Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Un no man’s land dans lequel il n’est pas facile d’avoir un langage commun

Il a existé longtemps un no man’s land c’était celui du rideau de fer fait de barbelés, de miradors… dans lequel s’est longtemps déployé un imaginaire politique. Un autre no man’s land a surgi, il n’y aurait pas d’alternative mais de la non existence… La manière dont les problèmes sont alors posés dans cet “espace” politique, génèrent pour moi un désintérêt croissant. Les propos sont étrangers à tous les possibles que je perçois et qui me paraissent les seuls sujets susceptibles de créer des coopérations collectives. La politique est encombrée de ruines, celle du 11 septembre ? Prenons la question récente autour de laquelle vous étiez sommés de vous positionner ? Le Hamas est-il une organisation terroriste? … Vu ce qu’est la notion de “terrorisme” dans son utilisation actuelle, la question interdit toute action. Est-ce que pour autant j’approuve le hamas ? La gauche, le “progressisme” auquel on m’invite ne me concerne pas plus. Pourtant je perçois avec acuité les trajectoires individuelles, ce qui les fait échapper ou tenter d’échapper à ce blocage… Est-ce que je suis une vieille stalinienne incapable d’évoluer comme on me le répète depuis une trentaine d’années ou est-ce qu’au contraire il y dans ma société française une incapacité totale à penser la réalité d’aujourd’hui, celle qui conditionne la plupart de nos investissements politiques, mais mêmes relationnels ? Voilà je voudrais vous parler de ces mots qu’il faut vaincre, dépasser pour entamer un dialogue comme ce soir-là avec Pinar Selek.

L’art de créer de faux problèmes pour éviter de régler ceux auxquels nous sommes confrontés. Excusez ce long détour par la notion de terrorisme…

Le terrorisme et surtout la constitution de la liste des organismes, voire de pays entiers considérés comme terroristes est devenu un simple instrument politique des gouvernements occidentaux derrière les Etats-Unis. Dès la chute de l’URSS, ils en ont fait la base de coalitions dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles n’avaient rien de vertueuses. Mais l’événement qui entraîna la multiplication de formes juridiques de désignation comme “terroriste” furent les événements du 11 septembre. Le premier celui du 11 septembre 1973 du Chili donna lieu à une contrerévolution libérale dans laquelle l’Etat devint le symbole du “totalitarisme” et le libéral libertaire anticommuniste se substitua à tout autre forme de dénonciation de “la domination”. Le second 11 septembre 2001 avec l’effondrement des tours à New York donna un visage à l’ennemi encore un peu confus. Les deux textes majeurs qui instituent ou renouvellent de tels instruments dans le cadre de l’ONU avec la résolution 1373 (2001) 3 ou dans celui de l’Union européenne avec
la position du Conseil 2001/931/ PESO4. Il est impossible de se référer au “terrorisme” sans prendre en compte ce contexte et la manière dont il a influencé notre perception de la réalité des périls hier comme aujourd’hui.

Au fur et à mesure que le monde de paix qui nous avait été promis avec la chute du mur de Berlin s’est avéré de plus en plus insécurisé et pas seulement sur le plan de la violence non légitime, mais bien sous tous les aspects de la vie sociale, cette notion de terrorisme a été proclamée comme l’ennemi universel mais une telle proclamation est apparue de moins en moins efficace, alors même que toutes les institutions, toutes les représentations du moins en occident lui étaient subordonnées. Des listes étaient établies dont la vocation officielle était de peser sur “les financements du terrorisme”. Ce qui est devenu son apparent contraire des circuits officieux, gérés de fait par la CIA dans lesquels l’argent de la drogue, celui des trafics pétroliers alimentaient de fait les filières de groupements désignés ou non comme des trafiquants d’armes pratiquant des activités qui relevaient moins du politique que de l’extorsion de fonds. Comme nous l’analysons aujourd’hui à travers le cas du pétrole syrien piqué par les Etats-Unis pour alimenter des réseaux pas seulement kurdes mais bandéristes, en armes.

