Andrei Dultsev nous offre ici un article très important sur le plan théorique qui en reprenant les travaux de l’historien et communiste allemand Reinhard Opitz analyse la continuité du projet des “élites” allemandes en matière de pangermanisme avec et après la défaite d’Hitler. J’ajouterai que ce qui caractérise Macron c’est le sacrifice total de la résistance que pouvait symboliser le modèle français. Celui-ci est taillé en pièces et pas seulement à travers la destruction des services publics hérités de la libération, c’est l’intégration politique dans l’Europe telle que l’invente le pangermanisme allemand et sa ruée vers l’est. (Note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)
n° 85 (31145) 10-11 août 2021
Auteur : Andrei DULTSEV.
Georgi Dimitrov, l’un des dirigeants du mouvement communiste mondial, principal accusé par les fascistes allemands dans l’affaire montée de toutes pièces de l’incendie du Reichstag, a donné en décembre 1933, lors du 7e congrès du Komintern, une définition du fascisme qui est devenue classique pour l’enseignement marxiste-léniniste : « Le fascisme est la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier… Le fascisme n’est pas le pouvoir de la petite bourgeoisie ou du lumpen prolétariat sur le capital financier. Le fascisme est le pouvoir du capital financier lui-même. C’est l’organisation du massacre terroriste de la classe ouvrière et de la partie révolutionnaire de la paysannerie et de l’intelligentsia. Le fascisme en politique étrangère est le chauvinisme dans sa forme la plus grossière, cultivant une haine zoologique des autres nations. »
Ce n’est pas en vain que Dimitrov a souligné la nature financière-capitaliste du fascisme : le fait qu’un fanatique peu connu, Hitler, dont le parti avait recueilli 2,6 % des voix aux élections de 1928, soit devenu chancelier du Reich en 1933, après avoir obtenu le soutien de 43,9 % des Allemands aux dernières élections libres de mars 1933, a une explication historique claire. Lors d’une réunion secrète avec les plus grands banquiers et industriels allemands le 20 février 1933, Hitler leur promet de réprimer l’opposition communiste et syndicale s’il remporte les élections, garantit l’inviolabilité de la propriété privée et offre d’aider au développement de leurs entreprises et de leurs banques – sous la forme de concessions gouvernementales et fiscales. Cette rencontre – qui a été décrite dans l’historiographie soviétique, y compris dans le film légendaire de Mikhaïl Romm, Le fascisme ordinaire, mais sur laquelle la presse bourgeoise allemande a gardé un silence honteux jusqu’à ce jour, des entreprises aussi respectables que Thyssen-Krupp, Rheinmetall, Siemens, AEG, Opel, le groupe d’assurance Allianz et la tristement célèbre IG Farben (comprenant Agfa, BASF, Bayer), qui produisait le gaz Zyklon-B. La liste est longue…
L’économie de mobilisation militaire d’Hitler, son régime terroriste, le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, son implication dans l’expropriation des biens des organisations communistes et syndicales et des Juifs allemands, le pillage des pays voisins occupés, son attaque perfide contre l’Union soviétique, l’utilisation systématique du travail gratuit des prisonniers dans les camps de concentration nazis et dans l’industrie allemande ont bénéficié du soutien sans réserve des capitalistes allemands.
Avec la campagne militaire prolongée contre l’URSS et la résistance croissante dans les pays européens occupés, notamment la Grèce, la France, la Yougoslavie et les Pays-Bas, les élites nazies commencent à élaborer des mesures pour adoucir la politique d’occupation et des plans en cas de défaite.
L’une des premières étapes concrètes de l’intégration européenne pangermanique sur le plan militaire a été la formation à l’étranger de troupes SS. En raison de la pénurie de soldats allemands pour la Wehrmacht, Heinrich Himmler, chef de la SS et l’un des principaux bourreaux nazis, qui prévoyait d’exterminer 30 millions de Slaves, a commencé à créer des unités de volontaires parmi les Allemands nés en dehors du Troisième Reich. L’apogée du recrutement se situe en juin 1941, lorsque les forces allemandes se préparent à attaquer l’Union soviétique : de nombreux membres des partis nazis dans les pays occupés, des Allemands de souche qui avaient formé la “cinquième colonne” des collaborateurs nazis, rejoignent les rangs de la SS, désireux de prendre part à la “croisade contre le bolchevisme”.
