Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Staline n’a pas voulu créer la « République socialiste soviétique du Japon », peut-être à tort

Un autre paradoxe sur lequel il faut insister est que nous sommes dans des temps nouveaux et que toute tentative de résumer cette situation à une analogie, en particulier celle de la guerre froide, risque de nous faire ignorer les possibles, mais dans le même temps la connaissance de l’histoire en ce qu’elle a créé une rupture révolutionnaire fondamentale dans l’histoire du monde et donc conforté la confiance dans l’intervention populaire collective est plus que jamais indispensable. (note de danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

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Comment le Japon, avec le soutien des États-Unis, a tenté de sauver la face après avoir perdu la Seconde Guerre mondiale

Texte : Oleg Falitchev

Le 3 septembre 2024, la Fédération de Russie, ainsi qu’un certain nombre d’autres pays, ont célébré le 79e anniversaire de la victoire sur le Japon militariste et de la fin de la Seconde Guerre mondiale. La défaite de l’armée du Kwantung, forte d’un million d’hommes, en 1945, a été l’un des sommets de l’art militaire soviétique.

Les leçons et les conclusions de ces batailles sont utiles à rappeler à ceux qui, aujourd’hui, échafaudent de nouveaux plans d’invasion et tentent d’empiéter sur notre intégrité territoriale. Quelles sont ces leçons et l’île de Hokkaido pouvait-elle vraiment devenir soviétique, ce que peu de gens savent ? C’est à ces questions et à d’autres qu’a répondu Anatoly KOCHKIN, politologue et orientaliste réputé, docteur en sciences historiques, dans une interview accordée à « SP ».

« SP » : Anatoly Arkadyevich, au cours des 79 dernières années, plusieurs générations ont changé dans notre pays, et tout le monde ne se souvient pas de ces événements. Pourtant, ils témoignent non seulement de l’expérience de combat de nos troupes, mais aussi de l’habileté de la diplomatie et de la politique de nos dirigeants tout au long de la guerre.

Toutefois, l’Occident continue de penser que ce n’est pas l’Armée rouge, mais les bombardements atomiques américains d’Hiroshima et de Nagasaki qui ont contraint le Japon à capituler. Êtes-vous d’accord avec ce point de vue ?

– Certaines personnes trouvent aujourd’hui qu’il est favorable de présenter l’histoire de cette manière. D’abord les Américains et, curieusement, les Japonais.

Je rappelle que le 15 août 1945 à midi, pour la première fois dans l’histoire de l’État, les Japonais ont entendu la voix de leur divin monarque qui, dans une langue difficile pour le commun des mortels, a annoncé la décision de mettre fin à la guerre. Pour justifier l’impossibilité d’une nouvelle résistance, il met en avant l’utilisation par les Américains d’une nouvelle super-bombe.

Il était ainsi clair que le Japon ne se rendait pas, ayant été vaincu au combat, mais qu’il était contraint de battre en retraite devant la puissance d’armes sans précédent. Il y a encore des gens au Japon qui croient que l’utilisation des bombes atomiques par les Américains était la volonté de la Providence, la grâce du ciel qui a permis à la nation sacrée de Yamato de sortir de la guerre avec honneur, sans perdre la face. Après tout, elle ne pouvait rien faire pour s’y opposer.

En réalité, l’empereur Hirohito et son entourage attribuaient l’inéluctabilité de la défaite non pas tant aux bombardements atomiques qu’à la participation de l’Union soviétique à la guerre.

Ainsi, dans un rescrit du 17 août 1945, l’empereur du Japon, sans mentionner les bombes atomiques américaines et leur destruction de la population des villes japonaises, a qualifié l’entrée en guerre de l’URSS de raison principale de la capitulation. Il a été déclaré : « Maintenant que l’URSS est également entrée en guerre contre nous, continuer à résister (…) signifie mettre en péril la base même de l’existence de notre Empire ».

Les faits montrent que sans l’entrée en guerre de l’URSS, les Américains n’auraient pas pu conquérir rapidement le Japon en lui « lançant des bombes atomiques », comme la population japonaise en a été convaincue par la propagande militaire américaine dans les tracts et à la radio. Selon les calculs de l’état-major américain, pour assurer le débarquement des parachutistes sur les îles japonaises, il fallait au moins neuf bombes atomiques, dont les États-Unis ne disposaient tout simplement pas.

