Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La science ukrainienne dépérit par pans entiers, par Dmitri Rodionov

Le récit d’un pays détruit jusqu’au tréfonds de ce qu’il a pu représenter du temps de l’URSS et cette destruction n’a pas attendu la guerre, le fin de l’industrie, le potentiel scientifique et technique qui lui était attaché disparu, la guerre a à peine accéléré la fuite des cerveaux… Un pays qui ne forme plus, les fonds viennent de l’étranger et il faut plus de soldats que de scientifiques… Cela ne s’arrêtera pas avec la fin de la guerre si sa vocation otanesque est confirmée. Une histoire tragique qui n’est pas éloignée de notre propre vassalisation, un État qui nait d’ une telle corruption, une société elle-même ne peut être rien d’autre qu’une terre dévastée en profondeur. Ce texte dit beaucoup de choses sur la réalité de la fin de l’URSS, sur notre propre fin, nous qui avons perdu jusqu’au principe espérance et qui ne sommes plus capables que de haines, de lynchages. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

https://svpressa.ru/science/article/398626/

Selon une étude publiée dans la revue Humanities and Social Sciences Communications, 18,5 % des scientifiques ukrainiens ont quitté l’Ukraine dans les six mois qui ont suivi le début de l’opération spéciale. Dans leur pays d’origine, ils “comptaient parmi les chercheurs les plus actifs. Aujourd’hui, cependant, une proportion importante d’entre eux travaillent sous des contrats précaires”, note la publication.

Selon les sociologues, tous n’ont pas reçu de garanties dans les institutions d’accueil. Seuls 14 % des scientifiques partis ont signé des contrats à long terme à l’étranger. Dans le même temps, la grande majorité (87 %) pense que le fait de rester dans une institution d’accueil améliorerait leurs capacités scientifiques.

Selon les résultats de l’enquête, seuls 2,5 % du nombre total de scientifiques ukrainiens pourraient ne pas retourner dans leur pays à l’avenir. Bien que l’interaction de ceux qui sont partis avec leurs collègues restés au pays ait diminué.

Mais parmi ces derniers, environ 15 % ont quitté l’activité scientifique, beaucoup reconnaissant une réduction notable du temps de travail dans leur domaine. 23,5 % ont perdu l’accès au matériel de recherche et 20,8 % ont perdu l’accès physique à leur établissement universitaire.
Les personnes interrogées ont indiqué qu’il était “psychologiquement difficile de travailler”, ce qui implique que les activités de recherche ne sont peut-être pas aussi productives qu’elles l’étaient avant février 2022. D’autres, au contraire, ont indiqué qu’ils “se réfugiaient dans la rédaction d’articles pour s’abstraire des terribles réalités”.

Peut-on parler du début de la fin de la science ukrainienne ?

-L’Ukraine avait autrefois de nombreuses industries à forte intensité scientifique”, rappelle Vsevolod Shimov, conseiller du président de l’Association russe des études baltes. – L’exode du personnel, y compris du personnel scientifique, se poursuivait constamment à mesure que l’industrie se dégradait. La guerre n’a fait qu’accélérer ce processus.

SP : Où sont-ils partis ?

– L’Ukraine s’est systématiquement engagée dans l’intégration de sa science dans la communauté internationale, et des liens très étroits ont été établis avec les institutions européennes. En fait, tout cela a d’abord servi d’outil pour pomper les cerveaux. C’est pourquoi, je pense, de nombreuses personnes sont allées en Europe et ont essayé de s’y implanter. D’un autre côté, il est plus facile de s’adapter en Russie, étant donné l’absence de barrières culturelles et linguistiques, et il est donc certain qu’un certain pourcentage de scientifiques émigrés se sont dirigés vers nous. Je ne saurais pas dire combien.

SP : Quelle est la valeur de ce personnel ? Y a-t-il quelqu’un pour les remplacer ?

