Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Craig Murray: Evan Gershkovich & Julian Assange

On ne connait bien sûr pas encore les tenants et les aboutissants de l’affaire Gershkovich, y compris les possibles relations avec les informations données hier dans la très utile chronique journalière traduite par Marianne. Quoiqu’il en soit, la position de principe de Craig Murray et sa dénonciation, encore une fois, du ‘deux poids deux mesures’ qui sert de ligne conduite à l’empire états-unien est éclairante.( note et traduction de Jean Luc Picker pour histoireetsociete)

Un article par Craig Murray publié dans Consortium News le 5 avril 2023

Certains d’entre nous ont alerté à maintes reprises que les poursuites contre l’éditeur de Wikileaks rendraient les conditions d’exercice des journalistes travaillant dans des situations difficiles plus dangereuses encore. Nos avertissements ont été ignorés.

Place à Iekaterinbourg, Russie, en 2014 (amanderson2, Flickr, CC BY 2.0

La Russie doit libérer Evan Gershkovich. Si cela devait se faire par le biais d’un échange de prisonniers, il faut que cette transaction soit conclue rapidement.

Gershkovich a été arrêté à Iekaterinbourg alors qu’il enquêtait sur le groupe Wagner. Iekaterinburg est une des villes de Russie les plus sinistres, opaque et dominée par la mafia. Je l’ai moi-même visitée pour enquêter sur les meurtres de journalistes locaux. Une entreprise déjà dangereuse, alors que le pays n’était pas en état de guerre et que je n’avais pas, comme Gershkovich, l’intention d’y visiter une usine de tanks (on ne sait d’ailleurs pas s’il a pu mener son plan à bien).

Je ne suis pas le moins du monde surpris de son arrestation, mais j’aurais espéré qu’il soit simplement expulsé, ou que son visa soit annulé, comme dans le cas de Luke Harding. Après tout, s’agissant d’un journaliste venant d’un pays qui fournit officiellement des armes à l’ennemi, il pourrait difficilement se plaindre. Ça fait partie du jeu. N’oublions pas que la Russie continue à accepter des journalistes occidentaux – alors que la plupart des pays occidentaux, dont le Royaume Uni, ont pour leur part fermé tous les médias russes et annulé les visas de leurs journalistes.

Mais l’accuser d’espionnage alors que -autant que nous le sachions- il faisait tout simplement son travail, est beaucoup plus grave.

Pour les besoins de l’article, je vais considérer que Gershkovich ne travaillait ni pour la CIA, ni pour le renseignement ukrainien. Aucune preuve à cet égard n’a été fournie, et la Russie elle-même ne mentionne pas cette accusation. Si elle devait le faire, cela changerait quelque peu la nature de l’affaire, mais pour l’instant, nous pouvons admettre qu’il ne s’agit pas de cela et que Guershkovich faisait tout simplement son métier de journaliste.

Mais, même dans ce cas, l’administration Biden est mal placée pour contester son incarcération. En effet, si Julien Assange est emprisonné, c’est qu’il accusé d’espionnage uniquement au titre de ses activités journalistiques. Personne ne prétend qu’il travaillait pour une puissance étrangère.

Si le crime d’espionnage commis par Assange est d’avoir publié des secrets touchant à la sécurité nationale des Etats-Unis, comment prétendre que Gershkovich n’a pas commis le même crime d’espionnage contre la Russie en cherchant à publier ce qu’elle considère comme des secrets pour sa sécurité nationale ? La réponse, bien sûr, est qu’aucun des deux n’est coupable du crime d’espionnage. Ils faisaient juste leur travail de journalistes. Mais c’est une position que l’administration Biden ne peut pas utiliser tant qu’elle continuera les poursuites contre Assange.

Je répugne à devoir écrire ce constat, car le sort de Gershkovich me préoccupe autant que celui d’Assange. Mais nous avons averti à de nombreuses occasions que les poursuites contre Assange rendraient les conditions d’exercice des journalistes travaillant dans des situations difficiles plus dangereuses encore. Nos avertissements ont été ignorés.

Manifestation de soutien à Assange devant le bâtiment du ministère de la justice des Etats-Unis à Washington, octobre 2022 (Joe Lauria)

D’une certaine façon, les poursuites contre Gershkovich peuvent être justifiées plus facilement que celles contre Assange. Gershkovich était en Russie au moment de son arrestation. Assange est un citoyen australien qui conduisait ses activités entièrement à l’extérieur des Etats-Unis et qui est menacé d’expulsion au titre de la prétention extraordinaire que les Etats-Unis ont à une compétence juridique universelle.

Au sein même de l’administration Biden, ainsi que dans les grandes entreprises de presse états-uniennes, quelques voix se sont élevées pour indiquer le dangereux précédent créé par l’affaire Assange. Espérons que ces voix puissent être entendues et qu’elles permettront de mieux étayer la défense de Gershkovich.

Quoiqu’il en soit, Gershkovich doit être libéré. C’est juste un jeune journaliste qui essayait de faire son travail.

Craig Murray est auteur, journaliste et activiste des droit de l’homme. Il a été ambassadeur du Royaume Uni en Ouzbékistan d’août 2002 à octobre 2004 et recteur de l’université de Dundee de 2007 à 2010. Il dépend uniquement du soutien de ses lecteurs pour pouvoir continuer ses activités. Vous pouvez souscrire à son blog ici

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