Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Les délires nazis de Salvador Dali

Aragon m’a raconté cette “rupture” entre Salvador Dali et les surréalistes et le jour où elle a été consacrée définitivement. Breton habitait au dernier étage (le sixième je crois d’un immeuble haussmannien sans ascenseur). Quelques jours après le bombardement du train de Guernica (qui a inspiré à Pablo Picasso son chef d’oeuvre (1)), Salvador Dali s’est pointé dans une des réunions des surréalistes qui avaient lieu chez Breton, il a été accueilli froidement mais le comble a été quand cet individu a osé jouer le pitre en roulant les rrrr et en disant : “Ce qui s’est passé à Guernica est surrrrréaliste!” Aragon l’a pris alors par la peau du col et l’a descendu dans l’escalier à coup de pied dans le cul…(2). A l’écoute de cette histoire importante, j’éprouvais deux impressions. La première, je détestais la peinture de Salvador Dali depuis ma découverte de son christ à Glasgow, sur draperie violette j’avais ressenti un sentiment d’escroquerie d’un conformisme pompier sur de fausses audaces. Cette répulsion pour le peintre était donc confortée par le refus d’identifier le surréalisme avec cette contrefaçon et l’anecdote d’Aragon m’allait assez bien, cela dit je n’aimais pas Magritte et d’autres dont les audaces me semblaient également relever plus du décoratif que d’une rupture révolutionnaire. Mais je me gardais bien de me lancer auprès d’Aragon dans un tel plaidoyer sur les échecs du surréalisme en peinture à l’inverse de la poésie et ses dérives en particulier aux Etats-Unis. Le deuxième sentiment en revanche me poussa à demander à Aragon pourquoi Gala (3) avait quitté Eluard pour un tel pitre. Il m’avait simplement répondu que tout le monde souhaitait se débarrasser de Gala et que les deux formaient la paire. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

On savait déjà que le célèbre peintre catalan Salvador Dali, décédé en 1989, avait eu de fortes sympathies pour les régimes dictatoriaux, à commencer par celui du général Franco, au pouvoir pendant quatre décennies en Espagne. On savait aussi que l’homme à la moustache fantaisiste éprouvait une certaine faiblesse pour Hitler et Mussolini. Mais on ignorait que le peintre de Cadaqués nourrissait l’espoir insistant de créer une nouvelle religion athée, haineuse et clairement suprémaciste. En effet, une lettre inédite envoyée au père du surréalisme André Breton, mouvement auquel appartenait Salvador Dali, récemment rendue publique, révèle le projet fou du peintre. Dans cette missive, révélée par El Pais, il exprime son désir de fonder une religion « à la fois sadique, masochiste, onirique et paranoïaque ».

De notre correspondant à Madrid, François Musseau – |

Les délires nazis de Salvador Dali

© – / AFP
Et de préciser : « Une foi essentiellement antichrétienne et matérialiste, basée sur le progrès des sciences, autrement dit sans dieu et scientifique. » Cette lettre date de 1935, date à laquelle le Führer et le Duce étaient respectivement au pouvoir en Allemagne et en Italie, l’artiste n’y cache pas la profonde admiration qu’il ressentait pour les deux hommes. La nouvelle a fait l’effet d’une douche froide dans un pays qui en a fait une de ses icônes culturelles et où le musée consacré à son œuvre à Figueras, en Catalogne, est un lieu incontournable, au même titre que le musée Miro de Barcelone.

Nous ne voulons pas le bonheur de tous les hommes, mais celui de quelques-uns au détriment des autres.

Un an plus tôt, en 1934, les surréalistes emmenés par André Breton avaient demandé à Salvador Dali de prendre temporairement ses distances vis-à-vis du mouvement, eu égard à ses positions extrémistes. Ce n’était pas pour dissuader le peintre qui donna libre cours à ses délires de grandeur et à sa fascination pour le pouvoir le plus brutal. Il dit alors s’inspirer des théories de Freud et de Lacan censées faire émerger les désirs que la morale chrétienne réprimerait et maintiendrait occultes dans l’inconscient. De là, il se convainc qu’il faut dépasser le christianisme et, hypnotisé par la figure d’Adolf Hitler, il n’hésite pas à proposer dans sa lettre « la fin de l’inflation scandaleuse de l’altruisme chrétien » : « Nous ne voulons pas le bonheur de tous les hommes, mais celui de quelques-uns au détriment des autres, car l’oppression […] est la condition psychologique, biologique et physique primordiale pour la félicité du reste. »

