Sujet : Sécurité
Alors que la Turquie est la proie de la colère de son peuple mais aussi probablement d’une tentative de déstabilisation type révolution de couleur, dans laquelle, comme en Syrie et au Liban, plus personne ne sait exactement qui est avec qui, on peut également considérer qu’Erdogan rencontre les limites de la stratégie décrite dans l’article du National Interest, que nous publions après notre présentation. Un article qui s’avère exact sur bien des points, mais qui gomme un aspect essentiel que nous mettons en évidence dans notre livre sur les relations de l’URSS avec non seulement la Turquie mais l’Iran, l’Afghanistan et bien d’autres puissances dans l’arc qui va du Moyen orient à l’Asie centrale : nous décrivons comment l’URSS a aidé tous ces pays à passer de terres de colonisation à nations. Et comment leur bourgeoisie nationale, tout en entretenant des formes réactionnaires fondamentalistes, ont voulu éviter le communisme et conserver leurs propres rêves d’empire et finissent par devenir des victimes de l’occident, des Etats-Unis en particulier. Comment agir dans un tel contexte fait partie de l’ADN de la diplomatie russe. Mais comment Macron a perdu tout ce qui a fait la force de la diplomatie française et à sa manière, il fait étrangement songer à la solitude des vassaux en entrainant une France qui avec la liquidation du PCF et du gaullisme a perdu tous les repaires de l’intérêt national.
Ce qui est décrit ici de la relation avec l’Ukraine va exactement a contrario de ce qui a favorisé l’indépendance de la Turquie que l’Angleterre et déjà les USA prétendaient mettre à genoux. Ces puissances occidentale après la première guerre mondiale, refusaient le statut de nation à l’Ukraine et à la Géorgie qui avec la Russie (future URSS) défendaient la Mer noire et le détroit des Dardanelles contre l’appétit de la Grande-Bretagne masqué en soutien à la Grèce… La Turquie déjà dans ses appétits de domination, son art de jouer entre la Russie et l’occident l’avait déjà perdue avec l’agression de l’Arménie, et c’est ce choix qui en a fait la nation malade qu’elle est toujours avec des rêves d’empire Ottoman qu’elle mène ici.
Comme le note Alexander Douguine : Suite à l’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, de graves troubles ont éclaté et continuent de s’intensifier en Turquie. La crise s’aggrave. Mais pour analyser correctement la situation, plusieurs facteurs doivent être pris en compte.
Tout d’abord, le maire d’Istanbul, tout comme le maire d’Ankara, appartient à l’opposition libérale à Erdoğan. Il s’agit du Parti républicain du peuple (CHP), qui représente une alternative de gauche-libérale, laïque et généralement pro-européenne au parti d’Erdoğan, le Parti AK (Parti de la justice et du développement). Cette opposition est, en principe, orientée vers l’Occident et opposée à l’orientation islamique des politiques d’Erdoğan. En même temps, elle adopte une position assez hostile envers la Russie.
Deuxièmement, Erdoğan lui-même a récemment commis plusieurs erreurs politiques très graves. La plus significative d’entre elles est son soutien à la prise de pouvoir à Damas par les militants d’al-Jolani. C’est une erreur fatale parce qu’en agissant ainsi, Erdoğan a infligé un coup sérieux — peut-être irréparable — aux relations turco-russes et turco-iraniennes. Maintenant, ni la Russie ni l’Iran ne viendront en aide à Erdoğan. La situation s’est déjà retournée contre lui, et la crise pourrait s’intensifier davantage.
Je ne crois pas que l’Iran ou la Russie soient impliqués de quelque manière que ce soit dans les troubles en Turquie. Plus probablement, c’est l’Occident qui essaie de renverser Erdoğan. Néanmoins, son erreur syrienne est significative. Beaucoup en Turquie n’ont pas seulement échoué à la comprendre, mais ont également condamné cette politique d’Erdoğan qui, comme nous le voyons maintenant, a conduit au génocide des Alaouites et d’autres minorités ethno-religieuses, y compris les chrétiens. En effet, seul un politicien extrêmement myope pourrait remettre le pouvoir en Syrie à al-Qaïda. Et bien qu’Erdoğan ait généralement été considéré comme un homme d’État prévoyant, cette erreur, à mon avis, le hantera longtemps.