Il ne faut pas oublier qu’en réponse aux frappes atomiques, les Japonais pouvaient lâcher sur leurs ennemis des armes bactériologiques accumulées dans des laboratoires secrets. L’entrée en guerre de l’URSS a notamment permis d’écarter ce danger. Notre contribution à la capitulation du Japon a été si importante que les dirigeants soviétiques ont eu raison de déclarer leur droit à disposer d’une zone d’occupation dans la métropole japonaise.

Dans l’« Ordre général n° 1 » envoyé à Staline le 15 août 1945 sur la reddition des forces armées japonaises, le président américain Harry Truman a « oublié » de préciser que les garnisons japonaises des îles Kouriles devaient se rendre aux troupes soviétiques. C’est le premier signe que les Américains pourraient violer l’accord de Yalta sur le transfert des Kouriles à l’Union soviétique.

Staline réagit avec retenue mais fermeté. Il propose d’inclure dans l’« Ordre général n° 1 » une clause visant à inclure dans la zone de reddition des forces armées japonaises aux troupes soviétiques toutes les îles Kouriles qui, conformément à la décision des trois puissances en Crimée, devraient passer en possession de l’Union soviétique.

“SP : Et l’île d’Hokkaido ? Aurait-elle pu devenir un territoire soviétique ?

– Staline : Elle aurait pu, mais cela n’a pas été ainsi. Dans la même réponse, Staline suggère que la moitié nord de l’île d’Hokkaido, adjacente au détroit de La Pérouse, soit incluse dans la zone de reddition des Japonais aux Soviétiques.

« Cette dernière proposition revêt une importance particulière pour l’opinion publique russe. Comme on le sait, les Japonais ont maintenu l’ensemble de l’Extrême-Orient soviétique sous l’occupation de leurs forces entre 1919 et 1921. L’opinion publique russe aurait été gravement offensée si les troupes russes ne disposaient pas d’une zone d’occupation dans une partie quelconque du territoire japonais proprement dit », écrit Staline. Il qualifie ses ajouts à l’« Ordre général n° 1 » de modestes et espère qu’ils ne soulèveront pas d’objections.

Au départ, l’idée d’une occupation de la métropole japonaise par les troupes soviétiques n’appartient pas à Staline, mais aux dirigeants militaires et politiques des États-Unis. Les faits et les documents montrent qu’en 1944, un plan a été élaboré à Washington, selon lequel le Japon devait être démembré en quatre zones d’occupation : américaine (les régions centrales du pays), soviétique (Hokkaido et le nord-est de Honshu), britannique (Kyushu) et chinoise (Shikoku). La zone soviétique était encore plus étendue que la zone américaine.

On pensait que la division du Japon en zones allégerait le fardeau de l’organisation du régime d’occupation et permettrait aux États-Unis de réduire le nombre de troupes américaines qui y seraient affectées.

Le plan de l’état-major interarmées américain (JCS) pour les trois premiers mois suivant la capitulation du Japon prévoyait d’affecter 23 divisions américaines (800 000 hommes) à l’occupation. Ensuite, après la signature de l’acte de capitulation, les forces des États alliés seraient déployées sur le territoire japonais : les États-Unis – 8,3 divisions (315 000 personnes), la Grande-Bretagne – 5 divisions (165 000), la Chine – 4 divisions (130 000), l’URSS – 6 divisions (210 000).

« SP » : Pourquoi le plan d’occupation américain prévoyait-il un déploiement de troupes soviétiques aussi important en nombre et en territoire occupé dans le Japon vaincu ?

– Les concepteurs du plan n’étaient pas du tout guidés par la reconnaissance de la contribution de l’URSS à la défaite de l’agresseur japonais. Leur « générosité » s’explique par le désir d’utiliser les troupes soviétiques comme chair à canon au cas où une guérilla éclaterait au Japon.

Mais aucun document ne prouve que Staline était au courant d’un tel plan. Ni à Yalta ni à Potsdam, la question de l’occupation du territoire de la métropole japonaise par des troupes soviétiques n’a été soulevée.

On sait seulement que, pour éviter toute incohérence dans la conduite des opérations, le dirigeant soviétique a exprimé le 28 mai 1945, lors d’une conversation avec l’envoyé du président américain Harry Hopkins, le désir de conclure avec les gouvernements des États-Unis et de la Grande-Bretagne un accord spécial sur la définition des zones d’occupation du Japon après la victoire sur ce dernier.