En 1943, après les défaites subies lors de la bataille de Stalingrad et de la bataille de Koursk, Himmler commence à intensifier le recrutement de volontaires “non allemands” dans les rangs des formations SS étrangères : deux compagnies de volontaires espagnols, des Belges, des Français, des Bulgares, des Italiens, des Lettons, des Estoniens, des Norvégiens, des Albanais, des Hongrois, des Roumains, des Ukrainiens, 100 000 gardes blancs russes et des unités de cosaques blancs ont participé à cette aventure militaire. Les unités de volontaires suédois, qui ont pris une part active à l’extermination de la population civile du Belarus, ont été particulièrement brutales. Dans les cercles néo-nazis d’Allemagne, le projet de formations étrangères des troupes SS est encore glorifié comme la première armée antibolchévique d’Europe…
Mais les divisions internes s’accentuent également, et le désir d’influencer le cours des événements, avant qu’il ne soit trop tard, au prix de changements internes. L’une de ces initiatives était un plan visant à renverser Hitler par les généraux de la Wehrmacht. Elle se termine par une tentative d’assassinat du Führer le 20 juillet 1944 : par miracle, Hitler survit, et les généraux sont condamnés à la mort par pendaison. Jusqu’à ce jour, les généraux ont été présentés comme des victimes du nazisme et sont vénérés en Allemagne de l’Ouest comme des combattants de la liberté. Mais le véritable plan des généraux était de renverser Hitler pour négocier un armistice avec les armées alliées afin d’empêcher l’occupation du Reich et de prévenir un tribunal international pour préserver son intégrité territoriale et l’ordre allemand.
Dans le même temps, les stratèges expansionnistes du capital allemand travaillaient sans relâche : les dernières années de la guerre et les défaites d’Hitler n’étaient pas une raison pour rester inactifs. Les cercles dirigeants de l’économie allemande, qui ont porté Hitler au pouvoir, se sont employés à créer divers scénarios pour l’issue de la guerre, notamment une victoire complète des Alliés sur le régime terroriste nazi et les forces qui le soutenaient.
L’historien et communiste allemand Reinhard Opitz est le seul à avoir travaillé de manière aussi complète pour exposer la continuité de l’élite capitaliste allemande moderne depuis le début des années 1840. Dans son ouvrage de référence, The EuropeanStrategy of German Capital, il a révélé les principaux éléments stratégiques et désigné les personnes qui ont joué un rôle particulier dans l’expansion du capital allemand. Dans cet article, nous nous appuyons sur les sources auxquelles il fait référence dans son livre.
L’intégration européenne était au cœur de la planification de l’après-guerre à laquelle les capitalistes allemands se sont consacrés au cours des deux dernières années de la Seconde Guerre mondiale. Cette approche n’était ni nouvelle ni originale. Avant même l’émergence du Troisième Reich, les stratèges allemands avaient cherché à obtenir une étroite intégration économique et politique de l’Europe afin de garantir un énorme marché pour l’industrie allemande et un large tremplin géographique pour l’expansion politique. Le chancelier du Reich Theobald von Bethmann-Holweg, qui représentait les principaux industriels allemands, a demandé l’unification économique de l’Europe centrale par le biais d’accords douaniers dans ses célèbres “Pensées sur la guerre” du 9 septembre 1914, un mois après le début de la Première Guerre mondiale.
Ce faisant, Bethmann-Holweg a formulé une position qui est devenue décisive pour l’expansion économique de l’Allemagne de l’Ouest après 1945 et qui reflète la tactique de la République fédérale d’Allemagne jusqu’à ce jour : « Ne pas afficher la domination allemande dans le processus d’intégration européenne afin de minimiser la résistance des États partenaires voisins ». L’unification des pays devait « consolider la suprématie économique allemande sur l’Europe centrale », de sorte que celle-ci soit « effectivement sous la direction de l’Allemagne, avec une égalité apparente de ses membres ».
Cette idée était également séduisante pour de nombreux nazis influents : « Si nous voulons prendre le contrôle économique de l’Europe », conseillait l’économiste nazi Werner Deitz en mai 1940, « pour des raisons évidentes, nous ne devons pas déclarer publiquement que l’Europe fait partie de l’économie allemande. » « Nous devons toujours parler uniquement de l’Europe, poursuit-il, car le leadership allemand découle en définitive de la supériorité politique, économique, culturelle et technique de la nation allemande et de la position géographique de l’Allemagne ».
