Cette « dénégation » de Poutine – apporte à sa manière une confirmation de l’importance de la filiation avec l’URSS et comment Poutine le nationaliste est selon notre hypothèse contraint à avancer dans les pas de l’URSS tout en tentant non sans difficulté à marquer les différences et les mérites sur un mode « gaullien » du conflit entre nationalisme et communisme face à la mobilisation populaire et la pression du KPRF. Cette précision nous permet également d’avancer dans le cadre du débat que nous développons dans Histoire et société – cette dénégation prend tout son relief avec « l’approbation » de Ziouganov que nous avons publiée hier et que commente aujourd’hui Franck Marsal. (note et traduction de DB pour histoireetsociete)
(1) Illustration… Non ce n’est pas une erreur si j’illustre ce débat autour d’un missile entre nationalisme patriotique et communisme, par une proclamation du type « faisons l’amour pas la guerre », la supériorité du communisme est que l’être humain n’y oublie jamais le but, l’émancipation humaine, et il crie « imbécile c’est pour toi que je meurs »… On ne peut penser au socialisme, au rôle des forces productives sans comme Marx, Engels penser à cette révolution anthropologique face à laquelle le nationalisme même allié demeure incapable d’avancer. Un clin d’œil à Clara Zetkin qui est tout sauf une adepte du « wokisme »… C’est aussi un des thèmes de la mobilisation des femmes le 25 novembre.
Cette interview de Ziouganov souligne avec précision quelque chose que presque personne n’accepte de regarder en face : d’où viennent les succès de la Russie ? Je ne parle pas seulement des succès militaires qui sont réels mais cette capacité générale à tenir tête à l’OTAN, l’UE et les USA (un ensemble sur le papier bien plus important, économiquement, diplomatiquement, militairement et bien plus riche que la Russie actuelle). Cette capacité à résister à ces sanctions économiques “comme le monde n’en avait jamais vu”, avait dit Biden. Cette capacité à non seulement sortir de l’isolement dans laquelle l’occident a tenté de l’enfermer par la culpabilisation, mais aussi à contribuer à rassembler (comme à Kazan) une large majorité du monde. Cette capacité à affronter de manière organisée et méthodique chaque difficulté, chaque nouvelle situation, chaque ligne rouge sitôt posée, sitôt franchie par l’OTAN, et ce, avec un calme et une hauteur de vue qui contraste tellement avec l’agitation inutile et stérile qui parcourt constamment les capitales du “jardin de M. Borrel”. Cette capacité à mobiliser l’énergie collective populaire sans en faire étalage, mais en l’organisant. Cette capacité aussi à analyser constamment ses erreurs, ce qui n’a pas marché, à corriger le tir.
La Russie parle fermement, mais elle ne se met pas en colère. Elle se contente le plus souvent, avec calme, pédagogie et parfois un certain humour un peu pince-sans-rire, de renvoyer l’occident à ses propres contradictions.
Il me semble de plus en plus évident que cette capacité collective de la Russie vient d’une seule et simple chose : la Russie est l’héritière de l’URSS. Et après avoir d’abord rejeté violemment cet héritage, à l’époque tragique d’Eltsine, la Russie redécouvre qu’à côté des parts d’ombres inévitables dans toute période historique d’extrême tension, il y a de grandes richesses : une éducation et une culture (scientifique comme humaniste) de haute tenue, le sens du réel et du concret, une organisation industrielle qui a conservé la capacité à planifier, un esprit social où l’intérêt collectif, national prime sur les états d’âmes de l’individu, une diplomatie qui sait dialoguer avec tous et sait saisir les mouvements du monde et (et peut-être surtout) un vaste réseau d’entreprises, d’institutions, qui restent propriété collective et ne sont donc pas mues par le profit à court terme et la cupidité des actionnaires, avec un état capable de les organiser et de les mobiliser.
