Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

162 kilomètres de voie ferrée entre la Russie et l’Iran ont suscité la colère des Américains, par Irina Gouseva

Un monde est en train de se mettre en place pas réellement contre l’empire américain d’occident mais contre le séisme que représente sa chute dans l’apocalypse du dollar et les dangers nucléaires. Il est évident que le défi lancé par la Russie aux armées de l’OTAN joue un grand rôle comme l’existence du challenger chinois. Tous les mouvements, toutes les révolutions de couleur qui ne tiennent pas compte de ce basculement du monde risquent d’être “gadgétisés” parce que les intérêts nationaux, ceux des couches populaires sont de moins en moins conciliables avec la défense du bellicisme occidental, avec ses blocus, ses systèmes de sanction étranglant les populations civiles en priorité. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

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Washington cherche le maillon faible du projet de transport Nord-Sud et menace les participants de sanctions
Photo : Le président russe Vladimir Poutine au Kremlin et le président iranien Ebrahim Raisi (à l’écran) lors d’une vidéoconférence sur la signature de l’accord russo-iranien pour la construction du chemin de fer Resht-Astara en Iran (Photo : Mikhail Klimentiev/Service de presse du président russe/TASS)

La construction du chemin de fer Resht-Astara permettra d’établir une liaison de transport continue entre la Russie et l’Iran sur l’axe nord-sud. L’accord intergouvernemental portant sur la création de ce tronçon de 162 km a été signé le 17 mai 2023 et a suscité le mécontentement de Washington, car il pourrait conduire à la création d’un corridor de transport échappant au contrôle des États-Unis.

“Bien entendu, cette action, ainsi que l’ensemble du projet, nous préoccupe vivement car elle vise à contourner les sanctions”, a déclaré Vedant Patel, porte-parole adjoint du département d’État américain.

L’artère de transport Nord-Sud est conçue pour relier les ports russes de la Baltique et des mers du Nord aux ports iraniens des côtes du golfe Persique et de l’océan Indien. Le seul obstacle à la mise en œuvre de cet ambitieux projet était le tronçon entre les deux villes iraniennes. La Russie a l’intention d’investir 1,6 milliard d’euros dans la construction du tronçon iranien et prévoit de l’achever dans un délai de quatre ans.

“Il peut sembler s’agir d’un petit tronçon, mais sa mise en service permettra d’établir une liaison ferroviaire directe et ininterrompue, ou, comme les spécialistes l’appellent différemment, sans rupture de charge, sur toute la longueur de l’axe Nord-Sud”, a déclaré le président russe Vladimir Poutine lors de la cérémonie de signature.

Selon lui, le corridor Nord-Sud contribuera à diversifier considérablement les flux de trafic mondiaux, et le transport le long du nouveau corridor bénéficiera d’un avantage concurrentiel significatif. La livraison de marchandises de Saint-Pétersbourg à Mumbai prendra environ 10 jours, alors que les routes commerciales traditionnelles prennent jusqu’à 30-45 jours, a expliqué le président russe.

Vladimir Poutine a souligné que les revenus générés par le transport de marchandises le long du corridor Nord-Sud et le chargement plus intensif des ports stimuleront la création et la croissance d’entreprises connexes.

Le président russe a indiqué que la coopération dans le cadre de la création de ce corridor est menée en partenariat étroit avec l’Azerbaïdjan.

“Nous attendons avec impatience l’achèvement rapide de la préparation dans le format trilatéral, avec la participation de la partie azerbaïdjanaise, d’un accord de coopération sur le développement de l’infrastructure ferroviaire et du transport de marchandises sur l’axe nord-sud. Ce faisant, le cadre juridique nécessaire à la poursuite d’une coordination fructueuse entre nos trois pays sera formé”, a-t-il déclaré.

Le département d’État n’est pas encore prêt à donner une évaluation concrète du projet, mais il menace déjà de sanctions les participants.

“Il y a des raisons de prendre des sanctions strictes contre les pays impliqués”, a déclaré M. Patel, ajoutant que “toute action concernant ces sanctions devient un gros problème” pour les États-Unis.

Le professeur Vladimir Sazhin, maître de conférences à l’Institut d’études orientales de l’Académie russe des sciences, n’est pas surpris par la déclaration du département d’État et rappelle que les États-Unis exercent une pression économique énorme sur la Russie depuis un an et demi.

– Naturellement, ils tentent de bloquer tous les moyens par lesquels la Russie peut contourner les sanctions, et ils sont nombreux. Ces derniers temps, la Maison Blanche et le Congrès ont travaillé activement pour empêcher le contournement des sanctions anti-russes. Les documents pertinents ont été publiés, et maintenant les Américains et les Européens vont surveiller de près toutes les actions de la Russie pour contourner les sanctions.

“SP : – Pourquoi tant d’attention pour ce petit tronçon de chemin de fer ?

– Ce tronçon ferroviaire est une petite partie du corridor de transport nord-sud, qui part de Saint-Pétersbourg et va jusqu’en Inde avec des embranchements appropriés. Il existe plusieurs variantes de ce CIT [Corridor International de Transport, NdT]. D’abord, le chemin de fer, puis la mer Caspienne et à nouveau le chemin de fer en Iran. L’option suivante est un chemin de fer direct de Saint-Pétersbourg aux ports méridionaux de la République islamique d’Iran dans le golfe Persique. Il existe également des variantes de la route dite orientale, qui passe par la Russie, le Kazakhstan, le Turkménistan et l’Iran.

