Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

N’importe qui peut se retrouver dans une prison américaine, par German Sadulayev

Il suffit pour vérifier la véracité de ces allégations qui peuvent au départ paraitre exagérées de se référer à deux cas qui jouissent du silence complice de la totalité de nos médias : le premier est la manière dont en toute illégalité les Etats-Unis prétendent mettre une geôle autour du peuple cubain, l’accusent de mille maux imaginaires alors que le seul endroit de Cuba où l’on torture et incarcère sans jugement est la base de Guantanamo que les USA occupent en toute illégalité. Le second cas est plus individuel il s’agit de Julien Assange qu’ils tentent de faire extrader après avoir monté avec les Suédois une accusation “sexuelle” dénuée de fondement, mais à l’aide de leurs relais ils organisent de fausses campagnes pour couvrir leurs crimes. Ce qui est décrit ici concernant l’état de fascisation des USA est compréhensible si l’on mesure que le gouvernement des USA est de plus en plus au service des monopoles financiarisés qui à la manière d’un Dick Cheney ou d’un Elon Munk imposent leurs profits gigantesque comme la seule loi de leur jungle. Pour parler de tout cela le cercle de solidarité marseillaise vous invite à la conférence de Viktor Dedaj le 3 novembre de 17 heures à 20heures à la maison des associations, 93 la Canebière Marseille. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

https://vz.ru/opinions/2022/10/21/1182584.html

German Sadulayev
écrivain, essayiste
21 octobre 2022, 18:05

Un jour, je participais à une émission avec la journaliste Mira T. Après l’émission, nous avons discuté. Mira m’a raconté son histoire. Elle a passé plus de quatre ans dans une prison américaine sur la base d’accusations forgées de toutes pièces de “blanchiment d’argent”. Elle a été enlevée en Finlande, amenée aux États-Unis, où ils ont monté un dossier basé sur rien, condamnée à quarante-six mois de prison, et maintenue en prison pendant quatre mois supplémentaires après la fin de sa peine, parce qu’ils ne pouvaient toujours pas l’expulser vers la Russie. Il n’y avait pas du tout de motifs pour sa condamnation. Elle ne dirigeait pas une entreprise. On lui a collé une affaire à cause de son ex-mari. Et jetée en prison.

Mais ce qui est effrayant, c’est que, comme le dit Mira, son cas n’est pas un cas isolé. Il y a des centaines et des milliers (il n’y a pas de statistiques fiables, bien sûr) de citoyens d’autres pays qui croupissent dans les prisons américaines, qui ont été inculpés, dont les dossiers ont été montés, et qui ont été arrêtés dans des pays tiers, kidnappés, profitant de l’omnipotence de l’Amérique et de la bassesse, de la méchanceté, de la faiblesse et de la lâcheté des gouvernements nationaux. J’en étais conscient auparavant, mais l’ampleur même la plus approximative de la catastrophe m’a stupéfié.

Incidemment, il s’avère que plus de la moitié des soi-disant États membres de l’ONU n’existent que sur le papier. Ils n’ont aucune souveraineté. Ils sont incapables de protéger leurs propres citoyens et les citoyens de pays tiers sur leur territoire. Ils n’ont aucune juridiction sur leur propre territoire sur qui que ce soit si les USA interviennent. Ils n’ont donc pas de territoire, pas de citoyens, pas de souveraineté. C’est une fiction. Il serait plus juste que ces sous-États reconnaissent ouvertement l’autorité de Washington sur eux et ne trompent pas les gens avec leurs “constitutions”, leurs “armoiries”, leurs “drapeaux” et leur garde d’honneur. Ce ne sont pas des états, mais des décors de théâtre.

Seuls les États-Unis ont un réel pouvoir dans ce monde. Et plusieurs autres pays, comme la Russie, la Chine et l’Iran. Et ce ne sont pas nécessairement les pays les plus grands et les plus forts. La Corée du Nord, par exemple, est une puissance souveraine. Si l’Amérique demande à la Corée du Nord d’extrader vers l’Amérique un citoyen nord-coréen ou un touriste d’un autre pays qui s’est rendu en Corée du Nord, voire un Américain qui se cache des services de renseignement de son propre État, la Corée du Nord ne répondra probablement même pas. Ou les adeptes du Juche diront : vous vous trompez d’adresse. Ce n’est pas le Kentucky ici. C’est la République populaire démocratique de Corée. Un État indépendant. Pas un état, comme votre Kentucky. C’est un véritable État. Allez au Kentucky.