Mais les rêves de grandeur et le rapprochement avec l’occident, l’acceptation de devenir l’exécuteur des jeux de la Grande-Bretagne se sont accompagné de choix désastreux au plan économique, ici aussi la participation aux manœuvres de l’OTAN a sacrifié comme en Europe les complémentarités économiques.
Un autre aspect est sa politique économique. La dévaluation de la lire, l’inflation galopante — tout cela sape une économie turque déjà fragile. Et bien sûr, ces échecs — tant en Syrie que dans l’économie — ainsi que le rapprochement d’Erdoğan avec l’Union européenne, avec les forces mondialistes, et son contact avec le chef du MI6, Richard Moore, poussent tous Erdoğan dans un piège. En conséquence, l’opposition libérale mais kemaliste (et donc nationaliste) en Turquie a saisi l’occasion de capitaliser sur ses échecs. Leur argument est : « Nous vous avions prévenus que ce qui s’était passé en Syrie serait une victoire pyrrhique, l’économie s’effondre, et nous avons une orientation plus forte vers l’Ouest qu’Erdoğan, sous lequel la Turquie ne sera jamais acceptée en Europe. »
Le moment où selon cette interprétation russe Erdogan a perdu pied, y compris dans sa stratégie d’implantation en Asie centrale, a été quand il a voulu se débarrasser de son principal opposant qui avait installé partout des « écoles » fondamantalistes », jalons du recrutement vers Al qaida manipulé par l’occident, déjà face au mécontentement populaire devant la situation économique : Erdoğan a décidé que les choses allaient mal pour lui et qu’il devait emprisonner son opposant le plus actif — Ekrem İmamoğlu. Pourtant, İmamoğlu est une figure affiliée à Soros, soutenue par des réseaux mondialistes, et Erdoğan n’aurait pu être soutenu dans cette démarche que s’il avait lui-même pris une position ferme contre cette faction liée à Soros. Cependant, comme l’avons déjà mentionné, Erdoğan avait précédemment poignardé dans le dos ses alliés — l’Iran et la Russie. Par conséquent, nous, Russes, ne pouvons pas le soutenir dans la situation actuelle. Et les Iraniens non plus.
Un moment de solitude partagée par tous ceux qui ont voulu défendre leur pouvoir personnel en jouant sur plusieurs tableaux à la fois.
Aujourd’hui l’occident donne au peuple mécontent un os à ronger et cherche une figure russophobe plus crédible, ici elle joue sur une autre faction « libérale » considérée comme encore plus anti-russe. C’est exactement dans ce genre d’illusion que Macron vient jouer les figurants avantageux. La France en est-elle comme une vulgaire Roumanie réduite à être la proie de factions qui toutes jouent la surenchère ?
C’est un jeu de dupes qui a des racines lointaines dans le continent eurasiatique. L’Ukraine a été pour la Russie, comme la Géorgie, et les nations d’Asie centrale soustraites à ces volontés de colonisation, une pièce centrale du choix de devenir l’URSS. La principale limite de la Turquie, et ce qui encore aujourd’hui risque de lui coûter très cher, est ce double jeu que sa bourgeoisie nationale malgré les hésitations de Mustapha Kemal, a mené pour aller jusqu’au soutien à la chute de l’URSS dans toute l’Asie centrale et au Moyen Orient de forces terroristes qui se sont avérées pour la plupart de simples instruments de la CIA. On voit avec la situation actuelle ce qu’il en est de son jeu en Syrie, au Liban, et en Palestine, jeu dans lequel elle est rejointe par d’autres spécialistes du double jeu l’Arabie saoudite et l’Égypte.
Ce qui a tout de suite distingué la Chine de tous ces pays d’Asie Centrale et du Moyen Orient, c’est le refus de ce double jeu et de l’assimilation de sa bourgeoisie à l’occident par refus du communisme.
Alors que les bourgeoisies, nationales, voulaient s’occidentaliser tout en entretenant des factions religieuses très réactionnaires comme formes identitaires comme en Iran ou en Afghanistan mais aussi en Inde. Erdogan, dont il est décrit ici la manière de finasser avec l’occident est aujourd’hui en grand danger de payer la note, comme l’Ukraine, devenue un modèle de cette autodestruction que l’occident réserve à ses alliés vassalisés.
