Les Russes sont plutôt dubitatifs devant les manœuvres « pacifistes » de Trump. La seule chose qui leur fasse vraiment plaisir c’est de voir la panique de Zelenski et le désespoir de l’UE. Voici un aperçu de l’humeur général des Russes à la veille de la rencontre Poutine-Trump en Alaska, vue par un media de gauche proche des communistes, Svobodnaia Pressa (note et traduction de Marianne Dunlop pour histoire et société).
https://svpressa.ru/politic/article/476693
Que pensent les experts de « SP » des négociations entre les présidents russe et américain ?
Texte : Youri Yentsov, avec les commentaires d’Alexandre Chatilov, Vasili Koltachov et Dmitri Agranovski
Certains tentent de présenter le choix de l’Alaska comme lieu de négociation entre Vladimir Poutine et Donald Trump comme un symbole géopolitique profond, mais derrière l’image spectaculaire du « renversement du globe » ou de « l’iceberg retourné » se cache peut-être simplement la commodité du vol de notre côté et le désir de faire bonne impression du côté américain.
L’histoire de la diplomatie connaît de nombreux cas où une symbolique retentissante n’était qu’une façade pour des négociations limitées par les cadres antérieurs et les anciens obstacles politiques.
Même si l’administration Trump affiche effectivement une attitude anti-européenne, cela ne garantit pas que les rencontres en Alaska déboucheront sur des changements réels dans la politique mondiale. L’expérience de Reagan et Gorbatchev montre que les sympathies personnelles des dirigeants et les sommets spectaculaires parviennent rarement à surmonter la résistance des « centres de pouvoir traditionnels » à Washington, Londres ou Bruxelles.
De plus, ces rencontres se terminent souvent par une série de déclarations mutuelles et des mesures pratiques minimes, tandis que les divergences fondamentales et la méfiance entre les parties restent inchangées.
Qu’attend-on des négociations en Russie ? « Svobodnaya Pressa » a posé cette question à des experts qui ont déjà évalué à plusieurs reprises divers événements dans notre pays.
À la question de savoir comment se termineront les négociations en Alaska, si le conflit armé se poursuivra ou si un cessez-le-feu sera conclu, l’avocat Dmitri Agranovski a répondu que si les causes du conflit ne sont pas éliminées, cette rencontre se limitera à une poignée de main, mais le processus restera au point mort :
— Je ne m’attends donc pas à des avancées spectaculaires lors de cette rencontre. Les Américains ne sont pas disposés à résoudre les contradictions. De plus, ils considèrent tout accord comme un accord conclu à leurs conditions.
Tous les commerçants disent : « Achète, mon ami », tout en souriant. Il en va de même ici.
Bien sûr, Trump fera des courbettes à Poutine, lui dira des mots élogieux : « C’est formidable, la Russie a de brillantes perspectives », mais il suivra sa ligne de conduite. J’aimerais espérer que nos intérêts ne seront pas sacrifiés.
Oui, pour l’Europe ou l’Ukraine, le simple fait qu’il y ait des négociations directes entre la Russie et les États-Unis est déjà une défaite. Macron s’indigne : « Comment peut-on décider du sort de l’Ukraine sans les Ukrainiens ! ». Pour eux, c’est une défaite, mais pour nous, la défaite, c’est l’arrêt du conflit sur la ligne de contact. Cela ne résoudra pas les problèmes avec le régime de Kiev, avec son existence future. Les divergences sont telles qu’elles ne peuvent être résolues en une seule réunion.
Au cours des 35 dernières années, nos intérêts ont été constamment sacrifiés, notre zone d’influence n’a cessé de se réduire, comme une peau de chagrin. À une certaine époque, nous avons perdu tous les alliés que le pouvoir soviétique nous avait procurés. Nous avons perdu un tiers de notre territoire.
Dieu merci, en 2014, nous avons repris nos esprits et nous n’avons au moins pas cédé la Crimée. Puis nous sommes passés à l’offensive. Mais celle-ci se heurte à une résistance massive et organisée de la part de l’Occident. Nous ne pouvons plus renoncer à nos intérêts, nous avons atteint le seuil de survie.
« SP » : En Occident, on pense pouvoir nous écraser définitivement.
— Ils ne sont pas encore revenus à la réalité. Le fait même de cette rencontre est bien sûr positif. Un dialogue direct entre les présidents, c’est déjà bien.
Le fait que l’Europe ait été remise à sa place l’est également. Mais je ne sais pas quels accords seront conclus.
« SP » : Ne peut-on dialoguer avec l’Occident qu’en position de force ? Sinon, ils développent constamment un complexe napoléonien et tentent d’imposer leurs conditions à tout le monde.
