A la suite des nombreux et très riches publiés sur le blog concernant le tournant des droits de douanes, voici quelques réflexions personnelles. (Franck Marsal) Tout à fait d’accord avec Franck et c’est l’accord sur lequel s’est fait la rédaction de notre livre de la part de la bande des quatre (Danielle Bleitrach, Marianne Dunlop, Jean Jullien et Franck Marsal), à savoir que le monde multipolaire est « déjà là », également d’accord avec le fait que la crise « trumpienne » n’est rien d’autre que la tentative d’ajustement à cette double révélation, celle de la réalité du « pilier armement » par la guerre en ukraine, et celle de l’innovation dans l’IA, la fusion nucléaire et autres dépassée par la Chine. C’est là encore ce qui est à la base de notre livre à quatre mains. Mais ce que nous voyons aujourd’hui c’est l’urgence du combat pour la paix alors que la guerre n’est pas un simple danger mais est déclarée. Quand la guerre est là, il y a des nécessités, la première est de savoir qui sont les adversaires réels et il faut insister sur le fait que le choix de Trump et de ses alliés capitalistes c’est de maximiser les souffrances populaires, alors que celui de la Chine c’est d’utilise les nouvelle technologies pour maitriser les dites souffrance à commencer celles du peuple chinois et des pays du sud. C’est la guerre du capital impérialiste, hégmonique contre le travail. Dans ce cas là, il faut savoir ne pas se dire qu’on a pas la force et que donc avant même de débuter il faut envisager des compromis, parce que là on est sur de perdre, la deuxième règle est de ne pas croire que l’on a déja vaincu sous prétexte que le monde multipolaire est déjà là parce que dans ce cas on néglige totalement le combat pour une paix réelle. Donc on peut être d’accord avec l’analyse de Franck Marsal mais il faut savoir que la guerre est déjà là et qu’elle exige de se prémunir à la fois devant les deux dangers, celui du compromis avant toute bataille et celui de ne pas voir que l’essentiel réside dans l’organisation de la bataille. (note de danielle Bleitrach histoireetsociete)

La guerre commerciale n’arrive pas par hasard
Trump a son style, mais ce qui l’a amené à faire ce qu’il fait, c’est tout simplement que le monde d’avant n’était plus la meilleure option pour l’impérialisme états-unien, et il y a de solides raisons pour cela. Pensons à De Gaulle négociant les accords d’Evian pour l’indépendance de l’Algérie. De Gaulle était le plus nationaliste des nationalistes. Tout son parcours politique est construit autour de la grandeur de la France. Mais lorsqu’il arrive au pouvoir, il n’y a pas d’autres solutions que de sortir de la guerre d’Algérie et de démanteler en façade l’empire colonial.
Trump ne parle lui aussi que de la « grandeur de l’Amérique », mais dans les conditions où il parvient au pouvoir, il n’y a pas d’autre choix pour les USA que de démanteler en quelque sorte son empire néo-colonial, c’est à dire sa position hégémonique, parce qu’elle ne correspond plus à la réalité matérielle du monde. Comme De Gaulle, Trump agit vite, car il considère que plus les changements seraient retardés, plus ils seraient coûteux. Et de même que De Gaulle pouvait plus facilement négocier l’indépendance de l’Algérie, une défaite pour la France, précisément parce qu’il avait cette aura nationaliste. Trump peut battre en retraite de la position hégémonique précisément parce qu’il a crié partout MAGA, MAGA.
Trump arrive au moment où les USA doivent accepter que la guerre d’Ukraine est manifestement en train d’être perdue pour l’occident, que des sommes faramineuses ont été engagées en pure perte (quoique l’argent ne soit jamais perdu pour tout le monde). L’occident a été incapable de mettre la Russie à genoux, comme cela avait été crié sur tous les toits. C’est un échec patent de la politique internationale de Biden et, Trump ou pas, il aurait fallu le reconnaître. Plus grave, la guerre a révélé que l’ensemble du modèle militaire états-unien, à base de technologies ultra-coûteuses et vendues à prix d’or au monde entier est désormais totalement dépassé. La capacité à industrialiser des productions massives à bas coûts, la capacité à mobiliser, unir la nation, l’ingéniosité et le courage humain sur le champ de bataille sont les facteurs clés. Les productions d’armes ultra-coûteuses et complexes sont sans objet. Les chars et les navires de guerres peuvent être détruits par des drones à faibles coûts arrivant par milliers. C’est l’extinction des dinosaures et le triomphe des petits mammifères. Ainsi, l’aide de la méprisée Corée du Nord à la Russie a été au moins aussi pertinente que celle de l’occident arrogant à l’Ukraine. Mieux vaut des milliers de bon vieux chars T64 et un approvisionnement correct en obus, que quelques dizaines d’Abrams et Leopard et une pénurie de munitions. La croyance typiquement bourgeoise en la supériorité de l’intellect sur la matière, traduite par la pensée occidentale en la supériorité de la capacité de conception sur la capacité de production a été irrémédiablement prise en défaut.
