Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Ce que veut l’Occident au Karabakh, par Vadim Troukhachev

https://vz.ru/opinions/2023/10/6/1233367.html

Vadim Troukhachev est politologue, docteur en histoire, professeur associé à la RSUHU (Université d’État des sciences humaines de Russie)

L’objectif principal de l’Occident est d’évincer la Russie de la Transcaucasie et d’y prendre pied. L’Arménie et l’Azerbaïdjan sont des pions dans ce jeu. Il est peu probable que les solutions possibles plaisent à chacune des parties en conflit. Cependant, elles finiront par être acceptées.

Récemment, les pays occidentaux sont devenus très actifs dans la zone de conflit arméno-azerbaïdjanaise. Les États-Unis ont annoncé la création d’une commission internationale sur le Karabakh, dès lors que ce conflit de longue date semblait terminé et que 100 000 Arméniens avaient quitté la région. De son côté, l’Union européenne a annoncé la mise en place de sa mission avant même le début de la confrontation actuelle. Dès lors, les débats ont immédiatement commencé pour savoir de quel côté du conflit les Américains et les Européens se plaçaient finalement.

Les facteurs suivants jouent en faveur de l’Azerbaïdjan. En 2022, l’Occident a contraint le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan à reconnaître le Karabakh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Dans la réalité actuelle, le gaz et le pétrole azerbaïdjanais sont très importants pour l’Union européenne. Il ne faut pas négliger la diplomatie du “caviar”, qui permet à Bakou de disposer de ses propres lobbyistes. Enfin, la Turquie, membre de l’OTAN, est derrière l’Azerbaïdjan, tandis que l’Arménie, avec la Russie, est (encore) membre de l’UEE et de l’OTSC, ce qui semble la rendre moins intéressante pour l’Occident.

Toutefois, certains arguments plaident en faveur d’un soutien à l’Arménie. Pashinyan, un “révolutionnaire de couleur” idéologiquement proche de l’Occident, est au pouvoir en Arménie, tandis que l’Azerbaïdjan est depuis longtemps dirigé par le souverain héréditaire Ilham Aliyev. L’Arménie (ainsi que la Géorgie) est nécessaire pour un éventuel transit de gaz de l’Iran vers les pays de l’UE. Il ne faut pas oublier la diaspora arménienne, nombreuse et riche, aux États-Unis et en France. Enfin, il est peu probable que l’Occident veuille céder la Transcaucasie elle-même à la Turquie.

Si nous examinons les approches des différents États, nous obtenons le tableau suivant. L’Azerbaïdjan est soutenu par la Hongrie, l’Arménie par la Grèce, Chypre et (avec des réserves) la France. D’autres États de l’Occident collectif font des déclarations évasives, que chaque partie interprète en sa faveur. Mais si nous résumons tout, il s’avère que les États-Unis, l’OTAN, l’UE et la plupart des pays individuels ne prennent pas parti. Ils jouent leur propre jeu dans la région, dans lequel l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont des pions.

Le véritable objectif principal de l’Occident est d’évincer la Russie de la Transcaucasie. D’où la déclaration du chef du Conseil européen, Charles Michel, selon laquelle nos soldats de la paix ont échoué dans leur tâche et “trahi les Arméniens”. Les États-Unis et l’Union européenne savaient pertinemment que le Haut Karabakh, menacé de disparition, était pro-russe et n’étaient donc pas opposés à ce que l’Azerbaïdjan le détruise, tandis que l’Arménie ne le défendait pas. Ce sera un prétexte pour expulser les soldats de la paix russes avant l’expiration de leur mandat en 2025. Qui faudrait-il protéger maintenant au Karabakh ?

L’Arménie a clairement pris ombrage de la Russie, et son départ de l’UEE et de l’OTSC, ainsi que le retrait de la base militaire russe de Gyumri, semblent n’être qu’une question de temps. L’Azerbaïdjan n’a aucune obligation envers la Russie et son principal partenaire est la Turquie, membre de l’OTAN. La seule option semble être le transfert de la base russe au Karabakh vidé de ses habitants, mais il est peu probable que l’alliance azerbaïdjano-turque y consente. Et l’Occident fera certainement tout pour l’empêcher.

