoise du port (par ailleurs sur le chemin de l’INSTC) et les revendications nationalistes balouches ne doit pas être sous-estimée. Reste que le ressentiment anti-chinois qui s’exprime à cette occasion ne peut pas être ramené à de simples considérations locales ou évacué d’un vœu pieux. Je l’ai personellement vu à l’œuvre dans d’autres environnements (au Cambodge, aux Philippines…). Il ne traduit en général pas le travail idéologique des propagandistes occidentaux (encore que… aux Philippines…) mais plutôt un réflexe de défense des populations travailleuses locales par rapport à une nouvelle super-puissance qui s’occupe d’eux, et pas toujours avec délicatesse. Même si on est loin des abonimations de la domination coloniale que nos pays ont imposé pendant 3 siècles ou plus, on ne peut pas nier un élément de mentalité coloniale dans les rapports mis en place. Nos propagandistes en font des gorges chaudes et ont beau jeu de dénoncer la main-mise chinoise sur les ressources de ces pays (chose que, bien sûr, nous ne nous sommes jamais permis et ne nous permettront jamais dans nos démocrassies) ou la ‘coercition économique’ (la dernière entrée du dictionnaire de la novlangue). Mais il reste à faire le bilan, au plan économique et au plan sociétal, de l’expansion de l’économie chinoise hors frontières écrit Jean Luc picker ce à quoi je lui répondrai que la première règle est de distinguer d’abord ce qui relève des actions du gouvernement chinois et celle des capitalistes chinois. Si la Chine tend à contrôler de plus en plus ces capitalistes chinois ou étrangers en Chine, y compris en imposant à l’intérieur des lieux de production une organisation du parti et mettant au pas comme on l’a vu avec Jack Ma ceux qui jouaient pour leur propre compte ou celle d’une faction, le contrôle est beaucoup moins opéré à l’étranger. Mais je pense qu’un débat peut avoir lieu sur ce sujet dans le blog. Enfin, comme je l’expliquais aux camarades grecs trés remontés contre l’achat du port du Pirée et des salaires, des conditions de travail contre lesquels les travailleurs grecs étaient obigés de se battre, le vrai problème est le bradage au capital des entreprises en particulier publiques et là ce n’est pas la faute des Chinois. Il semble d’ailleurs qu’une différence soit désormais introduite par la Chine dans les relations économiques entre le nord et le sud, avec à plusieurs reprises l’abolition des dettes pour aider au développement. (note de J.L.Picker et danielle Bleitrach)
La Chine a un problème : il s’appelle Malacca
Beijing sait que le détroit de Malacca peut devenir le nœud d’étranglement de son réseau économique et cherche la solution à cette menace géopolitique vitale
Article de Ho Ting Hung publié dans National Interest le 30 mai 2023 https://nationalinterest.org/feature/can-china-escape-malacca-dilemma-206505
Les principales routes maritimes en Asie du Sud Est
1 : détroit de Malacca et Singapour
2 : détroit de Sunda
3 : détroit de Lonbok et Makassar
En dépit de son assurance chaque jour grandissante dans la compétition pour les ressources maritimes, Beijing ne fait pas mystère de sa vulnérabilité dans le détroit de Malacca. C’est en novembre 2003 que le président d’alors, Hu Jintao, a proposé le terme de ‘Dilemme de Malacca’. Il désignait ainsi la vulnérabilité de la Chine à un blocus de ce détroit qui ouvre la voie maritime la plus courte entre le Moyen Orient et l’Asie de l’Est.
Même si la mise en place d’un tel blocus ne pourrait se faire sans un coût économique et diplomatique majeur pour les parties impliquées, sa possibilité s’accroît avec l’augmentation des tensions dans la région Indo-Pacifique. C’est bien sûr une préoccupation centrale pour les dirigeants chinois. Ils réalisent qu’un tel blocus signifierait l’asphyxie rapide des capabilités de production chinoises, quasi-totalement dépendantes des importations d’énergie. Et l’absence d’alliés sûrs dans la région ne fait rien pour calmer leur inquiétude. Dans l’espoir de remédier à cette situation, la Chine a récemment proposé son « Initiative de Sécurité Globale» qui vise à étendre les partenariats stratégiques avec le pays de la grande région et à minimiser ainsi le risque posé par le ‘dilemme de Malacca’.
Le Dilemme de Malacca
Le détroit de Malacca est une bande maritime longue de 805 km qui coule entre la péninsule malaise au Nord-Est et l’île indonésienne de Sumatra au Sud-Ouest. Elle permet le passage depuis la mer d’Andaman dans l’océan Indien vers la mer de Chine dans le Pacifique. C’est donc une route maritime majeure pour les hydrocarbures, les transports par conteneurs et les cargos de vrac entre l’Asie, le Moyen-Orient et l’Europe. On considère que près d’un quart de toutes les marchandises échangées dans le monde et un tiers des cargaisons maritimes de pétrole et autres liquides transitent par ce détroit. En termes de goulet d’étranglement, il est classé second, juste derrière le détroit d’Ormuz (NdT : le détroit entre l’Iran et le Sultanat d’Oman qui relie le Golfe Persique à l’Océan Indien). En outre, 80% des exportations chinoises empruntent ce couloir. Ainsi, les destinées économiques de la Chine sont très étroitement liées à la praticabilité et la stabilité de ce détroit.
