Les intérêts chinois, russes et américains convergent avec de nouvelles tensions palpables dans une région stratégique réinitialisée par la guerre en Ukraine, décrit cet article, qui a le mérite de resituer cette guerre européenne dans la profondeur stratégique du présent et de l’avenir, l’Asie. Dans le cadre du livre que nous sommes en train d’écrire, j’ai eu la curiosité de reprendre les années 1921-1922, celles dans lesquelles la jeune Russie soviétique devient URSS et crée les conditions d’un nouvel ordre international. On s’aperçoit que ce sont les mêmes jalons, les mêmes “nations”, les mêmes “routes” avec le poids à l’époque de la Grande-Bretagne et de tous les colonisateurs et que déjà se joue la rencontre entre la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, l’Inde, la Corée, le Japon et la Chine entre “nationalismes” bourgeois et socialisme émancipateur… La guerre en Ukraine, comme les événements actuels en Syrie ne sont que le prélude dans lequel les acteurs se positionnent déjà sur le terrain des immenses ressources de l’Asie centrale. Le battage fait autour de l’avion abattu est déjà l’annonce autour de l’uranium du Kazakhstan. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
par Miras Zhiyenbayev25 décembre 2024
Le spectre de la rivalité entre grandes puissances, considéré par certains comme une relique du 20e siècle, a été vivement ressuscité par la guerre en Ukraine.
Alors que la poussière commence à retomber sur les répercussions immédiates de ce conflit, un nouveau théâtre, peut-être plus nuancé, de cette compétition se dessine en Asie centrale.
Alors que les observateurs notent depuis longtemps l’importance stratégique de la région, la normalisation attendue après l’Ukraine – une période de recalibrage et de réengagement – positionne l’Asie centrale comme un point focal potentiel où les intérêts de la Russie, de la Chine et des États-Unis convergent de plus en plus avec des tensions souvent palpables.
Surtout, contrairement à d’autres espaces contestés, deux de ces puissances partagent des frontières étendues avec la région, ajoutant une couche de proximité géographique qui intensifie les enjeux.
L’Asie centrale, qui comprend le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan, se trouve à un moment critique.
Historiquement un carrefour d’empires, l’indépendance post-soviétique de la région a été marquée par un délicat exercice d’équilibriste, naviguant entre les influences de ses puissants voisins.
Cependant, l’absence d’un système national solide de sécurité collective la rend vulnérable. Souvent surnommée la région la moins intégrée au monde, son paysage politique et économique fragmenté crée un vide géopolitique que les grandes puissances sont de plus en plus impatientes de combler.
Ce manque d’identité régionale unifiée, qui semble être une faiblesse, présente paradoxalement à la fois un défi et une opportunité pour naviguer dans les courants de concurrence entre grandes puissances.
La convergence d’intérêts est indéniable. Pour la Russie, l’Asie centrale reste une sphère d’influence vitale, un tampon contre l’empiètement occidental perçu et une voie de transit cruciale.
La guerre en Ukraine, tout en mettant à rude épreuve les ressources de Moscou, a simultanément mis en évidence l’importance de son « étranger proche » pour la subsistance économique et les routes commerciales alternatives.
La Chine, par le biais de son initiative « la Ceinture et la Route » (BRI), considère l’Asie centrale comme le pivot de sa connectivité continentale, une source de ressources vitales et un flanc stratégiquement important dans son expansion vers l’ouest.
Les États-Unis, bien qu’ayant connu des périodes d’engagement fluctuant, conservent des intérêts dans la lutte contre le terrorisme, la promotion de la gouvernance démocratique (bien qu’avec une diminution de son importance) et, plus fondamentalement, la prévention de la domination incontrôlée de la Russie ou de la Chine dans cette zone d’importance stratégique.
Cette convergence des intérêts de ces grandes puissances n’est cependant pas intrinsèquement bénigne. Le potentiel de friction est palpable. La Russie, affaiblie par le conflit ukrainien, se méfie de l’influence économique et politique potentielle croissante de la Chine.
Alors que la rhétorique actuelle met l’accent sur le partenariat, les implications à long terme de l’ascension de la Chine dans la région sont une source de malaise à Moscou. Les États-Unis, quant à eux, observent avec inquiétude la Russie et la Chine, l’expansion potentielle de leurs modèles autoritaires et la limitation de l’espace démocratique en Asie centrale.
