Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Suivre la montée du sentiment anti-Français en Afrique du Nord, par Vijay Prashad

Nous conseillons à nos lecteurs qui peuvent envisager une telle participation de s’inscrire aux journées internationales de Vénissieux du 11 au 13 novembre 2022 dans lesquelles seront abordées par les forces progressistes des questions importantes (1), parmi celle-ci il y a bien sûr la paix et le socialisme, mais également le samedi matin une rencontre autour de l’évolution de la situation en Afrique dont traite cet article venu de l’Inde. Encore une “réussite” du gouvernement de Macron mais qui ne fait que prolonger les impasses des autres gouvernements qui n’ont jamais su inaugurer une autre relation que néo-coloniale. Ici aussi les Etats-Unis jouent leur rôle contre la présence française tandis qu’officiellement la rivalité se joue avec la Chine et la Russie. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

ParVijay Prashad Bio de l’auteur:Cet article a été produit par Globetrotter. Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est rédacteur et correspondant en chef chez Globetrotter. Il est éditeur de LeftWord Books et directeur de Tricontinental: Institute for Social Research. Il est chercheur principal non résident à l’Institut Chongyang d’études financières de l’Université Renmin de Chine. Il a écrit plus de 20 livres, dont The Darker Nations et The Poorer Nations. Ses derniers livres sont Struggle Makes Us Human: Learning from Movements for Socialism et (avec Noam Chomsky) The Withdrawal: Iraq, Libya, Afghanistan, and the Fragility of U.S. Power.Source: Globe-trotterTags:activisme,

En novembre 2021, un convoi militaire français se dirigeait vers le Mali en passant par le Burkina Faso et le Niger. Il n’est pas allé très loin. Il a été arrêté à Téra, au Niger, et avant à plusieurs endroits au Burkina Faso (à Bobo-Dioulasso et Kaya ainsi qu’à Ouagadougou, la capitale du pays). Deux civils ont été tués à la suite d’affrontements entre le convoi français et des manifestants « en colère contre l’échec des forces françaises à maîtriser le terrorisme dans la région ». Lorsque le convoi est entré au Mali, il a été attaqué près de la ville de Gao.

Le colonel Pascal Ianni, porte-parole du chef d’état-major de la Défense Française, a déclaré à Julien Fanciulli de France 24 qu’il y avait beaucoup de « fausses informations qui circulaient » sur le convoi français. La responsabilité des attaques a été attribuée aux « terroristes », à savoir les groupes islamiques qui continuent de détenir de grandes parties du Mali et du Burkina Faso. Ces groupes ont été enhardis et endurcis par la guerre de 2011 contre la Libye, poursuivie par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et encouragée par la France. Ce que le colonel Ianni n’a pas voulu admettre, c’est que les manifestations qui ont suivi le convoi ont révélé la profondeur du sentiment anti-Français en Afrique du Nord et dans la région du Sahel.

Des coups d’État dans la région ont lieu depuis deux ans, y compris le coup d’État en Guinée en septembre 2021 et les deux autres coups d’État au Mali (août 2020 et mai 2021), ainsi qu’un autre coup d’État au Burkina Faso (janvier 2022), motivés en grande partie par le sentiment anti-Français au Sahel. En mai 2022, les chefs militaires au Mali ont expulsé les bases militaires françaises mises en place en 2014, tandis que le projet politique français – G5 Sahel – patauge dans cette atmosphère d’animosité. Les manifestations contre les Français au Maroc et en Algérie n’ont fait qu’ajouter du poids au sentiment anti-Français qui se répand sur le continent africain, le président français Emmanuel Macron ayant été couvert d’insultes alors qu’il tentait de marcher dans les rues d’Oran en Algérie en août 2022.

Animosités

« La situation dans les anciennes colonies françaises (Burkina Faso, Tchad, Côte d’Ivoire, Niger et Mali) est différente de la situation en Afrique du Nord », m’a dit Abdallah El Harif du Parti de la voie démocratique des travailleurs du Maroc. « Les mauvaises relations entre le régime marocain et la France sont dues au fait que le régime marocain a développé d’importantes relations économiques, politiques et sécuritaires avec les régimes d’Afrique de l’Ouest aux dépens de la France », a-t-il déclaré. Concernant les anciennes colonies françaises le long du Sahel en particulier, El Harif a déclaré que « de nombreuses insurrections populaires » avaient eu lieu contre la présence coloniale continue française dans ces pays. Alors que le Maroc prend ses distances avec la France, Paris est irrité par ses liens croissants avec les États-Unis, tandis que dans la région du Sahel, les gens veulent éjecter la France de leur vie.