Les réflexions du collaborateur nazi, le dirigeant fasciste grec Sotirios Gotsamanis, qui a tristement fui son pays avec la Wehrmacht en déroute en 1944, sont également intéressantes à cet égard. Dans son article de 1943, il prône un “ordre européen” dans lequel “les peuples d’Europe” s’uniraient sous la domination allemande, repousseraient l’influence soviétique (“Rempart antibolchevique”, “L’Europe pour les Européens !”), créeraient une union douanière et un système de monnaie commune, puis entreraient sur cette base dans “une nouvelle phase de la vie internationale”.
Gotsamanis pose toutefois une condition : dans la “nouvelle Europe fasciste”, il souhaite que “l’annexion des terres conquises, l’expansion aux dépens des autres” cessent. Il s’agissait – malgré toute sa sympathie pour les dirigeants allemands – d’une critique claire du pillage de la Grèce et des autres pays occupés par le capital allemand. L’idéal de Gotsamanis d’un empire fasciste, pangermanique, mais pas trop brutalisé à l’époque, était « partagé par de nombreux collaborateurs dans toute l’Europe occupée », résume l’historien Mark Mazower. En 1943, Berlin, sous la pression militaire croissante de l’Armée rouge après sa défaite historique à la bataille de Stalingrad, ne peut plus éviter totalement la critique des collaborateurs.
Cette question a d’abord été étudiée par le nouveau département “Comité de l’Europe”, formé au sein du ministère des Affaires étrangères du Reich sur ordre du ministre Ribbentrop le 5 avril 1943. Sa tâche principale consistait à préparer des matériaux et “des documents pour la réglementation du nouvel ordre européen à adopter à la fin de la guerre”. « Il est déjà clair aujourd’hui que l’Europe future ne pourra survivre que si le Grand Empire allemand affirme pleinement sa suprématie. Notre objectif est de créer un nouvel ordre juste qui garantira aux peuples européens une existence sûre… » – indiquait la documentation explicative de la création de la commission.
Des idées similaires se retrouvent dans le projet de mémorandum du 9 septembre 1943 du Ministère des Affaires étrangères créant une “Confédération européenne”. L’unification de l’Europe était considérée comme “une nécessité” : « Une Europe divisée est trop faible pour s’affirmer dans le monde : si l’Europe perd sa position dans le monde, tous les peuples d’Europe en seront gravement affectés ». Outre une “Europe unie au sein d’une alliance militaire”, une coopération économique étroite sous la forme d’un “nouvel espace économique européen” a été envisagée.
Des plans relativement détaillés pour l’Europe d’après-guerre sont élaborés par Richard Riedl, décédé le 9 mars 1944, et sont publiés à titre posthume à l’automne 1944 sous le titre “La voie vers Europe –Remarques sur l’alliance économique des états européens”. Riedl, homme politique et diplomate autrichien qui fut ambassadeur d’Autriche à Berlin (1921-1925), était un ardent partisan de l'”annexion” de son pays au Reich allemand. Comme l’écrit l’historien Dietrich Eichholz, Riedl était étroitement lié aux grandes entreprises allemandes, notamment IG Farben, et faisait pression pour leurs intérêts en Autriche. À partir de 1938, il siège au conseil consultatif de la Chambre économique du Reich, qui regroupe les chambres de commerce et d’autres organisations économiques. Riedl avait un grand poids politique dans la Chancellerie du Reich.
« En dehors de l’Europe », écrit Riedl dans son mémorandum La voie vers l’Europe, « des empires mondiaux se sont développés qui dépassent de loin les États-nations européens en puissance et en taille. »« La question de savoir si l’Europe sera capable de s’établir aux côtés de ces nouvelles puissances mondiales, de rivaliser avec elles sur un pied d’égalité », a poursuivi M. Riedl, « dépend de la manière dont elle trouvera la voie d’une véritable coopération européenne ». « Nous, Européens continentaux, n’avons plus qu’un choix à faire », argumente Riedl, « coordonner nos actions ou soumettre l’Europe, nous entendre et nous unir dans une saine unité ou nous soumettre à la domination étrangère bolchevique ».
Riedl a fait des propositions très précises concernant “la forme et le contenu d’une alliance économique européenne” : un “Conseil économique européen” permanent devait être créé en tant qu'”organe commun de discussion, de négociation et de décision”. Pour la prise de décision au sein du Conseil économique, les voix des différents pays seraient pondérées différemment, en fonction de la taille de la population et du volume du commerce extérieur (il était évident quel État recevrait finalement le plus de voix, à savoir le Reich allemand).
