Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Les Indiens ne voient pas les vaisseaux espagnols, par Evdokia Cheremetieva

Derrière cette fable, il y a une très longue discussion entre Marianne et moi sur l’étrange cécité non seulement des Français en général mais même des communistes français ou de leurs contestataires « radicaux » et sur le fait qu’ils refusent de voir à quel point le monde a changé par rapport à ce qu’ils imaginent. Les pédagogues connaissent bien ce que l’article décrit avec beaucoup d’humour : toute connaissance nouvelle se heurte à l’impossibilité de lui faire prendre place dans une cohérence antérieure, et donc est ignorée. Cela se renforce avec l’âge, la difficulté grandissante à penser ce sur quoi on n’a pas développé un savoir, des connaissances antérieures. Il semble qu’en matière de géopolitique, la société française, soumise depuis des décennies à une intense propagande de trafic de sa mémoire historique culmine les deux handicaps 1) l’incapacité à voir ce qui est pourtant comme le nez au milieu de la figure (à savoir le fait que Trump est un syndic de faillite obligé de participer à un jeu qu’il ne maitrise plus mais qui tente de conserver l’hégémonisme en noyant ses alliés et vassaux et que les beaux jours du partage du pillage ne reviendront pas et que la Russie ne l’ignore pas) 2) la sénilité. Dans ce dernier cas cela revient à chercher dans les faits actuels l’idéologie à travers laquelle on a y compris pensé l’adhésion ou le refus de l’UE, l’anti-impérialisme, ou la croyance au libéralisme… Il est évident que le détartrage des luttes ou celui de la rencontre avec le terrain aide mais cela vous place en porte à faux avec vos contemporains qui ressemblent un peu aux Indiens face aux bateaux venus d’Europe, ils ne voient pas ce qu’est la Russie et tout ce qui leur échappe de ce fait, pareil pour la Chine et le monde nouveau. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/opinions/2025/3/31/1322403.html

En 2004, j’ai vécu en Angleterre pendant une courte période. J’y suivais un cours d’anglais. J’étais dans un groupe avec des Portugais, des Finlandais, des Espagnols – bref, un groupe de personnes très diverses. Un jour, le professeur a demandé à chacun de préparer un exposé sur son pays d’origine.

Le jour dit, j’ai fièrement commencé à parler du plus grand pays du monde. Et au tout début du monologue, littéralement sur un souffle, avant d’arriver au ballet et à Gagarine, j’ai vu de la confusion dans les yeux des auditeurs. Je pensais que tout le monde autour de moi savait ce qu’était la Russie, à quel point elle était grande.

J’ai répété sur une expiration : « Le plus grand pays du monde ».

– C’est vrai ? – m’a-t-on demandé.

Heureusement, il y avait une carte politique du monde accrochée dans la classe. Je me suis simplement approchée et j’ai pointé mon doigt, traçant un grand ovale autour de notre territoire. À ce moment-là, tout le monde a été stupéfait, comme si c’était la première fois qu’ils voyaient cela : « Ben, ça alors, c’est vrai ! ».

J’ai alors pensé qu’ils étaient simplement incultes. Comment peut-on ne pas savoir une chose pareille ? Il suffit de jeter un coup d’œil sur le globe pour s’en rendre compte. Il y a une autre histoire. Elle est un peu différente, mais c’est en fait la même histoire.

J’ai un vélo dans les toilettes. Il se trouve que je n’ai pas d’autre endroit où le mettre. Et il n’est pas suspendu au plafond comme les cuvettes dans les appartements collectifs. Il pend comme un veau écorché le long du mur, la tête en bas. Vous ouvrez la porte et l’une des roues est juste devant vos yeux. Elle est là en plein milieu – il est impossible de ne pas la voir. Nos toilettes étant petites, on peut dire que l’on s’assoit sur le « trône » juste en dessous, et une roue est tout près sur votre droite. Mais vous savez quel est le paradoxe ? Personne ne le voit.

Et si je ne mentionne pas le fait, ils ne le remarquent pas non plus. J’ai même mené une expérience : je ne prévenais pas les nouveau visiteurs et immédiatement après qu’il aient visité l’endroit, je demandais : « Tu as vu le vélo ? » – « Quel vélo ?! » – était la réponse habituelle.