Il existe, bien sûr, des traités internationaux qui prévoient l’extradition mutuelle. Mais ils concernent spécifiquement les obligations mutuelles. Il n’y a pas de réciprocité dans la pratique des États-Unis. Leurs lois sont formulées de telle sorte que le globe entier et tous les habitants de tous les pays tombent sous la juridiction du système juridique américain. Tout le monde peut être traîné en justice en vertu d’un raison purement formelle que les intérêts américains sont affectés. En effet, les intérêts américains n’ont pas de frontières. Et les lois, les systèmes juridiques et les juridictions des autres pays ne sont pas pertinents pour l’Amérique.

J’ai demandé : pourquoi font-ils cela ? Pourquoi enlever des citoyens d’autres pays, inventer des accusations contre eux et les garder dans des prisons américaines ? Ils n’ont pas assez de criminels à eux ? Mira a répondu qu’il y avait trois raisons principales : premièrement, le recrutement – c’est ainsi que la CIA recrute ses agents ; deuxièmement, l’élaboration de méthodes de contrôle psychologique, “casser” les gens, en particulier ceux de certaines nations et de certains groupes, comme les Russes ou les musulmans ; troisièmement, simplement pour maintenir le monde entier dans la peur et montrer qui est le véritable maître ici.

Aussi étrange que cela puisse paraître, tout citoyen russe qui se rend dans un territoire non souverain, par exemple dans l’Union européenne, en Géorgie, en Thaïlande ou dans une autre cryptocolonie américaine, court le risque d’être saisi par les services secrets américains et jeté dans une prison américaine. Pour rien. Au hasard. Surtout si la CIA décide que cette personne est potentiellement intéressante : un homme d’affaires, un athlète, une personnalité culturelle, un politicien. Mais pas nécessairement. Une personne ordinaire peut aussi se faire pincer. La personne sera cuisinée. Peut-être lui proposera-t-on une coopération. Si la victime craque et se soumet, ils le ramènent à la vie et effacent tous les dossiers relatifs à son arrestation.

Il m’est apparu qu’un tel coup a pu être réalisé avec de nombreux oligarques, chanteurs, artistes, écrivains et autres personnalités russes. Ils l’ont jeté en prison, ont fabriqué des faits compromettants et lui ont offert un choix : une peine de prison à vie ou un emploi à la CIA. Et beaucoup, comme vous pouvez le voir, se sont avérés être conciliants. C’est une blague. Ou peut-être pas. N’est-ce pas la raison pour laquelle toutes sortes de Friedmans-Avens envoient maintenant consciencieusement de l’argent à l’armée ukrainienne, tandis que les stars du cinéma “condamnent la Russie” comme un seul homme ? Ils ont séjourné à l’étranger. Et certains y vivent même. Les briser était facile. Boris Borisovitch (Grebenshchikov), si vous êtes pris en otage, faites-nous un signe – lors de votre prochaine représentation, dites “om mani padme hum” à l’envers et nous comprendrons, nous vous sauverons !

Mais tout le monde ne cède pas. Le plus célèbre des citoyens russes qui croupissent dans les geôles américaines est sans aucun doute Victor Bout. Un homme d’affaires qui a été attiré en Thaïlande par les services de renseignement américains, emmené en Amérique et accusé de trafic d’armes, en usant de mensonges et de provocations. L’écrivain russe et journaliste de RT Igor Molotov a publié une étude compacte mais succincte, le livre Victor Bout. À la poursuite d’un rêve. Lorsque je l’ai découvert, je me suis immédiatement rendu dans la chaîne de librairies la plus proche. Je pensais qu’il y aurait une grande affiche sur la fenêtre et que le livre serait présenté en pile au milieu du hall. Mais, à ma grande surprise, je n’ai rien trouvé de tel.

