Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

“Vous ne pourrez pas briser la volonté de paix du peuple de France” Discours d’Etienne Fajon le 16 janvier 1940

Oui il est bon de rappeler qu’il y eut des députés communistes qui firent face à la trahison de ceux qui refusèrent de soutenir les Républicains espagnols contre Franco, de ceux qui mirent dans des camps les réfugiés espagnols, de ceux qui approuvèrent les accords de Munich et qui finirent par incarcérer les députés communistes, qui eux choisirent “le chemin de l’honneur” et les mêmes refusèrent l’appel à Philippe Pétain. Alors que le PCF aujourd’hui s’attribue volontiers les mérites d’Ambroise Croizat, encore faudrait-il que les députés actuels soient dignes d’un tel héritage. On se demande combien de députés capables de voter le soutien de l’OTAN de la résolution 390, auraient eu le courage de Fajon, d’Ambroise Croizat et de tous ceux qui comme Politizer préfèrent la mort au reniement. J’ai connu Fajon et tous ces gens-là je puis dire qu’ils seraient stupéfaits devant la forfaiture et la lâcheté de ceux qui s’inclinent devant l’OTAN par pur opportunisme, s’ils n’avaient pas eu ce courage-là, ils auraient fini comme Laval et tant d’autres y compris Mitterrand ministre à Vichy et ils n’auraient pas contribué à apporter à la France les plus grands conquis sociaux de la libération. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Ce discours d’Étienne Fajon est le dernier discours officiel d’un député communiste français avant le long tunnel de la clandestinité. Étienne Fajon le prononce devant la chambre des députés lorsqu’est mis à l’ordre du jour la déchéance de leur mandat des députés communistes. Le parti a déjà été dissout le 26 septembre 1939, de nombreux députés sont déjà en prison (Étienne Fajon commence son propos en les saluant). Seuls les députés mobilisés (c’est le cas de Fajon) ne sont pas emprisonnés ou recherchés. Étienne Fajon rencontre clandestinement Benoît Frachon le 10 janvier. La décision a été prise d’envoyer un député à l’assemblée, pour s’exprimer devant le pays et montrer à la classe ouvrière que le Parti Communiste ne renonce pas. Étienne Fajon a été choisi pour porter ce dernier discours. Le 22 janvier, Étienne Fajon regagna son régiment, puis fut transféré dans une autre unité, à Nîmes. Peu après, il était cité à comparaître devant le troisième tribunal militaire de Paris. Du 20 mars au 3 avril 1940 se déroula le procès des députés communistes, où il intervint activement et où le tribunal prononça le huis clos. À l’issue du procès, il fut condamné avec ses camarades à la peine maximum de cinq ans de prison, à 4 000 F d’amende et à cinq ans de privation de ses droits civils et politiques.

Étienne Fajon est instituteur. Il adhéra au Parti communiste au début de 1927. Parce qu’il avait chanté L’Internationale le 14 juillet 1927 sur la place publique d’Aniane, le conseil municipal demanda à l’inspecteur d’Académie de le remplacer. Seule une vigoureuse protestation fit échouer ce projet.  Prenant rapidement des responsabilités dans le parti, au printemps de 1935, Étienne Fajon devint responsable des écoles du parti et de l’éducation des militants. Il conserva cette responsabilité jusqu’à 1948, et l’assuma à nouveau de 1974 à 1979. Dans la première période, la section centrale d’éducation qu’il dirigeait comptait parmi ses collaborateurs principaux deux universitaires qui furent fusillés par les hitlériens, Georges Politzer et Jacques Solomon. Étienne Fajon créa un réseau d’écoles élémentaires et mit sur pied des écoles régionales. Il dirigea lui-même celles de Paris, Marseille et Nice. Après une école centrale d’un mois à Bezons, il organisa en 1937 l’école centrale de six mois à Arcueil. La première session se tint sous la responsabilité directe de Hubert Ruffe et avec l’aide d’un militant de l’Internationale Communiste, F. Glaubauf. Trois écoles de six mois eurent lieu avant la guerre. (source biographique : le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article24040)