Les projets d’infrastructure, les accords de coopération en matière de sécurité et même les échanges culturels sont devenus des arènes de projection de puissance subtile, mais significative. En l’absence d’un cadre régional solide, ces intérêts concurrents risquent de dégénérer en un « grand jeu » des temps modernes, bien qu’avec plus d’acteurs et des dynamiques plus complexes.
C’est là que réside la grâce salvatrice potentielle : le cadre C5+1. Cette plate-forme diplomatique, qui rassemble les cinq États d’Asie centrale et les États-Unis, offre une occasion unique de favoriser une action collective informelle tout en maintenant la flexibilité nécessaire pour que les États individuels s’engagent avec toutes les puissances extérieures.
Contrairement aux alliances de sécurité rigides qui aliéneraient inévitablement au moins un acteur majeur, le C5+1 offre un lieu de dialogue, de coordination sur des questions d’intérêt mutuel (telles que la sécurité des frontières, le développement économique et les défis environnementaux) et, surtout, une plate-forme permettant aux États d’Asie centrale d’articuler leurs intérêts collectifs.
La force du C5+1 réside dans son caractère informel. Il permet aux pays d’Asie centrale de s’engager avec les États-Unis sans être perçus comme défiant directement la Russie ou la Chine. De même, il offre aux États-Unis un espace pour maintenir une présence et une influence dans la région sans engagements militaires explicites qui pourraient être considérés comme provocateurs.
Cette structure flexible peut être mise à profit pour renforcer la résilience face aux pressions indues d’une seule grande puissance. En encourageant la coopération intrarégionale sur des questions pratiques, le C5+1 peut contribuer à renforcer le sentiment d’identité régionale, ce qui rend l’Asie centrale moins susceptible d’être un simple champ de bataille pour des rivalités externes.
Cependant, le C5+1 n’est pas une panacée. Son efficacité dépend de l’engagement continu de toutes les parties et de la capacité des États d’Asie centrale à présenter un front uni. Les divisions internes et les différents niveaux d’alignement avec les puissances extérieures pourraient saper son potentiel.
En outre, le cadre doit évoluer pour s’adapter à l’escalade des complexités géopolitiques, en allant au-delà des préoccupations principalement économiques et de développement pour inclure des discussions plus nuancées sur la sécurité et l’autonomie stratégique.
Le paysage post-ukrainien positionne l’Asie centrale comme une région mûre pour une intensification de la concurrence entre les grandes puissances. L’absence de mécanismes solides d’intégration régionale et de sécurité collective crée des vulnérabilités que les acteurs extérieurs sont désireux d’exploiter à leur avantage.
Pourtant, ce défi cache une opportunité. Le cadre C5+1, avec sa flexibilité inhérente et sa nature inclusive, offre une voie prometteuse pour favoriser l’action collective et donner aux États d’Asie centrale les moyens de naviguer dans cet environnement complexe.
Que l’Asie centrale devienne un simple théâtre de rivalités entre grandes puissances ou une région qui réussit à tirer parti de sa position stratégique à son propre avantage dépendra, en grande partie, de l’efficacité et de l’évolution de cadres tels que le C5+1 pour façonner un avenir où la coopération, et non la concurrence, définit sa trajectoire.
Pour les décideurs politiques à Washington, Pékin et Moscou, il sera crucial de comprendre et de s’engager de manière constructive dans cette dynamique pour assurer la stabilité et la prospérité, non seulement pour l’Asie centrale, mais aussi pour l’ensemble de la masse continentale eurasienne.
Miras Zhiyenbayev est responsable du programme de politique étrangère et d’études internationales à l’Institut Maqsut Narikbayev pour la mise en réseau et le développement (MIND) à Astana, au Kazakhstan
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Xuan
L’essor des pays du Sud montre un monde plus complexe mais plus diversifié : ancien ministre des Affaires étrangères de l’Équateur
Par Global Times
Publié le : 28 déc. 2024 12:54
https://www.globaltimes.cn/page/202412/1325917.shtml
Illustration : Liu Xidan/Global Times
Note de l’éditeur :
L’année 2024 a été marquée par des bouleversements régionaux et de profonds changements de paysage. Du conflit russo-ukrainien au chaos au Moyen-Orient en passant par l’interférence de forces extérieures qui attisent les tensions en mer de Chine méridionale, la Chine fait preuve de sang-froid et de confiance dans un paysage turbulent, créant un environnement favorable à son développement de haute qualité et injectant une stabilité précieuse dans un monde agité. En tant que membre du Sud global, la Chine joue un rôle de plus en plus important dans la promotion du développement et de la paix dans le monde, ainsi que dans la progression de l’hémisphère sud. Alors que 2024 touche à sa fin, le Global Times (GT) organise une série spéciale de fin d’année en s’entretenant avec des experts de renom et d’anciens diplomates pour discuter du rôle de la Chine et des scènes qui ont façonné le paysage mondial au cours de l’année écoulée.
