Nous sommes incontestablement devant un revers et il a eu lieu dans un des pays les plus fragiles d’Amérique latine sous la forme d’un coup d’Etat permanent décrit ici. L’ex-président du Pérou Pedro Castillo, destitué et placé en détention provisoire, a fait une demande officielle d’asile au Mexique, a annoncé jeudi le ministre mexicain des affaires étrangères Marcelo Ebrard, dont le pays a entamé des “consultations devant les autorités péruviennes”, un scénario à la bolivienne, mais sans ce qu’avait construit Evo Morales. L’ancien chef d’État est poursuivi pour “rébellion” et “conspiration”. Les échos qui parviennent de Bolivie, le revers chilien, la mise en procès de la présidente Kirchner, l’élection serrée de Lula, l’aggravation des blocus, témoignent à la fois du frein mis aux contrerévolutions menées par les USA, mais de la recomposition de l’oligarchie, des élites dirigeantes sous l’hégémonie nord-américaine et la poursuite des destitutions sous des formes “légales”, cautionnées par l’OEA. Notez qu’en plus des acteurs traditionnels, la CIA, l’OEA, les oligarques locaux, on trouve ceux qui fabriquent des ONG sur mesure, avec l’Allemagne et ses fondations qui partout en Europe, en Asie centrale (y compris en France, avec la fondation Rosa Luxembourg qui s’occupe de la “gauche” et du secteur international du PCF) témoignent d’assauts désormais bien rodés. Nous sommes dans un front géopolitique impérialiste où se développe une résistance des non alignés, mais où l’impérialisme attaque les pouvoirs les plus fragiles, ceux qui n’ont pas prise sur un peuple marginalisé, avec le racisme féroce. L’impérialisme a un aspect colonial qui renforce la tendance à la subordination des peuples faibles et utilise à plein l’aggravation de l’oppression nationale, l’anticommunisme et la fascisation. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
ParManolo De Los SantosBio de l’auteur:Cet article a été produit par Globetrotter. Manolo De Los Santos est co-directeur exécutif du Forum des peuples et chercheur au Tricontinental: Institute for Social Research. Il a coédité, plus récemment, Viviremos: Venezuela vs. Hybrid War (LeftWord Books/1804 Books, 2020) et Comrade of the Revolution: Selected Speeches of Fidel Castro (LeftWord Books/1804 Books, 2021). Il est coordinateur du Sommet des peuples pour la démocratie.Source: Globe-trotterTags:GOP/Droite, Politique, Amérique du Sud/Pérou
Le 6 juin 2021 a été un jour qui a choqué de nombreux membres de l’oligarchie péruvienne. Pedro Castillo Terrones, un instituteur rural qui n’avait jamais été élu auparavant, a remporté le second tour de l’élection présidentielle avec un peu plus de 50,13% des voix. Plus de 8,8 millions de personnes ont voté pour le programme de réformes sociales profondes de Castillo et la promesse d’une nouvelle constitution contre la candidate de l’extrême droite, Keiko Fujimori. Dans une tournure dramatique des événements, le programme historique du néolibéralisme et de la répression, transmis par l’ancien dictateur péruvien Alberto Fujimori à sa fille Keiko, a été rejeté dans les urnes.
À partir de ce jour, toujours incrédule, l’oligarchie péruvienne a déclaré la guerre à Castillo. Ils ont fait des 18 mois suivants pour le nouveau président une période de grande bataille alors qu’ils cherchaient à déstabiliser son gouvernement avec une attaque sur plusieurs fronts qui comprenait un recours important au lawfare. Avec un appel à « rejeter le communisme », des plans ont été élaborés par le principal groupe d’affaires de l’oligarchie, la Société nationale des industries, pour rendre le pays ingouvernable sous Castillo.
En octobre 2021, des enregistrements ont été publiés qui ont révélé que depuis juin 2021, ce groupe d’industriels, ainsi que d’autres membres de l’élite péruvienne et des dirigeants des partis d’opposition de droite, avaient planifié une série d’actions, notamment le financement de manifestations et de grèves. Des groupes d’anciens militaires, alliés à des politiciens d’extrême droite comme Fujimori, ont commencé à appeler ouvertement au renversement violent de Castillo, menaçant les responsables gouvernementaux et les journalistes de gauche.