Le détroit lui-même est large de seulement 65 à 250 km (NdT : en fait, la largeur navigable du détroit à son point le plus étroit, Phillip Channel, devant Singapore, est de 2,5 km), ce qui le rend particulièrement vulnérable à un blocage militaire par des pays riverains disposant d’une force navale suffisante. Et c’est une menace que la Chine prend au sérieux, au vu des dynamiques politiques dans la région. Le détroit est en effet bordé par des pays neutres, comme la Malaisie, des alliés des Etats-Unis, comme Singapore et des pays rivaux au plan géopolitique, comme l’Inde, qui a rejoint récemment le Dialogue Quadrilatéral pour la Sécurité (NdT : communément appelé ‘Quad’) emmené par les Etats-Unis. Les premiers ont une position géographique centrale dans la région et l’Inde possède les îles Andaman-et-Nicobars au débouché du détroit, ce qui leur permet d’utiliser leurs forces navales pour contrôler facilement le détroit.
Quant à la marine U.S. la présence de sa 5ème et 7ème flotte au Moyen-Orient et dans l’Indo-Pacifique lui confère le statut de seule force capable de défendre les lignes de communications stratégiques qui s’étendent des côtes orientales de l’Afrique jusqu’à l’Asie de l’Est. En tant que tel, les Etats-Unis maintiennent le détroit de Malacca sous un contrôle strict, ce qui n’est pas pour rassurer Beijing.
La marine Chinoise, elle, n’opère qu’à distance du détroit. En cas d’aggravation des tensions géopolitiques entre la Chine et les Etats-Unis ou les autres états de l’Indo-Pacifique (par exemple, si la Chine décidait d’envahir Taiwan), les Etats-Unis auraient tout loisir d’utiliser ce nœud d’étranglement comme une arme majeure en le bloquant pour désorganiser les lignes commerciales et les voies d’approvisionnement en énergie et en matières première de la Chine. Ils lui imposeraient ainsi des coûts supplémentaires substantiels dans la poursuite de ses ambitions de puissance mondiale ou dans le déclenchement d’une guerre régionale, sans parler des conséquences désastreuses pour son économie interne.
La Chine peut-elle régler son Dilemme de Malacca ?
Clairement, la Chine a cherché à minimiser le risque d’un blocage potentiel du passage en diversifiant ses sources d’approvisionnement énergétiques. Beijing a établi des partenariats énergétiques et des routes terrestres alternatives avec la Russie, le Pakistan, le Myanmar et d’autres pays d’Asie Centrale ou de la Péninsule Arabique qui ont gardé leurs distances d’avec les Etats-Unis, ce qui lui permet d’assurer ses arrières en cas de troubles géopolitiques.
La Chine a aussi dirigé des crédits importants vers le développement des énergies renouvelables pour réduire sa dépendance aux énergies fossiles et donc aux importations de pétrole. On citera à cet égard son 14ème plan quinquennal qui indique son intention de continuer à développer les énergies vertes. Ceci posé, le succès économique de la Chine repose largement sur le secteur manufacturier, très gourmand en énergie et le développement des technologies d’énergie renouvelable ne permet pas d’espérer qu’elle puissent combler la demande toujours grandissante.
La Chine reste donc prisonnière de ses importations d’énergie de l’extérieur. En ce qui concerne le pétrole, elle est maintenant le premier pays en termes d’importations nettes et le second en termes de consommation. Des recherches ont montré que l’augmentation de la demande par son économie conduira la Chine à être dépendante de ses importations d’énergie à plus de 65% en 2016 et à plus de 80% en 2030.
En bref, il est improbable que la Chine puisse se passer à court terme de ses importations maritimes d’énergie et la recherche de voies alternatives au détroit de Malacca pourrait s’avérer compliquée. Si le détroit de Malacca est caractérisé par sa faible profondeur, la navigation par le détroit de Sunda est encore plus compliquée, dû à sa profondeur d’à peine 20 mètres à son issue nord-est et aux puissants courants créés par les marées. L’utilisation du détroit de Lombok et Makassar implique un allongement significatif du trajet et donc une augmentation des coûts de transport. La Chine peut aussi utiliser la route maritime septentrionale au nord de la Russie pour s’affranchir des voies indo-pacifiques et du détroit de Malacca, mais celle-ci est souvent prise dans les glaces. La saison de navigation est courte, et les coûts d’assurance importants. Combiné avec la paucité d’infrastructures construites sur cette voie, cela rend la voie maritime septentrionale non-viable dans le futur proche.
En conclusion, il n’existe pas d’alternative satisfaisante au détroit de Malacca.
