Ce coup de gueule d’Agone qui publie toujours des livres passionnants à l’instar de notre cher Delga, des éditions critiques et du temps des cerises. Le fondateur d’Agone est l’individu le plus atrabilaire et suspicieux, antistalinien, limite parano, et je n’ai jamais eu un échange avec lui qui ne se termine pas en guerre ouverte mais il fait partie de ces éditeurs que je respecte pour la qualité et l’intransigeance de ses publications. Alors je voudrais en profiter pour dire que le collectif que nous avons constitué pour notre livre qui va bientôt paraître chez Delga sous le titre : le jour où la France s’éveillera à la Chine non seulement regroupe d’honnêtes intellectuels faisant leur métier « pour servir le peuple » par refus d’être les domestiques des puissants mais ils sont restés des « communistes » c’est-à-dire que quel que soit leur caractère plus ou moins facile à vivre, ils ne se sont jamais vendus et n’ont jamais cédé à l’esthétisme du reniement décrit ici… Nous avons subi tous les lynchages, toutes les exclusions de la courtisanerie mais nous faisons partie de tous ceux – et ils sont nombreux- qui au bout de trente ans et plus peuvent se revendiquer comme « communistes ». Il n’y a pas un des cinq qui a écrit ce livre qui a songé à sa notoriété, mais tous ont pensé à une seule chose, comment convaincre d’ouvrir le dialogue en France sur la seule opportunité antifasciste celle de ce monde multipolaire? Comment y développer le socialisme à la française ? Il faut un parti communiste et celui qui se reconstitue autour de Fabien Roussel et du 38e congrès est une porte entrouverte, la seule qui permette de reprendre pied dans les couches populaires, le prolétariat. (note de danielle Bleitrach)
[LettrInfo 25-III]
Face à l’inquiétude des démocrates et des diplômés, des électrices et des électeurs inquiets de l’arrivée de l’extrême droite aux portes du pouvoir, la fine fleur intellectuelle et artistique du pays n’est jamais restée les bras ballants, contrairement à ce qu’on peut penser. Et au cœur de la contre-attaque culturelle qu’elle mène tambour battant, sa réponse à l’errance de celles et ceux qui se sont laissé séduire par le Rassemblement national se situe au plus haut niveau : esthétique. Nous voilà rassurés.
Une réponse esthétique, donc. Mais pas seulement. Une réponse destinée aux masses. Finis les représentations élitistes, les messages abscons, les expositions intimistes. Ayant pris la mesure du Puy du Fou – glorieuse entreprise au service du roman national et des racines chrétiennes de la France –, l’offensive culturelle de gauche vise désormais le grand spectacle populaire. En attendant de pouvoir investir les plus hauts lieux de la mémoire patrimoniale de la nation, on cite en modèle la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024.
Les mauvais esprits ont beau rappeler que ce spectacle n’a jamais été conçu pour être autre chose qu’un instrument de com’ présidentielle. Et qu’à ce titre il est impossible de le qualifier d’assaut programmé contre les idéologies réactionnaires. (Aucun président n’ayant, depuis François Mitterand, autant favorisé électoralement l’extrême droite qu’Emmanuel Macron.) On préfère plutôt trompeter que cette cérémonie a ulcéré la famille Le Pen, Jordan Bardella et Philippe de Villiers — “défrancisation” pour l’un, “propagande woke” et “mises en scène militantes” pour les autres. En quelque sorte une victoire politique aussi solide que le songe d’une nuit d’été.
On insiste aussi volontiers sur un autre aspect du succès de cette mise en bouche de la messe sportive : elle fut tout à fait populaire. Le spectacle aurait en effet été vu par 23,24 millions de téléspectateurs et plébiscité par 86 % de la population. Même si le spectacle a donc été loué par une bonne vingtaine de millions de personnes qui ne l’ont pas vu, on doit le voir comme un coup porté à l’avancée des idéologies réactionnaires. Diantre : 86 % de la population française acquise au wokisme ! On imagine l’ampleur de la vague de députés de gauche déferlant dans la prochaine Assemblée nationale.
