Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Défense ou destruction des valeurs occidentales ?

Article intéressant qui reprend le travail d’enquête d’Intercept montrant une autre facette encore de cette police de la pensée qui nous étreint de plus en plus. Après l’article paru sur ce blog sur le harcèlement de Consortium News ou cet autre article sur les manipulations du CENTCOM en Iran et ailleurs, on voit de plus en plus clair sur les moyens mis en place par les Etats-Unis (et probablement leurs vassaux européens) pour orchestrer la vaste manipulation de la pensée occidentale et mondiale. Nous pouvons ici renchérir sur les quelques exemples ajoutés par Caitlin en mentionnant le supplice auquel est soumis un des plus grands journalistes occidentaux, Julien Assange, en prison virtuelle puis non virtuelle depuis près d’une décennie et en attente d’un transfert vers des conditions d’une plus grande obscurité encore, ou bien plus prosaïquement l’interdiction de RT et Sputnik, sans oublier le narratif lissé déversé par les grands médias occidentaux. L’abandon de l’officialisation de la police de la pensée aux Etats-Unis (la fameuse Desinformation Governance Board) ne doit pas nous faire oublier que les mécanismes qu’elle voulait légaliser sont en fait en place depuis de nombreuses années, remontant au minimum à Obama, en totale violation de la Bill of Rights et de l’Amendment 1 de la constitution états-unienne, et opèrent à plein régime dans l’administration Biden d’aujourd’hui. (note et traduction de Jean-Luc Picker)

Où nous apprenons que la holding du renseignement US travaille étroitement avec les plateformes des réseaux sociaux pour réguler l’ « infrastructure cognitive » des populations.

Par Caitlin Johnstone, paru le 2 novembre 2022 dans Consortium News

https://consortiumnews.com/2022/11/02/caitlin-johnstone-destroying-western-values-to-defend-western-values/

Une enquête récente d’ Intercept montre – à partir de documents fuités et d’un procès en cours – le reprofilage du  DHS (Department of Homeland Security, Département de la Sécurité Intérieure). L’agence, abandonnant sa fonction de contre-terrorisme est de plus en plus dirigée vers le combat sur la toile contre « la mésinformation, la désinformation et la malinformation ».

On se souviendra de la tentative malheureuse de l’agence (ndt : en avril 2022) d’imposer un « Conseil de Gouvernance de la Désinformation ». Le projet de censure officielle a dû être abandonné devant la levée de boucliers de l’opinion publique. Mais selon l’enquête de Lee Fang et Ken Klippenstein, la DHS n’a pas abandonné son but pour autant. Ils décrivent les ‘efforts intensifs de l’agence pour influencer les plates-forme de la tech » afin de « limiter les contenus qu’elle juge dangereux ».

Ils rapportent que : « selon un brouillon de la Revue Quadri Annuelle sur la Sécurité Intérieure (un document clé du DHS établissant sa stratégie et ses priorités pour les années à venir, en cours d’élaboration au sein de sa direction) l’agence prévoit de cibler ‘ l’information erronée ‘ sur un large éventail de sujets dont ‘ les origines de la pandémie de Covid-19 et l’efficacité des vaccins ; la justice raciale ; le retrait US en Afghanistan ; et la nature du support que les Etats-Unis apportent à l’Ukraine’ ».

L’enquête démontre les efforts tout azimut du DHS et de son Agence de la Sécurité pour la Cybersécurité et l’Infrastructure (CISA, Cybersecurity and Infrastructure Security Agency), en collaboration avec le FBI, pour inciter les plates-forme telles que Facebook, Instagram ou Twitter à censurer les contenus publiés sur leurs réseaux afin d’éliminer un large éventail de menaces pouvant aller jusqu’à la promotion de la défiance envers le gouvernement états-unien ou les institutions financières états-uniennes.

Les auteurs montrent qu’« un système formel a été mis en place à travers un portail Facebook spécial, accessible seulement à l’aide d’une adresse mail gouvernementale ou policière. Il permet à ces fonctionnaires de flaguer directement les contenus sur Facebook ou Instagram qu’ils veulent étouffer ou supprimer ». « Des emails échangés entre les fonctionnaires du DHS, la CISA et Twitter démontrent comment ce système a fonctionné sur la période précédant novembre 2020. (…) Des comptes-rendus de réunions montrent que les plates-forme sont priées de ‘revoir les rapports, d’y répondre en temps voulu et d’indiquer les mesures prises pour supprimer la mésinformation de leurs réseaux quand c’est possible’».

