Nous sommes dans une situation périlleuse à bien des égards. Ce que nous vivons en France, la manière dont un pouvoir totalement irresponsable et qui a perdu tout crédit s’enferme dans un face à face sans issue avec la rue en ayant détruit de fait toutes les institutions et toutes les possibilités de dialogue et ne laissant plus de place qu’à l’escalade de la violence peut nous apprendre ce qui se passe au niveau international. Nous l’analysons par ailleurs avec l’escalade de la guerre y compris nucléaire et le ridicule de la “sentence” du CPI contre Poutine, la folie d’un pouvoir des Etats-Unis qui prétend traiter avec une puissance nucléaire comme avec un Milosvic et un Julian Assange. Ces gens-là sont des Marie-Antoinette ayant perdu tout sens d’un rapport de forces.
A la veille des Révolutions, “dans les derniers moments de la survie de l’appareil monarchique antérieur, la peine de mort était appliquée ici ou là de manière d’ailleurs très inégalitaire au détriment de pauvres hères affamés, de pillards privés de tout, ou de grandes gueules que rien n’arrête. Quand les “troubles” devenaient trop pesants, on en grandissait la menace et peu après on hésitait pas à pendre ou à exécuter ceux qui dérangeaient l’ordre dominant (…) le printemps ou le début de l’été furent de grands moments de punition par pendaison ou fusillades collectives des fauteurs de désordre qui mouraient de faim, perturbaient les marchés, protestaient contre le chômage ou les injustices antécédente (1). Toujours sensible à l’évolution des situations, je vois non seulement un pouvoir enfermé dans son arrogance et qui détruit systématiquement toute possibilité de négociation mais une parodie de “troubles”par lesquelles on prétend faire rentrer la protestation populaire dans l’ordre des délits. “On grandit la menace” et la scène de fin de cortège dans lesquelles une police habillée en gladiateur est invitée à exaspérer le danger insurrectionnel sous l’œil complaisant des cameras de télévision est l’équivalent des exécutions publiques. On le fait au moment où les individus changent et où au black-bourges alliés de la police est en train de succéder peu à peu un autre public exaspéré. Des jeunes gens en colère, de moins en moins bourgeois mais sans organisation ni protection.
Ils avaient si peu de colère ceux que l’on contraint à la violence révolutionnaire et ils me font encore songer à ce leader des éboueurs du privé parisien dont la force et l’intelligence a troué toute la rhétorique de provocation hier en expliquant qu’il leur était impossible d’accepter deux ans de plus à faire quinze kilomètres à pied par jour en charriant des tonnes de sac d’ordures, ils étaient cassés, deux ans de plus impossible… Ils suspendaient la grève parce qu’ils n’avaient plus de quoi nourrir leur famille..
de J.J. Rousseau au Comte de Lastic ou la modestie des exigences dont les puissants se moquent..
À Monsieur le Comte de Lastic, Paris, le 20 décembre 1754
Sans avoir, l’honneur, monsieur, d’être connu de vous, j’espère qu’ayant à vous offrir des excuses et de l’argent, ma lettre ne saurait être mal reçue.
J’apprends que Mademoiselle de Cléry a envoyé de Blois un panier à une bonne vieille femme, nommée madame Le Vasseur, et si pauvre qu’elle demeure chez moi ; que ce panier contenait, entre autres choses, un pot de vingt livres de beurre ; que le tout est parvenu, je ne sais comment, dans votre cuisine ; que la bonne vieille, l’ayant appris, a eu la simplicité de vous envoyer sa fille, avec la lettre d’avis, vous redemander son beurre, ou le prix qu’il a coûté ; et qu’après vous être moqué d’elle, selon l’usage, vous et madame votre épouse, vous avez, pour toute réponse, ordonné à vos gens de la chasser
.J’ai tâché de consoler la bonne femme affligée, en lui expliquant les règles du grand monde et de la grande éducation ; je lui ai prouvé que ce ne serait pas la peine d’avoir des gens, s’ils ne servaient à chasser le pauvre quand il vient réclamer son bien ; et, en lui montrant combien justice et humanité sont des mots roturiers, je lui ai fait comprendre, à la fin, qu’elle est trop honorée qu’un comte ait mangé son beurre.
Elle me charge donc, monsieur, de vous témoigner sa reconnaissance de l’honneur que vous lui avez fait, son regret de l’importunité qu’elle vous a causée, et le désir qu’elle aurait que son beurre vous eût paru bon.