Toutes choses héritées de l’URSS. Dans ce processus de redécouverte (dans lequel le Parti Communiste joue un immense rôle), la Russie se transforme rapidement. La perception qu’ont les russes à la fois de leur histoire, de leur situation et de leur avenir évolue. Cela concourt étonnamment à l’évolution globale du monde et cela explique les regards nouveaux qui, un peu partout, se tournent vers elle. Cette particularité (un peu étrange, il faut le reconnaître aussi) de la situation russe joue un rôle de plus en plus important dans l’évolution du monde et nous devons y réfléchir.
Dernière remarque : l’Ukraine aussi a beaucoup hérité de l’URSS. Le territoire que le régime de Zelenski prétend recouvrer, c’est l’URSS qui en a gagné la liberté, face aux impérialistes après la 1ère guerre mondiale, puis au prix de près de 20 millions de morts face aux nazis. C’est l’URSS qui en a tracé toutes les frontières si avantageuses pour l’Ukraine, jusqu’au rattachement de la Crimée en 1954. C’est en 1917, grâce au pouvoir bolchevik, que la langue ukrainienne obtient pour la première fois le statut de langue officielle, au côté du russe. L’usine de Dniepropretovsk bombardée avant-hier, la plupart de l’industrie ukrainienne, les centrales nucléaires, les grands barrages, l’agriculture moderne et performante, les scientifiques … Mais tout en considérant que tout ce que l’URSS a apporté à l’Ukraine leur appartient (souvent pour se l’approprier à titre privé, d’ailleurs), les nationalistes ukrainiens rejettent l’URSS. Ils se lamentent même de n’avoir pas obtenu en héritage les armes nucléaires soviétiques pour les mettre au service de l’OTAN et vitrifier la population russe.
24/11/2024
MOSCOU, 22 novembre. /TASS/. Le système de missiles balistiques hypersoniques à portée intermédiaire Oreshnik de la Russie n’est pas une version améliorée des versions précédentes datant de l’époque soviétique, et il s’inscrit dans la lignée des développements les plus récents et modernes, a déclaré vendredi le président russe Vladimir Poutine.
« Le système Oreshnik n’a rien à voir avec la modernisation des anciens systèmes soviétiques », a déclaré Poutine.
« Il est évident que nous avons tous été élevés en regardant les différents systèmes de l’Union soviétique fonctionner, nous avons tous été élevés sur ce qui a été fait par les générations précédentes et, dans une certaine mesure, nous avons utilisé leurs résultats », a déclaré Poutine.
« Cependant, ce système est en effet le résultat principal de votre travail, le travail qui a été fait à l’époque russe, dans les conditions de la nouvelle Russie, il a été mené sur la base des derniers développements modernes », a déclaré M. Poutine lors de la réunion avec le conseil exécutif du ministère de la Défense, des représentants du complexe militaro-industriel et des concepteurs d’armes de missiles.
Le ministère russe de la Défense a annoncé plus tôt dans la journée que le dernier missile balistique à portée intermédiaire Oreshnik du pays avait atteint toutes les cibles d’une grande entreprise militaro-industrielle ukrainienne à Dniepr (Dniepropetrovsk) avec ses ogives MIRVed.
« Le 21 novembre 2024, en réponse à l’utilisation de missiles à longue portée de fabrication américaine et britannique contre des installations sur le territoire russe, les forces armées ont mené une frappe combinée sur l’un des sites militaro-industriels ukrainiens à Dniepropetrovsk. Pour la première fois, le missile balistique hypersonique à portée intermédiaire Oreshnik avec une charge utile non nucléaire a été utilisé dans des conditions de combat lors de la frappe. L’objectif de la frappe a été atteint. Toutes les ogives ont touché l’installation », a déclaré le ministère dans un communiqué.Lire aussi :Deux camps à l’Ouest : Macron (Rothschild) vs. CIA+Pentagone
Le 19 novembre, le président russe Vladimir Poutine a signé un décret approuvant les Fondements de la politique de l’État dans le domaine de la dissuasion nucléaire, la doctrine nucléaire actualisée du pays.
Le principe fondamental de la doctrine est que l’utilisation d’armes nucléaires est une mesure de dernier recours pour protéger la souveraineté du pays.