– L’exode du personnel ukrainien a été constant, conséquence de la dégradation systémique de la science et des industries qu’elle sert. D’un autre côté, la marge de sécurité était assez importante. La RSS d’Ukraine avait l’une des économies les plus intensives en sciences de l’Union soviétique. La reproduction du personnel était maintenue par inertie. Je pense qu’il y avait beaucoup de spécialistes de valeur en Ukraine, qui l’ont maintenant quittée.

SP : Combien de temps l’Ukraine va-t-elle tenir sans scientifiques ? Les ouvriers de la construction du métro sont partis – tout a commencé à être inondé. Quand l’effondrement des infrastructures, les pannes massives d’équipements, etc. commenceront-ils ? Quelles sont les autres conséquences qui menacent l’Ukraine ?

– La dégradation systémique des infrastructures est observable depuis toujours, en particulier dans les régions du sud-est, où se trouve la plus forte concentration d’industries. Des villes comme Krivoy Rog ou Dnipropetrovsk ressemblaient à Detroit bien avant le début de la SVO. Mais les infrastructures nécessaires à la poursuite du conflit seront maintenues. S’il n’y a plus de personnel local, des spécialistes étrangers seront détachés, de Pologne par exemple.

SP : Pourquoi parle-t-on soudain de la science en Ukraine ? Après que les États-Unis ont recommandé de fournir le front aux dépens de leur propre industrie de défense ?

– Je ne pense pas que ce soit la raison. Il s’agit plutôt d’une façon de pleurer auprès des sponsors occidentaux afin d’obtenir des fonds supplémentaires de leur part.

SP : Est-il irréaliste d’en former de nouveaux ? Ou est-ce simplement que l’État ukrainien n’a jamais essayé de le faire ?

– L’Ukraine est un État à la mentalité profondément provinciale et agricole. La science qu’elle a héritée de l’URSS était profondément superflue pour elle. Aujourd’hui, c’est un État zombie, qui existe aux dépens d’un soutien artificiel de l’extérieur. Dans ces conditions, il n’y a rien à dire sur la science ukrainienne.

***

– Commençons par le fait que les scientifiques quittaient l’Ukraine bien avant l’opération spéciale”, déclare Ivan Mezyukho, politologue et président du Centre d’éducation politique. – Pendant toute la période de l’indépendance, il y a eu une fuite des cerveaux. En outre, depuis de nombreuses années, des fondations et des structures occidentales telles que le programme Fulbright travaillent avec la communauté universitaire ukrainienne. Lorsque j’étais étudiant dans une université de Crimée (pendant la période ukrainienne), j’ai eu l’occasion d’observer comment les programmes occidentaux, les fondations et les ONG récompensaient les scientifiques de la sphère humanitaire par des bourses, des voyages en Europe et aux États-Unis, et qu’ils devenaient à leur tour leurs apologistes. Les hostilités n’ont donc que légèrement augmenté le pourcentage de scientifiques ukrainiens quittant l’Ukraine, ce qui était déjà observé depuis de nombreuses années.

SP : Un cinquième, c’est beaucoup ? Ceux qui sont partis ne reviendront-ils pas ? Et va-t-on en recruter de nouveaux ?

– Il est peu probable que ceux qui sont partis reviennent tous. Et tout pourcentage de scientifiques quittant l’Ukraine est tangible pour l’Ukraine. La formation de nouveaux scientifiques est un processus long et à forte intensité de main-d’œuvre.

SP : De quelles branches scientifiques s’agit-il, selon vous ?

– Les techniciens sont partis dans les années 90. Ceux d’aujourd’hui sont probablement dans les sciences humaines.

SP : Où vont-ils ? En Russie ? Aux États-Unis ? En Europe ? En Chine ? L’État essaie-t-il de les retenir d’une manière ou d’une autre ?

– L’Occident et la Russie sont les principaux débouchés. La communauté universitaire ukrainienne n’a pas de liens importants avec la Chine.

Et ensuite, pourquoi l’Ukraine aurait-elle besoin d’universitaires aujourd’hui ? L’industrie est au point mort. Il n’y a pas de perspectives de vie pour les jeunes. Cette entité étatique est gérée et financée de l’extérieur. L’Occident a besoin de soldats ukrainiens, pas d’étudiants diplômés ni de scientifiques.

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