Que si, par hasard, il vous en a coûté quelque chose pour le port du paquet à elle adressée, elle offre de vous le rembourser, comme il est juste. Je n’attends là-dessus que vos ordres pour exécuter ses Intentions, et vous supplie d’agréer les sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.”
Jean-Jacques Rousseau
Il y a une expérience que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître celle qui fait que comme pour Robespierre le peuple peut être toujours la boussole de nos humeurs et de nos joies et chagrins, mais sans le moindre populisme au contraire, une exigence de ne pas céder, de savoir que l’on n’échappe pas à la capacité à nuire de ceux qui se croient tout permis. Il y a des générations qui ont appris que leur vie est dépendante de ce que d’autres désignent non sans mépris comme la “politique”, comme s’ils n’en faisaient pas quand ils parlaient “d’autre chose”.
Depuis hier je réfléchis : est-il avantageux qu’une vieille dame de 85 ans aille manifester alors qu’un pouvoir aux abois agite violence et menaces ? Les vieilles personnes ne perdent pas leurs capacité à penser mais leur corps est celui d’enfants sans leur agilité… Elles peuvent encombrer …
Mais il me semble puisqu’il me reste la facilité de penser que ce pouvoir-là cherche d’abord à faire peur, à isoler des jeunes gens plein de fougue pour les empêcher d’apprendre à se battre… On ne doit jamais faire ce que veut l’adversaire est la principale leçon de tant d’années d’expérience …Donc ce matin, à Marseille, je suis allée à la manif en espérant que nous serions très très nombreux à avoir raisonné ainsi parce que nous sommes proches de la victoire… Et puis c’est aussi une question d’honneur national : est-ce que vous savez que dans le monde entier des gens souvent des jeunes se rassemblent devant les ambassades de France pour crier leur solidarité avec nos luttes… Il faisait un temps superbe, on était très très nombreux, les plus politisés qui avaient raisonné comme moi. Le soir, à la télé, il a été beaucoup question d’une baisse de fréquentation mais le fait le plus important est la force de ce mouvement dont le socle permanent demeure d’une assise impressionnante, et le bras de fer qui se poursuit alors que personne ne sait où va ce pouvoir et cette classe qui n’a plus aucun argument d’intérêt général à avancer pour expliquer l’arbitraire de la loi. Tous ceux qui étaient là ressentaient ce qui m’avait poussé à venir, la nécessité d’être nombreux pour juguler leur violence en particulier face à une jeunesse inorganisée et inexpérimentée. Le soir j’ai écouté Fabien Roussel à la télévision, sur LCI, son intervention témoignait de la volonté qui était la nôtre à tous ceux qui avions conscience de ce bras de fer, de la manière dont ce pouvoir tentait division, menaces, violence comme d’un dernier recours face à son propre immobilisme….
Dans ma famille et mes amis on m’a souvent reproché de ne m’intéresser qu’à la “politique” , a toujours suivi la description que je jugeais totalement soporifique de ce qui était censé alimenter nos affections réciproques. Plus on avait “les moyens” plus cela devenait ennuyeux, les achats de biens, leur aménagement… plus on était dans les difficultés plus ça touchait encore à l’essentiel… plus affleurait la nécessité du combat contre l’injustice, pour une autre humanité… Ce qui donnait sens à ma vie depuis toujours, l’unique chose qui me préoccupe et qui a gouverné mes affections, l’estime que je puis avoir, l’éthique voire l’esthétique qui est la mienne. Et ce besoin que tout ne fut pas politique chez certains s’est toujours accompagné d’une cruelle indifférence à tous les drames que la vie m’a apportés comme à nous tous. Ces “apolitiques” permanents ou de l’instant m’ont laissée seule et sont venus tenter de m’encombrer avec leurs papotages qu’ils croyaient familiaux et amicaux et qui n’étaient qu’une manière de me faire ressentir ma solitude et mes deuils. Une manière imbécile de radoter qui rejoue la cécité des puissants face à l’insupportable de ce que peut ressentir un peuple. Ce qui vous anime n’est digne de l’humaine condition que quand il est poussé à de vrais solidarités, comme ces gens du Faubourg Saint Antoine qui s’étaient soulevés pour ne pas laisser seuls les travailleurs en grève chez Révillon, le fabriquant de papier peint en avril 1789 ou la grève des ouvriers boulangers à Marseille dans le même temps. C’est dans ces moments où tout bascule, où se dénouent les égoïsmes, les paroles vaines et où se créent des amours et des amitiés qui ont du sens.
