Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Pourquoi la Russie cherche un tracé de pipeline vers l’Inde

En prenant connaissance de ce passionnant article sur les routes possibles de l’énergie russe nous avons une lecture de divers événements dont nous avons fait état ici alors que les médias français n’y ont consacré que de brèves allusions, à savoir le récent sommet de Samarcande de l’OCS, l’aide fournie par la Russie aux Afghans, un effort commun de pacification et de développement alors même que les USA et l’OTAN attisent les conflits et les différentes formes de terrorisme, le tout bien sûr couvert par des campagnes nauséabondes de promotion de la lutte des femmes (combien de fois ces faux culs nous ont-ils fait le coup de la libération des femmes afghanes ou iraniennes tout en développant blocus, sanctions et terrorisme qui sont le très grand obstacle au développement et donc à l’évolution de la condition féminine ?). Mais suivre les routes de l’énergie permet de voir la réalité des beaux discours des profits et des pillages capitalistes face à un monde multipolaire en train de naître. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop).

https://vz.ru/opinions/2022/9/30/1179373.html

Gleb Prostakov
analyste des affaires
30 septembre 2022, 08:50

Le récent sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai à Samarcande a lancé des processus tectoniques dans le domaine de la sécurité énergétique eurasienne. Les déclarations fragmentaires des différents intervenants sur ce sujet cachent en réalité une énorme masse de non-dits. Toutefois, c’est le secteur de l’énergie et les énormes projets d’infrastructure qui accompagnent son développement qui pourraient devenir non seulement le cœur de l’union émergente des pays en développement, mais aussi la principale garantie de sa durabilité à long terme.

C’est l’OCS qui permet à la Russie, tout en mettant en œuvre son projet de “pivot vers l’Est”, d’envisager le développement des relations économiques non seulement avec la Chine, mais aussi avec l’ensemble de l’Eurasie, et surtout avec la principale alternative à la Chine, l’Inde. En raison de sa dynamique de développement et de sa proximité logistique, la Chine reste un acheteur clé des ressources énergétiques russes. Il faut reconnaître que ces achats s’effectuent dans un contexte somme toute d’urgence, et qu’ils ne pourront pas augmenter indéfiniment. La Russie a fortement réduit ses ventes de gaz à l’Europe, et la Chine profite de la situation pour stocker du pétrole et du gaz à son propre profit – les ressources sont achetées à un rabais malgré tout tangible.

Il semble que ce ne soit qu’une question de temps avant que l’approvisionnement en gaz russe de l’UE ne soit complètement interrompu. Dans le même temps, le manque d’infrastructures de transport a jusqu’à présent empêché la Russie d’exploiter pleinement son potentiel énergétique à l’est et au sud. Un projet important sera le gazoduc Force de Siberie-2, dont l’approbation a été annoncée prochainement à Samarcande par le vice-premier ministre russe Alexandre Novak. Ce tuyau, d’une capacité de 50 milliards de mètres cubes de gaz par an, absorbera le volume qui devait être livré par Nord Stream-2. Et la poursuite du projet Force de Siberie-2, le gazoduc Soyouz Vostok [Union – Orient, NdT], qui traversera la Mongolie jusqu’en Chine, permettra à Oulan-Bator de faire partie de l’espace énergétique commun.

La direction nord-sud est tout aussi importante, sinon plus, pour la construction d’infrastructures. L’e goulot d’étranglement du Caucase et l’instabilité politique permanente de la région empêchent de lancer la construction de grands gazoducs. La Russie, l’Azerbaïdjan et l’Iran développent une coopération par le biais d’approvisionnements de substitution, qui présentent des limites importantes. Cela n’a toutefois pas empêché le développement des infrastructures de transport dans la région. Début septembre, les trois pays ont signé un accord visant à développer le corridor de transport nord-sud, qui se veut la plus importante voie d’importation de la Russie en provenance d’Asie du Sud, malgré les restrictions imposées par les sanctions.

Pourtant, l’accès aux marchés énergétiques de l’Asie du Sud reste très important pour Moscou. Oui, il est possible d’y livrer du GNL. Mais, tout d’abord, la logistique de la livraison du GNL est moins avantageuse que celle du gazoduc en termes de coûts. Et, deuxièmement, elle est également menacée par des sanctions, en commençant par le problème de la construction d’un nombre suffisant de méthaniers et en terminant par des restrictions sur l’assurance des navires et l’entrée dans les ports.