C’est du sarcasme. Je n’ai pas été surpris. Notre secteur du livre et notre culture en général sont incapables de (ou ne veulent pas ?) promouvoir de tels ouvrages. Les livres qui sont en vedette et trônent au beau milieu des librairies sont du genre de “Un été en Cravate de Pionnier” (1) devenu un best-seller. Pas parce que c’est une question d’argent. Non, c’est différent. C’est… “la mode”.

Le livre de Molotov montre bien à quel point les institutions idéologiques du monde anglo-saxon ont œuvré pour créer l’image de Victor Bout comme un “marchand de mort” et “le Mal incarné”. Des articles ont été publiés dans la presse grand public, puis des livres ont été écrits et enfin une superproduction hollywoodienne avec Nicolas Cage a été réalisée. Sans longue délibération, le film s’appelle Seigneur de guerre (Lord of War). Et le héros négatif est russe, Youri Orlov. Dans la publicité du film sur Kinopoisk, il est dit que le prototype était le Victor Bout russe. Au moment de l’arrestation et de la condamnation de Bout, le monde entier “savait” qu’il était un “baron de l’armement” et un “marchand de mort”. Comment le monde l’a-t-il su ? C’était montré dans le film !

Il serait logique, maintenant, de monter une contre-campagne sur Bout. Promouvoir dans les ventes le livre “Victor Bout. À la poursuite d’un rêve“, le traduire en langues étrangères et le promouvoir là aussi. Faire un film, comme avant, commandé par Gosteleradio [radio TV d’État]. Demander à Bondarchouk Junior de le faire, avec Kozlovsky dans le rôle principal. Parce que c’est nécessaire. L’affaire Bout est directement liée à l’image et à l’autorité de la Russie.

D’autant plus que le livre est très bien écrit. Devant le lecteur se déroule toute la vie d’un homme soviétique, dont la jeunesse a correspondu avec l’effondrement du socialisme. C’est un récit fascinant de la construction par Bout de son empire maritime. Les agissements des services secrets sont révélés. Les personnages du livre “respirent” et suscitent la sympathie. Il y a aussi l’amour : Alla Bout, l’épouse loyale et dévouée de Victor. La langue du livre est vivante, imaginative, compréhensible. Mais qui ne cède pas à la facilité, il y a des “pépites” qui créent l’effet de présence. Le final est déchirant. L’entrepreneur intrépide, dans les conditions difficiles de la prison, ne se dégrade pas, mais concentre son esprit – il renonce à manger de la viande, fait du yoga, lit beaucoup, apprend des langues et se rassure lui-même, sa famille et nous tous : l’enfer et le paradis ne sont pas dans les circonstances extérieures, mais seulement à l’intérieur de l’homme lui-même.

La poétesse russe Younna Morits a écrit des poèmes dédiés à Victor. Ils sont cités par Molotov : “Le bel aviateur Victor Bout“. Techniquement, Bout lui-même n’était pas un aviateur (bien qu’il ait appris à piloter un avion, en amateur). Il a fondé et dirigé une compagnie aérienne en Afrique. Une entreprise très prospère. Qui a suscité la colère et l’envie des Anglo-Saxons, qui se sont vengés sur lui. Et la Russie n’a pas réussi jusqu’à présent à protéger son citoyen (Bout n’avait et n’a pas d’autres passeports, contrairement à beaucoup de nos autres “hommes d’affaires” qui se sont égarés en Angleterre, en Israël et ainsi de suite). Mais dans l’esprit des gens, Bout est juste ça : un bel aviateur. Et c’est une question de notre souveraineté culturelle et idéologique que de montrer à nous-mêmes et au monde cette image d’un Russe, d’un entrepreneur russe, d’un bel aviateur.

Et, bien sûr, Victor Bout doit être sauvé. Échangeons-le contre un espion américain. Ou pour une centaine de leurs agents de “notre” cinquième colonne. Et nous le ramènerons à la maison.

(1) Une histoire d’amour gay-friendly entre un jeune pionnier et son moniteur à l’époque soviétique ! ce qui montre que les lois anti propagande LGBT et la “répression” contre les homosexuels dans la Russie du méchant Poutine ne sont pas si féroces que l’on croit ici. (note de MD)

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