Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Nous sommes condamnés à combattre un “Boutcha” sempiternel, par Yevdokiya Sheremetieva

Il y a comme ça quelques grands classiques : le faux charnier de Timisoara, les bébés en couveuse de Saddam Hussein au Koweit, bien sûr les armes de destruction massive, les héros de Benghazi et pourtant ça marche du moins le temps où l’on fait accepter les guerres… c’est-à-dire désormais jour après jour sans la moindre contradiction et cela ne va pas s’améliorer maintenant que le dernier congrès du PCF a placé aux manettes ceux qui ont à cœur de nous faire partager les mythes et légendes dorées de la vertu occidentale face à des tyrans qui ont toujours pour ces gens-là quelque chose qui rappelle vaguement Staline, quand il ne s’agit pas clairement des vilains chinois qui ne peuvent que pratiquer le génocide ouïghour puisqu’ils sont dirigés pas un parti communiste… Voilà ce qu’il en est de la manière dont avec leur complicité on nous a vendu Boutcha. Pour que l’on mesure bien à qui nous avons affaire, songez à Assange qui se meurt en prison dans l’indifférence générale et souvenez-vous qu’il a fallu tout le courage de Fabienne Lefebvre pour imposer que l’on soutienne Assange, il y avait à cette époque les mêmes qui sont confirmés à la tête du PCF qui avaient la main mise sur la commission féminine qui relayait les accusations de viol et interdisait que l’on défende Assange. Avoir placé Vincent Boulet et tous les siens dans tous les secteurs idéologiques et à la tête de la commission internationale c’est s’assurer du relais de ce genre “d’information” en liaison avec les influenceurs type Glucksmann. (traduction de Marianne Dunlop)

illustration: le faux charnier de Timisoara .

https://vz.ru/opinions/2023/5/10/1209809.html

Yevdokiya Sheremetieva, écrivaine, organisatrice de l’aide humanitaire au Donbass, 10 mai 2023, 09:04

De tous mes voyages au Donbass, et il y en a eu beaucoup depuis 2014, l’un des moments les plus forts a été lorsque nous nous sommes rendus à Marioupol avec de l’aide humanitaire à la fin du mois de mars 2022. Les combats se poursuivaient dans la ville et personne ne comprenait vraiment ce qui se passait. La libération de la ville a duré très très très longtemps.

Nous transportions de la nourriture et des médicaments pour les personnes qui se cachaient dans les sous-sols, sans lumière, sans eau et sans nourriture. Des civils. Nous étions partis de Donetsk – la route était longue, défoncée, parsemée d’équipements militaires calcinés, de ponts empilés en forme de V et d’ornières, cratères et fissures dans l’asphalte. Sur la majeure partie du trajet, nous croisions des colonnes de nos blindés et de nos chars, qui étaient transférés dans l’autre direction.

Nous regardions les soldats depuis la fenêtre du bus, si différents les uns des autres. Jeunes et vieux, expérimentés et, semble-t-il, venant tout juste d’apprendre ce qu’est la guerre. Ils étaient assis sur le toit du véhicule. Fatigués, plissant les yeux sous le soleil de ce début de printemps, sales, couverts de poussière. Certains chars portaient des noms – “Framboise”, “Camomille”. D’autres étaient recouverts de branches dont les bourgeons venaient de pousser, ou de filets de camouflage. D’autres chars étaient visiblement abîmés mais “vivants”. Ils étaient assis par groupes de cinq sur les toits, le temps les invitant à sortir. Certains fumaient, d’autres étaient allongés les uns sur les autres. On voyait clairement qu’ils revenaient de l’enfer.

Les véhicules roulaient lentement, mais en un flot régulier, avec beaucoup de poussière. Et nous klaxonnions et saluions comme des fous. J’ai failli sauter par la fenêtre de notre bus, en faisant le signe de la Victoire. Je voulais tous les serrer dans mes bras. Comme dans les films de guerre, vous vous souvenez ? Quand on joue “L’Adieu à Slavianka” et que les filles agitent des écharpes. Les soldats répondaient par une joie enfantine, en agitant et en riant comme des enfants. Je riais et pleurais en même temps.

Lorsque nous sommes rentrés à Moscou, j’ai entendu parler de Boutcha à la radio. J’ai ouvert mon Facebook, alors non verrouillé, et un torrent d’eaux usées s’est déversé sur moi. C’était comme si un égout avait éclaté. Des bébés violés, des réfrigérateurs volés. Ma vie personnelle était envahie par des courriels d’amis qui demandaient : “Est-ce vraiment vrai ?” D’anciens collègues se repentaient pour notre armée et le monde entier nous maudissait.