Les tâches que Riedl voulait confier au “Conseil économique européen” définissaient clairement l’orientation souhaitée. Outre la “surveillance technique de l’application du traité de la Communauté” et le règlement des différends entre ses membres, le Conseil économique était surtout censé contribuer au “développement ultérieur du traité de la Communauté européenne”. Il s’agissait d’ajuster autant que possible le niveau des tarifs douaniers externes, mais surtout de réduire progressivement les tarifs internes en vue de créer progressivement un espace économique européen unique. Afin de pouvoir “échanger des biens et des services” entre les États membres, Riedl propose la création d’une chambre de compensation, l’Europa Bank, qui doit se charger de la création d’une “nouvelle monnaie, l’Eurogulden”.
L’avancée rapide de l’Armée rouge et l’effondrement de l’Allemagne nazie brouillent les cartes pour Hitler et ses collaborateurs : le Reich est occupé, les structures centrales de l’État sont détruites et l’avenir est incertain. Surtout, les capitalistes allemands craignent que l’Allemagne connaisse le sort de la zone d’occupation soviétique, où la nationalisation des moyens de production et la réforme agraire ont eu lieu. Mais les choses ne s’annoncent pas si roses pour les revanchards allemands dans les secteurs occidentaux non plus : le 15 septembre 1944, le président américain Roosevelt et le premier ministre britannique Churchill signent une déclaration à Québec, au Canada, dans laquelle ils déclarent que « les industries métallurgiques, chimiques et électriques en Allemagne » pourraient « très facilement convertir leur production de pacifique à militaire. Ils doivent donc être placés sous contrôle international ». Le secrétaire américain au Trésor Henry Morgenthau préconise la décartellisation et la désindustrialisation de l’Allemagne afin d’exclure une troisième tentative d’expansion mondiale du Reich.
Dans la situation actuelle, la première priorité du capital allemand était d’empêcher la destruction des fondations du Reich – la position matérielle de l’élite allemande. Comme nous le savons, dans la zone d’occupation soviétique, les espoirs d’Hitler ont été mis à mal. Mais les lobbyistes allemands trouvent des alliés dans les secteurs occidentaux – les adversaires de Morgenthau – les impérialistes américains qui assignent à l’Allemagne de l’Ouest le rôle d'”avant-poste capitaliste contre le bolchevisme” et les entrepreneurs qui, comme Henry Ford, ont besoin de l’Allemagne de l’Ouest comme tremplin pour pénétrer le marché européen.
À la fin de l’année 1946, les lobbyistes ont fait pression sur les autorités de Washington pour qu’elles utilisent la “mission Hoover”, qui consistait à envoyer l’ancien président américain Herbert Hoover en Allemagne et en Autriche pour trouver des moyens d’améliorer efficacement l’approvisionnement alimentaire en raison de la famine de l’hiver 1946/47.
Le plan réel de la mission de Hoover était de forcer une reprise rapide de l’économie ouest-allemande en contournant l’interdiction des exportations allemandes par le biais d’une prétendue aide à la famine. La position de Hoover fait l’objet d’une âpre lutte entre factions au sein de l’establishment américain : John Steelman, un collaborateur du président Harry Truman, accuse Hoover de contribuer à la “renaissance du colosse allemand” de facto.
Hoover réunit une délégation qui l’accompagne en Allemagne en février 1947 pour enquêter, analyser la situation et chercher des solutions. L’ancien président américain a invité Gustav Stolper à rejoindre son équipe en tant qu’expert de l’économie allemande. Ardent défenseur du concept d’une Europe centrale unie, Stolper a commencé sa carrière pendant la Première Guerre mondiale en tant qu’employé de Richard Riedl à Vienne, puis s’est installé à Berlin, s’est fait un nom en tant qu’économiste, fondateur et rédacteur en chef de Der Deutsche Volkswirt, et a été membre du Reichstag pour le parti démocratique de 1930 à 1932. Il émigre à New York en 1933, où, selon sa femme, il travaille comme agent de change et observateur économique pour “des banques européennes et des investisseurs en capital”. Au cours de la mission de Hoover, Stolper rencontre de nombreuses vieilles connaissances, dont le futur premier président de l’Allemagne, Theodor Heuss, qui avait voté pour Hitler au Reichstag en 1933.
