Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Marre du capitalisme, le retour à Das Kapital des jeunes chinois par Wang Rui

la suite du passionnant article sur l’évolution de la jeunesse chinoise. Il y avait des signes avant-coureur, le fait que les jeunes chinois préféraient la fonction publique, mais aussi le cinéma que l’on pouvait considérer comme d’avant-garde, je pense en particulier à Wang bin c’était une critique de gauche du développement chinois et la manière dont il engendrait des laissés pour compte qui représentaient pourtant l’âme de la Chine. mais mêmes les cinéastes pour grand publics Zhang Yimou, estimés de l’occident faisaient (comme en Russie) un retour vers l’histoire de leur pays y compris révolutionnaire et au lieu de comprendre cela on s’interrogeait sur la pression exercée par le gouvernement chinois. Mais simplement les Chinois en ont marre de l’exploitation capitaliste…

Mais voici la lecture que Baran fait des deux textes :

D’après ce qui est décrit dans ces articles la politique de l’enfant unique tend à engendrer un socialisme d’opposition aux libéraux. C’est une sorte de babyboom inversé. La croissance économique produit un retour critique vers la doctrine politique marxiste contre les modernistes qui tendent à vouloir la laisser au musée d’histoire naturelle.
L’auteur identifie le retour à Marx avec comme matrices:1-la pression du marché, avec en anti-héros l’aile droite façon Jack Ma, qui contre la mise en garde du Quotidien du peuple attire l’attention sur la nécessité du “996” (ceux qui douteraient que le PCC contrebalance l’appétit des exploiteurs encore un exemple concret face aux mastondontes privés, n’hésitant pas à recycler la sagesse taoïste de perpétuation des efforts ancestraux pour justifier les cadences d’exploitation)

.2-les échecs économiques des puissances libérales

3-l’exploitation du tiers monde (comme illustration de la nécessité impérative d’une vigilance antiimpérialiste)

4-les infrastructures et principes légués par les aïeux révolutionnaires

(note de Danielle Bleitrach et de Baran ., traduction de ce dernier)

http://www.sixthtone.com/news/1006523/fed-up-with-capitalism%2C-young-chinese-brush-up-on-das-kapital

(Image d’en-tête : Deux jeunes femmes prennent des selfies avec une statue de Karl Marx et Friedrich Engels lors d’une exposition commémorant le 200e anniversaire de Marx à Pékin, le 5 mai 2018. Chen Xiaogen / People Visual)

Avec une nouvelle génération épuisée d’être broyéeau« 996 »[1] et les platitudes libérales de leurs aînés, le marxisme peut-il faire un retour ?

Wang Rui

07 déc.2020 6 minutes de lecture

Wang RuiWang RuiHistorien

Wang Rui est professeur agrégé d’histoire à l’Université école normale de Chine orientale.

Cet article est le deuxième d’une série en trois parties sur la manière dont les historiens et écrivains 2.0 façonnent les visions du monde et les mentalités des jeunes Chinois. Lisez le premier article ici.

Comme je l’ai évoqué dans mon premier article, les jeunes Chinois sont en pleine phase de réévaluation majeure de l’histoire moderne de leur pays, redéfinissant leurs attitudes à l’égard de la période dite socialiste, définie à grands traits comme la séquence historique comprise entre la fondation de la République populaire de Chine en 1949 et le début de la « réforme et de l’ouverture » en 1979.

La révision des conceptions populaires du socialisme de Mao Zedong et des débuts de la République populaire est un changement auquel la vague d’articles et de vidéos sur les réseaux sociaux de la pop. histoire a contribué. Néanmoins, les articles seuls ne font pas de mouvement; ils ont résonné si profondément en raison des différences majeures d’expériences et d’attitudes entre les jeunes chinois et ceux des générations précédentes. En termes simples : la vie sous régime capitaliste n’était pas à la hauteur de sa réputation.

Les jeunes Chinois nés dans les années 1990 et 2000 ont grandi à une époque de croissance économique rapide et d’augmentation correspondante de la puissance nationale globale de la Chine. Surtout après 2008, lorsque l’Occident s’est lui-même retrouvé embourbé dans une crise économique mondiale provoqué par ses propres forces et que la Chine est devenue la deuxième plus grande économie du monde, les idéologies occidentales telles que le libéralisme ont progressivement perdu leur hégémonie culturelle post guerre-froide.

