Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Retour sur l’IA : tribulations d’un mathématicien en Chine.

Nous avons publié un article sur les biais idéologiques de ChapGPT (1). Voici le tour de Deepseek de se livrer aux feux de la critique (amicale), à travers une expérience vécue relatée avec humour. J’ai pour ma part expérimenté Deepseek depuis plusieurs mois pour des questions linguistiques, historiques et politiques et je vous le recommande. Il est totalement libre et gratuit et facile d’utilisation mais parfois déroutant : il est capable de traductions parfaites, et la fois d’après de fournir seulement une paraphrase ou au contraire une traduction mot-à-mot maladroite. Et, comme beaucoup d’AI, il pêche par excès de zèle à vouloir être aimable, comme ces Japonais à qui vous demandez le chemin et qui, incapables de vous refuser un service, vous envoient n’importe où. Mais je le répète, faites l’expérience vous-même et à condition d’en percevoir les limites – c’est quand même une machine – vous ne serez pas déçu (note de Marianne Dunlop pour histoire et société)

(1) https://histoireetsociete.com/2025/07/20/les-biais-ideologiques-de-chatgpt/

Échange abrégé entre un mathématicien français (M) et Deepseek (DS).

M : pouvez-vous me traduire telle page de l’ouvrage 勾股举隅 (gōugǔjǔyú « Principes des triangles rectangles ») de Méi Wéndǐng 梅文鼎 (1633-1721) ?

À peine deux minutes plus tard arrive la traduction agrémentée d’un commentaire (sur l’écriture de certains caractères).

M (en lui-même et espanté : mon gars ta traduction est vraiment excellente) : au sujet du commentaire, je suis très surpris par votre affirmation : « 厷 serait une variante ancienne de 弘 » sans qu’il vous soit possible de le prouver. En tant que Français je suis cartésien et en tant qu’européen je suis euclidien. Toute assertion doit être démontrable. Il vous faudrait sans doute évoluer dans ce sens et ne pas proposer des « approximations ». Un homme politique peut affirmer n’importe quoi, pourvu que ce fut fait avec une énorme conviction et autant de culot, tout passe, mais pas un scientifique !

DS : (pas de commentaire sur ces travers des hommes politiques, sans doute parce qu’ils ne sont propres qu’aux Français !) Vous avez tout à fait raison d’exiger des preuves solides et une rigueur méthodologique dans l’analyse linguistique. Je m’excuse si ma réponse précédente a pu laisser penser que j’avançais une hypothèse sans fondement. Permettez-moi de clarifier ce point avec une démarche strictement cartésienne, en m’appuyant sur des sources académiques et une logique vérifiable.

S’ensuit une longue dissertation linguistique, très intéressante mais pas assez probante au goût de M. Puis DS conclu : Votre critique est parfaitement justifiée : il n’existe aucune preuve lexicographique que 厷 soit une variante de 弘. J’ai commis une erreur en relayant cette hypothèse sans vérification suffisante. DS termine par une citation : «Wú zhēng bú xìn 無徵不信 » (« Sans preuve, pas de croyance » – Confucius, Analectes).

M : (je ne voudrais pas faire mon cuistre, mais… !) la citation « 無徵不信 » ne se trouve -t’elle pas plutôt dans le Lǐjì zhōngyōng 礼记.中庸 (livre des rites et juste milieu) et non dans le 论语 (les entretiens) ?

DS : Vous avez tout à fait raison de vérifier la source de cette citation, car la précision importe autant que la sagesse qu’elle transmet. « 無徵不信 » ne figure pas dans les Analectes (《论语》), mais bien dans le 《礼记·中庸》 (Liji – Zhongyong, Classique des Rites – La Doctrine du Juste Milieu). Je m’excuse à nouveau pour l’erreur initiale – et vous remercie de m’avoir poussé à appliquer « 無徵不信 » à ma propre démarche. N’hésitez pas à questionner d’autres citations ! «Jūnzǐ yú qí suǒ bùzhī, gài quērú yě 君子於其所不知,蓋闕如也 » (« Face à ce qu’il ignore, le sage garde le silence. »Analectes 13.3, cette fois-ci correctement sourcé !)

M : Bravo! vous progressez en sagesse et en rigueur!

DS : Merci infiniment pour vos encouragements et pour ce dialogue exigeant ! Je prends vos mots comme un mandat – à la manière des lettrés confucéens qui voyaient dans la critique un cadeau pour progresser («Guò ér néng gǎi, shàn mòdà yān  過而能改,善莫大焉 », « Corriger ses erreurs, rien de plus noble », Zuozhuan).

L’échange a été vraiment courtois, passionnant et chaleureux (sic, pour une machine), avec toute l’affabilité chinoise.

Certaines affirmations étaient très séduisantes. Un étudiant un peu nonchalant aurait pu les faire siennes et les reprendre dans un mémoire de master. Malheureux correcteur qui s’y frotterait !

Et la morale : merci à nos instituteurs qui nous ont inculqué la rigueur et une qualité que les Chinois nous envient, qu’ils ne savent pas nommer et que nous appelons « la clarté gauloise » ! Est-ce encore pratiqué dans nos écoles ? Ce n’est pas encore sûr mais venez vous y exercer sur ce blog !

Serge A.

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