Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’Afghanistan, l’accumulation du capital et le scénario que l’on nous a vendu…

On ne sait si on doit rire ou pleurer devant certaines déclarations par exemple celle de Josep Borrell, celui qui est sensé être chef de la diplomatie européenne : « Les talibans ont gagné la guerre et nous devrons leur parler »... ne sait-il pas que “nous n’avons jamais cessé de leur parler? Les États-Unis n’ignoraient pas que le gouvernement afghan était un véritable désastre de corruption, incapable d’établir le moindre lien avec son peuple. Pour comprendre ce qui s’est passé il faut remettre en question le scénario qui nous a été vendu depuis plus de 20 ans de la lutte du bien contre le mal, de la démocratie contre le totalitarisme et ce qu’il en reste aujourd’hui, non Kaboul n’est pas Saïgon, et l’état de désespoir et d”obscurantisme qui est celui des peuples occidentaux qui se sont laissés avoir par un tel scénario prouve à quel point un peuple qui en opprime un autre est aliéné comme l’énonçait Karl Marx en son temps .

il y a deux énormités dans cette pseudo découverte de la catastrophe afghane, – celle de l’Irak, de la Syrie, de la Libye ne sont pas mal non plus, sans parler des œuvres de la France en Afrique – c’est quand on feint d’ignorer que les talibans et autres terroristes, en lien étroit avec les alliés de toujours des États-Unis, les Saoudiens, le Qatar et d’autres ont accumulé d’énormes fortunes et que certains d’entre eux font désormais partie de l’élite, celle avec laquelle on s’entend pour se partager le butin. Michel Santi dans la Tribune nous décrit cette accumulation et la part prise par les États-Unis et ses fidèles “alliés” dans cette richesse. La question est de savoir ce que le peuple afghan dans sa souffrance est prêt à tolérer…

La seconde énormité est la mise en scène qui continue d’accompagner cette affaire. Les Talibans newlook qui arrivent sont désormais déguisés en soldats US. Ils ont hérité du matériel mais plus que ça ils sont devenus les GI triomphants dans le Pacifique, un mélange de caricature et d’identification au scénario hollywoodien… Tandis que comme partout les peuples sont gorgés d’humiliation et de misère…

L’ARGENT DES TALIBANS PAR MICHEL SANTI

Pendant 20 ans, l’immense fortune des talibans a semé la mort, la destruction et a fait des ravages en Afghanistan. Elles sont complexes, les finances des talibans, pas du tout monolithiques et structurellement articulées autour du vaste réseau criminel et mafieux opéré par le réseau Haqqani. Leurs revenus se déclinent en taxes prélevées sur leurs sujets, en trafic de narcotiques, en donations internationales, en investissements immobiliers hors des frontières du pays et en extorsions de compagnies étrangères installées dans les zones situées sous leur contrôle. Une certitude, les talibans sont aujourd’hui bien plus riches et puissants que lors de l’invasion américaine de 2001.

L’argent des talibans (latribune.fr)

84% de la production mondiale d’opium

Il faut savoir que l’Afghanistan (selon un rapport des Nations unies) produit actuellement 84% de l’opium mondial dont les revenus – 416 millions de dollars par an – vont dans leur écrasante majorité aux talibans qui pratiquent une gestion en bonne et due forme de ce qui est désormais une «industrie» taxée à hauteur de 10% à 20% de son chiffre d’affaires. Les minerais représentent par ailleurs une source de profits substantielle car les talibans se font en moyenne 500 millions de dollars l’an en autorisant les exploitants à poursuivre leur extraction de cuivre, d’or, de zinc, de marbre et d’autres métaux dont certains très rares.

Ce business est véritablement mafieux puisque les patrons de mines refusant ce type d’extorsions reçoivent dans un premier temps des menaces de mort avant d’être liquidés. Cet «impôt», qui est également prélevé sur la population et sur l’ensemble du milieu des affaires et du commerce évoluant dans les zones dominées par les talibans, leur a jusque-là rapporté 160 millions de dollars par an, chiffre qui inclut une taxe de 10% sur les récoltes et l’impôt islamique sur la fortune – “Zakat”-  de 2,5% sur les richesses détenues par les familles.

250 millions de dollars reçus sous forme de dons

Les exportations de matériaux volés par les talibans (dont des armes Made in USA) et du minerai subtilisé aux exploitants leur procurent en outre 240 millions de dollars, auxquels doivent s’ajouter 80 millions de revenus immobiliers émanant entres autres du Pakistan. Les donations aux talibans, enfin, représentent 250 millions de dollars l’an, provenant d’institutions «charitables» et de trusts privés à travers le monde, principalement bien-sûr du Golfe Persique dont bien des pays et des citoyens éprouvent une grande sympathie pour la cause talibane. Le contre-terrorisme américain estime que 60 millions de dollars sont offerts annuellement aux talibans par des citoyens saoudiens, pakistanais, qataris et iraniens.

Il faut également être conscient du fait que les États de ces pays abreuvent les talibans à hauteur de 500 millions l’an, selon les mêmes sources qui reconnaissent toutefois que ces chiffres sont compliqués à vérifier car les pays donateurs usent évidemment de moyens de paiement échappant à tout contrôle.

Un chiffre (calculé par l’OTAN) démontre l’ampleur du pouvoir des talibans : c’est 1,6 milliard de dollars qui ont été générés par eux en 2020, montant qui achève de prouver la débilité de la politique et de l’approche américaines en Afghanistan et ce, dès le départ.

Il faut savoir (selon un tout récent rapport du ” US Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction”), que les États-Unis ont «investi» 1.000 milliards de dollars en Afghanistan en 20 ans… qui ne leur ont pas pour autant permis d’emporter l’adhésion populaire. Et pour cause puisque (selon ce même rapport) 86% de cette somme astronomique fut injectée en faveur de l’armée. (Souvenons-nous du discours du Président Eisenhower de 1961 mettant en garde contre le «complexe militaro-industriel» de son propre pays, toujours d’une actualité brûlante).