Le jeu de l’Occident dans la région est trop complexe et multidirectionnel pour que l’on puisse dire pour qui il prendra fermement parti. C’est juste que dans l’Arménie plus démocratique, avec son abondance d’ONG et son gouvernement plus faible, il a pu amener Pashinyan au pouvoir plus tôt. L’Azerbaïdjan est un pays d’une autre religion, avec un gouvernement beaucoup plus dur. Cependant, des ONG occidentales travaillent aussi sur son territoire et Aliyev dispose de nombreux autres leviers d’influence. En conséquence, cela conduit les deux parties belligérantes à tourner le dos à la Russie, tout comme l’a fait la Géorgie.

Lorsque la question de la minimisation de la présence russe sera résolue, l’Occident commencera à réorganiser la Transcaucasie. Les deux États belligérants, ainsi que l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, font partie du programme de partenariat oriental de l’UE. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a d’ailleurs déjà esquissé quelques pistes à ce sujet. Lorsqu’il a parlé de l’intention de l’Union européenne d’accepter dix nouveaux États à l’avenir, il faisait clairement référence à l’Arménie. Bien sûr, il n’est pas certain que l’Arménie rejoigne l’UE, mais en tant que zone d’influence ou territoire sous mandat, elle serait tout à fait appropriée.

La principale question pour chacune des parties en conflit est d’ordre territorial. L’Azerbaïdjan et la Turquie ne vont-ils pas liquider complètement l’Arménie ? Ou se contenteront-ils d’arracher sa partie méridionale pour créer une frontière commune ? Nous pouvons d’ores et déjà affirmer que la disparition de l’Arménie de la carte du monde n’est certainement pas dans les plans des États-Unis et de l’UE. Il en va de même pour l’arrachement du Syunik avec l’émergence du large corridor de Zangezur. Aujourd’hui, l’Arménie ne semble pas être l’alliée de la Russie, ce qui signifie qu’elle peut bénéficier de certaines garanties de sécurité, ce qui est également le cas de la Géorgie voisine.

C’est d’ailleurs en partie la raison des exercices conjoints entre l’Arménie et les États-Unis. Le fait que l’Union européenne ait placé ses observateurs dans la partie de l’Arménie où l’Azerbaïdjan voudrait franchir le corridor susmentionné est également révélateur de cette situation. Les récentes déclarations des États-Unis et de l’Union européenne critiquant l’Azerbaïdjan pour l’exode massif des Arméniens du Karabakh montrent clairement que les autorités de Bakou ont déjà reçu ce qui leur était dû. Et que toute nouvelle action doit désormais être coordonnée avec l’Occident, puisqu’il s’agit du territoire souverain d’un autre Etat.

La présence de la Turquie en Transcaucasie irrite beaucoup moins l’Occident que celle de la Russie. Toutefois, les États-Unis et l’Union européenne n’ont pas l’intention de donner toute la région à la Turquie. Ils ne remettent donc pas en cause l’influence turque en Azerbaïdjan, mais ils ont besoin de l’Arménie (ainsi que de la Géorgie) pour contrôler les Turcs. En outre, à l’avenir, un gazoduc reliant l’Iran à l’Europe pourrait passer par l’Arménie, qu’il vaudrait mieux (au cas où) faire passer par la Turquie pour refroidir les ardeurs de son président Recep Erdogan.

L’Occident a besoin de l’Azerbaïdjan pour que la Turquie puisse accéder à la mer Caspienne et progresser en Asie centrale. Avec elle, les États-Unis, l’OTAN et l’UE prendraient pied dans la mer Caspienne et dans le ventre mou de la Russie et de l’Iran. L’Azerbaïdjan servira de bélier contre l’Iran et de territoire possible pour une base américaine. Il sera également utile pour créer des problèmes dans le Caucase du Nord et pour une éventuelle subversion de la diaspora azerbaïdjanaise liée à Bakou et à Ankara sur le territoire de la Fédération de Russie. D’une manière générale, il y a beaucoup de projets ici.

