Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

De Chateaubriand à Yannis Ritsos, en passant par Isaac Babel, de la littérature à la lutte des classes, “l’occidentalisme”

A mon retour à Marseille ce premier mai ; je songe à ce que furent les temps de mon engagement, quel rôle joua cette ville de mon enfance dans celui-ci ? Marseille me fait songer à Odessa, aux contes d’Isaac Babel et malheureusement aujourd’hui à la manière dont le PCF, devenu ici un mauvais lieu, un coupe-gorge (selon cette phrase que me confia Aragon) voulut ignorer les mères de ceux qui furent brûlés vifs dans la Maison des syndicats ce 2 mai 2014 par les pourritures de Zelensky. Mais que s’est-il passé pour que ces gens-là tombent si bas dans la collaboration de classe, dans l’acceptation du nazisme.? Un flash ! Paul Cermolacce, le représentant des marins de cette ville, c’est la guerre d’Algérie. Il est là, les bras en croix dans les locaux de la rue Saint Bazile, en train de crier : “cette ville est une pute!” Le Parti communiste qui défendait l’indépendance de l’Algérie venait de prendre une raclée électorale y compris dans les quartiers nord. Les Algériens avaient inauguré une nouvelle stratégie face à la répression française, celle des attentats et le dépôt d’essence de Mourepiane avait été visé. Résultat, les habitants des quartiers a proximité avaient fait payer au parti communiste son soutien aux Algériens. Paul Cermolacce criait des insultes à sa ville et il n’envisageait pas de changer par opportunisme. Autre temps, autres mœurs.

Ce premier mai 2023, à mon retour de Grèce je m’étais noyée dans la foule des manifestants qui avait envahi tout le centre ville à la recherche de quoi se sustenter. Il était d’ailleurs difficile de savoir ce jour-là qui manifestait, qui se promenait, tant la ville entière communiait dans la dénonciation de l’attitude méprisante de Macron. C’était impalpable mais on voyait des jeunes gens se faire prendre en photo dans la manif qu’ils avaient croisé par hasard “Comme ça je dirai que j’ai manifesté!

Encore un flash! c’est la CGT d’Olivier Mateu qui a accueilli les mères d’Odessa, le syndicat a fait connaître le drame vécu par ses femmes à qui on interdisait de pleurer leurs enfants, d’en parler, d’oser demander justice. Elle se heurtaient ici au même silence y compris de ceux qui s’étaient emparés du PCF et ne daignaient ni eux, ni la Marseillaise venir s’informer. Les temps sont ainsi, il y a ceux qui exigent l’impunité et les honneurs pour leurs crimes, il y a ceux qui ne cessent de trahir, il y a ceux qui se contentent de parler pour les dénoncer mais ne font rien et il reste une poignée de desperados pour agir alors que les foules disent “NON”! Et moi pauvre vieille folle dont on ose même moquer les souffrance du deuil d’une mère qui tente de soutenir ces femmes dont je ne sais trop ce qu’elles éprouvent. Qui a jamais vécu pareille histoire?

Marseille, si proche des contes d’Odessa d’Isaac Babel

Sur la Canebière, ce premier mai, le roi des mendiants était là, comme toujours, adossé au mur de l’ancien palace de l’hôtel Noailles qui aujourd’hui abrite un des principaux commissariat de la ville, il y est tout le jour assis à la manière des Turcs sur un lit à une place garni de tapis et de coussins élimés. Ses pieds sont dénudés, pour exhiber des moignons violacés, gonflés, dévorés peut-être par la lèpre ou une amputation. L’homme trône sur sa couche surélevée dans un environnement habituel de papiers gras et d’autres déchets qui s’envolent sous le souffle du Mistral dans tout le centre ville. Le charisme naturel du personnage, comme les nattes de sa couche aux broderies passées suggèrent une antique splendeur. Il attire à lui des gens de son espèce, misérables venus d’ailleurs jusqu’à ce caravansérail, tous d’esprit curieux et de bonne humeur, mais ne renonçant pas à la digne gravité de leur agora, certains apportent des boissons, d’autres des gâteaux, des chaises. Sur la principale avenue de Marseille, là juste devant l’hôtel de police, ces braves gens discutent dans une langue que j’ignore. A la manière de Chateaubriand, on pourrait s’exclamer : quel magnifique éloge de cette cité et une ode à un peuple libre que la coexistence entre ce commissariat et ce lit digne de l’antique sur lequel un mendiant tient salon. La tolérance des flics va très loin, parce que dans les rues proches, il y a le marché Noailles où sévissent les pickpockets en toute impunité. Ce jour de manifestation rien ne dérangeait l’ordinaire malgré la forte présence avec casque bouclier, de CRS, blottis les uns contre les autres, une escouade de gladiateurs à un mètre de ce noble individu et de l’industrie criminelle voisine.

