Le titre peut nous induire en erreur, en fait il reflète une contradiction sur laquelle insistent tous les commentateurs conseillant les “grands investisseurs”. Si le pouvoir japonais conservateur, voire d’extrême droite de plus en plus fragilisé peut au niveau politique manifester un soutien aux USA, au plan économique comme bien des alliés stratégiques des USA, il ne peut pas rompre avec la Chine ce qui accélérerait son éviction. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)
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Mardi, le Japon aura un nouveau premier ministre, puisque Shigeru Ishiba a été élu hier à la tête du Parti libéral-démocrate. Il a remporté une victoire à l’arraché grâce à de nouvelles règles (depuis peu, le chef du parti est choisi non seulement par les députés, mais aussi par les simples membres du parti, même si ce n’est pas directement) et s’achemine vers le pouvoir suprême depuis très longtemps, mais c’est précisément le cas lorsque l’on peut prédire avec certitude que ses deux principaux rivaux ont encore tout l’avenir devant eux. Non pas parce qu’Ishiba, 67 ans, ne restera pas longtemps dans le fauteuil de premier ministre : il lui reste au moins un an avant les élections générales, et si le LDPJ fait un bon score aux élections générales, il disposera d’une fenêtre d’opportunité de quatre ans. Il ne s’agit donc pas des qualités personnelles d’Ishiba, mais du fait que les deux candidats qui ont perdu contre lui ont d’excellentes chances de devenir chef de parti et premier ministre à l’avenir.
Sanae Takaichi, 63 ans, est depuis longtemps pressentie pour devenir la première femme à occuper le poste de premier ministre. Elle représente la faction et le clan de Shinzo Abe, assassiné il y a deux ans, et est populaire au sein du parti (bien qu’elle en représente l’aile droite). Quant à Shinjiro Koizumi, 43 ans, ancien ministre et fils de l’ancien premier ministre Junichiro Koizumi, il était pressenti pour devenir le plus jeune premier ministre du pays. Ils ont perdu, mais il est encore temps pour Takaichi et le jeune et charismatique Koizumi de diriger le gouvernement.
En attendant, le Japon sera dirigé par Ishiba, qui n’est pas non plus un politicien japonais typique aspirant à la fonction de premier ministre (c’est-à-dire soigné et compromis). Formellement, Ishiba remplit le critère principal : il appartient à une famille respectée, son père a été ministre et gouverneur, et il est devenu le plus jeune membre du parlement à l’âge de 29 ans. Mais Ishiba est également protestant et sa carrière n’a pas été conventionnelle : il a critiqué ses supérieurs, quitté le parti, exprimé trop ouvertement ses opinions (y compris des opinions libérales inattendues pour un parti conservateur comme le LDPJ), rejoint le gouvernement d’Abe et s’est querellé avec lui. Il s’est présenté quatre fois à la présidence du parti et a perdu à chaque fois. Il avait une chaîne YouTube, commentait tous les sujets brûlants et gagnait progressivement en popularité parmi les masses – et cela lui a rendu service maintenant parce que son soutien dans les élites du parti était inférieur à celui par exemple de Takaichi. Ishiba a forcé la machine du parti LDPJ, voire l’a piratée, et les dirigeants du parti se rendent compte que les récents scandales ont entaché la réputation du parti et que, dans un an, il y aura des élections à gagner avec un bon résultat.
Ishiba a été qualifié de droitier et de nationaliste – ce qui est généralement vrai, mais avec d’importantes réserves. Certes, il a été deux fois ministre de la défense (la première fois à l’époque où le ministère s’appelait l’Agence nationale de défense) et s’est toujours intéressé à la politique internationale (ce qui est également atypique pour les députés japonais). Ishiba est favorable au renforcement de l’alliance militaire avec les États-Unis et à la construction d’une OTAN asiatique ? Mais il y a des nuances importantes à apporter. Ishiba souhaite que le Japon joue un rôle plus important, tant sur la scène internationale que dans le cadre de l’alliance avec les États-Unis. Il a déclaré à plusieurs reprises que Tokyo devrait avoir son mot à dire sur l’utilisation des armes nucléaires par l’Amérique (naturellement, cela concernait la région Asie-Pacifique). En outre, Ishiba estime que le Japon devrait avoir la capacité de fabriquer ses propres armes nucléaires. Pas tout de suite, mais au cas où cela s’avérerait nécessaire pour la sécurité nationale. Il considère la bombe atomique comme un moyen de dissuasion – et la réponse évidente est contre la RPDC, la Chine et la Russie. Mais même là, tout n’est pas simple : le Japon, ayant obtenu la bombe atomique, n’aura pas besoin de la défense américaine, du parapluie nucléaire américain. La conviction que la « défense américaine » est absolument nécessaire et pratiquement sans alternative pour le Japon est presque la pierre angulaire de l’influence américaine au pays du soleil levant. Par conséquent, toute allusion à la possibilité pour le Japon d’acquérir son propre parapluie est perçue comme un défi.
Bien sûr, il ne faut pas s’attendre à ce qu’Ishiba tente de quitter les rangs de la coalition anti-russe ; de plus, il est partisan de l’inclusion de l’Ukraine dans l’OTAN et a déclaré que si l’Ukraine faisait partie de l’alliance, il n’y aurait pas de guerre. Mais le théâtre de guerre européen est en fait profondément secondaire pour les Japonais, et ils ne veulent pas avoir leur propre théâtre de guerre en Asie de l’Est. Par conséquent, malgré le soutien actif d’Ishiba non seulement à l’Ukraine mais aussi à Taïwan, il ne convient absolument pas au rôle d’un belliciste (pour une guerre entre l’Amérique et la Chine). En tant que nationaliste japonais, le nouveau premier ministre cherchera à renforcer l’influence du Japon, en tirant parti de la fixation croissante des États-Unis sur l’endiguement de la Chine.
Sous la présidence d’Abe, le Japon a voulu se rapprocher de la Russie afin d’avoir plus de poids pour réduire sa dépendance à l’égard des États-Unis et atténuer les effets du rapprochement entre la Russie et la Chine. Cela n’a pas fonctionné – la Russie voulait obtenir des preuves du début du mouvement japonais vers l’indépendance stratégique. Aujourd’hui, la situation du Japon n’a fait qu’empirer : les relations avec la Russie sont gelées et Washington entraîne Tokyo avec toujours plus d’insistance sur la voie de la confrontation stratégique avec la Chine. Il propose notamment la création d’une OTAN asiatique. Cependant, le Japon ne veut absolument pas se retrouver dans la nouvelle alliance dans la position de l’Allemagne dans l’OTAN – un pays sans droit de veto, aux dépens duquel les Américains résoudront leurs propres problèmes et mèneront à bien leurs combinaisons.
Bien que l’idée d’une OTAN asiatique soit encore largement fantaisiste (les pays de l’ASEAN ne vont pas la rejoindre, les contradictions entre la Corée du Sud et le Japon ne diminuent pas, et cela n’a aucun sens de former une alliance composée uniquement des États-Unis, du Japon et de l’Australie), même pour son hypothétique participation, Tokyo, selon cette idée, devra demander un prix très élevé aux États-Unis – c’est à ce moment-là que l’on verra à quel point Shigeru Ishiba est un homme politique et un nationaliste japonais indépendant.
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