— C’est exactement ce qui se passe. Prenons l’exemple de la RPDC. Aujourd’hui, le monde occidental a cessé de mettre la pression sur elle, alors qu’il y a quelques années, on disait que la Corée du Nord devait renoncer à l’arme nucléaire. On lui a imposé des sanctions. Mais Pyongyang a fait comprendre qu’elle ne renoncerait à rien. Au besoin, elle est prête à appuyer sur le bouton.
Et aujourd’hui, on a l’impression que le monde occidental ne les remarque tout simplement pas. Nous coopérons activement aujourd’hui pour violer les soi-disant sanctions. Les Coréens participent à nos côtés aux combats. L’Occident fait comme si de rien n’était.
Il en va de même pour nous : si nous faisons preuve de force et de détermination, cela nous permettra à terme de conclure, pour reprendre les termes de Trump, un accord à des conditions beaucoup plus avantageuses.
L’économiste et politologue Vasily Koltachov rappelle qu’il s’agit du « plan de paix de Trump », qui devrait lui permettre d’obtenir le prix Nobel de la paix :
« Trump veut convaincre la Russie d’accepter ce plan. Et ce plan a bien sûr déjà été élaboré lors des négociations entre Moscou et Washington. On parle beaucoup du soi-disant échange de territoires, selon lequel la Russie se retirerait de la région de Souma, et l’Ukraine reconnaîtrait toutes nos acquisitions territoriales dans le Donbass, à Zaporijia, à Kherson et dans bien d’autres endroits où elle maintient ses troupes.
C’est la première étape vers un cessez-le-feu. Il y aura peut-être une zone démilitarisée du côté ukrainien, sur son territoire.
La Russie est en train de gagner et il est peu probable que nous soyons amenés à nous retirer. Du côté ukrainien, le front est en crise. Mais la crise ne signifie pas la fin, même s’il est clair que la situation n’est pas facile pour eux.
« SP » : Y aura-t-il une démilitarisation de l’Ukraine sous une forme ou une autre ?
— Peut-être sous le contrôle de l’ONU. Et les élections en Ukraine sous le même contrôle. Après tout, la bureaucratie de l’ONU elle-même est en grande partie contrôlée par les États-Unis. Mais le champ politique en Ukraine est complètement purgé. Même si certaines forces anti-Bandera tentent de relever la tête, cela ne mènera à rien.
« SP » : Et si l’Ukraine rejette ce plan ? Elle dira qu’il ne lui convient pas. Donc, en substance, cette rencontre, même si elle fera beaucoup de bruit, n’aboutira à rien ?
— Pourquoi à rien ? Elle aura un effet déstabilisateur sur le régime de Zelensky. Il est indécis, tantôt il veut se rendre en Alaska, tantôt il ne le veut plus.
Cela le rend très nerveux, car un plan clair, signé par le président américain, sera proposé à la société ukrainienne. Les gens se demanderont : comment refuser cela ? Combien de temps devrons-nous supporter cela encore ?
Et on verra qu’il faut supporter encore. On exigera à nouveau le retour aux frontières de 1991. Une fois de plus, toute la rhétorique politique sera déployée comme contre-argument : « Nous ne sommes pas d’accord, car la Russie doit reconnaître sa défaite, sa capitulation ».
Bien sûr, cela ne signifie pas la fin du conflit. Il s’agit d’une pause, et Trump en est parfaitement conscient. Son seul problème est de convaincre Kiev, Londres et Bruxelles d’accepter ce plan de pause afin de réarmer l’Ukraine et de la préparer à un nouvel affrontement avec la Russie, tout en gagnant du temps.
Le politologue, professeur et doyen de la faculté des sciences sociales de l’Université financière Alexandre Shatilov estime que la partie russe a des chances de mener ces négociations à bien :
– La situation est assez problématique pour les forces armées ukrainiennes, les troupes russes sont à l’offensive. Les Européens ne soutiennent le régime de Kiev que verbalement mais sur le plan militaro-technique, et ils ne souhaitent pas pour l’instant étendre ce soutien.
C’est pourquoi, malgré toutes leurs attaques terroristes, Poutine a tout de même, comme aime à le dire Trump, « davantage d’atouts en main » et il parviendra à négocier une paix efficace.
Le problème, c’est qu’il y a beaucoup de gens qui sont opposés à ces négociations. Et il ne s’agit pas seulement des Européens, ni seulement de Zelensky, qui pourrait se rebiffer, craignant de ne plus être utile dans la nouvelle réalité.
N’oublions pas l’opposition anti-Trump au sein des États-Unis, au sein du Parti démocrate et d’autres, qui lui mettent activement des bâtons dans les roues, l’empêchant de mettre en œuvre sa politique intérieure. Il en va de même en matière de politique étrangère : ils ne manqueront pas une occasion de le contrarier.
Beaucoup dépendra ici de la capacité de Trump à convaincre les Européens et Zelensky. Quant à nous, nous devons adopter une position ferme, sans prêter attention à l’Europe et au chef du régime de Kiev. Tout se décidera entre les deux grands, selon ce qu’ils auront convenu.
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