Mais durant tout ce temps, j’avais en tête les gars fatigués qui roulaient vers Donetsk. Et la marche “Adieu à Slavyanka”. Je ne savais pas encore que ce qui s’était passé à Boutcha était une mise en scène planifiée et un mensonge. Il n’y avait pas encore de résultats des autopsies des corps, efectuées par les Britanniques, qui prouvaient que les gens étaient morts de blessures par éclats d’obus, et non pas des atrocités et des profanations attribuées à notre armée. Je ne savais rien de tout cela. Mais j’ai puisé dans les profondeurs de cette boucherie – et il ne faisait aucun doute dans mon esprit qu’il s’agissait d’un mensonge.

J’avais sous les yeux une série de beaux visages couverts de suie. Mais j’avais aussi devant les yeux tous ceux à qui nous avions apporté de l’aide. Des grands-mères, des femmes, des personnes âgées, des handicapés, des adolescents, des enfants. Et ce qu’ils racontaient – comment nos hommes, ces hommes fatigués, allongés sur les chars, donnaient aux gens leurs rations, parce que les gens mouraient de faim, ils donnaient des allumettes, de l’eau, des médicaments, les nourrissaient avec leur nourriture de campagne – était exactement la vérité. Tout simplement parce que cela n’avait aucun sens pour ces personnes, qui avaient vécu l’enfer, de mentir. C’est ce que nous ont dit de nombreuses personnes dans différents quartiers de la ville.

Plus d’une centaine de personnes sont passées dans nos ‘bus’ (c’est ainsi qu’on appelle les fourgonnettes d’aide humanitaire dans le Donbass). Nous sommes venus à Marioupol plus qu’une fois ou deux. Nous avons beaucoup entendu, enregistré et posté les histoires des gens. Comment les “nazis” les ont enfermés dans des caves, ont mis le feu à leurs maisons, comment les SS les ont chassés de leurs propres appartements en y installant des postes de tir. Comment ils les ont fusillés pour une simple demande de cigarette. C’est ainsi que les choses se sont passées. Comment on interdisait aux gens de sortir de la ville, en leur disant ouvertement : “Vous êtes notre bouclier humain”.

Nous avons entendu tout cela en flux continus qui, à un moment donné, se sont fondus en un fleuve d’horreur. Les gens racontaient leur propre histoire. Nous n’étions pas des journalistes et n’avons pas demandé de détails. Nous n’avons apporté que de la nourriture, mais les gens eux-mêmes voulaient parler. Ils voulaient partager. Ils en avaient besoin parce qu’ils n’avaient pas encore digéré l’expérience. Ils vivaient encore dans des sous-sols, il n’y avait ni électricité ni eau. Rien ne fonctionnait, les tombes étaient devant les maisons et tous les corps n’avaient pas encore été enlevés. La ville résonnait du va-et-vient incessant de l’artillerie de différents calibres.

Et en écoutant les histoires de Boutcha, j’ai eu envie de hurler à l’injustice. La substitution monstrueuse de concepts, où tout est mis sens dessus dessous. Sans que l’on puisse y faire quoi que ce soit. Où le noir est déclaré blanc et vice versa.

C’est le pire problème actuel, un problème qui n’existait pas avant, quand l’internet n’existait pas. Le problème, c’est que le web et la vie sont deux réalités parallèles. Et ce qui se passe en Ukraine est une guerre entre ces deux réalités. Pour comprendre ce qui se passe, il faut voir de ses propres yeux les tripes sur l’asphalte. Les cadavres dans le cratère d’explosion et les tombes fraîches entre les immeubles. La vérité est que nous sommes condamnés à mener une guerre sans fin.

Tout le monde l’a compris depuis longtemps. Et surtout, il est important que nous croyions en notre propre présent. En ces beaux visages couverts de suie. Les visages fatigués de nos frères, de nos enfants, de nos maris, de nos pères et de nos amis. Ils ont tous quelqu’un qui les attend. Et ils ont besoin d’un arrière qui croit en eux. Imaginez ce que c’est pour eux de donner aux gens leurs rations et de lire ensuite qu’ils sont en train de voler des WC.

Nous devons croire en eux. Tout simplement parce qu’en croyant en eux, nous croyons en nous-mêmes.

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