Pour la Russie actuelle qui se veut à la fois héritière du tsarisme mais en matière diplomatique surtout de l’URSS jouer avec ces données grâce à une diplomatie, celle de Lavrov héritière du grand Primakov, c’est un jeu devenu quasi génétique dans lequel les Etats-Unis manquent totalement de la subtilité nocive de l’Angleterre. Mais cela explique aussi à quel point devant un tel marécage, la diplomatie russe refuse d’accepter les bonnes paroles de tous ces protagonistes dont la spécialité est de planter un coup de couteau dans le dos de celui qui n’y prend garde.
La France de Macron a perdu tout ce qui faisait la force de la diplomatie française et qui la poussait vers l’alliance avec la Russie puis l’URSS, à tout le moins une neutralité qui en faisait un arbitre et de Paris un lieu privilégié de négociation. Le rôle tragique actuel et à contre emploi de toute la tradition diplomatique française, que Macron a voulu obtenir de l’Arménie comme de la Géorgie est aussi imbécile que celui face à la Syrie, Sarkozy, mais surtout le PS de Hollande, portent une lourde responsabilité dans ce désastre historique qui se poursuit avec le soutien inconditionnel à l’Ukraine. Seule la dramatique inculture historique, l’abandon total des intérêts français, l’atlantisme actuel, expliquent une telle stupidité de la classe politico-médiatique française alors qu’il restait chez Chirac quelques traces de cette logique que Herriot le radical et De Gaulle, le conservateur soutenaient avec les communistes comme une garantie de l’indépendance française. On ne peut qu’être effrayé devant la stupidité, il n’y a pas d’autre mot, de la politique française, là aussi la liquidation du PCF a joué un rôle essentiel.
(note et traduction de l’article du National Interest par Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
24 mars 2025
Article de The National interest sur la Turquie et son soutien à Zelenski
Par : Zineb Riboua
La Turquie considère le conflit comme un test de sa capacité à agir indépendamment de la Russie et de l’Occident tout en façonnant des résultats géopolitiques majeurs.
Sur l’échiquier de la politique des puissances moyen-orientales et eurasiennes, la Turquie est passée maître dans l’art de jouer sur deux fronts, l’un au Moyen-Orient, l’autre en Eurasie. Ce double engagement n’est pas seulement une réaction à la géopolitique contemporaine ; Il s’agit d’une doctrine profondément enracinée de l’art de gouverner, forgée au cours de siècles de conflits, de diplomatie et d’ambition impériale. Pour Ankara, une concentration unique est un luxe qu’elle ne peut pas se permettre – sa survie et son influence dépendent de manœuvres constantes, trouvant un équilibre délicat entre les aspirations régionales et les réalités mondiales.
Cet exercice d’équilibre n’est nulle part plus évident que dans la relation historiquement complexe et souvent conflictuelle de la Turquie avec la Russie. Pendant des siècles, l’impératif stratégique d’Ankara est resté inchangé : freiner l’expansion russe – non seulement vers l’est, mais aussi vers le sud – où elle menace directement la sphère d’influence de la Turquie. Des guerres sanglantes russo-turques qui ont duré du XVIe au XXe siècle à la proposition de Joseph Staline en 1945 de contrôler les détroits turcs, les ambitions de Moscou ont à plusieurs reprises mis à l’épreuve la détermination de la Turquie. La guerre froide a peut-être mis fin à la confrontation militaire directe sous le parapluie de sécurité de l’OTAN, mais la lutte de pouvoir sous-jacente n’a jamais vraiment disparu.
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Pendant une grande partie du XXe siècle, le rôle de la Turquie a été largement passif, limité par les luttes internes et les réalités de la guerre froide qui l’ont laissée dépendante des garanties de sécurité occidentales. Mais aujourd’hui, Ankara n’est plus seulement un État tampon, c’est une puissance montante qui façonne activement la dynamique régionale selon ses propres termes. Cette transformation n’est nulle part plus claire que dans sa réponse à la guerre en Ukraine, où la Turquie a tiré parti de sa position stratégique pour défier la Russie, affirmer son indépendance et redéfinir son rôle sur la scène mondiale.
À ce jour, Ankara emploie toujours une stratégie classique de déconfliction : armer l’Ukraine tout en maintenant des liens économiques avec la Russie, faire respecter la Convention de Montreux et négocier des accords diplomatiques. Cet exercice d’équilibriste définit l’art de gouverner turc : ne jamais s’engager pleinement, toujours se couvrir et s’assurer qu’aucune puissance ne dicte unilatéralement ses conditions.
