Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Pourquoi je vais néanmoins voter gauche unie, par Danielle Bleitrach

Parce que soit je m’abstiens et je choisis l’impuissance face au pire, soit malgré tout ce qui fait défaut à cette liste pour représenter le PCF et la gauche dont nous aurions la plus urgente nécessité, il reste qu’elle est la moins pire, celle qui représente malgré tout l’espoir d’une issue pour notre pays, pour les couches populaires. Ces élections n’ont que cette importance : créer les conditions de notre résistance et de notre liberté individuelle et collective, celle de la pensée et de l’action de l’intervention dans la transformation nécessaire du monde, ce monde dominé par des médiocres qui nous maîtrisent et nous grugent. Et par dessus tout mon refus de la guerre, ce vol de nos vies… qui leur profite… ces élections européennes ne m’intéressent pas mais ce qui m’est essentiel c’est que se construise un parti communiste colonne vertébrale de tous les progressismes et il n’y a rien d’autre même si nous sommes loin du compte.

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Disons tout de suite pour que les choses soient claires : je ne suis plus et je ne serai plus jamais membre d’un quelconque parti mais cette position m’est personnelle et j’invite toujours à l’engagement, essentiellement au sein du PCF, dont je demeure une électrice tourmentée.

Il y a bien des raisons à cette fidélité critique. La première tient à ce que j’estime devoir en tant qu’enfant juive aux communistes, ceux qui ont choisi de se battre “sans peur du tombeau” (comme disait Saint Just affirmant qu’il n’y avait pas de révolutionnaire s’il n’était pas prêt à donner sa vie). On conçoit aisément qu’à ce titre ma reconnaissance concerne plus l’URSS et ses 26 millions de morts contre le nazisme qu’au parti communiste français même s’il a été le parti des 75.000 fusillés.

Ma vie je la dois à cette montagne de jeunes cadavres et à chaque instant je leur ai rendu hommage, hier comme aujourd’hui. Mais il y a plus, cette vie a été telle que j’en suis proche de la sortie apaisée, heureuse, à un âge avancé, parce qu’elle a été à cause de cet engagement la plus libre et la plus honorable que je pourrais le souhaiter. Comme le disait notre limpide Diderot : quand on a accompli sa vie, un jour on s’endort bien fatigué et repu sans regret. Plus le temps passe et plus je ressens cette satisfaction de l’accomplissement et de la souveraineté de soi qui est la récompense de l’honnête femme au sens que l’on donnait à l’honnêteté au XVIIe siècle. Moins je supporte que quiconque prétende gérer ma vie à ma place. Le communisme m’a apporté cette philosophie de la vie… L’engagement communiste quand on en mesure la profondeur, peut vous débarrasser (cela n’a rien d’évident mais cela arrive) de l’avidité y compris de la réussite, de l’enrichissement, de l’abus de pouvoir. Vous êtes libre de choisir votre vie comme votre mort, vous vous désincarnez dans un destin collectif. Ce que vous éprouvez de joie ou d’intelligence du réel est démultiplié par ces collectifs retrouvés, de la citoyenneté à l’internationalisme en passant par la camaraderie. C’est d’ailleurs quand une organisation communiste n’apporte plus ces bienfaits mais leur contraire systématique qu’il vaut mieux la quitter pour ne pas en gâcher le souvenir, sans rancune, pour voir que ce parti est encore ce qui se fait de moins pire…

Ce qu’a ce parti de moins pire c’est au moins deux choses, l’une conservée l’autre en péril.

Il en a déjà été question à propos du 6 juin 1944, et de l’appel de Jacques Duclos au nom du Comité central du PCF : PARTI COMMUNISTE DU 6 JUIN 1944 rédigé par Jacques Duclos, avec l’accord de Benoit Frachon, Tillon, Grenier et d’autres, un appel qui dénonce l’attentisme face au débarquement et qui invite partout les FFI, les soldats sans uniforme à se soulever : ”que dans les usines, les mines, les chantiers, les dépôts de chemin de fer, les travailleurs doivent intensifier non seulement le sabotage et les destructions, mais aussi les actions revendicatrices de masse et s’organiser de toute urgence en milices patriotiques, de façon à pouvoir mener avec succès leurs actions revendicatives et de façon à se mettre en mesure de participer aux plus amples combats de l’insurrection nationale à laquelle il importe de se préparer”. Cette capacité à unifier le peuple en partant non de ce qui divise comme la FI, sans sectarisme comme Lutte ouvrière et sans abandon total à la Gluksmann, mais en défendant ce qui unit à savoir les actions revendicatrices de masse concernant y compris le pouvoir d’achat mais aussi la santé, l’éducation. Il s’avère que seule la liste “gauche unie” demeure fidèle à cet esprit de la résistance et de la participation à l’insurrection nationale qui avec le gaullisme (et le soutien de l’URSS) a contribué à ce qu’il n’y ait pas de base de l’OTAN en France qui assurera elle-même sa défense et fera partie des alliés malgré la collaboration et les complaisances de masse qu’elle a suscitées.