Salvador Dali porte aux nues les phénomènes qui mettent en péril les certitudes intellectuelles, et il est alors convaincu que le nazisme en est le plus brillant exemple. Au point de dépeindre le national-socialisme comme le surréalisme au pouvoir, et comme « l’amalgame anarchique de toutes idéologies révolutionnaires ». En 1935, l’année même où Hitler fait approuver les lois racistes de Nuremberg, le peintre sombre dans une cruauté antihumaniste qui lui fait souhaiter l’asservissement « de toutes les races de couleur » par les Blancs, source « d’immenses possibilités d’enthousiasmes immédiats ». On comprend que les surréalistes jugeaient nauséabondes les idées du peintre catalan, qui sera définitivement expulsé du mouvement en 1939.

(1) Picasso réalisa cette huile sur toile de style cubiste entre le 1 mai et le 4 juin 1937, à Paris, en réponse à une commande du gouvernement républicain

(2) Le bombardement de Guernica (sous le nom de code opération Rügen) est une attaque aérienne réalisée sur la ville basque espagnole de Guernica le lundi 26 avril 1937 par 44 avions de la Légion Condor allemande nazie et 13 avions de l’Aviation Légionnaire italienne fasciste, en appui du coup d’État nationaliste contre le gouvernement de la Seconde République espagnole. Donc l’anecdote d’Aragon prouve que l’exclusion de Dali a eu lieu en 1937 bien avant son officialisation en 1939. La rupture entre Buñuel et Dali est encore plus précoce: Buñuel s”était fait connaître, dans les dernières années du cinéma muet, comme metteur en scène surréaliste d’avant-garde, travaillant aux côtés de Salvador Dalí et du groupe surréaliste parisien autour d’André Breton ; sa création la plus marquante de cette époque est le court métrage Un chien andalou de 1929, qui fait scandale comme un cinéma de la cruauté. En 1933, il part avec un compagnon communiste inaugurer un autre style Terre sans pain (Las Hurdes ou Tierra Sin Pan). Cet engagement communiste le poussera dans la rupture entre Aragon et Breton à se ranger du côté du premier.

(3) Gala, de son vrai nom Elena Ivanovna Diakonova, est née en Russie comme Elsa Triolet. Égérie des surréalistes, elle fut d’abord l’épouse du poète Paul Eluard rencontré dans un sanatorium. En 1928, Éluard repart dans un sanatorium avec Gala, où ils passent leur dernier hiver ensemble alors que leur vie de couple est déjà distendue puisque Gala est déjà ouvertement la maîtresse de Max Ernst. C’est à ce moment que Gala qui a 35 ans, rencontre Salvador Dalí et finit par quitter Paul Éluard pour le peintre qui en a 25.

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3 Commentaires

  • etoilerouge
    etoilerouge

    Dali derrière ses outrances c’est avida dollars.

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    • Chabian
      Chabian

      J’allais le dire, sans penser à ce bon mot : il avait le sens du marketing et du commerce. Il a dans un certain sens utilisé Gala comme icone pour fasciner son propre public. Mais elle avait sa propre insoumission, sa propre liberté créative et l’a tenu à distance. Plusieurs artistes ont donné dans l’admiration pour l’ordre nouveau (en Belgique en tous cas, aussi pour des écrivains prolétariens, des sculpteurs), mais c’était à la mode dans le milieu de leur clientèle, et les nazis offraient des voyages et des expos à Berlin… et ce n’est pas la collaboration la plus grave (elle a été sanctionnée un peu en 1944). Mais si, comme Dali, on a vu Franco et ses amis de près, et les exilés espagnols à Paris, cela devient plus grave.

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  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    Le chauvinisme dans l’étude de l’histoire POLITZER VS ROSENBERG
    Comment la propagande rejette le fait historique objectif ?

    Rosenberg prône une Histoire Allemande tout comme aujourd’hui nous avons une version de l’OTAN des faits historiques objectifs.

    Une lecture de Frédéric Cordier avec une contextualisation du texte qui va être lu.
    Introduction de “Révolution et contre révolution au XXe siècle” (1941)

    https://youtu.be/-4reWeqUaFw

    Accès direct à la lecture du texte de Politzer:

    https://youtu.be/-4reWeqUaFw?t=535

    https://editionscritiques.fr/produit/revolution-et-contre-revolution-au-xxe-siecle/

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