La capacité de la Turquie à équilibrer la confrontation et la diplomatie a été pleinement démontrée en novembre 2015 lorsqu’un avion de chasse russe Su-24 s’est égaré dans l’espace aérien turc et, par extension, de l’OTAN. Ankara a réagi de manière décisive, en l’abattant et en indiquant clairement que les violations ne seraient pas tolérées.
Pourtant, quelques mois plus tard, le président Recep Tayyip Erdogan a fait un virage brutal en présentant des excuses officielles à Vladimir Poutine en 2016 – une décision calculée qui a contribué à désamorcer les tensions et a conduit à la levée des sanctions économiques russes.
Ankara avait néanmoins fait part de sa position sans équivoque : franchir à nouveau la ligne, et la réponse serait tout aussi rapide. Poutine a compris qu’accepter les excuses d’Erdogan était une décision plus intelligente que d’acculer la Turquie, ce qui aurait pu compliquer les opérations militaires de la Russie en Syrie et mettre à rude épreuve une relation que Moscou ne pouvait pas se permettre de perdre.
C’est dans cette logique que l’approche de la Turquie à l’égard de l’Ukraine est motivée par un ensemble de considérations stratégiques soigneusement calculées. Tout comme Ankara a longtemps manœuvré pour contrôler l’influence russe dans son voisinage immédiat, elle considère l’Ukraine comme une pièce essentielle dans cet exercice d’équilibre plus large.
Empêcher la domination russe en mer Noire reste une priorité absolue, car une Ukraine forte sert de contrepoids à l’expansion russe. Cela aiderait à préserver l’influence stratégique de la Turquie dans la région et, par extension, celle de l’OTAN. Le renforcement de sa base militaro-industrielle est un autre objectif principal, avec des liens de défense et économiques plus étroits avec Kiev renforçant l’autonomie militaire et les capacités technologiques de la Turquie.
Dans le même temps, Ankara s’est positionnée comme un médiateur clé, maintenant des canaux ouverts avec Kiev et Moscou afin de maximiser son influence régionale tout en préservant sa flexibilité stratégique. Au-delà de ces préoccupations immédiates, la Turquie voit également dans la guerre une occasion d’étendre sa sécurité énergétique en diversifiant ses voies d’approvisionnement et en réduisant sa dépendance vis-à-vis de la Russie, notamment en approfondissant ses liens avec des fournisseurs alternatifs dans le Caucase et en Asie centrale.
De plus, l’engagement d’Ankara en Ukraine n’est pas seulement une question de stratégie militaire et économique, mais aussi de sécurisation de ses ambitions géopolitiques plus larges. La guerre a fourni à la Turquie un levier supplémentaire au sein de l’OTAN et de l’UE, renforçant sa position de négociation et poussant les alliés occidentaux à faire de plus grandes concessions diplomatiques et économiques. Dans le même temps, la Turquie renforce son influence dans les États post-soviétiques, en particulier dans le monde turcique, où elle n’a cessé d’étendre sa portée politique et économique pour faire contrepoids à l’influence russe.
Cette portée régionale plus large fait partie d’une ambition stratégique plus large : la Turquie considère le conflit comme un test de sa capacité à agir indépendamment de la Russie et de l’Occident tout en façonnant des résultats géopolitiques majeurs.
L’une des mesures les plus importantes de la Turquie a été son soutien vocal à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Cette position n’est pas seulement symbolique ; il s’agit d’un pari stratégique sur la survie à long terme de l’Ukraine pour faire contrepoids à la puissance russe. Pour Ankara, une Ukraine forte et indépendante signifie une Russie définitivement contrôlée en mer Noire, renforçant les efforts historiques de la Turquie pour empêcher la domination navale russe dans son étranger proche.
Cette position aligne également la Turquie sur un bloc croissant d’États européens, en particulier la Pologne et les pays d’Europe de l’Est, qui considèrent l’Ukraine et la Turquie comme essentielles pour contrer l’agression russe. La Pologne, en particulier, s’est révélée être un ardent défenseur d’une intégration plus poussée de la Turquie dans les structures de sécurité européennes, reconnaissant qu’une Turquie stratégiquement engagée renforce le flanc sud-est de l’OTAN.