Oui, mais le parti communiste c’était tout sauf le populisme braillard et clientéliste, c’était ici comme en URSS, à Cuba, en Chine, au Vietnam, partout où il y avait au pouvoir un parti communiste, des dirigeants en qui l’on ait confiance, désintéressés, des militants qui ne craignaient pas le tombeau avaient en même temps l’appétit du savoir. Relisez là encore les mémoires de Duclos, lui l’ouvrier pâtissier sorti fou de rage de la boucherie de Verdun :

“j’étais conscient du handicap que constituait un certain manque de culture. J’avais certes beaucoup étudié mais comme tous les autodidactes, souvent sans méthode. Et l’un des objectifs que je me fixai, tenant compte de ce que j’avais appris à “l’université de Bobigny” ce fut de beaucoup étudier. J’avais lu l’Abrégé du Capital de G. Devill, mais cet abrégé ne suffisait pas, il fallait s’attaquer à l’oeuvre de Marx, étudier les textes du maître et ne pas se contenter de ses commentateurs. Lecture difficile que celle du Capital, demandant beaucoup de réflexions, de temps d’arrêts”.

Mon dieu le plaisir que j’ai pu éprouver à confronter mon savoir académique à ces intelligences prolétariennes si exigeantes… Et combien c’est sans doute ce qui me manque le plus ces discussions sans fin entre l’intellectuelle et le prolétaire cultivé qui avait trouvé dans les textes et aussi dans l’expérience politique l’essentiel, tandis que je me perdais dans le plaisir de la dynamique de toutes les contradictions… Comment ce parti-là, celui de Maurice Thorez et d’Aragon, de Joliot Curie et tant d’autres est-il devenu celui de la “ruse” face aux “pièges médiatiques?

On ne peut que déplorer que tous les groupes de l’Assemblée nationale hier aient cru nécessaire d’assurer une présence minimale devant l’insultante et folle politique de Macron et de son groupe : à deux jours d’un scrutin, faire de la guerre derrière un des pouvoirs les plus corrompus d’Europe, qui ne convainc pas même son propre peuple qui est massacré par ses sbires nazis depuis 2014 dans les zones dites pro-russes, Zelensky l’acteur le mieux payé du monde. Les communistes, aux rangs aussi clairsemés que la FI, n’ont pas plus osé que les autres aller au fond et on a entendu même son de cloche à propos du timing de cette venue. Au moins le tête de liste Deffontaines s’il s’est aligné sur les autres députés y compris ceux de droite, a émis une timide protestation sur l’envoi parallèle de mirages déclaration de guerre sans avoir daigné consulter son parlement pourtant godillot sur le choix de la guerre. Mais une fois de plus sur cette grave question le député Fabien Roussel qui ne s’est sans doute pas rappelé qu’il y avait eu un congrès et qu’une forte proportion de son parti voyait mal cet enthousiasme pour l’Ukraine pour complaire à des médias et à des gens qui ne voteront pas pour une liste communiste a déclaré “Écouter le président d’un pays que nous soutenons dans sa résistance à Poutine est important”. Puis Fabien Roussel se souvenant qu’il n’était pas tout à fait le Frossard franc maçon dont était truffée sa liste, mais le secrétaire national du PCF s’est dit “extrêmement inquiet des propos tenus par le président Zelensky” et de parallèles faits avec la Seconde guerre mondiale”. Est-ce que Roussel se serait décidé à lire un abrégé de l’histoire de l’URSS et de la seconde guerre mondiale? Est-il capable de travailler, d’étudier comme Duclos ? ce serait vraiment une divine surprise et une reprise de ses esprits et des fondamentaux de son parti qui l’honorerait, on l’espère… en se disant que seule la mort transforme une vie en destin mais celui de Robert Hue n’a rien d’enviable. Que Dharréville soit étreint par l’émotion devant les questions d’une dignité en fin de vie, je le crois, cet homme est un chrétien sincère, un humaniste, et les communistes s’ils n’ont plus de Lénine, Fidel, Maurice Thorez ne manquent pas de gens honnêtes… Mais si nous avions quelques communistes ce serait vraiment mieux… Remarquez il n’y en n’a pas ailleurs tout au plus des échappés du syndicalisme révolutionnaire…