Dans le troisième article de cette série, le journaliste du Global Times (GT) Wang Wenwen a interviewé Maria Fernanda Espinosa (Espinosa), présidente de la 73e session de l’Assemblée générale des Nations Unies (2018-19) et ancienne ministre des Affaires étrangères de l’Équateur, lors du Forum international Imperial Springs 2024 à Madrid, en Espagne, à la mi-décembre. Espinosa estime que l’essor du Sud global est une question de diversité, d’un meilleur partage du pouvoir et d’une nouvelle voie de développement.
GT : L’essor et l’importance du Sud global dans les affaires mondiales ont été beaucoup discutés cette année. Que pensez-vous de l’essor du Sud global ?
Espinosa : J’aime utiliser le terme de majorité mondiale, car les pays en développement sont la majorité mondiale. Nous sommes des économies en développement. Le monde multipolaire signifie que le monde est plus complexe, mais il est plus diversifié – différents modèles de développement, différentes aspirations, différentes cultures et religions. Nous avons appris qu’il n’existe pas un seul modèle de développement ou un seul système politique dans le monde. C’est pourquoi l’ONU existe et le multilatéralisme existe. Nous devrions célébrer cette diversité.
Et c’est de cela qu’il s’agit dans le monde. Il s’agit de diversité, d’un meilleur partage du pouvoir, d’un ordre international plus ouvert. Il s’agit de penser à cette alliance de la majorité mondiale, de réfléchir à une nouvelle voie de développement. Le partenariat avec les BRICS est très important. L’Union africaine a été intégrée au G20. Certains médias ont également évoqué l’idée d’inclure la Communauté des nations d’Amérique latine et des Caraïbes au G20. Tout est lié à l’action collective, à la collaboration, à la solidarité, à une meilleure coopération internationale, à un meilleur multilatéralisme et à la diplomatie préventive. C’est bon pour tout le monde.
GT : Qu’est-ce qui a provoqué la résurgence du réveil du Sud global ou de la majorité mondiale, le terme que vous préférez ?
Espinosa: Au cours de toutes mes années d’expérience, dans le monde multilatéral, il y a toujours eu cette coopération, mais nous ne pouvons pas cacher le fait que parfois nous ne pouvons pas nous mettre d’accord sur des choses fondamentales parce que nous sommes très divers. Mais je pense que la diplomatie et le multilatéralisme continuent d’être la seule option dont nous disposons, non seulement pour parvenir à des accords, mais aussi pour gérer nos différences de manière respectueuse. Je crois fermement que la diplomatie est plus que jamais nécessaire. Les pays en développement doivent trouver un terrain d’entente pour lutter contre la pauvreté et les inégalités, lutter contre la crise climatique et vivre dans un monde sûr et pacifique.
GT : Comment l’essor du Sud global contribue-t-il à un ordre mondial plus juste et plus équitable ?
Espinosa : Les structures de gouvernance mondiale que nous devons développer doivent représenter la diversité, et les différentes voix doivent s’accorder sur un programme commun, par exemple sur les questions de financement, de développement, de financement climatique, de renforcement des capacités et de transfert de technologie. Ce sont des questions cruciales pour les pays en développement. Nous avons d’énormes défis à relever, par exemple le crime organisé en Amérique latine, ma région, qui est l’un des problèmes critiques.
Il est nécessaire de renforcer le dialogue et la coopération avec les pays industrialisés, où nous apprenons les uns des autres. J’ai vu des réussites se produire dans de nombreuses régions du monde. J’ai également été témoin d’une réduction massive de la pauvreté dans des pays comme la Chine. Nous avons vu comment les énergies renouvelables sont projetées dans un avenir proche pour créer une économie neutre en carbone. C’est le domaine dans lequel la Chine et l’Amérique latine peuvent coopérer.