Ce discours est prononcé devant la chambre des députés élue en 1936, mais qui a tourné casaque. En 1938, au moment du Pacte de Munich, les députés communistes seront seuls (avec un socialiste et un député de droite, Henri de Kerillis, farouchement anti-nazi et partisan de l’alliance Franco-soviétique) à s’opposer à l’abandon à Hitler de la Tchécoslovaquie (le discours est alors porté par Gabriel Péri). Cette même chambre prend prétexte du pacte germano-soviétique, qui est la réponse de Staline aux accords de Munich, pour chasser les députés communistes, préparer le renoncement à la souveraineté française et la fin de la République. Elle votera le 10 juillet 1940 (six mois plus tard) les pleins pouvoirs à Pétain.

Fajon souligne que tout cela a été longuement préparé, en faisant remarquer que, selon les propres documents du gouvernement, le ministre des affaires étrangères français a annoncé à l’ambassadeur d’Hitler dès juillet 39, avant le pacte germano-soviétique, que les élections seraient suspendues, les réunions publiques arrêtées et les communistes “mis à la raison”.

Toute cette période, de 1936 à 1940 est la conjonction de la montée vers la guerre, de la fascisation de la société, comme réponse à la montée des revendications sociales et politiques de la classe ouvrière. “Plutôt Hitler que le Front Populaire”. Voilà la stratégie qui guide la grande bourgeoisie affairiste française durant ces années. On ne peut pas éviter le parallèle avec la période actuelle, qui voit de puissants mouvements de grèves, de manifestations, de revendications (en France comme en Angleterre), auxquels répondent la propagande de guerre, l’escalade dans les livraisons d’armes, et les appels à la “victoire de l’Ukraine”.

Après avoir dénoncé les fauteurs de guerre, qui sont aussi les profiteurs de cette guerre, et les tenants de cette politique qui “frappe les masses laborieuses”, une politique de “destruction des lois sociales, d’imposition extraordinaire des salaires, d’écrasement des agriculteurs et des petits commerçants, de vie toujours plus chère”, Étienne Fajon rappelle que la répression n’est que le reflet de l’impopularité de cette politique. Il consacre ses dernières phrases à un avenir, qui ne s’appelle pas encore les “jours heureux”, mais qui en a tous les traits : la paix, les conquêtes sociales, le progrès social, économique et politique. Et pour conclure, le socialisme, la cause communiste et la fidélité à l’Union Soviétique.

Nous ne sommes pas dans des heures aussi cruciales et difficiles que celles de janvier 40. Pourtant, la pression de la réaction monte. Le gouvernement et la grande bourgeoisie font de la victoire de l’Ukraine une question existentielle, comme ils font de la réforme des retraites, une question existentielle. Plus besoin d’arguments, le gouvernement n’en pas réellement pas. Mais on martèle : il faut gagner, il faut que la réforme passe. C’est le nouveau “quoi qu’il en coûte”.

Face à cela, nous devons garder à l’esprit quel est notre rôle : formuler les besoins des classes populaires, être leur porte-parole. Dénoncer les mensonges, et appeler au véritable avenir, celui de la paix et des jours heureux, des conquêtes sociales et du socialisme. La réforme des retraites, ni l’escalade guerrière ne sont populaires. La majorité des gens aspirent à construire la paix et le développement commun. Ils s’interrogent sur cette fuite en avant derrière Zelenski et le gouvernement de Kiev. Mais une pression médiatique considérable s’exerce pour réduire au silence ceux qui le disent. La glorification de la guerre prend toute la place et s’expose sans la moindre pudeur, sans la moindre retenue. On l’a encore constaté hier au parlement européen. Le rôle, difficile mais indispensable, d’un parti communiste est de briser ce silence et de permettre à la volonté de paix et de progrès social du peuple de France d’être entendue.

M. Etienne Fajon: La Chambre est invitée à voter la déchéance des élus de l’ex-groupe communiste qui refusent de désavouer, sous les coups de la répression, leur passé, leur idéal et leur parti arbitrairement dissous.

