Il m’a été refusé la capacité d’entendre, sans être sourde, la musique est pour moi un angoissant bruitage ou un vague divertissement, je sais que je n’entends pas parce que je sais qu’il y a des gens qui bien que non aveugles ne voient pas. D’où le sentiment d’être devant un mystère face au drame vécu par des auteurs interprètes comme Gainsbourg et ici Guy Marchand devant leur succès une chanson devenue une scie. Mais je sais que cette insatisfaction est très loin de ce qui était fondamental pour Hans Eisler ou le français Jean Wiéner. Lors de la célébration des 50 ans du parti j’étais aux côtés d’Aragon, un peu plus loin il y avait Jean Wiéner, un petit homme modeste qui n’osait pas le déranger et le regardait avec amour. Vous ne savez peut-être pas de qui il s’agit c’est un compositeur et pianiste français qui est l’auteur de plus de 350 musiques de films pour le cinéma et la télévision (histoires sans paroles) et qui a œuvré pour populariser Poulenc et Eric Satie autant que le jazz. A travers cet homme et d’autres s’est dessiné le rôle du parti communiste tel que je l’ai connu, son intervention dans le cinéma, la photographie, la peinture, les arts de la mode, l’architecture mais aussi les objets du quotidien, dans la littérature, le spectacle vivant. Il ne prétendait pas flatter les artistes, en faire des courtisans à la mode Jack Lang, attendre d’eux leur soutien politicien, il leur proposait de participer à la démocratisation de la culture, pas seulement donner mais recevoir. Cette démocratisation de l’art, de la science, du sport, de la culture, a existé grâce à des gens comme Wiener dans le domaine musical, mais on retrouve la même démarche dans le sport, dans la connaissance scientifique, il s’agissait de développer partout une relation entre la classe ouvrière, les couches populaires à la fois savante et émotive, de spectateur et d’acteurs, en donnant le moyen à chacun d’accéder à la plus haute expression, à la connaissance des œuvres et à la pratique, de l’enfance à la vieillesse. Ce rôle était justement de travailler à la fois dans le domaine de la création la plus exigeante et dans l’expression la plus populaire, d’y trouver une sorte d’enfance et de plaisir à faire. Le conformisme capitaliste, la marchandisation au contraire accroit le gouffre qu’il construit entre l’expression populaire et la création dans son renouvellement perpétuel. Cela ne peut que développer cette étrange malédiction à l’œuvre dans la mélancolie de Guy Marchand, mais aussi cette forme d’autodestruction dont est sensé se nourrir le génie et qui donne lieu à des cultes autant qu’à des lynchages après “cuites”. Il est peu probable que le socialisme en tant que transition supprime ce phénomène de la malédiction prométhéenne. Maiakovski et Vladimir Vyssotski sont là pour en témoigner, surtout si comme ce dernier (et comme Maradonna) les mafias occidentales créent leur addiction. Mais il met au cœur du drame individuel un dépassement qui va plus loin que l’ignominie autour des lynchages actuels dans lesquels se révèlent la profonde corruption des institutions culturelles. Bref il me semble que tout cela reste à creuser. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Vladimir Cosma, ici chez lui en 2022, avait composé la musique de « Destinée », chantée par Guy Marchand, pour « Les Sous-Doués en vacances ». LP/Jean-Baptiste Quentin© Jean-Baptiste Quentin… Mais cette parodie du tango exprime plus sans renoncer au burlesque : je me souviens de cette amie cubaine dansant la rhumba, symbole de la soumission de le femme à l’homme, et au moment où le cavalier va jusqu’à passer sa jambe au dessus de la femme ployée qui doit lui laver son petit foulard, le couple alors au comble de la sensualité mon amie a pris le mouchoir et est allée le jeter dans la machine à laver en inversant les rôles dans la danse… En riant aux éclats en proclamant “ça c’est le socialisme ! “La féminité du danseur de Tango est tout aussi manifeste et personne ne peut ne pas se sentir concerné par cette ambiguïté, ne pas en rêver…
Guy Marchand a sorti une douzaine d’albums studio, de « Je cherche une femme », en 1969, au tout dernier, « Né à Belleville », en 2020. Mais s’il ne reste qu’un titre de l’artiste décédé ce vendredi à 86 ans, ce sera « Destinée », que l’on danse dans les mariages et chante dans les fêtes. Créée en 1982 pour le film « Les Sous-Doués en vacances » de Claude Zidi, la chanson a connu un succès fulgurant, qui a encore bondi grâce au « Père Noël est une ordure », sorti quelques mois plus tard, et au slow mythique entre Christian Clavier et Thierry Lhermitte.