Surprise, j’ai décidé de demander également à de vieux amis et connaissances qui étaient venus chez nous à plusieurs reprises s’ils savaient qu’un vélo vivait sa vie dans nos toilettes depuis longtemps. « Vraiment ?! ». Et tout le monde court vérifier et s’étonne de ne pas avoir « remarqué l’éléphant » [allusion à une fable de Krylov, le La Fontaine russe, NdT].

Cela me fait penser à un phénomène décrit en psychologie : « les Indiens n’ont pas vu les vaisseaux ». On pense que lorsque les premiers navires européens ont abordé les côtes américaines, les indigènes ne les ont pas vus. Ils ont regardé au large et ne les ont pas vus. Nous ne savons pas, bien sûr, comment les choses se sont passées, mais ce fait est consigné.

« Ce qu’ils ont vu ne correspondait pas aux images et à la logique de la pensée des Indiens. Leur cerveau ne pouvait pas reconnaître l’image du bateau : cette image n’existe pas dans la tête de l’Indien, donc il n’y a pas de bateau ». C’est à peu près ce que disent les manuels de psychologie.

Notre psychisme est ainsi organisé. S’il rencontre quelque chose de nouveau, d’inédit, il ne fixe pas son attention dessus. Il est évident qu’une bicyclette et un navire sont des choses quelque peu différentes. Nous connaissons bien la bicyclette. Par contre, tous les écoliers regardent la carte du monde. Les mécanismes de perception sont différents. Mais ce que nous avons en commun, c’est que nous ne pouvons pas voir des choses pourtant grandes.

Notre cerveau est constamment sollicité par des processus complexes et souvent, si on ne prête pas attention à un changement, on ne le remarque pas, à moins que quelqu’un n’attire spécifiquement votre attention dessus. Comme dans l’anecdote de la femme qui a mis un masque à gaz : « Idiote, pourquoi tu t’es rasé les sourcils ? ».

On n’accroche pas les vélos dans les toilettes. Et les gens n’y vont pas pour étudier les murs et le mobilier – ils entrent et sortent. La conscience ne s’attend pas à cela sur le moment et ne le remarque donc pas.

Dans le cas de la carte, personne ne le leur en parle. On ne souligne pas le fait, on ne l’explicite pas. Ils ne le savent donc pas. Ils regardent et ne voient rien. C’est ce qu’ils ressentent à notre égard : ils ne veulent pas savoir qui nous sommes ni ce que nous pouvons faire. Ils sont tellement absorbés par eux-mêmes qu’ils ne voient rien autour d’eux. Ils ne remarquent même pas le fait évident que nous sommes purement physiquement les plus grands du monde.

Il semble parfois que nos diplomates et nos hommes politiques ne comprennent pas pleinement ce mécanisme de perception et d’attitude à notre égard. Il nous semble que c’est évident, c’est clair, comment ne pas voir le piano dans les buissons ? Mais c’est comme ça.

Après tout, cela peut sembler être une bagatelle – quelqu’un sait-il ou non où se trouve le plus grand pays sur la carte ? Mais l’ampleur du problème change lorsque cette même personne se rend compte qu’il est impossible de tenir face à la Russie. Lorsqu’elle se rend compte que toutes ces tentatives de Macron et d’autres insignifiants politiques d’entrer en guerre contre la Russie sont dangereuses avant tout pour les ennemis de la Russie.

C’est pourquoi il est important et nécessaire de leur mettre littéralement le nez sur la carte.

Pour leur bien.

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2 Commentaires

  • Xuan

    A propos de nez sur la carte, à peine deux jours après la visite de l’UE (d’une partie de l’UE dirons-nous) en Ukraine, Wang Yi rencontre Poutine à Moscou.
    Tout en restant très pacifique, contrairement à la visite de l’UE amputée, c’est la rencontre d’une autre partie de l’Eurasie, et quelle partie ! Qui semble dire aux bellicistes : calmez-vous. Mieux vaut la paix que la guerre, la guerre ne profite à personne, et vous ne devriez pas la faire, regardez la carte.

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    • admin5319
      admin5319

      tout à fait d’accord et il n’y a pas que les belliciste pour s’agiter et crier de peur devant ce que peut trump, il y a les pseudos spécialistes qui féignent de savoir alors qu’ils ne savent rien mais tachent de faire monter leur lectorat avec des buzz… pour essayer de vendre leur médiocre littérature, chacun s’agite au niveau qui est le sien, russes et chinois gardent leur calme parce qu’ils ont l’initiative…

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