Je hausse les épaules et interpelle les “forces de l’ordre” : les manifestants sont des braves gens pourquoi vous déguisez-vous en robots ? Un couple, avec un enfant en bas âge dans une poussette, approuve “ils sont à l’image du pouvoir qui nous dirige ! Au lieu d’avoir peur, il ferait mieux d’entendre ce qu’on leur dit…”

Pourquoi les grandes voix qui tonnèrent avec le peuple ont-elles disparu ? Même celles de la décadence laissent le peuple français sans pouvoir dire… Mais c’est encore pire que cela : tout ce qu’on a laissé s’installer dans l’esprit des Français peut-il être affronté, est-il encore possible de mener un quelconque combat pour la paix quand on poursuit de jour en jour trente ans de forfaiture, ne reste-t-il plus qu’à pleurnicher sur la gloire passée, sur les héros de jadis… en déplorant que les nervis et “les balances” soient en si grand nombre et partout.

Le réactionnaire Chateaubriand désespéré devant la bourgeoisie, avec tout son bagage de lettré, confondait Mistra et Sparte (une vingtaine de siècle d’écart), il ne cherchait que son reflet narcissique dans le passé. Quand il ressort de son erreur, de Sparte il ne voit qu’une chaumière blanche environnée de quelques arbres : les larmes me vinrent aux yeux, en fixant mes regards sur cette misérable cabane qui s’élevait dans l’enceinte abandonnée d’une des villes les plus célèbres de l’univers, et qui servait seule à faire reconnaître l’emplacement de Sparte ; demeure unique d’un chevrier, dont toute la richesse consiste dans l’herbe qui croît sur les tombes d’Agis et de Léonidas”.quand Néron visita la Grèce, il n’osa entrer dans Lacédémone. Quel magnifique éloge de cette cité!” Néron traduisons : Napoléon, avec lequel il vient de rompre politiquement ce qui le met en posture fâcheuse y compris sur le plan matériel. L’orientalisme, ce tourisme d’élites incapables de sortir d’eux-mêmes…

Le monde se transforme et il ne retournera pas en arrière. Ce qui parait du chaos est peut-être simplement l’exigence du nouveau ? Est-ce que nous allons voir un de ces jours des touristes chinois épris d’occidentalisme, comme les écrivains mal dans leur peau le furent au XIXe siècle d’orientalisme ? Je les imagine à Paris la tête pleine des fragments de notre gloire passée mélangeant quelques siècles comme nos Chateaubriand, Nerval, Flaubert le firent jadis dans leur itinéraire vers Jérusalem. Ils chercheraient, ils cherchent déjà Notre Dame de Paris, Louis XIV, la Commune et la ville de l’amour, un salmigondis et ils tombent sur une grève des éboueurs, des rats, et quelques quartiers comparables à notre Canebière. Est-ce qu’il se trouvera l’équivalent d’un Chateaubriand pour nous haranguer et exiger que nous soyons à la hauteur de notre gloire passée ? Ou faire état de l’exaltation que la rencontre avec notre littérature, voire certains de nos auteurs destinés à combler leur propre manque. (1)

Nous sommes tous exilés d’un monde connu, il vaut mieux éviter l’exotisme touristique et se laisser guider en des lieux étrangers par mes hôtes grecs quand on la chance d’avoir des gens qui vous donnent leur amitié. Maintenant embarquons-nous dans une rencontre avec Ritsos, avec des amis originaires de Cythère.

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avec Stathis Stathopoulos à Monemvassia dans la maison où naquit un 1er mai le communiste Yannis Ritsos

“C’était un communiste”

Le 114e anniversaire de la naissance de Yannis Ritsos a été commémoré toujours le 1er mai par l’ambassade de Russie en Grèce, le décrivant dans un billet comme un “grand poète grec et antifasciste”. Les camarades grecs qui – c’est peu de le dire – on mal digéré la manière dont a été détruite l’URSS et qui ne passent rien aux “successeurs” ont corrigé la description et ils ont riposté dans leur journal Rizopastis du 3 mai 2023 p. 8 :

« Le grand poète grec Yannis Ritsos n’était pas simplement et d’une manière générale un “antifasciste”. C’était un COMMUNISTE, c’est pourquoi il était antifasciste, c’est pour cela qu’il s’est battu pour les droits de la classe ouvrière et pour une société juste.