L’émergence de nouvelles menaces et de nouveaux risques militaires a incité la Russie à clarifier les conditions d’utilisation des armes nucléaires. En particulier, la doctrine modifiée élargit l’éventail des pays et des alliances militaires soumis à la dissuasion nucléaire, ainsi que la liste des menaces militaires que cette dissuasion est conçue pour contrer.
En outre, le document indique que la Russie considérera désormais toute attaque d’un pays non nucléaire soutenu par une puissance nucléaire comme une attaque conjointe. Moscou se réserve également le droit d’envisager une réponse nucléaire à une attaque à l’arme conventionnelle menaçant sa souveraineté, à un lancement à grande échelle d’avions, de missiles et de drones ennemis visant le territoire russe, à leur franchissement de la frontière russe et à une attaque contre son allié biélorusse.
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Marxou
les mensonges, les saloperies, les absurdités contre l’union soviétique ont, par l’ascenseur grimpé en flèche pendant 50 ans, boostés par la propagande délirante et crapuleuse des médias au service de l’occident. La vérité , par l’escalier monte elle aussi à son rythme , lentement mais surement
Franck Marsal
En fait, dire que le système Oreshnik a été développé par les ingénieurs et ingénieures, scientifiques, techniciens et techniciennes, ouvriers et ouvrières russes est encore plus éclairant. Cela signifie que les bases scientifiques, techniques, et industrielles posées par l’Union Soviétiques sont encore vivantes et organisées, que tout n’a pas été soit détruit soit privatisé, comme dans d’autre anciennes républiques.
Aussaris
Non, ce n’est pas une dénégation, car en disant cela d’Oreshnik, ce qu’il n’a jamais dit auparavant d’aucune autre innovation, Poutine reconnaît que jusqu’ici les armes, avions, fusées, satellites, etc. développés par la Fédération de Russie ne sont que des modernisations ou prolongations des produits de l’URSS, y compris les missiles hypersoniques précédant Oreshnik. Avec celui-ci, il y a probablement un saut scientifique et technique, ce qui n’a rien d’étonnant un tiers de siècle aprèsle démantèlement forcé de l’URSS contre la volonté très majoritaire du peuple (forçage souvent dénoncé par Poutine).
Denis Lemercier
Si je comprends bien Danielle, Poutine exprime négativement son désir inconscient d’URSS, son désir inconscient d’être dans la filiation de celle-ci. Pourquoi pas?
Xuan
Je ne sais pas l’inconscient de Poutine, mais je dirais la contradiction insoluble entre le rejet du communisme et le rejet de l’impérialisme, chez les bourgeoisies nationales du sud global.
Elles penchent plus ou moins d’un côté ou de l’autre, mais la lutte contre le communisme n’a pas d’autre issue que la soumission à l’impérialisme, et la lutte contre l’impérialisme n’a pas d’issue sans le socialisme.
Il faut bien ici que Poutine s’attribue quelques mérites parce que le fantôme de Staline est toujours dans le placard.
Lavallée Ivan
Attention à la confusion, selon moi, entre socialisme et communisme…
Xuan
Nous sommes d’accord Ivan, je parle de communisme pour l’objectif final des communistes, et du socialisme pour ce qui succède immédiatement au capitalisme, c’est-à-dire la démocratie populaire et la dictature du prolétariat.
Franck Marsal
Il y a deux différences majeures à mon sens entre la position de la Russie et celle des autres bourgeoisies du Su global (par exemple Inde, Brésil, Iran, …).
La première tient à la présence vivante de l’héritage soviétique, devenant déterminante dans la survie même de l’état russe. La seconde est la place considérable occupée par le KPRF et sa vision politique très affinée.
Cela fait de la Russie le 2nd membre « leader » des BRICS + derrière la Chine.