Hoover demande à Stolper, qui avait joué un rôle clé dans le voyage de l’ancien président américain en Allemagne, de rédiger un rapport sur la mission qui sera publié en mars 1947. Le titre du document est assez peu ambigu : “Sur les mesures nécessaires pour promouvoir les exportations allemandes afin de soulager le contribuable américain du fardeau de l’aide humanitaire à l’Allemagne et de reconstruire l’économie de l’Europe”. Stolper et Hoover y réaffirment la priorité du redressement industriel allemand : “Toute l’économie européenne est liée à l’économie allemande par l’échange de matières premières et de produits industriels”, indique le rapport. Ce faisant, il utilise en fait le résultat de l’expansion de l’économie nazie comme un argument en faveur des concepts avancés.
Peu après la publication du rapport Hoover, la majorité de l’establishment américain l’emporte et met le cap sur la création d’une économie unique ouest-européenne avec un noyau allemand : le 5 juin 1947, le secrétaire d’État américain George Marshall présente le programme de redressement européen (“ERP”), connu sous le nom de “plan Marshall”, qui fournit le support économique d’une coopération économique plus étroite entre les pays d’Europe occidentale.
Peu avant sa mort, le 27 décembre 1947 à New York, Stolper s’est exprimé sur l'”idéal” de l’intégration européenne. Si la vision d’une “union douanière européenne, précurseur des États-Unis d’Europe”, devait devenir réalité, “c’est maintenant qu’il faut le faire”, écrit-il dans son livre German Realities, publié à titre posthume en 1948, qui a joué un rôle important dans le débat américain sur l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe.
Ce livre a non seulement lancé un débat public aux États-Unis en faveur de l’intégration européenne, mais il a également amorcé une campagne visant à blanchir les anciens nazis, sans la participation desquels la restauration de l’impérialisme allemand aurait été impossible. Stolper a exprimé son indignation face aux mesures prises par les États-Unis contre les éléments bourgeois fascistes : « A l’automne 1947, près de deux ans et demi après la capitulation sans conditions, les autorités américaines détenaient encore en captivité des milliers de personnes dont le seul crime avéré était d’occuper des postes de direction dans l’industrie et la banque allemandes. »« Malheureusement, la politique américaine à l’égard de l’Allemagne a été largement façonnée par l’idéologie, les slogans et la propagande marxistes », a affirmé M. Stolper. « En fait, le monde industriel et financier allemand était lié à la politique étrangère d’Hitler comme les ouvriers ou les agriculteurs : ils étaient des instruments de travail impuissants ».
Cette campagne de Stolper a ouvert la voie non seulement aux plans d’intégration européenne pangermanique qui avaient été cachés dans des tiroirs de bureau, mais aussi à leurs auteurs, qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, se sont livrés à des politiques nazies de destruction massive et ont œuvré à l’unification de l’économie européenne sous direction allemande.
L’escalade rapide de la guerre froide coupe la République fédérale impérialiste naissante et en pleine expansion des régions d’Europe de l’Est et du Sud-Est, ce qui constitue une pomme de discorde pour les anciens nazis : le Comité des relations économiques de l’Europe de l’Est avait déjà été créé en 1952 pour élaborer une stratégie d’expansion du capital allemand au cas où l’Allemagne serait unifiée et les pays socialistes d’Europe de l’Est liquidés.
Mais en 1947, lorsque Stolper travaillait sur German Realities, cela semblait une perspective très lointaine. Une chose était alors claire : « Si les barrières politiques divisent l’Europe, l’océan ne séparera plus l’Europe occidentale de l’Amérique du Nord. “C’est des marchés étrangers, et non plus de l’Europe de l’Est, que l’Ouest européen obtiendrait la majeure partie de sa nourriture », écrit Stolper, « et l’Europe occidentale allemande exporterait ses excédents industriels vers les marchés étrangers ».
Une “Communauté atlantique” a vu le jour, une organisation de lobbying composée d’agents d’influence de l’OTAN, qui est devenue une sorte de club réunissant des capitaux américains et des stratèges allemands dans l’intérêt des deux parties : les États-Unis ont pénétré le marché ouest-européen en grande partie par le biais de la RFA, tandis que les entreprises allemandes ont réussi à leur tour à devenir des champions mondiaux de l’exportation, notamment grâce au marché américain. En outre, la RFA a obtenu l’expansion économique européenne sous le couvert d’une intégration pacifique, ce dont les stratèges pangermanistes n’avaient fait que rêver.
Vues : 359
Daniel Arias
Annie Lacroix-Riz sur le même thème :
Les pères de l’Europe :
https://youtu.be/AJ8U2hIc18Y
Aux origines du carcan européen :
https://youtu.be/EyzcW-bpsp0