Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’évidence : à propos des femmes, de la vieillesse et d’autres idées préconçues

Un journaliste interroge Mark Twain : – Que deviendraient les hommes dans un monde sans femmes ? – Rares, très rares répond l’humoriste (qui gagne à être connu en tant qu’anti-impérialiste) … effectivement c’est incontournable…

C’est comme la vieillesse et mon projet : mourir en bonne santé qui n’est pas aussi farfelu qu’il n’y parait… J’ai même découvert qu’il y avait des scientifiques qui s’intéressaient beaucoup à la question et qu’aux Etats-Unis tout un appareil dont ils ont le secret (un mélange d’intérêts prêts à faire du fric avec n’importe quoi, des gogos prêts à dépenser dans tout regroupement sectaire pourvu qu’il soit assorti d’un parfum d’ésotérisme..) existe autour de cette idée mourir le plus âgé possible en jouissant jusqu’à votre dernier souffle de vos capacités physiques et mentales..

https://www.newyorker.com/magazine/2024/04/22/how-to-die-in-good-health

Je vous propose de reprendre la thèse que ce jeune homme séduisant qui s’appelait Karl Marx a consacré à Démocrite et Épicure. Démocrite c’est le matérialisme scientifique celui de la découverte de l’atome, mais Épicure c’est le subjectif de la politique dans l’espace des possibles, le plaisir d’exister dans la plénitude d’une conscience éveillée… De 1839 à 1841, le tout jeune Marx étudie la philosophie antique afin d’être docteur en philosophie et d’achever ses études universitaires, c’est dit il ne sera pas avocat comme le souhaitait son père. C’est ainsi que nait la Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure, où Marx s’attache à montrer que l’interprétation hégélienne – philosophie dans laquelle baignait le milieu universitaire allemand de l’époque – avait trop vite fait l’impasse sur Épicure. Loin de n’être qu’un greffon éthique sur une physique démocritéenne incomprise par lui, l’épicurisme fait apparaître une nouvelle figure de la conscience dans l’histoire de la philosophie, fondée sur la puissance critique et transformatrice du réel aux antipodes de l’interprétation hégélienne qui voyait en elle un simple repli stérile sur l’abstraction de sa propre pensée en guise d’échappatoire à un monde devenu irrationnel.

La vocation du jeune Marx, le sens de sa vie n’est pas étrangère au sens de l’histoire qui demeure chez lui mais change de sens tout au long de sa vie et de ses luttes. Si l’on a souvent constaté que l’idée messianique, le progrès émancipateur perd de son abstraction, cela n’évacue pas le fait que l’enjeu principal soit de toujours mieux comprendre comment un progrès structurel (le progrès des forces productives) puisse devenir compatible avec un progrès social et politique déterminé (le passage au communisme). Avec Althusser on a insisté sur la discontinuité dans des temps déjà de repli de la révolution mais on a sous-estimé la continuité.

Simplement il critique à partir de l’idéologie allemande toute philosophie de l’histoire dénuée de toute portée pratique ou étant en fait réactionnaire sous des allures de spéculation abstraite. La philosophie de l’histoire cherche à formuler des diagnostics d’époque permettant d’orienter “l’agir collectif” et les tâches “pratiques” qui en résultent. Le marxisme léninisme reste dans cet héritage mais refuse la théorie normative qui l’accompagne chez les tenants du capitalisme. Aspect normatif qui grandit toujours plus au fur et à mesure que la classe dominante perd son rôle émancipateur en accord avec les forces productives.

Il en conserve et amplifie donc la dynamique et à ce titre reste plus hégélien que tous les disciples de Hegel puisqu’il s’agit toujours plus de penser l’histoire telle qu’elle se présente aujourd’hui, il s’agit de l’éclairer en penser les objectifs et stratégies politiques à partir des conjonctures, ou encore celle de toujours réactualiser les analyses théoriques et pratiques à la lumière des évolutions intervenues depuis leur première formulation, ne pas tirer de dogmes de l’expérience mais au contraire mesurer les changements intervenus.

C’est dans un tel contexte que le jeune Marx, celui de sa relation à une philosophie de l’histoire que l’on peut suggérer comme je vous le propose cette philosophie de vie matérialiste, dynamique, en relation avec les autres, et sans moralisme imbécile tout en étant d’une exigence élevée…

A quoi tient cette conscience de soi? il y a une volonté de faire de sa vie une transcendance sans religiosité, le bon sens contrebalançant une vision messianique qui ouvre sur l’infini, tout est matière mais celle-ci est inépuisable plus riche que n’importe quel mythe religieux. C’est cela que le “beau”, l’art mais aussi le travail bien fait autant que la recherche philosophique vous apporte. Le mouvement d’émancipation humaine, la lutte des classes ne saurait s’en passer pas plus que l’intérêt pour soi-même, pour votre raison d’être au monde.

Tel est pour le moment mon alpha et oméga : au titre de la vision messianique je partage assez celle du philosophe du principe espérance Ernst Bloch, qui, jusqu’à son heure dernière malgré ses déboires en RDA, s’obstina alors qu’il était exilé en Allemagne de l’ouest à affirmer que le pire des socialisme vaut mieux que le meilleur des régimes capitalistes parce qu’il reste le principe espérance. Il ajoutait, je cite de mémoire : l’espoir fut-il le mieux fondé n’est jamais assuré, c’est même ce qui en fait l’intérêt, dans le cas contraire ce serait une foi, là fort heureusement il reste notre capacité à le construire…

C’est cette dimension prométhéenne qui me parait la plus étouffée dans notre société en crise et qui devient même suspecte, la jouissance est à la fois le principe de l’individualisme, des appétits sans limite et contradictoirement l’interdit de ce que cette société pourtant génère la violence des appétits des forts sur les faibles… Résultat toute ambition révolutionnaire, tout idéal devient suspect et soumis à la même étroitesse de la bigoterie des conservatismes les plus étriqués.