Guy Marchand en avait coécrit les paroles avec Philippe Adler sur une musique de Vladimir Cosma, qui voulait recréer l’atmosphère de « L’Été indien » de Joe Dassin. « C’est son plus grand succès de chanteur, mais il ne l’a jamais assumé, regrette le compositeur, joint peu après la disparition du comédien. Il a accepté de la chanter dans les Sous-Doués car Claude Zidi et moi la voulions absolument. Mais elle était trop variété pour lui. Lui préférait le jazz, le blues et le tango, faire le crooner. »
« On aurait dit qu’il en voulait à cette chanson qui lui collait à la peau. Dans mes concerts, il n’a jamais voulu la chanter. Même dans les siens, il ne voulait pas, se rappelle-t-il. La dernière fois que je lui ai parlé, je voulais le faire revenir sur scène, mais je n’avais pas réussi. Quand j’ai fait Le Grand Rex, en juin dernier, je n’ai jamais pu le joindre. Peut-être était-il déjà malade… »
« Il n’était pas conventionnel »
« C’était un homme un peu spécial, étrange, brillant, qui a fait une carrière à part, ni à 100 % accompli comme comédien, ni à 100 % accompli comme musicien, estime Vladimir Cosma, 83 ans. Il n’était pas conventionnel, c’est pour cela qu’il n’est jamais devenu une vedette de la chanson. C’était à l’origine un chanteur et un musicien de jazz. Il était clarinettiste, jouait un peu d’accordéon. J’appréciais ses qualités, mais ce n’était pas mon univers musical, pas ma famille. Je garde de lui le souvenir un peu attendri d’un personnage qui donnait l’air d’être léger et amusant alors qu’une grande tristesse ressortait de lui quand on le connaissait profondément. »
« Les Sous-doués » n’ont pas été leur unique collaboration. « Nous avons pas mal travaillé ensemble, se souvient le compositeur à succès (« La Boum », « Rabbi Jacob », « Diva »…). On a fait trois films pour Gérard Lauzier, qui est à l’origine de notre rencontre : Le Plus Beau Métier du monde, P’tit con et La Tête dans le sac. Guy Marchand y avait le rôle principal et interprétait la chanson du film. Sans oublier L’Homme de Suez, une série télévisée sur la vie de Ferdinand de Lesseps. Il était encore bluffant de naturel et de richesse de jeu. »
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La dernière fois que j’ai vu Jean Wiéner ce fut lors d’une fête de l’Huma. A la sortie d’un des parkings il pilotait sa voiture et semblait regarder la route sous l’arc supérieur du volant.
Au conservatoire Jean Wiéner de Noisy-le-Sec je fus élève trompettiste (tardif après avoir débuté 25 ans plus tôt) de son petit-fils Jean-Christophe auquel son père, Stéphane, altiste à l’Opéra, fils de Jean, avait interdit la pratique de la musique sous prétexte que ce n’était pas un métier ou quelque chose du genre. Jean-Christophe par l’intermédiaire de son grand-père se mit à la musique , mais seulement vers l’âge de 18 ans.
Jean-Christophe me dit un jour que son père Stéphane avait pu échapper à la rafle du Vel d’Hiv’ parce qu’un flic était venu le prévenir.