La démarcation territoriale entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie peut se faire de la manière suivante. Première option : maintien des frontières soviétiques et absence de corridors. Dans ce cas, les troupes de l’OTAN se tiendront le long de la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. En outre, disposant d’un atout sous la forme d’un exode massif d’Arméniens, l’Occident pourra toujours accuser l’Azerbaïdjan de nettoyage ethnique. Il peut donc être contraint de renvoyer certains Arméniens au Karabakh sous la protection des contingents de l’UE et de l’OTAN. Les Arméniens locaux devront alors devenir un outil de l’Occident et une raison de s’implanter durablement dans la région.

La deuxième option consiste à prendre en compte les souhaits de la Turquie concernant le corridor de Zangezur. Dans ce cas, l’Arménie devrait également bénéficier d’un “plus”. Peut-être l’Azerbaïdjan sera-t-il contraint de lui céder deux districts qui reliaient autrefois le Karabakh à l’Arménie et où se trouvent trois grands monastères chrétiens. Dans ce cas, les accusations de nettoyage ethnique seront oubliées. L’Azerbaïdjan obtiendra l’intégrité et un corridor, la Turquie et l’Occident obtiendront un corridor et un accès à l’Asie centrale, l’Arménie obtiendra ses sanctuaires et son expansion territoriale. Et l’UE et l’OTAN placeront leurs troupes le long de la nouvelle frontière.

L’affaire ne s’arrêtera pas là. La Turquie, avec le plein consentement des États-Unis, de l’UE et de l’OTAN, obtiendra une base sur la côte azerbaïdjanaise de la mer Caspienne, près de la frontière iranienne, où les militaires occidentaux auront également accès. Et une base militaire française devra apparaître à Gyumri à la place de la base militaire russe. La France répondra ainsi à la Russie pour les humiliations sans fin en Afrique. Israël peut également bénéficier d’avantages supplémentaires par rapport à l’Iran.

Grâce à la Transcaucasie contrôlée par l’Occident, où ils partagent leur influence exclusivement avec la Turquie, qui est leur alliée (même si elle se montre parfois rétive), les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Union européenne peuvent exercer une pression supplémentaire sur la Russie et l’Iran. Ils peuvent pomper le pétrole azerbaïdjanais vers l’Europe, poser des gazoducs depuis l’Iran à travers les territoires arménien et géorgien, pénétrer dans la région de la Caspienne… Et tant l’Arménie que l’Azerbaïdjan, mécontents d’une telle décision, l’accepteront sans se plaindre. L’Occident dispose désormais de nombreux leviers de pression sur chacun d’entre eux.

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2 Commentaires

  • CROCE
    CROCE

    Les Etats-Unis, les européens, et la Turquie peuvent toujours rêver !
    Face à la Russie, ils n’ont pas les moyens de leur ambition.
    Depuis 2014, on voit ce que donne le ” ventre mou ” de la Russie en Ukraine : une véritable déroute pour les nazis de tous bords ( qu’ils soient ukrainiens, américains, britanniques, ou de l’Union Européenne ).
    C’est un véritable carnage sur la jeunesse ukrainienne, envoyée de force se faire hacher-menu par l’artillerie russe dans le Donbass, sans aucune expérience militaire !
    Si Erdogan ” la girouette ” veut continuer à soutenir ouvertement l’Azerbaïdjan, il va perdre le soutien de la Russie ( le gazoduc Türkish-Stream sera fermé, les céréales russes et ukrainiennes n’arriveront plus en Turquie, le tourisme russe ne sera plus autorisé, les échanges commerciaux se tariront, et les S400 resteront en Russie ).
    Le commerce russe sera ré-orienté vers la Chine sans aucun problème, vu la demande !
    Comme l’Europe ne veut pas entendre parler de la Turquie, l’avenir politique d’Erdogan sera soumis à quelques turbulences !
    Jusqu’à preuve du contraire, l’Arménie fait toujours partie de la C.E.I. et de l’ O.T.S.C. ( le pendant de l’ O.T.A.N., créé par la Russie ).
    S’attaquer à l’Arménie, c’est s’attaquer à la Russie ( laquelle n’a pas pour habitude de lâcher ses alliés ).
    A côté de la puissance militaire russe, et de sa technologie au niveau des missiles hypersonique, Bakou et Ankara n’ont qu’à bien se tenir, sinon…

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  • COMAGUER
    COMAGUER

    LE TEXTE DE TROUKHACHEV EST FUMEUX

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