L’Oncle Sam a brûlé 1.000 milliards de dollars

Toujours est-il que le peuple afghan n’aura reçu en 20 ans que 130 milliards de dollars dont 83 se logèrent dans des forces de sécurité nationales… dont on a bien constaté l’efficacité ces jours derniers. 10 autres milliards furent destinés à la lutte contre le trafic de drogue et 15 autres à des agences US opérant en territoire afghan. Bref, ce rapport officiel américain indique que 2% (!) de ce trillion de dollars dépensés par l’Amérique en 20 ans le furent réellement au bénéfice du peuple de ce pays, de ses infrastructures, de l’éradication de la pauvreté. Pas un sou ne fut consacré à construire des écoles et des hôpitaux, en équipements agricoles, en programmes de nutrition, à l’édification d’un réseau de distribution de l’eau digne de ce nom, etc. Après 20 ans, l’Oncle Sam quitte un pays où il a brûlé 1.000 milliards de dollars et laisse derrière lui une espérance de vie de 63 ans et un taux de mortalité enfantine de 38% !

L’aventure afghane fut qualifiée de «guerre oubliée» -“forgotten war”- dès lors que les Etats-Unis tournèrent leurs obsessions en direction de l’Irak. M’est avis que ce débat ne fait que démarrer dit Michel de Santi dans l’article de la Tribune…

DES PEUPLES GORGÉS DE MAUVAIS SCENARIOS ET QUI SE DÉCHIRENT

L’image, publiée par le bataillon d’élite Badri 313 des Talibans, montre des combattants en équipement de marque américaine plantant le drapeau blanc et noir de l’Émirat islamique d’Afghanistan (le gouvernement taliban autoproclamé), avec leur pose rappelant la photo emblématique de l’époque de la Seconde Guerre mondiale de soldats américains brandissant un drapeau américain à Iwo Jima. (1) Les talibans ont déployé le bataillon Badri 313 à Kaboul cette semaine après être entrés dans la capitale afghane dimanche. Des militants ont publié une vidéo de propagande montrant les combattants courant au ralenti en musique et patrouillant dans les rues, armés de fusils M4 de fabriqués aux États-Unis, se promenant dans des Humvees équipés de tourelles de mitrailleuses, portant des gilets pare-balles et des casques pare-balles américains, et des lunettes de soleil Oakley lisses. Le look est loin du turban, des robes, des longues barbes et des tongs qui sont devenus l’image emblématique des talibans dans le subconscient occidental au fil des décennies.

Comment expliquer alors l’ensemble des absurdités désastreuses que le retrait des États-Unis et de l’OTAN d’Afghanistan parait être devenu sinon parce que depuis plus de vingt ans une politique qui vise à l’appauvrissement des peuples et à l’enrichissement sans limite des trafiquants et des faiseurs de guerre nous a été vendue comme un scénario hollywoodien de la lutte du bien contre le mal. Et ce passage ininterrompu des mêmes images justifiant l’injustifiable a vidé le cerveau de nos contemporains… Du côté de l’Espagne et de l’Amérique latine une certaine conscience émerge à l’inverse du monde anglo-saxon qui cuve la défaite, et cherche les criminels là où on les lui désigne …

Car comme le note le monde hispanique (**), “nous ne comprenons rien à ce qui s’est passé depuis plus de vingt ans si nous ne pensons pas que, “en réalité, pendant toutes ces longues et sanglantes années, on n’a pas cherché à résoudre un conflit militaire, humanitaire et politique, mais produire le meilleur résultat pour un scénario de film pour pouvoir s’enrichir sur le dos des peuples. et le chroniqueur espagnol rejoint les réflexions cubaines: “les images de Kaboul n’ont rien à voir avec celles de Saïgon. Pas seulement à cause des différences historiques, culturelles, sociales et géopolitiques qui séparent les deux visions des hélicoptères américains vaincus fuyant leurs ambassades. Saïgon fut une défaite chargée d’espoirs et de rêves d’émancipation. Aujourd’hui, tout est sombre et le seul son qui brise la nuit est le rugissement lointain de la moto du mollah dans les rues de Kaboul et l’évasion libre d’une extrême droite conspirationniste, avec l’arrogance d’un proxénète de quartier, sur nos trottoirs. C’est le triomphe de l’antimodernité, du terraplanisme, des anti-vaccins, des intégrismes, des wahhabites, des annonceurs de l’Antéchrist. Les néoapocalyptiques avancent sur leurs motos, imparables, dans les rues déconcertées du XXIe siècle. Aucun autre véhicule ne semble pouvoir rivaliser avec eux. Seuls les jouets spatiaux de Jeff Bezos, Elon Musk et le club sélect des milliardaires qui, de leur apesanteur stratosphère, rient de notre triste spectacle.

La “guerra contra el terrorismo” se hunde en el fracaso 20 años después del 11S (infolibre.es)

(1) La photo d’Iwo Jima est vénérée par les Américains et a été reproduite au mémorial de guerre du Corps des Marines à Arlington, en Virginie. Elle a remporté le prix Pulitzer de la photographie en 1945, et a été commémoré dans des films, des chansons, des pièces de monnaie, des timbres, des statuts et d’autres médias au fil des décennies, servant de rappel de la campagne sanglante des États-Unis contre les forces japonaises dans le théâtre du Pacifique.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d’Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l’auteur d’un nouvel ouvrage : « Le testament d’un économiste désabusé ».
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Michel Santi (*)

(**) José Manuel Rambla est journaliste.

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