C’est une société qui provoque les appétits les plus infâmes et qui engendre le moralisme le plus étriqué et qui logiquement vous reproche votre faiblesse comme un crime, et croyez-moi être vieux est pour certains le pire des reproches que l’on puisse vous adresser pour vous disqualifier..

Et pourtant dans l’aspiration révolutionnaire, il s’agit non du surhomme mais de l’invention au quotidien, du plaisir de la conscience de soi dans chacun de ses actes… comme la manière d’être ouvert à l’aventure de la connaissance et de l’action… Il n’est pas de joie plus intense que celle que l’on partage, l’amour et la révolution…

Pourtant il faut raison garder si l’on veut que cela dure…

Au titre du bon sens, je conserve quelques incontournables, à savoir que mourir n’est pas évitable en revanche la bonne santé ça s’entretient en vivant jusqu’au bout en épicurien, c’est-à-dire en cherchant le bonheur, le plaisir comme conscience de soi et de ses propres limites… sans anticiper mais sans regretter, concevoir à ce titre la vieillesse comme un exercice permanent de cette conscience de soi qui est aussi perception de la réalité du monde… Le plaisir de la connaissance comme celui des modestes exploits du quotidien fait partie de l’épanouissement.

Tout cela pour vous dire qu’aujourd’hui je pars en excursion vers les îles St Honorat en face de Cannes, j’ai rendez-vous avec le car qui me conduira à Cannes et de là à vers le bateau, le monastère de Lerins donc ce blog offre un service minimum mais il a des tas de textes à lire …

Toute seule avec mon petit bagage, eau, chapeau, sac à dos dans lequel j’ai mis le tome de Lénine du Que Faire? Je vais marcher et m’arrêter pour lire… me protéger de la canicule dans le monastère…

Moi qui ai fait le tour de la planète sac au dos, voilà à 86 ans la femme qui rétrécit accomplit l’exploit d’aller sur une île proche et d’y relire un texte susceptible encore aujourd’hui, à condition de ne pas en faire un dogme, d’éclairer l’actualité… Et tout cela est le bonheur, la conscience d’une immense richesse.

Danielle Bleitrach

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3 Commentaires

  • Michel BEYER
    Michel BEYER

    Youpee !!! Roulez Jeunesse Aujourd’hui j’ai 90 ans.
    Je vais vous la faire à la Bonaparte ( il n’était pas encore Napoleon ) ” Du haut de ces pyramides 40 siècles vous contemplent”, du haut de ces 90 ans, 5 générations vous sont présentées. Jugez vous même:
    1) Mado et moi, mariés le 29 mai 1954. Mado est décédée le 10 Mai 2021(67 ans de vie commune)
    2) 3 filles
    3) 10 petits enfants
    4) 31 arrière petits-enfants
    5) 2 arrière/arrière petits-enfants. Le compte est bon.
    Quels sont mes souhaits pour l’avenir? Bon, je n’ai vais pas faire trop de projets. Mon ancien médecin ( il est en retraite) m’avait prédit 100 ans. Cette fois-ci, je vais vous la faire à la Chirac dans les Guignols de l’Info: “putain 2 ans c’est long”, putain 10 ans c’est long. Je ne vous cache pas que je ne m’y vois pas.
    Mes souhaits? Je suis conscient que je ne verrais pas le socialisme en France. Le système électoral est ainsi fait qu’il favorise la venue comme Chef de l’Etat de médiocres pour être gentil. Chirac a eu quelques bons côtés, notamment sur l’Irak. Mais depuis c’est la catastrophe, Sarkozy, Hollande et pour finir, le pire avec Macron.
    Je souhaite avant d’arriver au bout du chemin, la Paix en Ukraine. J’espère que je connaitrai cela. Contrairement à ce que on nous raconte, la Russie ne veut pas détruire l’Ukraine. Sécurité et Neutralité pour l’Ukraine, Sécurité pour la Russie. Les 2 pays, grâce à la Chine, sont peut-être proches de discussions. Vite, vite….
    Je ne vais pas aller aux “grands buffets” aujourd’hui. Nous faisons un repas tout simple avec quelques membres de la famille. Cela suffira.

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    • Martin Michel
      Martin Michel

      Bravo Michel et bon anniversaire !!!!!
      J’ai 15 ans de moins que toi et moi aussi je souhaite la paix et une vie meilleure pour tout le monde .

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  • Jean-Claude Delaunay
    Jean-Claude Delaunay

    Bonjour Michel, comme tu es jeune!!!Etant donné la sagesse continue de tes propos et de tes commentaires, je pensais que tu avais au moins deux ou trois siècles d’âge. Bon, laissons le temps de côté. Nous n’avons pas la maîtrise de cette comptabilité. Je me permets d’ajouter une réalisation à la liste de celles que tu envisages, à savoir venir faire un tour en Chine, quelque chose d’assez long pour que tu puisses rédiger un compte-rendu du tonnerre de Dieu pour Histoire et Société. En t’arrêtant deux ou trois jours à Moscou, si tu ne l’as déjà fait. Amitiés. Jean-Claude.

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