Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

De la familiarité entre puissants de ce monde… conserver sa capacité d’étonnement…

D’assez bons marchands de fumier”

Les dirigeants russes sont des “marchands de fumier” essayant de diffuser une “propagande absurde” à propos de l’attentat dans la banlieue de la capitale russe, dont le groupe État islamique est “seul responsable”, a réagi jeudi la Maison Blanche.

John Kirby, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, a raconté que son oncle agriculteur avait “coutume de dire que les meilleurs marchands de fumier transportent souvent leurs échantillons dans leurs bouches”, avant d’ajouter : “Les responsables russes semblent être d’assez bons marchands de fumier.”

La violence du propos comme le caractère fou de la dénonciation par un dirigeant des USA de l’inhumanité de la torture par laquelle les Russes auraient arraché les aveux laisse pantois de la part de ceux qui non contents d’installer le centre de non droit de Guantanamo, le seul endroit de Cuba où l’on torture, alors que les mêmes torturent de fait la population civile cubaine. Il y a Cuba dans son exemplarité, mais les mêmes ont soustraité sur toute la planète, en particulier en Asie centrale, au Moyen Orient des centres de torture sous conseil des USA. Ceux qui s’apprêtent à extrader Assange qui subit depuis des années un régime de torture ne craignent pas de protester sur le traitement des journalistes…

Il y a quelque chose de fascinant dans l’art d’attribuer à ceux que l’on attaque ses propres mœurs pour désigner l’empire du mal et justifier de ce fait sa propre impunité. Aller jusqu’à ce ton familier et à l’exposé des humeurs est encore autre chose. La violence de la réaction avant même tout examen du dossier que Moscou dit avoir constitué dit à quel point les Etats-Unis se débattent et ce dès l’annonce en forme de “menace” faite d’un attentat possible, ce fait comme l’ensemble des interventions depuis des décennies sur toute la planète rend peu crédible l’effort qui est fait pour se distancier de cet attentat criminel au contraire plus leurs procédures de “sommet” s’effondrent plus on est convié au quotidien au familier des puissants éructant de rage comme de mauvais joueurs.

Comme le soulignent les commentateurs chinois:

Une chose qui mérite d’être notée, c’est que la collecte de renseignements a un coût. Les États-Unis auraient pu négocier avec la Russie en utilisant un échange de renseignements, plutôt que de recourir à des annonces publiques. « Cela pourrait indiquer qu’un mécanisme d’échange de renseignements en temps opportun entre les États-Unis et la Russie n’est plus en place ».

En gros, la paix devient de plus en plus difficile alors que les dirigeants européens, comme tous les vassaux des USA sont dans une situation de plus en plus catastrophique et les puissants ont l’art et la manière de transformer leur apocalypse en drame bourgeois où chacun parait agir de travers comme dans une inextricable affaire de famille dans lesquelles se mêlent passion et héritage en fonction d’institutions dépassées.

La situation telle qu’elle est posée par les dirigeants de l’UE ne peut pas être résolue

« Je ne veux effrayer personne, mais la guerre n’est plus un concept du passé ». C’est en ces mots que Donald Tusk s’est adressé aux médias européens. « Elle est réelle et a commencé il y a plus de deux ans », a-t-il ajouté. 

Alors que le Kremlin accuse l’Ukraine de l’attaque djihadiste du Crocus City Hall de Moscou, Donald Tusk affirme que Vladimir Poutine « ressent manifestement le besoin de justifier des attaques de plus en plus violentes contre des cibles civiles en Ukraine » et que les dirigeants européens doivent faire « davantage » pour renforcer les défenses de l’Europe. En devant plus autosuffisante sur le plan militaire, l’Europe serait un partenaire plus attrayant pour les États-Unis, à quelques mois de l’élection présidentielle américaine. 

Ce n’est pas la première fois que M. Tusk met en garde contre une ère d’avant-guerre. Appelant à une aide militaire urgente pour l’Ukraine, il a averti que les deux prochaines années de la guerre décideraient de tout : « Nous vivons le moment le plus critique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale » étant donné que « tous les scénarios sont possibles ».

Pour résumer la situation, alors que l’Ukraine est la preuve du désastre d’une stratégie à savoir celle d’accepter de concevoir non pas l’Europe (qui va jusqu’à l’Oural) mais une UE qui se confond de plus en plus avec l’OTAN en train de financer au profit des Etats-Unis une guerre perpétuelle qui se reconvertit en économie de guerre alors même que monte (y compris en Pologne) la colère populaire.

La faillite de “la gauche” comme Tusk composée désormais de 80% de néolibéraux et 20% de fascistes prêts à la guerre “quoiqu’il en coûte” dit la faillite d’une UE qui n’a plus d’alternative crédible et est condamnée à reproduire les surenchères des représentants des Etats-Unis dans lesquelles les insultes tiennent lieu de démonstration, tandis qu’un acteur de seconde zone passe éternellement vêtu en uniforme de combat.

Les phénomènes totalement sous-estimés de cette “arrogance” et de ces défis de piliers de bistrots, entre familiers de réunions mondaines, dont on s’exclut parce qu’un tel et un tel ne se parlent plus, sont non seulement les inquiétudes, désarrois et protestations populaires puisqu’elle n’ont pas de chef admis dans le cénacle, mais le fait que d’autres foyers de guerre sont partout en gestation, en Moldavie mais aussi dans les Balkans avec des problèmes jamais résolus comme le Kosovo et la Bosnie, si le soutien de l’armée russe parait exclue, l’empoignade locale peut d’autant plus surgir que l’UE n’a plus grand chose à offrir.