Contrairement à la plupart des pays européens, la Turquie ne s’oppose pas seulement à la Russie par la diplomatie ou les livraisons d’armes à l’Ukraine, elle conteste activement l’influence russe sur plusieurs fronts où les puissances occidentales se sont largement retirées. De la Syrie à la Libye, en passant par le Caucase et l’Asie centrale, Ankara rivalise avec Moscou pour l’influence régionale, tirant souvent parti de ses outils militaires, économiques et diplomatiques pour contrebalancer les ambitions russes. Le rôle de la Turquie dans la guerre en Ukraine s’inscrit donc dans un jeu d’échecs géopolitique beaucoup plus vaste, dans lequel elle cherche à s’affirmer comme un acteur clé du pouvoir dans plusieurs régions plutôt que de simplement suivre un ordre dirigé par l’Occident ou la Russie.
En fait, la Turquie détient la clé de l’avenir militaire de la Russie en Syrie. Moscou s’appuie depuis longtemps sur ses bases militaires de Tartous et de Khmeimim pour projeter sa puissance grâce à sa capacité avancée de lutte contre l’accès et le déni de zone (A2/AD) en Méditerranée orientale. Cependant, ces installations existent après l’effondrement d’Assad, en grande partie à la discrétion de la Turquie. Ankara contrôle l’espace aérien du nord de la Syrie et a utilisé sa présence militaire à Idlib et ailleurs pour limiter les offensives du régime d’Assad soutenues par la Russie. Si la Turquie décidait d’intensifier ses actions en Syrie et de faire pression sur le gouvernement actuel de la Syrie pour limiter les activités de la Russie, la capacité de Moscou à maintenir ces bases pourrait être gravement compromise.
Plus important encore, l’Europe s’est avérée très vulnérable à la guerre de l’information russe, les campagnes de désinformation soutenues par le Kremlin semant la discorde et alimentant les guerres culturelles. La Turquie, cependant, a montré plus de résistance à ces tactiques pour deux raisons principales.
Tout d’abord, les médias et le discours politique de la Turquie sont dominés par des récits nationaux plutôt que par des batailles idéologiques externes. En Europe, la désinformation russe exploite souvent les divisions existantes entre libéraux et conservateurs, factions pro et anti-UE, ou forces nationalistes et mondialistes. En Turquie, cependant, les débats politiques sont majoritairement repliés sur eux-mêmes, centrés sur l’identité nationale, la sécurité et la stabilité économique. Cela laisse moins de place aux récits russes.
Deuxièmement, les relations de la Turquie avec la Russie sont purement transactionnelles. Alors que certains pays européens ont été entraînés dans des dépendances stratégiques – en s’appuyant sur le gaz russe, les réseaux bancaires ou les intérêts commerciaux – la Turquie joue le jeu différemment. Il achète de l’énergie et des armes russes quand cela lui convient, mais ne se fait aucune illusion sur Moscou. L’engagement de la Turquie avec la Russie reste pragmatique, compétitif et parfois ouvertement conflictuel.
Pour l’Occident, il s’agit d’une force sous-estimée. La résistance de la Turquie à la guerre hybride russe en fait un atout dans la lutte plus large contre l’influence de Moscou. Au lieu de tenir Ankara à distance, l’OTAN et l’UE devraient reconnaître sa valeur stratégique.
Pour l’Occident, l’enjeu est de taille : engager sérieusement la Turquie ou risquer de créer un vide géopolitique que Moscou exploitera avec empressement. Une Turquie mise à l’écart ne deviendra pas un allié de la Russie, mais elle agira selon ses propres conditions, en concluant des accords avec Moscou lorsque cela est bénéfique et en compliquant l’ordre de sécurité occidental.
C’est un cadeau stratégique pour le Kremlin. Chaque désaccord entre Ankara et l’Occident ouvre de nouvelles opportunités pour la Russie, que ce soit dans les domaines de l’énergie, de la défense ou de l’influence régionale. Isoler la Turquie n’est pas un défi ; elle amplifie l’expression et érode la position de l’OTAN tout en renforçant la capacité de la Russie à exploiter les divisions.
La question n’est pas de savoir si la Turquie est un partenaire difficile – elle l’a toujours été. La question est de savoir si le fait de l’aliéner rend l’Europe plus sûre. À ce stade, ce n’est certainement pas le cas.
Zineb Riboua est chargée de recherche et responsable de programme au Centre pour la paix et la sécurité au Moyen-Orient de l’Institut Hudson.
Image : Mykola Tys / Shutterstock.com.
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