La monarchie marocaine a réagi discrètement aux coups d’État au Sahel, ne voulant pas s’associer au style de sentiment anti-Français dans la région. Une telle association attirerait l’attention sur les relations étroites du Maroc avec les États-Unis. Cette relation américano-marocaine a fourni à la monarchie des dividendes : équipement militaire des États-Unis et autorisation pour le Maroc de poursuivre son occupation du Sahara occidental, y compris l’extraction des précieux phosphates de la région (en échange de l’ouverture des liens du Maroc avec Israël). Chaque année, depuis 2004, le Maroc accueille un exercice militaire américain, l’African Lion. En juin 2022, 10 pays africains ont participé au Lion d’Afrique 2022, avec des observateurs d’Israël (pour la première fois) et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Le Maroc, m’a dit El Harif, « a énormément développé ses relations militaires avec les États-Unis ». La France a été mise à l’écart par ces manœuvres, ce qui a agacé Paris. Alors qu’il laissait derrière lui les foules moqueuses à Oran, en Algérie, le président Macron a déclaré qu’il se rendrait au Maroc à la fin du mois d’octobre.

Dans la région du Sahel, contrairement au Maroc, il y a un sentiment populaire croissant contre l’ingérence coloniale française (appelée Françafrique). L’ancien président tchadien Idriss Déby Itno, décédé en 2021, a déclaré à Jeune Afrique en 2019 que « la Françafrique c’est fini. La souveraineté est incontestable, nous devons cesser de coller cette étiquette d’arrière-cour française à nos pays. » « Les Français contrôlent la monnaie de ces États », m’a dit El Harif. « Ils ont de nombreuses bases militaires [dans la région du Sahel], et leurs entreprises pillent les ressources naturelles de ces pays, tout en prétendant lutter contre le terrorisme ». Lorsque des défis politiques surgissent, les Français se sont entendus pour assassiner des dirigeants qui contestent leur autorité (comme Thomas Sankara au Burkina Faso en 1987) ou les ont fait arrêter et emprisonner (comme Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire en 2011).

Pourquoi la Françafrique est-elle finie ?

Dans une récente interview accordée à Atalayar, l’ancien ambassadeur de France au Mali, Nicolas Normand, a imputé la montée du sentiment anti-Français aux « accusations anti-Français répétées du Premier ministre malien et à la virulente campagne médiatique menée par la Russie sur les médias sociaux, accusant la France de piller le Mali et de soutenir les djihadistes en prétendant les combattre, avec de fausses vidéos ». En effet, le Premier ministre malien avant le 22 août 2022, Choguel Maïga, a fait des déclarations fortes contre l’intervention militaire française dans son pays. En février 2022, Maïga a déclaré à France 24 que le gouvernement français « a tenté de diviser son pays en alimentant les revendications d’autonomie dans le nord ». Le chanteur malien Salif Keïta a posté une vidéo dans laquelle il a dit: « Ne savez-vous pas que la France finance nos ennemis contre nos enfants? » accusant la France de collaborer avec les djihadistes.

Pendant ce temps, à propos de l’accusation selon laquelle le groupe russe Wagner opérait au Mali, Maïga a répondu dans son interview à France 24 et a déclaré que « Le mot Wagner. Ce sont les Français qui disent cela. Nous ne connaissons pas de Wagner. » Cependant, le Mali, a-t-il déclaré en février, travaille « avec les coopérateurs russes ». À la suite d’une enquête menée par Facebook en 2020, il a supprimé plusieurs comptes de médias sociaux qui tous remontaient à la France et à la Russie et qui « s’affrontaient en République centrafricaine ».

Dans un article important paru dans Le Monde en décembre 2021, Rahmane Idrissa, chercheur principal au Centre d’études africaines de l’Université de Leiden, a souligné trois raisons à la montée du sentiment anti-Français au Sahel.

Premièrement, la France, a-t-il dit, « paie la facture au Sahel d’un demi-siècle d’interventions militaires en Afrique subsaharienne », y compris la protection par la France de régimes « généralement odieux pour la population ».

Deuxièmement, l’échec de la guerre contre les djihadistes a désillusionné le public quant à l’utilité du projet français.

Troisièmement, et c’est essentiel, Idrissa a fait valoir que l’incapacité des dirigeants militaires de la région « à mobiliser la population contre un ennemi (djihadiste) », contre lequel ils n’ont pas de véritable stratégie, a conduit à tourner cette colère vers les Français. Le départ du Français, aussi bienvenu soit-il, « ne résoudra certainement pas la crise jihadiste », a noté Idrissa. Le peuple se sentira « souverain », écrit-il, « même si une partie du territoire reste entre les mains de gangs terroristes ».

(1) Pour programme et contacts :

10èmes rencontres internationalistes de Vénissieux | Histoire et société (histoireetsociete.com)

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