Aussaris
Il n’y a de fantôme de Staline et d’héritage soviétique que pour ceux qui croient que l’URSS est morte. Mais elle se relève devant nos yeux. Il suffit de voir ces soldats qui portent son drapeau en combattant consciemment le nazisme en Ukraine, ou d’entendre Medvedev dire que « les USA n’ont pas gagné la guerre froide » et Poutine parler des « prétendus vainqueurs de la guerre froide ».
jean-luc
Il est tentant de voir dans Poutine un dirigeant nostalgique de la grandeur de l’Union Soviétique (en oubliant ses faiblesses et ses erreurs au passage). C’est d’ailleurs possible. Mais, avec tout le respect qu’on lui doit après 3 ans d’opposition armée à l’impérialisme américain il n’en reste pas moins un dirigeant bourgeois et contre-révolutionnaire. Il ne faut certainement pas s’imaginer qu’il va, par enchantement, apporter le retour du socialisme en Russie quand il aura gagné la guerre.
D’abord parce que la guerre est loin d’être gagnée, à moins d’un effondrement de l’impérialisme occidental, encore imprévu.
Ensuite parce qu’il défend une classe sociale bourgeoise en essence contre les attaques d’un impérialisme tout aussi bourgeois.
La victoire de la Russie (ou plutôt la défaite de l’occident), si elle devait arriver pourrait même nous faire craindre, à moins d’être des bisounours, une évolution de cette bourgeoisie nationale en nouvel impérialisme. Ce n’est pas impossible. Avec une économie maintenant toute entière tournée vers la guerre, il n’est pas fondamentalement impossible que les dirigeants de la Russie cherchent une compensation dans les pertes énormes, humaines, économiques, écologiques, qu’ils ont encaissées (vous vous souvenez de Saddam, dans un tout autre registre?). C’est d’ailleurs de ce côté que regardent certains de ses alliés, les Fico, Orban et autres Simions.
Oui, le facteur chinois pourrait jouer un rôle positif pour contrebalancer une évolution de ce type mais on voit mal la direction chinoise aider le KPRF à rétablir le socialisme en FR ou en URSS!
Xuan
jean-luc, tu poses exactement la question qui fâche, celle qui divise depuis pas mal d’années communistes, progressistes, anti impérialistes, celle d’un « impérialisme en devenir », qui vise aussi la Chine d’ailleurs.
On dit que ces pays dirigés par des bourgeoisies capitalistes se dirigent inévitablement vers « l’impérialisme stade suprême du capitalisme ».
Cependant :
1 – Les USA ne sont plus un impérialisme au sens de Lénine, mais une hégémonie économique, technologique, monétaire, militaire. Et les impérialistes historiques ne sont plus capables de se lancer dans de nouvelles conquêtes et remplacer les USA.
2 – La mondialisation multipolaire remplace la mondialisation unipolaire des USA, et ceci modifie les rapports entre les états.
3 – la fin de cette hégémonie ne signifie pas la fin de la concurrence capitaliste ni des conflits. Par contre l’acteur principal de la transformation des conflits en guerre, terrorisme, génocides, subversions, etc. a disparu en tant que puissance mondiale hégémonique.
4 – l’impérialisme a une histoire. Il est bien le stade suprême du capitalisme mais il a pu apparaître dans les conditions particulières de la colonisation, c’est-à-dire d’un déséquilibre technologique, scientifique et économique considérable. Aujourd’hui et à cause des délocalisations et des échanges sud-sud, comme la ceinture et la route, ce déséquilibre est cours de résorption dans le sud global.
5 – Dans le cadre multipolaire, et parce que l’essor du sud global le hisse au niveau des anciens colonisateurs, il n’est plus possible de reproduire l’expansion coloniale puis impérialiste, y compris avec ses gouvernements bourgeois.
6 – J’ai dit plus haut que « la lutte contre le communisme n’a pas d’autre issue que la soumission à l’impérialisme, et la lutte contre l’impérialisme n’a pas d’issue sans le socialisme ». C’est-à-dire que si le socialisme ne s’établit pas dans les pays du sud global, ils restent sous la coupe de l’hégémonisme.
Je fais donc cette hypothèse que l’hégémonisme US est la phase terminale de l’impérialisme.