Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Allez voir Caravage, par François Lecat

Je confirme l’invitation de François : allez voir Caravage. Également le fait que les critiques sont attérantes, j’ai même lu une référence au Mozart de Milos Forman, les deux biopics poseraient alors la même question “comment un tel génie peut-il être aussi vulgaire”? C’est exactement le contraire de ce que dit le film. On a reproché encore au film de surligner ce que montre l’image, il y aurait une volonté didactique trop lourde eh bien la preuve est faite que le propos demeure incompris, tant l’idéalisme et la mièvrerie, voire le postmodernisme, le sous-développement politique, ont mis un bandeau devant les yeux de nos contemporains. Certes, tout le monde a compris que l’hérésie de Caravage ce serait de donner le visage des putains et des voyous à la vierge et à l’évangile. Mais qui a compris que ce que ne peut pas tolérer l’église c’est la séduction irrésistible d’une telle représentation et ce que cela implique ? La rencontre avec Giordano Bruno a-t-elle eu lieu ? En tous les cas, c’est bien là le propos du film. C’est ce qui intéressait déjà Gramsci chez Giordano Bruno, chez ce dernier, la Terre tourne bien autour du soleil comme pour Copernic, mais on passe au monde de l’infini, à l’univers. L’homme, non seulement n’est plus au centre du monde, mais le lieu qu’il occupe n’a plus de signification, et le paradoxe est que l’être humain tournoyant sur son globe dans l’infini en acquiert une dignité encore plus grande, Les êtres humains sont les “ Habitants célestes ” (De Immenso). Et la conclusion, matérialiste, marxiste, gramscienne est que l’humanité doit cesser de se mépriser elle-même : elle a en elle quelque chose de divin. C’est de cela dont il est question, pas d’un point de vue philosophique mais pictural, seulement en tant que peintre, avec ses couleurs : la matière est inépuisable et elle est spiritualité, les deux ne sont pas séparables comme dans la jouissance des corps. C’est de cela dont l’église a peur. Le propos est passionnant et grâce au magnifique Ricardo Scarmaccio, le film en est imprégné, il unifie l’œuvre et son siècle dans un classicisme de bon aloi, mais il est vrai que parfois “le soufflé” retombe parce que Louis Garrel joue dans un autre film, plus intellectuel, plus bavard, “L’autre film” a quand même l’immense intérêt de voir fonctionner l’INQUISITION redoutable police politique de la papauté outil de la contre réforme qui parvient à faire liquider le peintre sans le faire elle-même, avec la complicité d’Isabelle Huppert, mais jamais au point de rendre ce film inintéressant ou de perdre sa beauté. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
méduse avec la tête du peintre

‘Caravage’ de Michele Placido est actuellement sur nos écrans. Disons le tout net : l’unanimisme suspect des critiques français dénonçant la ‘daube’ de l’année (de quelle année ? Les daubes n’ont pas manqué en 2022 et il est un peu tôt pour couronner celles qui ne manqueront pas d’arriver en 2023) relève plutôt de la cabale des précieux contre un cinéaste dépourvu des affèteries et du sensibilisme de façade désormais imposés au 7ème art.

Michele Placido est en effet un de ces Italiens de ma génération pour lesquels l’Histoire contemporaine ne peut s’oublier, celle des années de plomb ou de la guerre froide et il ne se gêne pas pour le dire. Ses oeuvres montrent son attachement à rappeler le politique là où ce qu’on nous propose aujourd’hui en est une réécriture voire une falsification.

Donc Placido metteur en de scène de talent (Romanzo criminale…) mais aussi acteur impressionnant (le flic fascisant de ’Arrivederci’ ) nous parle cette fois du Caravage peintre romain exilé à Naples après avoir tué un homme en duel et recherchant depuis le pardon du Vatican. Placido nous conte cette histoire sans trop insister sur les péripéties car ce qu’il nous montre ad libitum c’est la chair. Les corps, la graisse, la sueur et même les odeurs fortes qu’on croit sentir en quelques hallucinations olfactives, sont omniprésents et suffocants. On pense au Pasolini de Boccace et du Décameron et à Fellini évidemment, mais en plus réaliste, dépeignant la simplicité joyeuse du petit peuple romain qui oublie ses galères en bâfrant forniquant et faisant la fête dès que l’occasion s’en présente.

Ce Caravage dont on voit assez peu les œuvres mais longuement les modèles vivants ou morts est brillamment interprété par Ricardo Scarmaccio qui était si beau et si mince comme l’était Depardieu mais qui à 43 ans est déjà devenu lui aussi un acteur ‘de poids’ mais jamais pesant.

Face a ce Falstaff transalpin bisexuel, jouisseur et compatissant à la misère du peuple, se dresse l’ombre de l’Inquisition incarnée par Louis Garrel ( c’est là où le bât blesse Garrel qui fut un magnifique Dreyfus et un redoutable Godard ne convainc pas en disciple cul serré de Savonarole) et l’on attend en vain pendant tout le film qu’il se défroque et participe enfin au festin charnel.

En soutien du peintre scandaleux il y a le Cardinal Da Ponte interprété justement par Placido et aussi Elisabeth Huppert en Sforza Colonna qui vieillit bien et qui regarde le Caravage avec gourmandise et désespoir comme d’autres dames mûres regardent la vitrine des pâtisseries.

Le combat entre l’Art et l’obscurantisme comme celui entre la Science et le même obscurantisme est un classique. ’Et pourtant il baise’ pourrait affirmer ce Copernic de la copulation face aux indignations Papales.

Allez voir Caravage avant qu’il ne disparaisse des salles tué par les bulles pontifiantes de nos nouveaux inquisiteurs ou regardez ses toiles dont ‘Méduse’ qui pourrait être le nouveau blason de l’OTAN.

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 446

Suite de l'article

5 Commentaires

  • comaguer
    comaguer

    Confondre l’Inquisition et Savonarole n’est pas très pertinent

    Répondre
    • admin5319
      admin5319

      c’est vrai, Savonarole est l’inspirateur des aspects les plus révolutionnaires de Machiavel, donc de Spinoza, alors que l’Inquisition…

      Répondre
      • SMILEY
        SMILEY

        C ‘est vrai Savonarole punissait de mort la sodomie et même après sa mort, il a continué d’exercer une influence sur ceux qui l’ont connu : ainsi, Botticelli ne peint plus de nu après l’épisode du ‘Bûcher des Vanités’ où brulèrent tant de chef doeuvres.
        Un joyeux luron donc en comparaison duquel l’Inquisition joue petit bras.

        Répondre
  • Biancarelli
    Biancarelli

    J’ai vu passer par hasard cet article sur mon le fil Facebook. Et je suis allé au cinéma.
    C’est un chef-d’œuvre, pur, bouleversant et intelligent…
    Porteur de compréhension du monde du 21e siècle, et porteur d’actes pour nous, au 21e siècle.

    Répondre
    • Smiley
      Smiley

      Vi ringrazieghju !

      Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.