Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le suicide d’une société… les jeunes en particulier en état d'”anomie”

Le nombre de suicides progresse encore aux États-Unis, principalement par armes à feu, s’inquiètent des universitaires américains. Nous avons là en effet un double symptôme de ce que Durkheim a étudié dans son ouvrage le plus célèbre Le suicide. Un des symptômes de l’anomie des sociétés que nous vous présentons brièvement y compris par rapport à l’analyse de Marx.

« Les suicides par arme à feu continuent d’atteindre des sommets historiques, augmentant de 1,6 % par rapport au précédent record de 2021. » Le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), principale agence fédérale des États-Unis en matière de protection de la santé publique, qui vient de publier son rapport annuel, alerte : 26 993 personnes sont mortes par suicide par arme à feu en 2022 (sur 48 183 suicides).

Les jeunes particulièrement concernés

Pour la première fois depuis que le CDC établit des statistiques (1968), ces suicides constituent la majorité des décès par arme à feu aux États-Unis. Après un long déclin qui s’est poursuivi jusque dans les années 1990, le taux de suicides s’est remis à augmenter sur le territoire américain. Entre 2000 et 2021, il a bondi de 39 %, faisant du suicide la seconde cause de mort chez les 10-14 ans et les 20-34 ans.

Le suicide qui paraît être l’acte individuel par excellence et relevant donc de la psychologie pour Durkheim peut aussi être étudié indépendamment de ses manifestations individuelles, comme un fait social sui generis. En effet, chaque société possède une aptitude certaine au suicide, dont l’intensité relative peut être mesurée par la proportion de suicides par rapport à la population totale, ou ce que Durkheim appelle le taux de mortalité par suicide, caractéristique de la société considérée. Chaque société, conclut Durkheim, est prédisposée à fournir un contingent déterminé de suicides, et c’est cette prédisposition que Durkheim a voulu étudier sociologiquement. Il élabore une méthode complexe par élimination et aboutit à définir trois types de suicides : le suicide égoïste, le suicide altruiste et le suicide anomique, c’est ce dernier qui nous intéresse ici.

Qu’il s’agisse du suicide anomique du suicide égoïste et du suicide altruiste, ils sont tous les conséquences respectives de l’intégration insuffisante ou excessive de l’individu dans la société à laquelle l’individu appartient. Mais outre l’intégration de ses membres, une société doit également contrôler et réguler leurs croyances et leur comportement ; et Durkheim insiste sur le fait qu’il existe une relation entre le taux de suicide d’une société et la façon dont elle remplit cette importante fonction régulatrice. Les crises industrielles et financières, par exemple, augmentent le taux de suicide, un fait généralement attribué au déclin du bien-être économique que ces crises produisent. Mais la même augmentation du taux de suicide, observe Durkheim, est produite par une crise qui aboutit à la prospérité économique : « Toute perturbation de l’équilibre, même si elle aboutit à un plus grand confort et à un accroissement de la vitalité générale, est une impulsion à la mort volontaire ».

Parce que selon lui cette propension dépend de la proportion entre les besoins et les moyens. Les besoins de l’être humain ne se limitent pas au seul corps ; en effet, au-delà du minimum indispensable qui satisfait la nature lorsqu’elle est instinctive, il a besoin de conditions meilleures, des fins apparemment désirables qui demandent à être satisfaites. Des désirs illimités, insatiables, sans but commun, sans dépassement de la satisfaction individuelle condamnent à un état de malheur. Le but doit être orienté, défini collectivement, une fonction politique, morale, religieuse dit Durkheim, mais Marx, lui, propose un état intermédiaire collectif, encore extérieur, le socialisme qui se dirigerait vers une autorégulation sans contrainte extérieure, le communisme.

Mais quel est le rapport avec le suicide ? En bref, lorsque la société est perturbée par une crise, son échelle est modifiée et ses membres sont reclassés en conséquence ; dans la période de déséquilibre qui s’ensuit, la société est temporairement incapable d’exercer sa fonction régulatrice, et l’absence de contraintes imposées aux aspirations humaines rend l’équilibre individuel impossible. Marx, lui, lie la crise économique au développement des forces productives et la manière dont leur ébranlement qui part des rapports de production atteint toute la société. Cela explique pourquoi les périodes de désastre économique, comme celles de prospérité soudaine, s’accompagnent d’une augmentation du nombre de suicides, et aussi pourquoi les pays longtemps plongés dans la pauvreté ont bénéficié d’une immunité relative contre la mort auto-infligée. Durkheim qui est un socialiste “conservateur” qui prône le collectivisme et l’État et considère le communisme comme de l’anarchie suit les pas de Marx et voit simplement dans l’industrialisation la source réelle de l’anomie contemporaine puisque cette industrialisation bouleverse l’ordre traditionnel, les sources traditionnelles de régulation sociétale, religion, gouvernement et groupes professionnels, n’ont pas réussi à exercer des contraintes morales sur une économie capitaliste de plus en plus déréglementée. Dans le commerce et l’industrie, donc : l’état de crise et d’anomie est constant et, pour ainsi dire, normal. Du haut en bas de l’échelle, la cupidité s’éveille sans savoir où trouver un ultime point d’appui. Rien ne peut la calmer puisque son but est bien au-delà de tout ce qu’elle peut atteindre et le suicide par anomie est une des mesures constantes de cet état qui appelle un retour au collectif et à l’intervention de l’État. On voit à quel point l’idéologie, l’utopie post moderne du néolibéralisme a aggravé le suicide anomique, celui des jeunes en particulier, il ne s’agit pas d’exception mais d’un effet structurel.

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 171

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.