La droite au Congrès s’est également jointe à ces plans et a tenté de destituer Castillo à deux reprises au cours de sa première année au pouvoir. « Depuis mon investiture en tant que président, le secteur politique n’a pas accepté la victoire électorale que le peuple péruvien nous a donnée », a déclaré Castillo en mars 2022. « J’admets le pouvoir du Congrès qui est d’exercer une surveillance et un contrôle politique, cependant, ces mécanismes ne peuvent pas être exercés jusqu’à l’abus du droit, proscrit dans la constitution, ignorant la volonté populaire exprimée dans les urnes », a-t-il souligné. Il s’avère que plusieurs de ces législateurs, avec le soutien d’une fondation allemande de droite, s’étaient également réunis pour discuter de la manière de modifier la constitution pour destituer rapidement Castillo.
Les dirigeants oligarchiques du Pérou n’ont jamais pu accepter qu’un instituteur rural et un leader paysan puissent être amenés au pouvoir par des millions de pauvres, de Noirs et d’Autochtones qui ont vu leur espoir d’un avenir meilleur dans Castillo. Cependant, face à ces attaques, Castillo s’est éloigné de plus en plus de sa base politique. Castillo a formé quatre cabinets différents pour apaiser les secteurs des affaires, cédant à chaque fois aux demandes de droite de destituer les ministres de gauche qui défiaient le statu quo. Il a rompu avec son parti Peru Libre lorsqu’il a été ouvertement contesté par ses dirigeants. Il a demandé l’aide de l’Organisation des États américains, déjà discréditée, dans la recherche de solutions politiques au lieu de mobiliser les principaux mouvements paysans et autochtones du pays. À la fin, Castillo combattait seul, sans le soutien des masses ou des partis de gauche péruviens.
La crise finale pour Castillo a éclaté le 7 décembre 2022. Affaibli par des mois d’allégations de corruption, de luttes intestines et de multiples tentatives de le criminaliser, Castillo a finalement été renversé et emprisonné. Il a été remplacé par sa vice-présidente, Dina Boluarte, qui a prêté serment après que le Congrès a destitué Castillo avec 101 voix pour, six contre et dix abstentions.
Le vote a eu lieu quelques heures après qu’il ait été annoncé à la télévision au pays que Castillo dissolvait le Congrès. Il l’a fait de manière préventive, trois heures avant le début de la session du Congrès au cours de laquelle une motion visant à le révoquer pour « incapacité morale permanente » devait être débattue et votée en raison d’allégations de corruption faisant l’objet d’une enquête. Castillo a également annoncé le début d’un « gouvernement d’urgence exceptionnel » et la convocation d’une Assemblée constituante dans les neuf mois. Il a déclaré que jusqu’à ce que l’Assemblée constituante soit installée, il gouvernerait par décret. Dans son dernier message en tant que président, il a également décrété un couvre-feu à partir de 10 heures ce soir-là. Le couvre-feu, ainsi que ses autres mesures, n’ont jamais été appliqués. Quelques heures plus tard, Castillo a été renversé.
Boluarte a prêté serment au Congrès alors que Castillo était détenu dans un poste de police. Quelques manifestations ont éclaté dans la capitale Lima, mais loin d’être assez importantes pour renverser le coup d’État qui a duré près d’un an et demi, le dernier en date de la longue histoire de violence contre les transformations radicales en Amérique latine.
Le coup d’État contre Pedro Castillo est un revers majeur pour la vague actuelle de gouvernements progressistes en Amérique latine et les mouvements populaires qui les ont élus. Ce coup d’État et l’arrestation de Castillo nous rappellent brutalement que les élites dirigeantes d’Amérique latine ne concéderont aucun pouvoir sans une lutte acharnée jusqu’au bout. Et maintenant que la poussière est retombée, les seuls gagnants sont l’oligarchie péruvienne et leurs amis à Washington.
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