C’est un peu bizarre, mais bien sûr il est compréhensible que le post de l’ambassade fasse référence au “prix Lénine” qui lui a été décerné par l’URSS et qu’il soit dissimulé qu’il était membre du Parti communiste de Grèce”, a été la réponse d’Eris Ritsos, fille de notre grand poète et candidate pour le KKE dans le secteur nord d’Athènes. « C’était un communiste »

illustration de l’article de Rizopastis du 3 mai 2023

Oui c’est vrai, il n’est pas simplement “antifasciste”, il est communiste… C’était déjà la protestation de Moravia entendue dans les années 1970 à la télévision française : je ne suis pas de gauche, je suis communiste”, a dit l’écrivain italien. Le présentateur lui avait demandé : “quelle différence faites-vous?” Quelqu’un de gauche peut prétendre avoir toujours raison, puisque personne ne se souvient de ce qu’il dit, mais un communiste est toujours responsable et ses propos ne sont jamais oubliés, il est responsable”… Oui il en fut ainsi jadis et ce temps est révolu, j’ai écouté et pensé que ceux qui étaient là dans le Congrès marseillais étaient de “gauche”, ils ne se préoccupaient que de cela… moi non, j’ai tenté de revendiquer la responsabilité que représentait le fait d’être communiste. Ce n’était pas ce que ces gens voulaient, c’est leur affaire, la seule chose qui me blesse encore c’est le négationnisme qui avec eux interdit de comprendre ce qui fut.

Dire cela c’est commencer à vous expliquer combien il a été apaisant d’accepter cet exil et d’aller à la rencontre de Ritsos sur le lieu de sa naissance, dans la maison où il a vécu et d’y trouver la chaleur et l’amitié de Stathis Stathopoulos et son épouse Joannes. Ritsos c’est l’anti-chateaubriand, pourtant comme lui d’une grande famille ruinée, qui ainsi que l’a dit un autre poète Dominique Gramont, dont l’art a été cette liberté intérieure et qui n’a jamais voulu quitter son pays malgré la dictature et la guerre, rien d’étonnant à ce qu’il se soit montré solidaire des partisans hommes et femmes qui, dans les banlieues et les montagnes ont gardé la Grèce libre.

Dans un prochain article je vais encore tenter de vous parler de Ritsos et du magnifique don que me firent ce jour-là ces camarades grecs… Ils ont été ce que nous avons connu, nous n’avons jamais été des touristes, partout là où il y avait un communiste nous étions chez nous, nous nous embrassions et nous avions confiance…

Cela aura été refusé à beaucoup de Français et c’est dommage mais nous n’y pouvons rien.

Danielle Bleitrach

(1) j’ai déjà trouvé le candidat idéal pour cet “occidentalisme”, il s’agit d’un certain Xu JUN qui a fourni l’avant-propos et le recueil de causeries en Chine de J.M. Le Clezio dans une publication de Gallimard de 2019. Non seulement ce Chinois érudit sait tout de la littérature française et de Le Clezio en particulier mais il apprécie en lui “un fort humanisme et une critique du matérialisme excessif de la societe moderne“, ce Français selon notre Chinois “transforme la critique en une attention versée sur les âmes aussi fragiles que le cœur d’un enfant, afin que ces âmes vulnérables puissent exprimer, à l’aide des sensations les plus fines, leur désaffection pour ce monde et leur aspiration à la justice“. On mesure à quel point c’est de la Chine idéale dont il est question. Ce qui entre autres semble avoir marqué les esprits de ces Chinois épris d’Occidentalisme “C’est une paire de sandales, qu’il (le clezio) porte depuis plus de trente ans et qu’il chérit car elles ont eu un contact avec le sol africain “. Il neige à Pékin et le froid est saisissant quand le Clezio débarque en sandales, ce que le commentateur interprète comme un sentiment de simplicité, d’une nostalgie pure du passé et d’un souvenir limpide de la vie“. Passer d’une telle vision de la France à la réalité des mœurs françaises y compris mes mendiants royaux d’Odessa-Marseille risque d’entraîner quelques mécomptes dignes de Chateaubriand. Celui-ci parce qu’il est un grand écrivain est capable d’humour face à sa propre exaltation, il en fait la preuve quand il s’obstine à ne pas vouloir quitter les ruines de Sparte : “Il était midi (c’est le 19 août); le soleil dardait à plomb ses rayons sur nos têtes. Nous nous mîmes à l’ombre dans un coin du théâtre, et nous mangeâmes de grand appétit du pain et des figues sèches que nous avions apporté de Mystra: Joseph s’était emparé du reste des provisions. Le janissaire se réjouissait ; il croyait être quitte, et se préparait à partir; mais il vit bientôt à son grand déplaisir, qu’il s’était trompé. Je me mis à écrire des notes et à prendre la vue des lieux: tout cela dura deux heures, après quoi je voulus examiner le monument à l’ouest de la citadelle. C’était de ce côté que devait être le tombeau de Léonidas. Le janissaire m’accompagna tirant les chevaux par la bride; nous allions errant de ruine en ruine. Nous étions les deux seuls hommes vivants au milieu de tant de morts illustres: tous deux barbares, étrangers l’un à l’autre ainsi qu’à la Grèce, sortis des forêts de la Gaule et des rochers du Caucase, nous nous étions rencontrés au fond du Péloponnèse, moi pour passer, lui pour vivre sur des tombeaux qui n’étaient même pas ceux de nos ancêtres.”

 

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