GT : En novembre, le président chinois Xi Jinping a visité deux pays d’Amérique latine, le Pérou et le Brésil. En quoi cette visite donne-t-elle un élan aux liens entre la Chine et l’Amérique latine ?
Espinosa : Il est très important de renforcer les partenariats. Ayant moi-même été ministre des Affaires étrangères et ancien ministre de la Défense, j’apprécie et valorise vraiment le fait que des dirigeants d’autres régions, dans ce cas particulier de la Chine, visitent notre partie du monde, car en fin de compte, nous sommes une seule humanité et une seule communauté. Nous avons les mêmes besoins et les mêmes défis.
Je peux parler pour mon propre pays, mais je suis sûr que d’autres pays d’Amérique latine apprécient grandement le travail conjoint et le partenariat avec la Chine sur des questions cruciales telles que les nouvelles technologies, les infrastructures et les énergies renouvelables. Il s’agit de partenariats mutuellement bénéfiques, capables de renforcer le sentiment d’interdépendance et d’action collective, et pouvant contribuer à bâtir une communauté mondiale et à lutter contre les inégalités, la pauvreté, la crise climatique et la crise sécuritaire.
GT : La Chine prône le multilatéralisme et les actions collectives. À l’approche de 2025, comment le monde devrait-il s’engager dans des actions collectives ?
Espinosa: Quand on pense aux défis sécuritaires auxquels le monde est confronté, aux conflits que nous traversons, à la crise environnementale, à la crise de la pauvreté et aux inégalités, tous ces défis nécessitent une plus grande coopération dans un système multilatéral, et c’est de cela qu’il s’agit en fin de compte.
La sécurité de mon voisin affecte directement ma propre sécurité. Mon bien-être dépend du bien-être des autres. Nous vivons à une époque de profonde interconnexion et d’interdépendance. Et pour cela, nous avons besoin d’une communauté mondiale qui travaille ensemble. Cela nécessite une action collective. Nous avons un système multilatéral que nous avons créé en tant qu’humanité il y a près de 80 ans. Pour cette raison, les systèmes – les Nations Unies, les banques multilatérales, les institutions de Bretton Woods – ont besoin d’une certaine revitalisation. Nous avons besoin d’un mode de gouvernance créatif. Nous sommes passés du monde bipolaire du passé à un nouvel ordre mondial dans lequel nous sommes des acteurs politiques émergents avec plus de présence et de leadership de différents pays.
Nous devons apprendre à naviguer et à tirer le meilleur parti de ce partage du pouvoir dans le monde.
GT : La Chine a proposé plusieurs concepts de gouvernance mondiale tels que l’Initiative de sécurité mondiale et l’Initiative de développement mondial. Quelles sont vos attentes quant au rôle de la Chine dans la gouvernance mondiale en 2025 ?
Espinosa : Ces initiatives mondiales sont, je pense, le signe que de nouvelles formes de coopération et de multilatéralisme émergent. Elles marquent vraiment un nouvel élan pour que l’humanité se rassemble. L’un des défis d’aujourd’hui est le défi de la pauvreté et de l’augmentation des inégalités dans le droit au développement des pays en développement du Sud global. Il s’agit d’une question de ressources financières pour atteindre, par exemple, les objectifs de développement durable pour remplir leurs engagements climatiques, mais ce n’est pas seulement une question d’argent. Il s’agit de capacité, d’accès aux technologies à faible émission de carbone. Les initiatives mondiales de la Chine pour soutenir le développement de tous les pays afin qu’ils fonctionnent comme une seule humanité sont les bienvenues.
Nous devons construire un monde libéré de la peur et de la guerre. Malheureusement, nous vivons dans un monde qui menace notre sécurité chaque jour. Être en paix ne signifie pas seulement l’absence de conflit. Il s’agit d’avoir la gouvernance, les institutions, les mécanismes entre les pays et de vivre en paix avec la nature. La crise environnementale actuelle menace réellement le bien-être des populations du monde entier. Ce n’est pas une coïncidence si la Chine a investi autant d’énergie et d’argent pour réduire ses émissions. Elle est le premier investisseur mondial dans les énergies renouvelables. Tous ces efforts conjugués contribuent à bâtir un monde pacifique. Nous avons besoin de partenaires engagés pour travailler ensemble à la construction d’économies à faibles émissions de carbone et, là encore, la Chine est un acteur très important.