L’aspect géopolitique du gazoduc est également important, avec sa propriété unique de cimenter de manière monumentale les intérêts économiques d’États très différents, y compris d’États antagonistes. Le courant “turc” et le courant “bleu”, malgré toute la complexité des relations entre Moscou et Ankara, empêchent les deux pays de dégénérer en une confrontation ouverte qui causerait des dommages irréparables aux intérêts économiques des deux pays.

En ce sens, le tuyau agit comme un fusible qui empêche une confrontation incontrôlée et oblige les parties à rechercher des compromis. En effet, les pays sont littéralement enchaînés par une barre de fer. En ce sens, les pipelines apportent la pondération qui fait actuellement défaut à l’Union européenne. Ce n’est pas pour rien que les plus grands pipelines portent les noms de “Druzhba”, “Mir”, “Soyuz” [Amitié, Paix, Union, NdT] et autres.

Une alternative à la route à travers le Caucase reste la route à travers l’Asie centrale. Le président Vladimir Poutine a mentionné en passant le projet Pakistan Stream lors de ses entretiens avec le Premier ministre pakistanais Shahbaz Sharif à Samarkand. Il semblerait que ce dernier ait peu à voir avec les intérêts russes. Le gazoduc irait du sud au nord du Pakistan, de Karachi à Lahore, et transporterait le GNL du terminal de regazéification vers les régions plus septentrionales et plus froides du pays. Cependant, l’importance du gazoduc, initialement nommé Nord-Sud, est qu’il pourrait finalement faire partie d’un système majeur de gazoducs en Asie du Sud, reliant les principaux pays producteurs tels que la Russie, le Kazakhstan et le Turkménistan aux principaux consommateurs du Pakistan, et surtout de l’Inde.

Jusqu’à présent, tous les grands projets qui permettraient à Delhi d’obtenir du gaz par canalisation à l’échelle industrielle ont été bloqués par l’Occident. Le plus célèbre de ces projets est le gazoduc Mir, qui relie l’Iran à l’Inde en passant par le Pakistan. La section iranienne du tuyau, qui devait être opérationnelle dès 2014, a été construite. Mais il y a eu des problèmes avec la section pakistanaise. Les États-Unis sont intervenus, déclarant qu’ils ne soutenaient pas les projets qui “ne remplissent pas les conditions de transparence et de développement durable”. En d’autres termes – qui ne sont pas dans l’intérêt des États-Unis eux-mêmes. Et en 2020, sous la pression de Washington, l’Inde a annoncé son retrait du projet sous prétexte de ne pas vouloir coopérer avec le Pakistan hostile.

Le projet TAPI, longtemps retardé, un gazoduc partant du Turkménistan et traversant l’Afghanistan, avec des points de terminaison au Pakistan et en Inde, avance également cahin-caha. Ce gazoduc pourrait être une continuation du système de gazoducs Asie centrale-Centre (Kazakhstan, Ouzbékistan) contrôlé par Gazprom, mais l’instabilité en Afghanistan est devenue un problème. Ce point a d’ailleurs également été mentionné par M. Poutine lors d’une réunion avec le premier ministre du Pakistan, dont on sait qu’il a une influence sur les talibans.

La plateforme de l’OCS, à laquelle participent tous les pays mentionnés ci-dessus, est capable, sinon de résoudre les contradictions séculaires entre les principaux acteurs asiatiques – la Chine et l’Inde, l’Inde et le Pakistan – du moins d’empêcher ces contradictions de faire obstacle au développement infrastructurel de l’Asie du Sud.

Le conflit aigu entre la Russie et l’Occident concentre les efforts de ce dernier en un point. Dans ces conditions, il n’est plus possible pour l’Occident collectif d’exercer autant de pression sur l’Inde et le Pakistan qu’auparavant. Mais les pays collectifs de l’Orient pourraient bien assumer une sorte de patronage à l’égard de l’Afghanistan, en garantissant la stabilité de ce pays sans s’ingérer activement dans ses affaires intérieures. Ayant quitté l’Afghanistan en 2020, les États-Unis ne pourront plus s’opposer activement à l’utilisation de ce pays géographiquement important dans des projets panasiatiques, principalement dans la construction d’infrastructures énergétiques.

Petit à petit, la Russie, et avec elle d’autres pays, cherchent un nouveau tracé de pipeline vers l’Inde. Lorsque cette quête sera couronnée de succès, le continent asiatique entrera dans une nouvelle ère de puissance économique qui fera contrepoids aux “hégémons de la mer” en perte de vitesse – les États-Unis et le Royaume-Uni.

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