Bien sûr, les agences gouvernementales s’abritent derrière l’allégation qu’elles ne forcent pas les plates-forme à supprimer les contenus incriminés. Mais The Intercept précise que ses recherches ont montré que « le but de la CISA est de rendre les plates-forme plus compliantes à leurs suggestions ». Des experts critiques argumentent que ces « suggestions » en provenance d’institutions aux pouvoirs incalculables ne seront jamais prises comme de simples suggestions. Adam Candeub, de l’Université d’Etat du Michigan, écrit sur The Intercept : « quand le gouvernement suggère, on imagine facilement que le gant de velours peut être retiré pour montrer le poing de fer en dessous. (…) Au vu de leur nature bureaucratisée, je considèrerais de telles actions comme étatiques dans leur essence et démontrant la collusion du gouvernement avec les plates-forme ».

Le chef en exercice de la CISA essaye de justifier bizarrement cette police gouvernementale de la pensée. L’enquête nous apprend qu’il désigne la façon dont les gens s’informent et forment leurs opinions sur le monde extérieur sous l’appellation de « notre infrastructure cognitive ». L’article poursuit : « Jen Easterley, nommée par Joe Biden à la tête de la CISA, a affirmé sans détours qu’elle continuerait à déplacer ses ressources vers le combat sur les réseaux sociaux contre toute information dangereuse. Lors d’une conférence en Novembre 2021, elle a déclaré que : ‘Nous pouvons dire que nous sommes dans le business de l’infrastructure critique, et la plus sensible de nos infrastructures est l’infrastructure cognitive. Selon moi, il est donc essentiel de construire la résilience à la mésinformation et à la désinformation’ ».

Un autre dirigeant de la CISA n’hésite pas à suggérer que l’agence doit dissimuler ses manipulations derrière des organisations tierces : « selon la revue (ndt : quadri anuelle cf supra), pour atteindre ces larges objectifs, la CISA devrait financer des recherches indépendantes permettant d’évaluer ‘l’efficacité des interventions’, évaluant en particulier comment la désinformation supposée peut être contrée et la vitesse de propagation des messages. Geoff Hale, le directeur de l’Initiative Sécurité Electorale à la CISA recommande d’utiliser des organisations informatives tierces à but non-lucratif comme ‘outils de blanchiment de l’information de confiance pour éviter de donner l’impression qu’il s’agit de propagande gouvernementale’ ».

Nadine Strossen, ex-président de l’Union Etats-Unienne pour les Libertés Civiques a déclaré à l’Intercept qui si un gouvernement que les Etats-Unis n’aime pas opérait un mécanisme semblable, il n’y a pas de doutes sur ce que nous en dirions : « Dans le cas où un gouvernement étranger autoritaire aurait envoyé ces emails, nous l’aurions immédiatement accusé de pratiquer la censure ».

Mais ce rapport n’est qu’un exemple parmi d’autres de la façon dont les pouvoirs occidentaux, se prévalant sans honte de la défense des valeurs occidentales, agissent de plus en plus comme les autocraties qu’ils prétendent mépriser.  L’Intercept nous rappelle que, à l’origine de cette initiative du gouvernement états-unien, on trouve « l’allégation que des agents secrets de la Russie avaient planté de la désinformation sur Facebook qui a permis de faire basculer l’élection de 2016 en faveur de Donald Trump ». Aujourd’hui encore, cette affaire continue à hanter le gouvernement et à justifier des complots pour censurer la liberté de parole sur la guerre en Ukraine.

Cette tendance de fond est démontrée par bien d’autres exemples. On citera entre autres le nouveau rapport de MacLeod sur Mintpress News, selon lequel des centaines d’anciens agents de la fameuse Unité 8200 du renseignement Israélien sont aujourd’hui à des postes de responsabilité dans des compagnies de la Tech telles que Google, Facebook, Microsoft et Amazon (il s’agit seulement du dernier travail de MacLeod sur la façon dont les individus formés au renseignement remplissent les rangs des plate-formes de la Silicon Valley). Ou la révélation que des pressions du gouvernement Ukrainien ont abouti à interdire à Max Blumenthal et Aaron Maté, journalistes de Grayzone, de participer à une conférence du Sommet mondial du Web à Lisbonne.