Interrogés le mois dernier par Le Monde, philosophes, historiens et metteurs en scène engagés dans les tranchées de la bataille culturelle contre les droites extrêmes explicitent justement leur mission en référence à la cérémonie olympique. Après le succès du RN aux élections législatives, celle-ci n’aurait pas seulement été, selon eux, une “incontestable victoire idéologique”. Elle aurait aussi offert aux Françaises et aux Français, de métropole et d’outre-mer, un “troisième tour esthétique”, voire un “quatrième tour de reprise en main idéologique”. Comme on a vu par la suite, le RN a tremblé sur ses bases et son électorat passera sans aucun doute l’éponge sur l’érosion de son pouvoir d’achat, la casse des services publics, la réforme des retraites et la cajolerie des grandes fortunes menées par les gouvernements de Hollande à Macron.
Il ne fallait pour le moins qu’une philosophe pour témoigner avoir “été extrêmement émue devant Aya Nakamura chantant et dansant de concert avec la garde républicaine”. Cette scène prouverait, selon elle, que “la concorde est possible malgré nos fractures”. Voilà une piste que devraient explorer les syndicalistes, les militants et tout manifestant la prochaine fois qu’ils feront face à une charge de gardes mobiles ou de CRS : chanter et danser pour éviter les fractures.
Malgré le triomphe du Puy du Fou reconduit d’année en année et, depuis décembre 2024, le succès de Mémoricide, le livre-manifeste de son créateur, Philippe de Villiers, paru chez Fayard-Hachette. Malgré la promotion tapageuse et la tournée nationale du nouveau spectacle itinérant “Raconte-moi la France” – grassement financé par la Région Auvergne-Rhône-Alpes sous la présidence du républicain Laurent Wauquiez. Et malgré encore la réinscription du récit national dans les programmes scolaires exigée par le Rassemblement national. Rien n’y fait. L’honorable historien Pierre Nora est, comme toujours, péremptoire : “Le roman national est mort et enterré.” Que peuvent peser les réalités sociologiques et politiques face à la science historique infuse d’un académicien ?
Il y a quelques années, dans une enquête menée auprès de 7.000 élèves français, de la sixième à la terminale (toutes régions, y compris la France d’outre-mer), à la question “Raconte comme tu le veux l’histoire de ton pays”, les réponses, à quelques incongruités près, s’inscrivaient toutes dans le roman national le plus strict : Vercingétorix, Clovis, Jeanne d’Arc, les rois, les reines – aucune histoire sociale, et ni ouvriers, ni immigrés, ni femmes, ni colonies. “Mort et enterré”, le roman national ?
Comme le reste du monde, celui de la culture ayant horreur du vide, un grand historien est bien conscient, lui, de la place du roman national dans l’imaginaire national et populaire. De même qu’il est conscient de l’avance dont dispose l’ennemi. Cerveau historique de la cérémonie des JO 2024, Patrick Boucheron, qui ne manque jamais de suite dans les idées, annonce qu’il s’est lancé, aux côtés du metteur en scène Mohamed El Khatib, dans la création de grands shows populaires conçus comme un antidote à la propagande des Villiers et Wauquiez.
Dans le même article du Monde, le duo de la chaire et des planches prend le contre-pied du misérabilisme avec lequel les élites traitent trop souvent le populo : le son et lumière en dix tableaux consacrés à l’histoire de France qu’en fines mouches Boucheron et El Khatib proposent pour 2027 sera installé… au château de Chambord. Ainsi retrouverons-nous la configuration d’origine, mais en version démocratique : les descendants des terrassiers, des menuisiers et des tailleurs de pierre, des garçons d’écurie et des jardiniers, les descendantes des femmes de chambre et des lavandières ont acquis le droit, pour le prix d’un billet, d’assister en famille au spectacle de l’histoire de France que les meilleurs de nos intellectuels et artistes ont conçu pour eux. Sans doute la langue de Pierre Nora a-t-elle fourché lorsqu’il parlait du roman national : n’est-ce pas plutôt l’Ancien Régime qu’“on ne cesse d’exhumer” ?