Dans le fond, dans son immense majorité ce parti est là, dans la droiture envers les exploités, les gens qui souffrent, mais est-ce étonnant si après trente ans de liquidation, ce parti est ce qu’il est, il fallait que cet idéal soit bien fort pour avoir de tels restes. Il n’en demeure pas moins, l”art de s’autodétruire, l’incapacité manifeste à percevoir le basculement géopolitique est de la lâcheté opportuniste mais c’est plus que ça c’est du mépris pour soi et pour les autres et ce ralliement invraisemblable à l’atlantisme symbolisé par l’incapacité à analyser de ce qui se passe en Ukraine ou en Chine et dans le reste du monde dit l’aliénation, le refus de former, d’émanciper… C’est le pays tout entier qui vit sur ce mode et cette incompréhension crée l’insulte, la violence, le refus du respect … je ne crois pas plus aux groupuscules qui font de la haine du PCF leur but…

Le Parti communiste nous manque à tous, et je vais voter gauche unie parce que ce qu’il en reste est le plus honorable, le moins “tordu” et que je ne peux pas me résigner à la politique du pire, celle qui fait monter les haines, les divisions et le fascisme.

Danielle Bleitrach

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4 Commentaires

  • Chabian
    Chabian

    Madame, vous commencez avec un sophisme : “soit je m’abstiens et je choisis l’impuissance face au pire” : non, le vote n’est pas une puissance, et face au pire, il y a des démarches utiles que la gauche bourgeoise néglige. Il faut répondre au recul du travail, au déclassement, au recul des services publics (et vous le percevez à Marseille comme je le perçois à Charleroi, ville ouvrière).Il faut parler aux gens qui votent à l’extrême-droite (vote de dépit, de protestation, sans engagement) parce que la gauche ne leur propose rien. De ce point de vue, Ruffin est ma boussole, par son travail systématique. Roussel n’en est pas loin.
    De plus, j’estime que tous les cris de la petite gauche à “faire barrage à l’extrème-droite, porter le triangle rouge, etc.” sont des injures purement théoriques face aux problèmes pratiques ressentis par cet électorat perdu pour la gauche, mais si récupérables.
    Ensuite se pose la question d’un vote “expressif” ou “utile” (comme il se pose dans de toutes autres conditions dans les autres pays, comme moi en Belgique).
    De ce point de vue, les élections européennes sont une occasion de faire une mesure des forces (et c’était stupide de réclamer une unité de la NUPES), tandis que vos élections nationales et territoriales selon le principe non-proportionnel “le gagnant prend tout” obligent à des démarches d’alliances.
    Hors de ces deux problématiques du vote (réponse à l’extrême-droite et mesure des forces), se pose la question d’un parti et la défense des institutions qui organisent la classe des travailleurs.
    De mon point de vue belge, le parti n’est pas là, il est à construire, il doit surgir. Tôt ou tard. Le syndicat “socialiste” (en train de rompre avec la social-démocratie “socialiste” ) est le nid où il sortira.

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  • Michel BEYER
    Michel BEYER

    ces élections européennes ne m’intéressent pas mais ce qui m’est essentiel c’est que se construise un parti communiste colonne vertébrale de tous les progressismes et il n’y a rien d’autre même si nous sommes loin du compte (D. Bleitrach) OK !!!
    La question qui se pose: qu’est-ce qu’un électeur communiste, qu’est-ce qu’un communiste?
    C’est avant tout un personnage responsable…. je n’en dis pas plus
    ” un jour, un jour viendra, couleur d’orange…..”(Aragon)
    “Ah ! Qu’il vienne enfin le temps des cerises, avant de claquer sur mon tambourin”( J.Ferrat)

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  • Xuan

    Avec 2,4 % le PCF paie une position incohérente sur la guerre.
    On ne peut pas à la fois vouloir la paix et soutenir l’Ukraine contre la Russie.
    L’Ukraine provoque la guerre depuis 10 ans et Zelensky ne veut pas la paix.
    La paix signifie la sécurité pour tous les voisins y compris la Russie.

    Cela dit j’ai moi aussi voté Deffontaines. La critique n’a pas pour but de détruire mais de construire un véritable parti communiste. Le parti communiste ne naît pas du syndicalisme, il s’appuie sur le principe du centralisme démocratique et le marxisme-léninisme.

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  • Xuan

    Et voilà, c’est fait.
    Averti par l’expérience de Chirac, et inspiré par Hindenbourg, Macron dissout l’assemblée.

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