Quand on mesure que le consensus international autour de cette désignation permet d’y inscrire Cuba alors que les Ouïghours islamistes bénéficient de campagne de promotion jusqu’au congrès du PCF on se demande jusqu’où va le degré de confusion concernant ce terme. Quand on mesure également que sans la moindre connaissance du dossier ukrainien, sans s’interroger le moins du monde sur le non respect des accords de Minsk, sur ce qui se passait dans le Donbass, le secrétaire du PCF, Roussel avait proposé illico la mise en place du gel des avoirs russes ce qui est exactement la politique qui s’est développée depuis cette “universalisation” du terrorisme et de la substitution du “mal” à l’exposé des causes et conséquences de guerres. Combien il faut qu’aujourd’hui Roussel fasse au rythme des événements sa propre formation, la découverte des méfaits de l’impérialisme…

Cette notion de terrorisme coïncide avec une vision mafieuse de l’ordre international où celui qui est devenu de fait l’unique dépositaire du pouvoir de nuire tant sur le plan militaire que sur celui économique s’arroge les fonctions de juge, de missionnaire, et de policier tout en étant fondamentalement un gangster en train de piller sans foi ni loi ceux qu’il réduit a quia.

C’est dire si le débat récent à savoir si le Hamas est oui ou non un terroriste face à la victime israélienne me parait sinon dénué d’intérêt à tout le moins peu susceptible de générer des solutions. Autre chose est l’appréciation de l’action du Hamas qui peut elle être jugée à l’aune d’autres critères : il y a bien sûr l’attaque de populations civiles et de ce point de vue on doit être résolument contre mais en ce qui concerne tous les protagonistes. En se disant que quand on accepte de fabriquer des bombes ce n’est pas nécessairement dans le souci du tri sélectif… Il y a d’autres critères : le non respect systématique de ce qu’a été officiellement la création de l’Etat d’Israël, les résolutions de l’ONU et plus récemment le pacte d’Oslo qui a été un piège indigne (comparable à la promesse de dissolution de l’OTAN à la fin du pacte de Varsovie ou aux accords de Minsk non respectés) qui a détruit l’autorité palestinienne. Que le Hamas soit comme Daech la créature des gouvernants israéliens est déjà une autre piste sur la nature de ce qui était recherché et l’est toujours par l’extrême-droite israélienne mais aussi son parrain étasunien, il s’agit de viser l’Iran comme dans la nazification de l’Ukraine est recherché l’affaiblissement de la Russie pour mieux atteindre le véritable adversaire la Chine. Le contexte précis est celui de la tentative de la part des États-Unis de se substituer à l’accord Arabie saoudite et Iran avec la médiation chinoise, de créer les conditions d’une rupture et de division au sein des Brics avec le “pacte Abraham” dans lequel les Palestiniens étaient définitivement sacrifiés.

C’est en fonction de cette situation qu’il faut juger de l’action du Hamas et mesurer la réalité de ce que cette organisation a choisi. Personnellement à mon niveau d’analyse je suis en désaccord non seulement parce qu’il y a sacrifice de population civile israélienne mais parce qu’il y a le choix cynique du sacrifice de la population de Gaza. Mais la colère des masses arabes, musulmanes et au-delà, est telle que cette tactique réussit du moins dans un premier temps. Elle réussit parce que, non sans raison, ces masses attribuent ce massacre programmé à une politique beaucoup plus globale et qu’elles dénoncent légitimement. Il n’empêche en tant que communiste je ne suis pas d’accord sur une telle utilisation non seulement sur ses aspects humains et moraux mais quant à ses résultats réels. Ma seconde réserve tient au fait que ce n’est pas un hasard si comme Daech, les Ouïghours ou les talibans leur création est l’œuvre des Etats-Unis dans leur lutte contre le socialisme, ce sont de violents anticommunistes que l’impérialisme a favorisés plutôt que de voir se développer un mouvement réellement progressiste proche des communistes. C’est le cas également si l’on considère l’Iran et tout ce qui se passe en Afrique, par exemple au soudan, les dévoiements du printemps arabe. Ma troisième réserve tient au fait que les Etats-Unis et Netanayoun veulent du conflit avec l’Iran et cherchent à l’attirer dans le piège et je n’arrive pas à comprendre pourquoi le Hamas a joué à ce jeu-là. Tout ce questionement est politique et ne joue pas à créer des leurres sur lesquels on excite la haine et la peur des peuples. D’où ce sentiment de ne plus avoir de débat politique avec personne. Ce no man’s de la raison…

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Pinar Selek

Pourtant il ne faudrait pas rater toutes les opportunités… Dans un monde que l’on a contraint à tout penser en terme de TERRORISME…

L’aspect positif de la situation est néanmoins le changement du contexte géopolitique international, si pendant plus de trente ans tous nos efforts paraissaient se retourner contre nous, la situation est en train de changer et partout elle se retourne contre les Etats-Unis et leurs alliés, si nous sommes en capacité d’imposer la paix – l’attitude des Chinois est une des meilleures garanties dans ce domaine- il peut y avoir une accélération telle qu’elle empêchera de plus en plus les guerres par procuration.