Le journaliste qui a eu la patience de recueillir pour Le Monde les paroles de toutes ces sommités ayant lui-même des lettres, il cite à juste titre les analyses par Walter Benjamin des dangers de l’esthétisation des foules, méthode mise en œuvre avec le succès qu’on sait par les régimes fascistes. (De là à en tirer des conséquences, ce serait trop demander.) Et puisqu’il s’agit, pour ces nouveaux chantres des spectacles de masse et de gauche, de “repartir à la conquête des publics”, pour faire bonne mesure, on cite aussi Jean Vilar, directeur du Théâtre national populaire, fondateur du festival d’Avignon et gloire des années d’après-guerre, qui “jouait pour le public des usines Renault”. Ce qui a une autre allure que le château de Chambord ! Au moins la nouvelle offensive de l’élite intellectuelle parisienne, fondée sur “la puissance du spectacle vivant [pour] toucher les gens plus largement” nous épargne-t-elle d’emblée les déconvenues du glorieux parcours accompli par le théâtre populaire en France depuis 1945. Un parcours que Marjorie Glas résume en une formule dans le titre du livre qu’elle consacre à son histoire : Quand l’art chasse le populaire.
C’est un des péchés mignons de l’élite intellectuelle de gauche que ce mépris dans lequel elle tient les pittoresques personnages de la droite régionale. Mais il y a peut-être méprise lorsqu’elle accuse de Villiers et son Puy du Fou d’erreurs historiques. Après tout, comme le baron vendéen l’explique dans son livre, “plaintif et nostalgique”, où il “évoque ses souvenirs d’enfance” et “son amour de la France éternelle” (si l’on en croit son éditeur), il n’est pas vraiment question d’histoire mais des douleurs d’une mémoire à particule dont on devine alors de quel “-cide” elle souffre vraiment : le régicide ?
Comme on comprend aussi pourquoi la “cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques est venue raviver le feu de [s]a plume” : cette mise en scène obscène des valeurs de la diversité méritocratique, ce “progressisme en quête incessante de l’insolite et du fantasque” dont se nourrissent les démocraties libérales. Les plaintes et les anathèmes qui montent du Puy du Fou prêtent à rire. Mais Philippe de Villiers a raison de se placer sur le même plan que le nouveau “grand spectacle populaire” dont Patrick Boucheron est le penseur : une bataille de mémoires, moins que d’histoire, entre “la grandeur de la France vingt fois séculaire” et le mode de vie Made in America de la petite bourgeoisie qui a souillé “les trésors d’un patrimoine envié par le monde entier”.
C’est pourtant aux États-Unis d’Amérique, justement, qu’un historien a œuvré, moins pour la mémoire qu’en l’occurrence pour l’histoire populaire. Lorsqu’à la fin des années 1970 Howard Zinn commence à écrire son récit, il a accès au travail de tout un groupe d’historiens “révisionnistes” qui ont remis en cause les mythes fondateurs de leur pays : “grande découverte”, révolution, guerre civile, “frontière”, “guerres justes”, etc. S’il corrige bien le “roman national” américain, Zinn apporte plutôt une réévaluation de la place des acteurs historiques. Non que Christophe Colomb, George Washington et les Pères fondateurs, Abraham Lincoln et les glorieux généraux soient absents. Ils sont même bien là — toutefois un peu moins glorieux que dans leur roman national. Mais surtout, ils partagent l’affiche avec les vaincus : descendants des peuples premiers, esclaves noirs et abolitionnistes, déserteurs et mutinés, syndicalistes, grévistes, militants, et bien sûr les femmes. C’est un peu comme si l’historien américain avait repris le bon vieux tableau pompier qui peuple tous les musées nationaux en y retirant quelques dorures et rubans, mais surtout en mettant au premier plan les figurants, en transformant les spectateurs en acteurs. Dans l’idée de lutter contre l’impuissance des dominés que perpétuent les romans nationaux. Et ça a donné Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours.