A quelques exceptions près, les députés visés par la mesure que vous vous préparez à voter sont déjà exclus de cette Assemblée. Le Gouvernement, en effet, dès le début d’octobre, a ordonné leur arrestation, leur incarcération, sans jugement, au régime du droit commun. Contre la détention arbitraire de ces députés je veux élever la protestation la plus vigoureuse ; je demande la libération des députés français arbitrairement emprisonnés. A mes collègues et amis qui sont emprisonnés et que je salue fraternellement du haut de cette tribune. Je veux affirmer, au moment où la peur des coups a déclenché le reniement de certains, des Gitton… Quant à nous, nous restons fidèles, inébranlablement, à notre commun idéal.

En ce qui concerne la proposition de déchéance qui nous est soumise, je demande à la Chambre, comme je l’ai fait au cours de la précédente séance, de la considérer comme irrecevable et de la rejeter purement et simplement. S’il s’agissait d’une question juridique, je pourrais me borner à faire observer que les députés que vous entendez priver de leurs prérogatives n’ont subi, depuis leur élection, aucune condamnation. La déchéance de ces élus est donc arbitraire et illégale. Mais ce n’est là, messieurs, à mes yeux, qu’une donnée secondaire du problème, car il apparaît aujourd’hui très facile d’emprisonner les gens dont on veut se débarrasser. J’en ai déjà cité des exemples.

Il me paraît plus important de rappeler que nous sommes, qu’on le veuille ou non, des élus du suffrage universel. Mandataires du peuple, nous estimons que le peuple seul est qualifié pour se prononcer sur la validité de notre mandat et que c’est au peuple seul que nous avons des comptes à rendre. Vous prétendez, aujourd’hui, vous substituer au peuple, priver arbitrairement une partie de la population française des représentants qu’elle s’est donnés. Le vote de notre déchéance sera une violation flagrante des principes de la démocratie dont vous osez vous prétendre les défenseurs.

Il est vrai que le Gouvernement n’a pas attendu ce jour pour anéantir les maigres libertés démocratiques. Le contenu véritable de la démocratie bourgeoise apparait aujourd’hui aux yeux de tous. La mesure que vous vous préparez à prendre contre nous fait suite à l’arrestation arbitraire des députés communistes non mobilisés. Elle fait suite à l’expulsion, que je qualifie de scandaleuse, et à la censure prononcée contre quatre députés mobilisés, régulièrement convoqués et rendus responsables d’incidents qui furent provoqués par leurs adversaires déchaînés. Elle fait suite à la dissolution du parti communiste et des plus puissants syndicats de la classe ouvrière, à l’arrestation de centaines de représentants syndicaux de la classe ouvrière, à la création des camps de concentration, au décret sur les suspects aux persécutions qui frappent des milliers de travailleurs coupables de ne pas se plier devant la dictature dont le grand capital se fait aujourd’hui le défenseur. Certes, vous prétendez justifier les persécutions anti-communistes et notre déchéance par des faits d’ordre international, comme la signature du pacte de non-agression germano-soviétique et ce que vous appelez l’agression soviétique contre la Finlande.

Messieurs, certains d’entre vous savent aussi bien que nous que le territoire finlandais constitue, aux yeux des impérialistes de Paris et de Londres une base d’attaque éventuelle contre l’Union soviétique et une base d’élargissement de la guerre. C’est peut-être parce que les visées dont j’ai parlé sont déjouées que certains deviennent aujourd’hui les champions de l’indépendance des nations, après avoir participé naguère à l’assassinat de la république espagnole, attaquée par l’impérialisme international.

Il est aisé de répondre aux arguments du Gouvernement en puisant à ses propres sources.

Dans le Livre jaune que le Gouvernement vient de publier, on peut lire — document 149 — la note suivante de M. Georges Bonnet, alors ministre des affaires étrangères, sur sa conversation avec l’ambassadeur d’Allemagne à Paris : « J’ai dit enfin à l’ambassadeur qu’il pouvait constater en France le mouvement d’unanimité qui s’était fait derrière le Gouvernement. Les élections seraient suspendues, les réunions publiques arrêtées, les tentatives de propagande étrangère, quelle qu’elle soit, réprimées, les communistes mis à la raison. »

Les communistes mis à la raison…

Cette note est du 1er juillet 1939, donc antérieure de plusieurs semaines au pacte germano-soviétique. Le pacte n’a donc été qu’un prétexte. Les persécutions étaient décidées bien avant le pacte et M. Bonnet, ministre de la justice aujourd’hui, ne fait qu’appliquer, semble-t-il, les propos que tenait M. Bonnet, ministre des affaires étrangères, à l’ambassadeur d’Allemagne, le 1er juillet dernier.