Les problèmes du néo-empire ne s’arrêtent pas là. Taïwan est probablement perdue également, les récentes manœuvres chinoises sont passées sans réaction majeure. Et les manœuvres engagées pour sauver Israël, autre porte-avions terrestre de la glorieuse Amérique s’engagent dans une position difficile. Il faut ici mesurer le changement entre Trump 1 et Trump 2 : Trump 1 avait annulé l’accord sur le nucléaire iranien, espérant faire plier la République islamique par la contrainte, Trump 2 fait des pieds et des mains pour obtenir une renégociation du même accord. Khamenei lui a répondu indirectement en disant en substance au peuple iranien : on essaie de vous effrayer en vous disant que c’est la négociation ou la guerre, rassurez-vous, il n’y aura ni négociation, ni guerre. Entre temps, l’Iran a montré qu’il était capable de bombarder massivement les installations militaires israëliennes sans que les coûteuses défenses anti-aérienne ne puissent arrêter l’attaque.
Tout ceci n’est pourtant que la surface des choses. Le plus profond est le développement de la Chine comme premier centre industriel mondial (dans l’industrie de base, dans les produits de consommation et désormais dans les produits les plus sophistiqués et la pointe technologique : véhicules électrique, énergie nucléaire, processeurs, intelligence artificielle etc ). Ce développement ne se cantonne pas à la Chine : La politique d’internationalisation à travers les BRICS+ et la Nouvelle Banque de Développement d’une part et les Nouvelles Routes de la Soie (One Belt One Road) d’autre part change profondément les règles du jeu et les équilibres mondiaux et c’est ce qui est à la base de tout le reste. La Chine a entrepris autour d’elle le développement du « Sud Global », bloqué sous le plafond de verre du néo-colonialisme depuis des décennies.
Les USA sont toujours la première puissance économique mondiale, mais il ne sont plus du tout en situation d’hégémonie. Le monde a un autre partenaire, la plupart des pays ont le choix et le plus souvent, leur commerce avec la Chine est maintenant plus important que le commerce avec les USA. En privilégiant le commerce avec la Chine, des pays pourtant alliés de très longue date avec les USA comme l’Arabie ont constaté qu’ils obtenaient beaucoup plus de produits, de meilleure qualité et beaucoup moins chers qu’en commerçant avec les USA. C’est quelque chose qu’on ne peut pas refuser … Les dirigeants saoudiens ont parfaitement conscience (malgré toutes leurs limites) que la rente pétrolière dont ils jouissent prendra fin d’ici une ou deux générations et qu’ils doivent investir massivement pour développer et industrialiser leur pays. Le bon partenaire pour le faire est incontestablement la Chine et la plupart des pays du « Sud global » font le même constat.
Qu’est-ce qui advient finalement, dans ces changements « comme le monde n’en a pas vu depuis 100 ans » ?
C’est précisément le monde multipolaire. Les USA eux-mêmes estiment désormais plus favorable pour eux de se préparer à se monde multipolaire et de s’y construire une position favorable. Les changements dans les flux commerciaux ne peuvent qu’entériner les rééquilibrages géo-politiques et la base matérielle réelle du monde. La série d’articles que le blog Histoire&Société publie le montre par tous les détails possibles. Dans le monde multipolaire, les déséquilibres qui font qu’une série de pays dominent et consomment, pendant que la majorité du monde subit et produit ne seront plus longtemps possibles. Ils devront peu à peu se résorber Les déséquilibres monétaires qui écarte massivement la valeur des monnaies des parités de pouvoir d’achat sont vouées à se résoudre également.
