La volonté de Moscou de revenir à l’Acte fondateur OTAN-Russie de 1997 est désormais impossible sans l’accord de l’Allemagne qui s’est positionnée dans le leadership de celle-ci, éliminant de fait les prétentions françaises et polonaises. En profitera-t-elle pour négocier et donc se tailler la part du lion dans le dépeçage de l’Ukraine ? C’est vraisemblable. Dans ces temps d’apparents bouleversements, les États ou plutôt les intérêts de leurs classes dominantes en profitent pour tenter d’avancer leurs pions tandis qu’on amuse le petit peuple avec des enjeux que l’on traite loin de lui. (note et traduction de danielle Bleitrach histoireetsociete)
par Andrew Korybko 4 avril 2025

L’Allemagne vient d’ouvrir sa première base militaire permanente à l’étranger depuis la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre de la compétition pour le leadership de l’Europe d’après-conflit entre elle-même, la France et la Pologne.
Situé dans le sud-est de la Lituanie, près de la frontière biélorusse et à proximité de la région russe de Kaliningrad, elle est stratégiquement positionnée pour donner à l’Allemagne une influence démesurée dans l’élaboration de la future architecture de sécurité de l’Europe. En effet, l’Allemagne est désormais un acteur direct de la sécurité de l’Europe centrale et orientale (PECO).
Ce développement fait progresser plusieurs objectifs stratégiques connexes. Pour commencer, cela pose un défi aux efforts de la Pologne pour se présenter comme l’allié européen le plus fiable des États baltes, étant donné que l’Allemagne a maintenant une base dans l’un de ces pays, précisément celui qui relie la Pologne aux deux autres.
À ce sujet, l’Allemagne et la Pologne ont convenu de créer un « Schengen militaire » début 2024 pour faciliter le mouvement des troupes et du matériel, ce qui permet à l’Allemagne d’approvisionner plus facilement sa base lituanienne.
Ce pacte pourrait donc être élargi à la Lettonie et à l’Estonie, en particulier après que le Parlement européen a confirmé la centralité de la « ligne de défense baltique » dans la stratégie de sécurité orientale du bloc.
La base lituanienne de l’Allemagne pourrait donc s’associer à son renforcement militaire envisagé et à un « Schengen militaire » élargi pour concurrencer plus vigoureusement la Pologne en termes d’influence dans les pays baltes. Cela pourrait, à son tour, aboutir à ce que l’Allemagne subordonne la Pologne pour devenir l’acteur militaire dominant dans l’Europe centrale et orientale.
La nouvelle base allemande en Lituanie ne pose pas seulement un défi aux intérêts polonais, même si Varsovie ne l’admet pas ouvertement. Certains responsables polonais pourraient même soutenir un rôle de sécurité régionale plus important pour Berlin.

Toute éventuelle action militaire russe contre la Lituanie, y compris si Moscou tente de créer un « corridor Suwalki » entre la Biélorussie et Kaliningrad, pourrait servir de déclencheur à l’implication militaire du dirigeant de facto de l’UE dans la crise.
Certes, la Russie n’a pas signalé d’intention de traverser la Pologne ou la Lituanie, beaucoup plus faible, en route vers son enclave balte. Personne n’a non plus suggéré de manière convaincante pourquoi elle le ferait, étant donné que ce scénario conduirait presque certainement à un conflit continental et peut-être même à une troisième guerre mondiale si les États-Unis s’impliquaient.
Néanmoins, elle continue d’inquiéter de nombreux Européens et influence donc la façon dont ils formulent leurs politiques, l’Allemagne étant désormais prête à jouer un rôle plus important dans de telles discussions, compte tenu de ses intérêts directs à dissuader ou à répondre à ce scénario.
Et, enfin, les deux objectifs précédents, à savoir une concurrence plus robuste avec la Pologne pour l’influence dans les pays baltes et une plus grande influence dans la planification d’urgence du « corridor de Suwalki », visent à garantir qu’elle soit incluse dans tout accord russo-américain sur la future architecture de sécurité de l’Europe.
La demande de Poutine fin 2021 aux États-Unis de revenir à l’Acte fondateur OTAN-Russie de 1997 en retirant les troupes et les infrastructures militaires occidentales des anciens pays du Pacte de Varsovie ne peut plus être réalisée sans la participation de l’Allemagne.
Tous les autres membres de l’OTAN sont déployés par rotation, même s’ils sont permanents. Pourtant, ceux des États-Unis et de l’Allemagne sont officiellement permanents, ce qui est un statut juridique différent qui est considéré comme plus sérieux par la Russie.
Cela ne signifie pas automatiquement que l’Allemagne sera incluse dans les pourparlers russo-américains, même pas en tant que représentante de l’UE, mais simplement que Berlin peut maintenant servir d’obstacle plus que quiconque à ce qu’ils puissent conclure un grand accord sur la sécurité européenne sans qu’aucune nation européenne y contribue.
Cet article a été publié pour la première fois sur le site Substack d’Andrew Korybko et est republié avec l’aimable autorisation. Abonnez-vous à la newsletter Andrew Korybko ici.
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