Mais cela suppose une autre perception des enjeux et de ce point de vue je suis de plus en plus pessimiste sur la vision dominante en France, l’absence de fait de l’influence politique d’un parti communiste, le goût des leurres, l’art de se jeter dans tout ce qui est secondaire avec la meilleure volonté du monde.

Et pourtant à ces accès de pessimisme succède le sentiment de vivre dans un réseau invisible dans lequel des rencontres, des propos témoignent de la compréhension instinctive de solutions d’une grande simplicité. Comme quand Hamid m’a déclaré : ne te fais pas de souci entre les Palestiniens et les Israéliens tout s’arrangera si on vire les Américains. Ça c’est arrangé pendant des siècles, il n’y a pas de raison pour que cela ne continue pas.

Les expériences se multiplient sans doute parce que je les guette. Je voudrais pour terminer ce constat aboutir à la description de ce qui s’est passé lors d’une conférence qui a eu lieu à Marseille, autour d’un femme très sympathique et aussi courageuse que talentueuse qui est Pinar Selek, et qui était invitée à la librairie des éditions des femmes dans le 7e arrondissement à Marseille.

Pinar Selek est née en 1971 à Istanbul, elle est sociologue, féministe et pacifiste, un tantinet anarchiste. Elle a orienté ses travaux sur les minorités et les exclus de la société turque. Elle a été accusée à tort d’un attentat en sympathie avec les Kurdes et les Arméniens et sa vie est encore aujourd’hui gouvernée par cette accusation sans preuve pour laquelle elle a déjà été torturée et fait de la prison.

Franchement Pinar est l’individu le plus généreux, le plus chaleureux qui se puisse imaginer et nous nous sommes juré en nous quittant devant le rideau fermé de la librairie l’amitié éternelle de deux femmes qui ont eu le don de se retrouver prises dans des répressions imbéciles, ne supportant pas l’autoritarisme et le pouvoir… Dans la salle il y a avait bon nombre de gens de la culture marseillaise, ceux avec qui jadis j’ai mené des combats pour la démocratisation et l’excellence de la dite culture…

Oui mais cela étant dit je ne pouvais pas adhérer ni à leur vision du monde ni à celle de Pinar…

En tant que sociologue, le collectif et ses rites populaires, étaient l’ennemi auquel on attribuait “le pénis étatique” pour former des tas de petits pénis dont la vocation était de rendre la vie impossible aux femmes, aux homosexuels et aux minorités en général. Je n’ai pu m’empêcher de lui faire remarquer que le collectif n’était pas qu’oppression mais aussi émancipation. Marx montre à quel point le passage par l’usine des femmes et des enfants est terrible mais il est aussi libération. Que si au lieu de partir de l’institution militaire, on saisissait la condition féminine dans les ateliers de confection et même à partir de la paysannerie on pourrait voir d’autres effets y compris au cœur de la pire des aliénations. Comme dans le film finlandais dont j’ai fait récemment la critique “les feuilles mortes”.

Pinar avec un grand et lumineux sourire m’a répondu qu’elle ne s’estimait pas sociologue, ça aussi c’est à la fois vrai et un art de s’émanciper des contraintes pour ne plus que revendiquer la sensibilité et une certaine conception de la “justice” qui ne s’encombre plus de politique.

Il y a dans cette vision de l’Etat identifié à la domination masculine une dérive libérale libertaire que l’on peut interroger tout en reconnaissant la filiation avec l’excellent “origine de la famille, de la propriété et de l’Etat d’Engels”. A cela s’ajoutait le fait que Pinar Selek, qui avait terminé son exposé par un appel au soutien aux malheureux Palestiniens de Gaza, ne voyait pas à quel point les amis Kurdes et Arméniens s’étaient en fait retrouvés embringués dans le camp des Etats-Unis, celui des Bernard Henry Levy, celui de la guerre. Comment ils s’étaient coupés du peuple qui lui se reconnaissait plus dans Erdogan, ce qui était tout de même un drame…