Tout cela pour vous dire à quel point, ce pouvoir qui partout s’enferme dans sa propre impuissance est inquiétant et à quel point ce faisant il nous enferme dans la peur, les angoisses. Ce qui se joue en ce moment est une libération de ce que nous sommes… Tout le reste m’a toujours semblé vain et aujourd’hui plus que hier et bien moins que demain, je le crois… Bien sûr je rêve que ça aille vite, mais la raison me fait dire qu’il y a peu de chance qu’il en soit ainsi… Il faudra beaucoup attendre pour que les victimes s’organisent, pour avoir la force face à leurs armées, leurs institutions… J’aurais même tendance à privilégier cette construction de l’organisation… partis, syndicats…
Je crois que la seule base de cette reconstruction est le PCF. Ce qui vient de se passer ce matin à l’Assemblée Nationale française me le confirme avec le refus du PCF et lui seul de contribuer au négationisme ambiant.
L’Assemblée Nationale manipulée sur la mémoire de l’Holodomor, cette famine que les néo-nazis Ukrainiens veulent attribuer à la volonté de Staline. L’Holodomor (extermination par la faim), “c’est l’histoire d’une barbarie organisée” et “l’utilisation de la famine comme une arme politique”, a plaidé sa première signataire, la députée Renaissance Anne Genetet. Elle a ponctué son intervention d’un “Vive l’Ukraine libre”, en présence de l’ambassadeur d’Ukraine en Fance. Le texte avait été co-signé par des membres de sept des dix groupes politiques de l’Assemblée, à l’exception des groupes La France insoumise (LFI), communiste et Rassemblement national (RN). Les Insoumis n’ont pas pris part au vote, estimant qu’il y avait des doutes sur le caractère génocidaire de ces événements au regard du droit international. “Nul ne peut nier la réalité du crime” mais “s’agissait-il d’exterminer le peuple ukrainien en tant que tel ?”, a demandé le député LFI Bastien Lachaud. Les communistes sont les seuls à avoir voté contre, considérant que les parlementaires n’étaient pas légitimes pour se substituer aux historiens et aux juges. “Nous refusons de contribuer à la politisation des enjeux de mémoire et d’histoire”, a expliqué le député Jean-Paul Lecoq. Bravo .
J’en profite pour vous annoncer que du 13 avril au 24 avril, donc pour l’anniversaire (le 17) de mes 85 ans… je prendrai donc des vacances du blog et j’en profiterai pour faire un reportage, l’ami qui me reçoit m’a juré que nous ne fréquenterions que ceux qui aujourd’hui se révoltent, pas de tourisme, mais l’amitié… je ne vais que dans les lieux où l’on m’assure l’amitié, la camaraderie, mais j’ai toujours eu besoin périodiquement de ce changement du voyage… Si je n’ai pas ce changement d’air, le sentiment d’être systématiquement prise pour une poire l’emporterait et ce genre de lucidité (parce qu’effectivement je n’ai cessé d’être prise pour une poire) ne mène nulle part, si ce n’est à l’amertume qui ne fait souffrir que soi-même…
Nous sommes des aventuriers pas des mercenaires me disait le Cubain que j’ai aimé… et quel bonheur d’avoir encore à 85 ans le peu de moyens financiers pour une errance à petit prix, une santé et un désir d’encore et toujours participer à la dignité de ceux dont on moque la modestie des exigences…
En attendant , je relis l’extraordinaire récit de voyage de Jacques La carrière (le traducteur de Ritsos) l’été grec (récit d’une passion grecque) dans la collection terre humaine de Pocket..
Bon je termine, je laisse le soin de gérer histoire et société à ceux qui ont les clés de la boutique comme Marianne, Franck, Daniel mais aussi à tous ceux qui en font la richesse et dont les commentaires sont parfois de véritables articles…
Danielle Bleitrach
(1) C’est encore un extrait du livre passionnant que je ne cesse de vous recommander de Claude Mazauric dans un chapitre intitulé “de la peine de mort” et qui suit celui sur Robespierre (partisan de l’abolition de la dite peine de mort) et qui porte lui sur l’utilisation de la peine de mort sous l’ancien régime. (p.119 à 142) Claude Mazauric D’histoire et d’historiens, Hermann (2021)
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pedrito
reviens nous vite, nous avons tant besoin de toi, de ta pêche de vraie militante communiste