Les régions du nord-est de la Chine et la partie nord de la péninsule coréenne ont ensuite été définies comme la zone de responsabilité de l’URSS dans la défaite du Japon militariste.

Se préparant à participer aux opérations militaires contre les forces japonaises, le commandement soviétique avait notamment prévu un éventuel débarquement sur la côte nord de l’île d’Hokkaido.

Cependant, ce plan a été sommairement rejeté sans aucune explication. Truman répondit que le commandant des forces alliées en Extrême-Orient, le général Douglas MacArthur, recevrait la reddition des troupes japonaises sur toutes les îles du Japon proprement dit, et qu’il utiliserait « des forces alliées symboliques, qui incluraient bien sûr les forces soviétiques ».

Dans ses mémoires, Truman a été franc : « Bien qu’au début j’aie ardemment souhaité impliquer l’URSS dans la guerre contre le Japon, j’ai ensuite, sur la base de la difficile expérience de Potsdam, renforcé l’opinion de ne pas permettre à l’Union soviétique de prendre part à la gestion du Japon. En mon âme et conscience, j’ai décidé qu’après la victoire sur le Japon, tout le pouvoir dans ce pays serait transféré au général MacArthur ».

Comme Churchill, Truman penchait déjà pour une division du monde en zones d’influence, d’où la guerre froide. Néanmoins, lié par Yalta, il doit accepter « d’inclure toutes les îles Kouriles dans la zone à céder au commandant en chef des forces armées soviétiques en Extrême-Orient ».

En même temps, il a exprimé de manière inattendue son désir « d’avoir le droit d’installer des bases aériennes pour les avions terrestres et maritimes sur l’une des îles Kouriles, de préférence dans le groupe central ». Selon certaines sources, Truman voulait posséder l’île de Matua, transformée par les Japonais en une puissante forteresse, où aujourd’hui, comme annoncé, une base navale de la flotte russe du Pacifique sera établie.

“SP : Cela confirme une fois de plus que les prétentions du Japon sur les Kouriles sont indéfendables. Mais comment Staline lui-même a-t-il réagi à la conclusion de Truman ?

– Blessé par le refus de sa demande de débarquement symbolique du contingent soviétique à Hokkaido, Staline répond brutalement : « Les demandes de ce genre sont généralement faites soit à un État vaincu, soit à un État allié qui n’est pas en mesure de défendre l’une ou l’autre partie de son territoire ». Il précise ainsi qu’en vertu des accords de Yalta, l’URSS a le droit de disposer de toutes les îles Kouriles comme elle l’entend. « La capitulation du Japon signifie que le sud de Sakhaline et les îles Kouriles reviendront à l’Union soviétique », écrit-il.

Ayant accepté d’annuler le débarquement d’un contingent limité de troupes soviétiques à Hokkaido et l’occupation symbolique de la partie nord de cette île, Staline envoie le 22 août 1945 au commandant en chef des forces soviétiques en Extrême-Orient, le maréchal de l’Union soviétique A. Vasilevsky, une instruction : « L’opération de débarquement de nos troupes de l’île de Sakhaline à l’île de Hokkaido doit être suspendue à partir de maintenant jusqu’à ce que des instructions spéciales soient données par la Stavka […] ».

Vasilevsky, à son tour, donne l’ordre : « Afin d’éviter de créer des conflits et des malentendus avec les Alliés, interdisez catégoriquement d’envoyer des navires et des avions vers l’île d’Hokkaido ».

L’annulation par Staline de l’opération militaire d’occupation des régions septentrionales d’Hokkaido s’explique également par le fait qu’elle risquait d’envenimer les relations soviéto-américaines, ce que Moscou voulait éviter. Cela montre que, contrairement aux États-Unis, Staline respectait la position et l’opinion des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale et accordait de l’importance à sa parole.

Étonnamment, cette histoire a été utilisée au Japon, aux États-Unis et même dans la « nouvelle Russie » pour accuser Staline de comploter le démembrement du Japon et la création d’une « république démocratique populaire d’Hokkaido ». Et les États-Unis, qui ont tué 300 000 habitants dans un bombardement atomique, sont présentés au peuple japonais comme le pays qui a libéré le Japon de « l’esclavage communiste ».

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