Dans un tel contexte, le plus extraordinaire est la manière dont cette “propagande” a réussi à étouffer toute régulation démocratique, et même le mouvement en faveur de la paix, en réussissant à couper la protestation de classe de la question du coût de la guerre et au profit de qui était organisé le soutien aux entreprises “otanesques”. Il n’existe pas, du moins en France, mais c’est pareil dans bien des pays de l’UE, de forces politiques représentées au parlement qui contredit le discours d’un Tusk qui vient en appui des outrances d’un Kirby, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de relation dans l’expérience de ceux qui font les frais de la guerre entre leur vie quotidienne, la dégradation de celle-ci et la nécessité de l’intervention en faveur de la paix. Qu’il n’y ait plus cette soupape “démocratique” accentue le caractère parodique et “familier” de cette fin d’une classe dominante.

Le coût monstrueux des armes de ce fait échappe à la perception de celui dont les conditions de vie se dégrade, la guerre est devenu pour lui un phénomène naturel étranger à ses propres difficultés cela va avec la difficulté grandissante qu’il a à percevoir les conditions de sa propre exploitation. Rien ne parle de cela et le politique ne se distingue plus des malheurs de la couronne britannique ou de celles de nos acteurs.

Parler du triangle de “Weimar” à propos de ces dirigeants qui tentent de coaliser des pays encore plus déstabilisés et divisés qu’eux effectivement fait penser à la République de Weimar celle qui a fini par se jeter dans les bras d’Hitler…

Je voudrais simplement vous décrire ce que Brecht dit de cette république de Weimar dans laquelle se prépare l’arrivée au pouvoir d’Hitler :

N’oubliez pas que nos réunions ont lieu dans des temps obscurs. Le comportement des hommes entre eux y est particulièrement effroyable et une obscurité quasiment impénétrable a recouvert l’efficace activité meurtrière de certains groupes humains de sorte que le projet de mettre pleinement en lumière des comportements de nature sociale exige d’intenses réflexions et d’intenses préparatifs. L’oppression et l’exploitation monstrueuse de l’homme par l’homme, les boucheries guerrières et les atteintes en tous genres que la dignité humaine subit en temps de paix, tous ces actes commis à l’échelle planétaire ont déjà quasiment l’air de quelque chose de naturel. L’exploitation dont l’être humain est l’objet, par exemple, parait à beaucoup de gens aussi naturelle que celle à laquelle nous soumettons la nature ; les hommes sont considérés comme des champs ou comme des bœufs. Innombrables sont ceux à qui les grandes guerres apparaissent comme des tremblements de terre, comme si elles étaient non le fait des humains mais des forces naturelles en face desquelles l’espèce humaine serait impuissante. Le phénomène qui nous semble le plus naturel de tous, c’est la façon dont nous gagnons notre vie, la façon qu’a l’un de vendre à l’autre un morceau de savon, une miche de pain ou sa force musculaire. Il ne s’agit là, croyons-nous, que de choses qu’on échange, en toute liberté, mais tout examen plus attentif, exactement comme la terrible expérience de la vie quotidienne, révèle que cet échange non seulement s’opère entre des êtres humains mais qu’il se fait sous la domination de certains d’entre eux. Plus nous arrachons de choses à la nature grâce à l’organisation du travail, aux grandes inventions et découvertes, et plus il semble que nous soyons livrés à l’insécurité de l’existence. Ce n’est pas nous qui dominons les choses, semble-t-il, mais les choses qui nous dominent. Mais c’est uniquement parce qu’une partie de l’humanité est soumise à l’autre partie par l’intermédiaire des choses. Nous ne serons délivrés des forces naturelles que le jour où nous serons délivrés de la violence humaine. Il nous faut ajouter à notre connaissance de la nature la connaissance de la société humaine, du comportement des hommes entre eux, puisqu’aussi bien nous entendons nous servir humainement de notre connaissance de la nature. Bertolt Brecht : l’achat du cuivre, l’Arche; 1963-64, édition 1999. (pp 58.59)

Mais qu’y a-t-il de plus varié, de plus important que la fin des grandes classes dominantes ?

Il faut voir que dans ce texte Brecht s’interroge sur la représentation théâtrale dans des temps déterminés et la manière dont la dite représentation peut favoriser la prise de conscience. Il propose une méthode qui portera le nom de distanciation et qui pour l’acteur consiste à ne pas s’identifier totalement à son personnage.
Il s’agit de faire échapper le prolétaire à la mentalité petite bourgeoise : “le malheureux petit bourgeois ne découvre dans l’Histoire que des motivations semblables aux siennes”. A ce titre l’être humain est comme lui “il ne change pas” et comme il ne se fixe pas de but, il pourrait à vrai dire tout faire “le cas échéant”. Il est tout à fait comme tout le monde et tout le monde est comme lui.

Il faut au contraire faire retrouver la capacité d’étonnement, tout doit être passé au crible : les coutumes alimentaires, les traditions judiciaires, la vie amoureuse… ne pas accepter de changer comme change le galet du ruisseau que polissent les autres galets.

Brecht montre ce qui fait la force d’un Shakespeare, comment la fin des féodaux y est vu sous l’angle tragique de destins royaux et il nous invite à considérer : mais qu’y a-t-il de plus varié, de plus important que la fin des grandes classes dominantes ? Même les processus archicommuns perdent leur ennuyeuse banalité lorsqu’ils sont présentés comme des processus tout à fait particuliers. Le spectateur cesse de s’évader du présent pour chercher refuge dans l’histoire : le présent se fait histoire.

Ce qui se passe aujourd’hui doit faire l’objet de notre “étonnement” et c’est peut-être ce besoin inassouvi de comprendre les mystères du discours du pouvoir, de l’absence totale de retenue de cette classe dominante qui faute d’un Shakespeare ou d’un Brecht donne ce besoin “complotiste” des réseaux sociaux.

Danielle Bleitrach

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