Voici quelques exemples de ces écarts: Le PIB de la Chine aux taux de change des marchés monétaires est de 18 000 milliards de dollars. En parité de pouvoir d’achat, il est de 33 000 milliards de dollars (en PPA la Chine est la 1ère économie mondiale devant les USA depuis 2017). Pour l’Inde, l’écart est encore plus important : PIB nominal 3 900 milliards de dollars, Pib en PPA 13 500 milliards de dollars. Pourquoi de tels écarts ? parce que ce qui domine les marchés monétaires, ce sont les échanges de capitaux. Les échanges de capitaux constituent 90 % des transactions monétaires, contre 10 % pour les échanges de biens et services.Or, les USA détiennent 45 % de la capitalisation boursière mondiale (donc reçoivent chaque année 45 % des dividendes mondiaux), ils sont le 1er destinataire des investissements directs étrangers (25 % du total mondial, soit 10 000 milliards de dollars), ils gèrent 60% des actifs des 100 plus grands fonds d’investissements mondiaux. Les ménages états-unien (plus exactement une petite classe de ménages états-unien) possède plus de 30 % du patrimoine mondial. Au total, on estime que les USA les États-Unis contrôlent près de 40% des capitaux globaux, un pouvoir sans équivalent dans l’histoire économique.
Ce sont les flux financiers liés à cette détention massive de capitaux par les USA, à leur place centrale dans le système financier mondial, qui forment l’essentiel des aberrations de taux de change, une fraction considérable du profit devant passer par le système financier états-unien avant de se réinvestir. La richesse mondiale est drainée vers New York et cela survalorise le dollar. Les fluctuations du dollar, pilotées par la réserve fédérale des USA permettent de contrôler en permanence l’ensemble de ces flux financiers.
Dans un premier temps, cela se justifiait par l’avance industrielle des USA. En 1950, les USA réalisaient 40 % de la production industrielle mondiale, dont les produits les plus avancés (automobiles, avions, acier, raffinage du pétrole …). Mais peu à peu, les USA ont trouvé plus intéressant d’exporter leurs capitaux, de faire produire à l’étranger et de rapatrier les bénéfices. Aujourd’hui, Les USA réalisent entre 16 et 18 % de la production industrielle mondiale. Mais un géant se dresse face à eux : la Chine est à 30%. La croissance de la puissance industrielle de la Chine lui a d’ailleurs permis d’inverser la situation de détention de capital avec les USA : les USA détiennent moins de capital en Chine (environ 800 milliards de $) que les chinois aux USA (environ 1200 milliards de $).
Le système financier états-unien a continué à fonctionner tant que les pays qui produisaient des biens pour la consommation états-unienne et donc, in fine, pour la valorisation et la reproduction du capital financier états-unien réinvestissaient leurs dollars dans le financement de la dette américaine. Mais, depuis quelques années, cela a pris fin. La Russie s’est débarassée de sa dette américaine et la Chine a largement réduit la part des bons du trésor états-uniens. Ces pays ne sont pas les seuls. Depuis quelques années, l’or est massivement acheté par diverses banque centrales et redevient l’actif de réserve de référence pour de nombreux pays : Chine et Russie bien sûr, mais également Pologne, Inde et Turkyie par exemple. Le dollar états-unien a ainsi perdu près de 60 % de sa valeur en or : le cours de l’or est passé de 1280 dollars l’once en 2013 à plus de 3000 dollars cette semaine.
Comme l’expliquent très bien l’article « Les Etats-Unis démantèlent leur empire pour en construir un autre »(https://histoireetsociete.com/2025/04/07/les-etats-unis-demantelent-leur-empire-pour-en-construire-un-nouveau/), les droits de douanes imposés par Trump entérinent la fin de l’exception financière, monétaire et commerciale états-unienne. Dans le monde multipolaire, désormais « déjà-là », les USA ont pour priorité de devenir un des pôles majeurs et agissent en ce sens. Fut-ce au prix d’un effondrement de la finance internationale, du capital fictif comme disait Marx, dont chacun sait au fond qu’il est sauvagement sur-évalué et spéculatif.
Les écarts entre l’économie fictive et l’économie réelle seront purgés et le commerce international devra se rétablir sur des bases nouvelles. L’essentiel de ce que chaque pays consomme, il doit le produire, directement ou en équivalent à échanger sur des bases équilibrées. Il n’y aura plus (à terme) de dollar magique, plus de rentes de situation permettant à une caste internationale de s’ériger en élite mondiale auto-proclamée.
Qui paiera les droits de douane édictés par Trump ? Qui va gagner le bras de fer économique ?
La progression industrielle et technologique de la Chine est telle qu’elle développe des industries à un rythme accéléré, sur des bases élargies, à des coûts moindres et un niveau technique qualitativement supérieur .