Selon les économistes, le chemin de fer qui traverse la Russie, l’Azerbaïdjan et l’Iran est le plus efficace. À propos, Athanase Nikitine [un négociant, écrivain et explorateur russe habitant Tver, au nord-ouest de Moscou. Il fut le premier Européen connu à se rendre en Inde par une voie terrestre. Son périple est décrit dans son livre Voyage au-delà des trois mers, NdT] a été le premier à emprunter le CIT il y a 500 ans. Le CIT a été sérieusement initié au début des années 2000, des accords, des déclarations, etc. ont été signés entre de nombreux pays, mais tout était en suspens, car d’énormes investissements étaient nécessaires pour mettre la route en service.

Lorsque la Russie a été coupée de pratiquement toutes les routes septentrionales (comme le disent les gens de l’OTAN, la Baltique est déjà une mer de l’OTAN), le CIT est devenu pratiquement le seul moyen pour la Russie et l’Iran, qui fait également l’objet de sanctions, d’atteindre les mers, l’océan Indien et au-delà. Dès le début, cette route était très prometteuse ; aujourd’hui, la décision a été prise. À l’époque, ils l’ont envisagée sans enthousiasme, et ni l’Iran ni nous n’avions l’argent nécessaire, mais aujourd’hui, Moscou et Téhéran sont obligés de faire face à ce problème. Beaucoup de journalistes appellent même ce CIT “la route de la vie” [allusion au blocus de Léningrad, qui dura 900 jours, NdT].

“SP : – Qu’est-ce que les Américains ont à faire d’une voie de transport qui se trouve dans une région très éloignée d’eux ?

– Ils veulent couper cette “route de la vie” pour la Russie, sur la base des dispositions et des positions dont j’ai parlé. Ils examinent désormais au microscope la moindre faille, la moindre fissure qui apparaît dans le puissant système de sanctions anti-russes et anti-iraniennes. C’est donc une réaction compréhensible de la part de Washington.

“SP : Il y a déjà des milliers de sanctions contre nous. L’Iran aussi est soumis à des sanctions. Et depuis longtemps. Alors quelles autres sanctions peuvent-ils imposer pour nous arrêter ?

– La Russie a dépassé l’Iran en matière de sanctions. Elles peuvent être imposées en permanence – à une certaine entreprise, à un certain groupe de personnes. C’est un processus sans fin. Un homme d’affaires iranien ou russe, un financier se présente quelque part et des sanctions lui sont immédiatement imposées. Mais pour ce qui est des sanctions globales, vous avez raison, tout a déjà été imposé, et la principale tâche des Américains et des Européens de l’Ouest est maintenant de s’assurer qu’il n’y a pas de fuites à travers les différentes fissures.

Les Iraniens ont une grande expérience en la matière : des sanctions ont été imposées à l’Iran depuis les années 1980, mais elles étaient à bien des égards symboliques. Ce n’est qu’en 2012 que l’Union européenne et les États-Unis ont imposé des sanctions sévères contre l’Iran en raison de l’intransigeance de l’Iran sur la question nucléaire. Ces sanctions ont duré jusqu’en janvier 2016 et ont causé d’énormes dégâts à l’économie, aux finances, etc. de l’Iran.

C’est l’une des raisons pour lesquelles les dirigeants radicalement conservateurs de l’Iran ont décidé d’adhérer au JCPOA. Immédiatement après 2016, l’économie iranienne a décollé presque jusqu’en 2019. En 2018, Trump a retiré les États-Unis du JCPOA et a de nouveau imposé des sanctions. Au cours de la première période de sanctions, l’Iran s’était efforcé de trouver des solutions de contournement, tant pour les finances que pour le pétrole. Et ce, avec beaucoup de succès. Les Iraniens ont une grande expérience, qu’il s’agisse de choses insignifiantes ou de solutions sérieuses pour contourner les sanctions, et ils la partagent avec nous. Cela irrite certainement les Américains.

“SP : Une partie de l’axe ferroviaire Nord-Sud traverse également le territoire de l’Azerbaïdjan. Les Etats-Unis peuvent-ils faire pression sur Bakou pour bloquer la ligne et comment – la menace de sanctions, une tentative de révolution colorée ? Quelle réaction faut-il attendre des autorités azerbaïdjanaises dans ce cas ?

– L’Azerbaïdjan en bénéficie d’un point de vue économique. Je ne pense pas que Washington forcera Bakou à bloquer cette route, car il existe tout un réseau de relations très complexes entre Bakou, Erevan, Israël, les États-Unis et la France. Tout est mélangé dans le Caucase du Sud. Je ne pense pas que les Américains oseront prendre une telle initiative, d’autant plus qu’ils ont d’excellentes relations avec les Azerbaïdjanais. Probablement les meilleures parmi les trois républiques du Caucase. L’Azerbaïdjan entretient également des relations très étroites avec Israël.

Les Américains et les Européens feront pression sur autre chose. Probablement les pays qui sont prêts à recevoir des produits venant du nord ou vice versa, du sud vers le nord. Ce pourrait être l’Inde, le Pakistan, mais dans une moindre mesure, tous les pays d’Asie du Sud-Est, parce que c’est un débouché direct vers la Chine et l’Asie du Sud-Est. La pression est déjà là, même sans le CIT.

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