Cela a ouvert une fenêtre de tir pour que la population reconsidère globalement sa compréhension de l’histoire chinoise et mondiale. De nombreux jeunes Chinois rejettent le consensus néolibéral d’après lequel il n’y aurait pas d’alternative aux stratégies de développement occidentales, préférant plutôt garder la tête froide et aborder une approche analytique comparative des avantages et inconvénients des diverses idéologies politiques. Les historiens et amateurs web 2.0 soulignent les effets de l’industrie, de la classe sociale, de l’armée et de la géopolitique sur le développement national – tout en avertissant leur public de se méfier des intentions sinistres des puissances étrangères et d’éviter les simplismes« hipster »[2]vis-à-vis de la politique.

Une partie de ce qui se passe ici est générationnelle. Pendant des années, ceux qui voulaient en savoir plus sur l’histoire de la Chine n’ont pas été confrontés à un ensemble d’opinions vraiment diversifié, mais plutôt à une tripotée d’œuvres conçuesparmiles tendances idéologiques particulières des années 80 et 90. Beaucoup d’entre elles étaient riches en informations, mais aussi fortement imprégnées de tendances politiques et culturelles libérales qui ne retentissent pas chez les jeunes. Même en mettant de côté l’aspect idéologique et l’expérience, il est tout à fait naturel pour une nouvelle génération de se frotter aux axiomes de ceux qui dominaient auparavant le discours culturel du pays.

‘Les jeunes Chinois ont passé une grande partie de leur vie à observer la dégradation de l’ordre capitaliste mondial, la montée des inégalités et l’effondrement du statut de la classe ouvrière.’– Wang Rui, historien

Par exemple, il y a dix ans, la Chine continentale était encore sous les feux d’une vague nostalgique pour la période républicaine,ayant fortement romantisé le gouvernement pré-communiste du Kuomintang (KMT). Aujourd’hui, cependant, il est devenu populaire même dans d’anciens bastions libéraux comme la plate-forme de questions-réponses Zhihu d’écrire de longs articles contenant des photos et des documents d’archives qui mettent spécifiquement en évidence la corruption et la décadence sociale durant le règne du KMT, faisant ainsi valoir que seul le Parti communiste chinois était en mesurede mettre sur pied la montée en puissance de la Chine.

Cependant, à mon avis, le facteur de motivation le plus déterminant derrière l’adhésionà la période socialiste du pays, est que les jeunes Chinois ont vécu et souffert sous le capitalisme. Leur reconnaissance et mise en valeur des premières réalisations socialistes du PCC sont étayées par un réexamen plus large de l’histoire et de la théorie du mouvement socialiste international depuis le 19e siècle.

Cette réévaluation va plus loin que la reproduction de récits cadavériques ou de rhétorique du 20e siècle : elle est basée sur un sens éveillé de la vie et de la réalité contemporaines. Les jeunes Chinois ont passé une grande partie de leur vie à observer la dégradation de l’ordre capitaliste mondial, la montée des inégalités et l’effondrement du statut de la classe ouvrière. La génération précédente a embrassé l’idéologie pure du marché, l’entreprise privée et le capitalisme, mais pour de nombreux jeunes Chinois qui travaillent dans le secteur privé construitpar leurs aînés, ces idées sont associées non pas à undéchainement de productivité, mais à la pression bourdonnante de «l’ involution », à des sentiments de relative privation et des horaires exténuants de marathonien travaillant de 9 h à 21 h, six jours par semaine, que l’on désigne sous le code  « 996 ».

En effet, presque partout sur la toile, il y a un sentiment palpable de colère et de frustration face au capitalisme et à l’idéologie du marché. Premièrement, les jeunes Chinois sont obligés de travailler avec des amplitudes horaires extrêmes sans véritable récompense à la clé, puis ils doivent écouter des gens comme le co-fondateur d’Alibaba, Jack Ma, leur expliquer comment le système 996 est une « bénédiction », ouplutôt commentcontempler les riches profiter de leur investissement et portefeuille immobilier sans avoir à lever le petit doigt. Ces dernières années ont même vu la résurgence dans le discours populaire d’usages de motspeu flatteurstels que« capitaliste » et d’autres termes très chargés, alors que les jeunes gauchistes cherchent des moyens d’exprimer leur frustration.