Les droits de douanes décidés par Trump vont rendre les produits chinois plus cher. Les entreprises chinoises vont avoir deux choix : baisser leurs prix (cela peut être fait collectivement par le gouvernement chinois par la baisse du cours de la monnaie) ou maintenir leur prix (ce qui réduira les volumes de vente) et chercher d’autres clients ailleurs (par exemple en Europe, c’est une des sources d’inquiétude des pays européens : voir affluer les productions chinoises à prix cassé).
La première riposte chinoise est d’augmenter les droits de douanes sur les produits états-uniens. C’est le bras de fer. Les flux commerciaux vont baisser. Les prix des produits importés subsistants vont augmenter et cela va créer de l’inflation que chaque pays pourra s’efforcer de limiter en substituant ses propres productions aux importations.
La question est : quel pays va remporter ce bras de fer ? La Chine est évidemment en position de force : Beaucoup de produits chinois ne pourront pas être fabriqués tout de suite aux USA. Les USA seront contraints de continuer à les importer et les consommateurs devront payer les droits de douane. La Chine, compte tenu de sa dynamique industrielle, de son développement encore en cours et du développement de ses partenares internationaux dispose d’un très large marché potentiel (bien plus vaste que les USA) pour écouler ses propres produits. Et l’expérience des « sanctions » du premier mandat de Trump ont confirmé la solidité de la Chine.
La seule porte de sortie des USA … est de trouver une autre victime expiatoire de la crise, une autre zone économique, moins bien défendue, qui pourrait être facilement mise en difficulté et dont l’effondrement permettrait aux USA de trouver une planche de salut. Laquelle ? L’Europe !
Trump pourrait (pur exemple spéculatif …) convaincre les classes dirigeantes européennes, paniquées par la victoire de la Russie en Ukraine, de se réarmer massivement en dépensant des sommes faramineuses en armement coûteux produit par les USA. Il pourrait convaincre l’UE de continuer à privilégier l’achat de gaz liquéfié états-unine aux gaz russe bon marché. Il pourrait récupérer à bas prix les richesses minières du Groenland et gratuitement celles du Canada en l’annexant. Il peut même mener une guerre commerciale victorieuse contre l’UE en jouant sur les divisions internes des capitalistes européens égoistes et toujours prêts à se trahir les uns les autres.
La question du pétrole revient au premier plan :
Cette crise aurait pu avoir lieu il y a quelques années, après la crise financière de 2008 qui avait montré la grande fragilité du capitalisme impérialiste occidental. Mais, il y a eu une rémission. Le capitalisme US a eu un répit de quelques années, malheureusement gaspillé par Biden dans l’aventure coûteuse et inutile de la guerre par procuration contre la Russie.
Un des facteurs clés de cette rémission est la hausse de la production pétrolière états-unienne du fait du pétrole de schiste, dont l’exploitation soudainement maîtrisée a permis aux USA de redevenir à partir du milieu des années 2010, 1er producteur mondial de pétrole et exportateur net de pétrole brut et raffiné. En 2024, les USA ont extrait près de 20 millions de barils par jours, accompagné d’une production également importante de gaz naturel.
Mais le pétrole de schiste a deux défauts :
1) il est bien plus cher à extraire que le pétrole conventionnel. Les marges sont moindres et si le prix mondial du pétrole baisse, c’est une catastrophe d’abord pour la production états-unienne.
2) les réserves de pétrole de schistes s’épuisent plus rapidement que celle du pétrole conventionnel et le boom pourrait s’essouffler prochainement.
Cela explique l’intérêt, pour les USA, de provoquer des guerres, des conflits, d’obtenir des « sanctions » internationales contre d’autres pays producteurs (Iran, Russie) afin de soutenir le marché et leur intérêt aussi à annexer d’autres pays producteurs (comme le Canada) ou à gagner à leur influence (Venezuela) afin de stabiliser leurs réserves. D’où enfin le slogan de Trump en faveur de l’exploration et de l’exploitation pétrolière US, sans considération pour l’environnement : « Drill » (creusez !)
Les conséquences pour les travailleurs :
La crise commerciale et la réorganisation du monde va signifier des attaques sans précédent contre le niveau de vie des travailleurs, en particulier en occident et dans les pays les plus fragiles. La désorrganisation du monde, l’affaiblissement du pouvoir réactionnaire des USA vont susciter une aspiration profonde des peuples et en particulier des classes ouvrières (plusieurs milliards de personnes à l’échelle mondiale) à socialisation globale des moyens de production et à la construction d’une nouvelle génération d’états socialistes. Dans cette longue crise de réadaptation de l’organisation mondiale, les classes productrices détiennent la capacité d’organisation nécessaire et sont les seules dont l’intérêt coïncide avec l’intérêt général.
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