.A la vérité, la signification des mesures que vous prenez contre nous n’échappe pas à la grande majorité des travailleurs ce pays. Vos persécutions les éclairent sur le caractère véritable de la guerre actuelle, que vous avez le front de présenter, au moment où vous anéantissez toute liberté à l’intérieur du pays comme une guerre de défense de la liberté.

Les travailleurs établissent à juste raison une relation de cause à effet entre notre déchéance et votre politique la destruction des lois sociales, d’imposition extraordinaire des salaires, d’écrasement des agriculteurs et des petits commerçants, de vie toujours plus chère. Cette politique, qui frappe les masses laborieuses, nous constatons qu’elle se déroule avec l’appui de tous les partis de cette Chambre, y compris le parti socialiste. Vous prêchez la lutte de classes dans certaines périodes de calme. Dans les périodes agitées, qu’il s’agisse de la guerre d’aujourd’hui ou de la guerre de 1914, vous vous agenouillez devant l’impérialisme de votre pays et vous tentez de faire accepter par les travailleurs les coups qui leur sont portés.

C’est Votre affaire. Mais je tenais à formuler cette appréciation sur le rôle des divers partis de cette Chambre. C’est parce que le peuple n’approuve pas votre politique que vous dissolvez ses organisations et que vous frappez ses meilleurs défenseurs.

Vous pouvez aujourd’hui, messieurs du Gouvernement, nous persécuter, emprisonner certains d’entre nous, les chasser du Parlement. Mais vous ne pourrez pas briser la volonté de paix du peuple de France, sa volonté de conserver ses conquêtes sociales, fruit de ses luttes passées, sa volonté d’aller plus loin dans la voie du progrès social, économique et politique.

Cette volonté populaire, elle s’exprimera malgré vos décrets, malgré notre déchéance, malgré vos persécutions. Elle sera un jour plus forte que vous. Quant à nous, je le répète, en mon nom, au nom de mon collègue et ami M. Mouton, au nom de la plupart de nos collègues et amis emprisonnés à la Santé, nous resterons fidèles jusqu’au bout à la cause de la classe ouvrière et de l’internationale prolétarienne, à la cause véritable du peuple de France, à la cause du socialisme et nous continuons à considérer que nous représentons avec l’union soviétique la véritable cause ouvrière, la cause du communisme.

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1 Commentaire

  • Michel BEYER
    Michel BEYER

    Des bleus à l’âme….D’avoir été militant actif du PCF çà vous colle au coeur comme un sparadrap. Je sais que je finirai avec ce remords, c’est ma faute si je n’y suis plus. J’avais mes raisons, elles ne valent plus grand’chose. Je suis quand même fier d’avoir fait partie de cette organisation qui a été construite par des camarades, hommes et femmes, de la valeur de ceux du”Chemin de l’Honneur”.
    De nombreux témoignages, venant principalement du côté occidental, confirment que la Russie n’avait pas d’autre choix le 24 Février 2022. “Histoire et Société” a publié de nombreux documents attestant cette vérité. L’article de Samuel Hersh sur le sabotage des 2 Nord-stream démontre que ce sabotage avait été discuté de nombreux mois avant le 24/02/22. La discussion ne portait pas sur “on fait ou on ne fait pas”, non la discussion portait sur “comment on fait?”. C’est un acte de terrorisme international!!!
    Pourquoi je rappelle celà, C’est parce que je n’arrive pas à comprendre que le PCF reste immuable sur cette question des responsabilités de la guerre. Mon éloignement relatif du PCF ne me permet de bien percevoir les courants qui agitent le Parti. Fabien Roussel a confirmé sa volonté, la volonté du PCF de se battre pour arriver à la PAIX. C’est heureux. Mais l’obstination dans le refus de voir les réalités, empêche à mon sens le développement de la lutte pour la PAIX.
    Encore bravo à “Histoire et Socété”.

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