Photo : Un homme passe devant une peinture à l’huile de Karl Marx lors d’une exposition à Pékin, le 6 mai 2018. Du Jia / People Visual

‘’Les jeunes gauchistes revendiquent l’héritage idéologique de leur pays.’’– Wang Rui, historien

Compte tenu des circonstances, il n’est pas surprenant qu’au moins certains se tournent vers la critique la plus complète et la plus puissante du capitalisme et des marchés jamais développés : le marxisme. Dans une certaine mesure, ceglissement vers la gauche ressemble à un retour aux sources. Les jeunes de gauche récupérant ainsi l’héritage idéologique de leur pays, qui était après tout fondé sur l’idée de mettre fin à l’oppression et à l’exploitation des travailleurs et des paysans par la classe capitaliste. Et justement parce qu’ils ont grandi dans un système éducatif avec des cours obligatoires sur le marxisme et le socialisme, des concepts apparemment impraticables ou dépassés comme la classe et la « plus-value » deviennent des cadres analytiques pratiques lorsque de nombreux étudiants rencontrent des difficultés plus tard dans la vie.

Mais la tendance actuelle va au-delà de la salle de classe. En effet, de nombreux étudiants se plaignent que leurs cours de marxisme obligatoire – longtemps traités comme des exercices de pures formes aussi bien par les enseignants que les étudiants – ne font pas assez pour les préparer ou leur donner les connaissances qu’ils veulent vraiment.

Ils n’ont pas tort. « Si vous voulez être le professeur des masses, vous devez d’abord être leur élève », a un jour exhorté Mao. Mais de nombreux professeurs de marxisme sur les campus chinois sont devenus trop à l’aise avec leur ghettoïsation pour s’adapter aux circonstances changeantes et à la demande accrue pour leur matière ; quand d’autres rabaissent Marx avec soin pour mieuxglorifier des libertariens comme Friedrich Hayek ou même des princes héritiers du KMT comme Chiang Ching-kuo.

Cela oblige leurs étudiants, ayant généralement une tolérance limitéepour le libertarisme ou la nostalgie du KMT, à chercher ailleurs. L’ironie de l’histoire veut que cela en a poussé beaucoup à dépasser l’usage des manuels du pays et commencer à lire des figures comme Marx et Lénine dansle texte. Pour d’autres, des vidéos en ligne prétendant expliquer les principes fondamentaux du marxisme-léninisme ont proliféré, beaucoup d’entre elles attirant des millions de vues.

Une capture d’écran d’un extrait d’une conférence de Richard Wolff sur Bilbili. Les commentaires qui défilent sont remplis de dénonciations de Jack Ma. De @ 陶然堂主 sur Bilibili

Fait remarquable, l’un des interprètes les plus populaires de la tradition marxiste n’est pas du tout chinois, mais l’universitaire américain Richard D. Wolff. Les citoyens du net ont extrait des vidéos de ses conférences YouTube et remis en ligne des versions traduites sur des sites comme Bilibili avec des titres tels que “Pourquoi n’êtes-vous pas un marxiste ?” Malgré sa formation académique, Wolff a récolté des éloges pour son analyse lucide et ses explications accessibles des concepts de base. Certaines de ses vidéos uploadées sur Bilibili ont accumulé plus de vues que les originales. Plus près de nous, Bilibili a également contribué à populariser le travail de l’agronome chinois Wen Tiejun, dont l’histoire, « Eight Crises : China’s Real Experiences, 1949-2009 »[3], a connu un regain de popularité et de ventes.

Ces développements ont soulevé des signauxd’alertes dans certains milieux concernant une dérive vers la gauche. Mais d’après mon expérience, malgré toute leur frustration et leur exubérance parfois irrationnelle, les jeunes gauchistes du pays sont motivés par un sentiment authentique et un désir de voir leur pays s’améliorer. Ils veulent retrouver les idéaux de ceux qui se sont battus et se sont sacrifiés pour le socialisme et la révolution chinoise – et construire une société juste et égalitaire dont ces martyrs seraient fiers.

Traducteur anglais : David Ball ; éditeurs : Wu Haiyun et Kilian O’Donnell.


[1] Note de traduction :les chiffres « 996 » représentent le rythme de travail de 9h du matin à 9h du soir, 6 jours par semaine, que subissent certains travailleurs chinois.

[2] Note traduction : synonyme de « branché » ou « bobo »

[3]Huit crises : les vraies expériences de la Chine, 1949-2009 (ouvrage apparemment non traduit)

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