Et pour compliquer encore l’équation, la Chine ne dispose pas d’alliés dans la région qui pourraient lui garantir leur aide en cas de crise géopolitique. Même si la Chine a noué des partenariats avec des pays tels que le Pakistan, cela ne lui procure qu’une garantie de sécurité minimale. Il n’est par ailleurs pas certain que ces pays accepteraient de se défaire de leur neutralité en situation de guerre, en particulier parce que cela les exposerait à des menaces militaires et à des sanctions en représailles. Les liens avec ses partenaires dans l’Indo-Pacifique sont aussi fragilisés par l’exploitation économique que la Chine y mène. Les investissements et les prêts consentis par la Chine, particulièrement dans le cadre de l’initiative de la ceinture et de la route ont conduit des pays comme le Pakistan et le Sri Lanka a abandonner la souveraineté sur leur ports, provoquant des troubles et suscitant la montée d’un sentiment anti-chinois dans les populations. Cela pourrait handicaper la capacité de la Chine à s’assurer d’un support en cas de guerre, à moins que la Chine ne développe la coopération militaire ou améliore ses liens avec ces pays.
L’Initiative de Sécurité Globale
L’Initiative de Sécurité Globale (ISG) pourrait permettre à la Chine de s’affranchir du risque que le Dilemme de Malacca fait peser sur sa sécurité nationale et son économie.
La Chine a proposé cette idée lors du forum de Bo’ao en 2022, suivie par un document de réflexion publié en janvier de cette année. L’ISG s’articule autour de 6 valeurs principielles fondamentales : (i) la poursuite commune d’une architecture de sécurité pérenne, collaborative et exhaustive, (ii) le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de tous les pays, (iii) le respect des buts et des principes de la Charte des Nations Unies, (iv) la prise en compte prioritaire des intérêts de sécurité légitimes de tous les pays, (v) la résolution pacifique des disputes et différends entre les pays par le dialogue et la concertation et (vi) la protection de la sécurité dans les domaines traditionnels et non-traditionnels. Ces valeurs reflètent l’accent de plus en plus souligné que la Chine veut mettre sur la coopération et le maintien de la sécurité internationale. Elles visent aussi à créer l’impression que la Chine est désireuse d’aider les autres pays à stabiliser leur situation politique. La Chine s’implique donc d’avantage dans les questions de sécurité.
Dans le document de réflexion cité plus haut, la Chine appuie sur la nécessité de renforcer les liens avec des régions comme l’Asie du Sud-Est, les îles du Pacifique et la Moyen-Orient. Ces régions sont des acteurs de premier plan en ce qui concerne le détroit de Malacca. En développant les liens avec ces régions dans le domaine de la sécurité nationale, la Chine pourrait aboutir à des engagements de sécurité mutuelle et affaiblir les partenariats que les Etats-Unis ont construits dans ce domaine avec les pays aux alentours du détroit. On peut même envisager que la Chine pourrait rassembler une force d’opposition à l’hégémonie états-unienne dans le domaine de la sécurité nationale en rassemblant les pays en tension avec Washington. Cette stratégie aiderait la Chine à limiter la marge de manœuvre des Etats-Unis et les dissuader, ainsi que leurs alliés régionaux, d’instaurer un blocus du détroit.
Au-delà, le développement de liens sécuritaires pourrait donner à la Chine la possibilité de se servir de bases militaires étrangères dans ces régions pour étendre sa présence militaire et mettre en place un réseau militaire à l’étranger. D’ores et déjà, la Chine a renforcé sa coopération avec les Iles Salomon où un accord stratégique lui permet aux bâtiments de sa flotte « d’y accomplir des visites, d’y effectuer des remplacements logistiques, d’y faire escale et d’y opérer des relèves », ouvrant la voie à la création d’une base navale Chinoise dans ces iles. l’ISG envisage d’autres développements de capacités militaires qui renforceraient la capacité de la Chine à s’opposer aux capabilités navales des Etats-Unis dans la région Indo-Pacifique.
On doit aussi noter que l’ISG a éveillé des soupçons d’un certain nombre de pays de l’Indo-Pacifique, ce qui pourrait en retour handicaper la capacité de la Chine à s’affranchir du Dilemme de Malacca. Certains pays, en particulier ceux qui ont des différends maritimes avec la Chine, tels que les Philippines, ont perdu confiance devant l’agressivité croissante de la Chine. Dans la mesure où ils n’ont pas de revendications territoriales susceptibles de menacer leurs intérêts nationaux, les Etats-Unis peuvent leur apparaitre comme un partenaire plus fiable. L’escalade par la Chine de la compétition avec les Etats-Unis place également les pays de l’Indo-Pacifique devant leur propre dilemme. Rejoindre l’architecture de sécurité proposée par la Chine pourrait être vue comme une ‘prise de parti’ induisant une détérioration des relations avec Washington. La participation aux partenariats de sécurité dans le cadre de l’ISG chinoise ne séduira donc pas tous les pays de l’Indo-Pacifique.
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