Quand je suis intervenue dans cette salle, j’avais le sentiment de risquer le lynchage tant tous ces gens étaient persuadés d’être du bon côté de la barricade… et pourtant là encore j’avais à la fois tort et raison, ils savaient que tout cela ne pouvait durer…

La jeune femme qui m’avait accompagnée à cette conférence était elle-même en pleine rupture dans sa vision du monde, après un covid long, elle était une de ces jeunes femmes que je ne cesse de rencontrer : elles ne peuvent plus poursuivre comme avant, épuisées et fortes elles sont comme des enfants, comme des animaux qui ont perdu leur carapace… Mais elles sont déterminées, ce qu’elles recherchent c’est une expérience d’intransigeance dont elles sont le but et le moyen… et j’ai retrouvé en elle ce que je découvre chez les gens de son âge, une disponibilité pour un travail auquel elle se livre dans l’angoisse, la solitude, celui de tenter de faire coïncider son expérience sensible avec des mots, des gestes, qui soient une vérité pour elle et les autres. J’ai été fière de ces femmes-là et de leur manière de tenter de reconstruire.

Comment tenir compte de cette dislocation, pour y réintroduire du sens celui de ce monde en train de naitre ? si ce n’est en acceptant les règles de la pédagogie : enseigner et se laisser enseigner sans la moindre complaisance, ne pas chercher à plaire, à l’emporter mais dire ce que l’on croit juste… je resterai “stalinienne” puisque c’est ainsi qu’ils définissent mon expérience mais toujours plus avide d’autres expériences…

C’est à l’agir de déclencher un processus dit Pinar Selek, c’est vrai et l’agir vous révèle les points de l’intervention nécessaire… peut-être que c’est là que nous pouvons nous retrouver, si l’on veut bien admettre qu’il n’y a d’agir que si on intègre un collectif avec des buts et en les confrontant avec la réalité des effets.

J’aime ce moment où dans son livre (parce qu’ils sont Arméniens) elle proteste face à un donneur de leçon qui explique que les Arméniens ne peuvent pas être une nation, ils ne parlent même pas la même langue dit son interlocuteur, je connais bien cette insupportable arrogance : allons tu n’es pas juive, tu ne crois en rien, les juifs ne sont pas un peuple…

Et je ressens pour l’avoir éprouvé cette rage devant l’antisémitisme mondain et “gauchiste” utilisant un Shlomo Sand quitte à ne pas voir l’aspect grotesque de celui qui produit pavé sur pavé pour dénoncer son appartenance à ce qui n’existe pas. Ce comportement du “savoir” utilisé, instrumentalisé pour faire taire avec des arguments sans preuve comme Bernard Henry Levy, Michel Onfray, Dieudonné et Soral… mobiliser tous les obscurantismes pour nous nier, c’est vrai que c’est une expérience de femme.

Les cas de la Colombie et de la Turquie sont à cet égard éclairants. Le fait que des rebellions intérieures comme le FARC ou le PKK, sans préjuger de leur action, soient inscrites sur ces listes de terroristes les exclut de facto du champ politique et donc d’un dialogue nécessaire pour assurer la paix. En faisant du Hamas que l’on a créé un terrorisme, mais aussi de Barghouti que l’on prétend exclure de fait les Palestiniens qui n’en sont pas réduits à la déconsidération de l’autorité palestinienne des gens hors du champ politique. C’est la même opération que tentent les antisémites faussement “radicaux” à la Shlomo Sand, qu’ils soient au moins plus francs dans leur projet.

Pinar Selek en déduit que l’Etat turc est l’ennemi, celui qui comme Israël aujourd’hui ne tire aucune leçon de la souffrance d’être nié et elle se dresse devant lui avec courage… Elle a oublié qu’il y a d’autres expériences d’Etat y compris l’URSS, parce que cette expérience-là a besoin d’être travaillée… ce que proposent la Chine, Cuba, je regarde autour de moi ce qui a réellement transformé la condition humaine, dans le sens où de plus en plus de gens ont bénéficié de l’éducation, de la santé, d’une civilisation, et c’est de ce côté-là que sont les faits. Ces deux femmes, Pinar Selek et la jeune femme qui m’avait accompagnée oubliaient ou ignoraient les nouveaux rapports de force mais on peut peut-être se parler. Je n’ai rien d’autre à leur proposer mais ça en vaut la peine…

Danielle Bleitrach

(1) Pinar Selek Parce qu’ils sont Arméniens, Editions Liana Levi, 1 place Paul Painlevé (12e)

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