Dans les années 2010, lorsque l’historien français Gérard Noiriel s’y attelle, son livre, Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours, n’adopte pas, comme il l’écrit, “le point de vue des dominés” – celui que privilégie Zinn –, mais il “analyse la domination, entendue comme l’ensemble des relations de pouvoir qui lient les hommes entre eux”. C’est donc moins une “histoire par en bas” qu’une “démarche socio-historique” du processus par lequel des individus, d’une même classe sociale ou non, nouent des liens d’interdépendance, qui sont aussi des relations de pouvoir, parfois de domination, parfois de solidarité. C’est pourquoi Noiriel fait commencer son histoire de France à la fin du Moyen Âge, quand s’impose l’État monarchique, qui place sous sa dépendance le “peuple français”, désigné comme l’ensemble des individus d’abord liés entre eux comme sujets, puis comme citoyens. Au fil des siècles (jusqu’au mouvement des gilets jaunes), on retrouve traitées des questions dont l’actualité n’a pas disparu : transformations du travail, migrations, protection sociale, crise de la représentation politique, grandeur et déclin du mouvement ouvrier, montée des revendications identitaires, etc. Une histoire de référence qu’il va être difficile de réduire à la bande-annonce façon Disneyland Made in France de “Raconte-moi la France”.
Lorsqu’à son tour l’historienne française Laurence De Cock s’y attelle, dans les années 2020, avec pour toile de fond l’approche de Zinn sur les États-Unis mais s’inspirant directement de Noiriel pour la France, c’est notre roman national et ses enjeux qui sont en ligne de mire. Pas seulement en tant qu’instrument de la bataille culturelle menée par les droites – de Sarkozy à Villiers en passant par Wauquiez, Le Pen et consorts –, mais comme récit indémodable depuis que l’historien Ernest Lavisse, un de ses principaux théoriciens, l’a instauré entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Raison pour laquelle Laurence De Cock fait débuter son Histoire de France populaire à… nos “ancêtres”, qui ne sont justement pas des Gaulois. Dans l’idée de toucher le grand public, de 17 à 97 ans, en étant “populaire” en ce sens aussi. Et proposer une histoire qui donne à penser mais s’apprend aussi “par le cœur”, comme disait Lavisse. Sans tomber dans une démagogie ou une autre : ni figures “insolites et fantasques”, ni ballet de gilets jaunes et de gardes mobiles, ni changement de casting – Louise Michel plutôt que Jeanne d’Arc, Jean Jaurès que Napoléon Bonaparte, etc. En mettant en scène un récit vivant, historiquement exact, c’est-à-dire où l’on ne voit pas que des grands hommes et les petites gens qui les servent mais plutôt celles et ceux qui ont œuvré, parfois à en mourir, pour un autre monde que celui qu’on nous a fait.
Sur l’histoire selon Howard Zinn, lire :
— “L’optimisme de l’historien des oubliés de l’histoire”, Antichambre, octobre 2024 ;
— “Se révolter si nécessaire”, Antichambre, janvier 2023.
Sur l’histoire selon Gérard Noiriel, lire :
— “Les gilets jaunes et les ‘leçons de l’histoire’”, Antichambre, novembre 2018 ;
— “Emmanuel Macron, ou L’Histoire sans le peuple”, Antichambre, octobre 2018.
Sur l’histoire selon Laurence De Cock, lire :
— “L’histoire comme outil d’éducation populaire”, Antichambre, novembre 2024 ;
— “Pourquoi une histoire de France populaire”, Antichambre, juin 2024.
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parcollet
la prose du dimanche …
RIVAGES
la côte aux crachins nous apporte des ans bruns…
je sens cette odeur marine !
Les cris des mouettes nous raconte l’histoire,,,
l’guano d’ ces volatiles dépose des ans gris,
il aide à la croissance des légions illusoires.
Comprendre ce phénomène en rien ne résout l’pro blême,cultivons notre part existentielle !
Imaginons l’espace détaché de cette marée !
Le flux et le reflux ressassent la même petite musique…
les notes de cette gamme manquent singulièrement d’tempo !
L’harmonie promis par certains nous embourbent sans fin dans ce grand marigot…
il existe je l’espère un rivage lointain porteur de solutions,
où nous pourrions construire des utopies tournées vers l’envie,
qu’offre toujours la vie !
DOMINIQUE
zorba
Tant que les lapins n’auront pas d’historiens, leur histoire sera écrite par les chasseurs. Howard Zinn.
À méditer par les responsables « Histoire et Culture » de la future « forêt urbaine » en cours d’aménagement Place du Colonel Fabien.