Donc, nous détruisons les valeurs occidentales pour défendre les valeurs occidentales. Dans la bataille exaltée de la ‘démocratie contre l’autocratie’, la civilisation occidentale se montre de plus en plus autocratique. Plus de censure. Plus de trolls. Plus de propagande. Emprisonnement de journalistes. De moins en moins de transparence. Manipulation de l’information et de la façon dont le public peut appréhender la vérité. On nous dit que nous devons défaire la Russie en Ukraine pour préserver les valeurs occidentales de liberté et de démocratie. Et pour y arriver, nous sommes de plus en plus privés de la liberté d’expression. De la liberté de penser. De la liberté de la presse. De démocratie.

Je ne peux m’empêcher de penser à l’histoire (inventée à postériori) où, au cours de la seconde guerre mondiale, des conseillers proposent à Winston Churchill, premier ministre du Royaume Uni, de couper les crédits pour les arts afin de renforcer le financement des opérations militaires. Et Churchill de répondre « Mais alors, pour quoi nous battons nous ? ». Si nous devons sacrifier toutes les valeurs que nous chérissons pour défendre ces mêmes valeurs, pour quoi nous battons nous ?

La dissension est de moins en moins permissible. Le discours public est de plus en plus agressivement détourné par les puissants. Nous sommes de plus en plus formatés vers une population homogène révérant les pouvoirs en place, tyrannisée, propagandisée, que nos dirigeants font semblant de critiquer dans les autres pays. Si les puissants deviennent de plus en plus tyranniques pour combattre la tyrannie, c’est probablement qu’ils sont en fait eux-mêmes des tyrans fabriquant des excuses pour mettre en place les systèmes dont ils rêvent depuis longtemps.

Occidentaux des ‘démocraties libérales’, on nous a toujours raconté que nos sociétés tenaient pour sacré la liberté de parole, la liberté de pensée et la responsabilité du pouvoir. Nos dirigeant nous montrent aujourd’hui que ce ne sont là que paroles creuses. Le problème des ‘valeurs occidentales’, c’est que l’occident les méprise.

En réalité, ceux qui défendent le mieux ces ‘valeurs occidentales’ sont ceux qui sont brutalement réduits au silence et marginalisés par les pouvoirs occidentaux. Les vrais journalistes. Les dissidents. Les sceptiques. Les militants pour la paix. Ceux qui refusent de plier l’échine devant leurs souverains.

Notre descente en tyrannie au nom de la lutte contre les tyrans pose une question des plus basiques : A quoi bon vaincre l’autocratie si pour la combattre nous devons nous transformer en autocratie ?

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2 Commentaires

  • Xuan

    Une critique du fascisme à visage libéral, mais qui ne va pas encore au-delà des « valeurs occidentales » et n’envisage pas d’autre forme de démocratie que celle de la bourgeoisie, c’est-à-dire de la dictature capitaliste.Global Times publie  cet article d’un autre américain, à propos des élections de midterm, et qualifie la démocratie US de ploutocratie.Ici c’est la nature de classe de la démocratie occidentale qui est visée. Naturellement il ne s’agit pas non plus de préconiser le socialisme, mais il est notable que la Chine Populaire prend désormais le mors aux dents et répond du tact au tac à la propagande impérialiste de la croisade « démocratie contre totalitarisme ».Riposte d’autant plus indispensable que la guerre hégémoniste a laissé de côté le prétexte du déficit commercial et privilégie le conflit idéologique pour mobiliser les capitalistes européens. _________________
    l’article proposé par Xuan sera publié demain…

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    • jean-luc
      jean-luc

      Une critique du fascisme à visage libéral, mais qui ne va pas encore au-delà des « valeurs occidentales » et n’envisage pas d’autre forme de démocratie que celle de la bourgeoisie, c’est-à-dire de la dictature capitaliste

      entièrement d’accord avec ton point de vue. Mais cette critique est aussi utile, surtout si elle aide à faire émerger un mouvement anti-guerre qui pourra servir de terreau à la prise de conscience de classe. Souvenons-nous du rôle clé joué par l’opposition à la guerre US au Vietnam dans l’émergence de situations pré-révolutionnaires aux USA mêmes et en France.

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