Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

FIFDA: «Voodoo Macbeth», l’histoire afro-américaine oubliée d’Orson Welles

j’espère qu’il nous sera donné en province de découvrir ce film sur le premier succès d’Orson Wells en matière de mise en scène: une pièce de Shakespeare de 1936 entièrement jouée par des acteurs noirs. un film a été tourné qui restitue cette aventure qui a connu un grand succés mais semble avoir été oubliée dans l’oeuvre d’Orson Wells, comme d’ailleurs beaucoup d’aspect de l’histoire des afro-américains. (note de danielle bleitrach dans histoireetsociete)

Publié le : 02/09/2022 – 17:43

L’actrice Inger Tudor (à droite) dans le rôle de Rose McClendon dans « Voodoo Macbeth » de Dagmawi Abebe. © fifdaparis

Texte par :Siegfried ForsterSuivre8 mn

« Il y a parfois une amnésie collective concernant les réussites des Noirs en Amérique », raconte Inger Tudor, l’actrice principale de Voodoo Macbeth. Car le premier grand succès d’Orson Welles n’était pas Citizen Kane, mais en tant que metteur en scène de Voodoo Macbeth, en 1936. Cette première mise en scène d’une pièce de Shakespeare avec une troupe exclusivement composée d’acteurs noirs a fait date dans l’Histoire du théâtre afro-américain. Cette épopée incroyable est au centre du magnifique film Voodoo Macbeth, projeté en première européenne ce vendredi 2 septembre à l’ouverture du festival Fifda à Paris.

Le Festival international des films de la diaspora africaine (Fifda) présente du 2 au 4 septembre à Paris (et du 4 au 6 septembre en ligne) onze films inédits, dont la production phare de cette douzième édition : Voodoo Macbeth, du réalisateur américain d’origine éthiopienne Dagmawi Abebe. Rencontre avec l’actrice principale Inger Tudor, qui a déjà remporté plusieurs prix pour son interprétation percutante du personnage mythique Rose McClendon.

RFI : À votre avis, que s’est-il passé lorsque Orson Welles a rencontré Rose McClendon en 1936 ?

Inger Tudor : Elle a rencontré Orson Welles avec son coproducteur John Houseman. Ils faisaient partie du Negro Theatre Unit, un projet fédéral lancé dans le cadre du New Deal du président américain Roosevelt durant la Grande Dépression des années 1930 pour aider les artistes en difficulté. Quand Houseman et McClendon ont vu Orson Welles, je pense qu’ils se sont dits : « Qui est ce jeune ? » Orson Welles n’avait que 20 ans et pas d’expérience professionnelle. Il avait dirigé une pièce au lycée et une autre pendant l’été, mais il n’avait aucune réputation en tant que metteur en scène. Welles était juste un acteur, mais McClendon et Houseman étaient très convaincus d’avoir fait le bon choix. À cette époque, faire une production d’une pièce de Shakespeare avec une distribution entièrement noire était un si grand projet et un si grand défi qu’ils cherchaient vraiment quelqu’un de très audacieux.

Dans le film, vous incarnez Rose McClendon. Qui était cette femme lorsqu’elle a lancé le projet Macbeth pour le Negro Theatre Unit du Lafayette Theatre à Harlem, à New York ?

À ce moment-là, elle était une diva de Broadway. Ses débuts professionnels à Broadway remontent à 1919. Après, elle y a travaillé de manière assez régulière jusqu’à sa mort en 1936. Son dernier rôle [avant son rôle de femme du roi dans Voodoo Macbeth qu’elle a dû abandonner pendant les répétitions à cause de sa maladie, NDLR] fut en 1935 dans Mulatto de Langston Hughes qui avait écrit le rôle pour elle. Elle a fait 375 représentations avant d’être atteinte d’une pneumonie. Elle était très connue et respectée. D’après les recherches que j’ai effectuées, il semble que toutes les pièces qu’elle a jouées ont toujours été bien accueillies, de même que ses représentations. Elle fait partie des légendes du théâtre de Broadway de cette époque.

Pourquoi Orson Welles a-t-il considéré Voodoo Macbeth comme « le plus grand succès de [s]a vie » ?

Je pense, parce que toutes les représentations ont été jouées à guichets fermés. Puis, la pièce est partie et a très bien marché en tournée aux États-Unis. Par la suite, Welles a été très bien accueilli par la critique pour ses autres projets, mais je pense qu’ils n’ont pas eu autant de succès en termes de public et de recettes. C’est en partie pour cela qu’il considérait cette pièce comme son plus grand succès.

Orson Welles suivait une approche très radicale pour sa mise en scène de Shakespeare, avec une distribution entièrement noire, avec des acteurs noirs qui n’étaient pas vraiment des acteurs, parce que Welles embauchait aussi un électricien, un liftier, une chanteuse, un champion de boxe… En plus, il a transposé la pièce d’Écosse en Haïti pour en faire une version vaudou, avec des masques africains… Dans le film, un politicien condamnait la pièce comme « non américaine » et il y a eu beaucoup de protestations devant le théâtre. De quelle sorte de protestations s’agissait-il ?

Une partie des protestations était liée à l’objectif du Negro Theatre Unit, de donner des droits aux gens. Une autre préoccupation était qu’Orson Welles n’allait pas embaucher suffisamment de Noirs. Le quartier de Harlem était majoritairement noir, donc on attendait qu’il donne la parole aux Noirs de Harlem. Certains craignaient même qu’il aille maquiller des Blancs en Noirs avec des « blackface ». Bref, il y avait toutes sortes d’inquiétudes concernant cette pièce de théâtre et les intentions d’Orson Welles.

Cette pièce est devenue une référence dans l’histoire du théâtre afro-américain. Pourtant, chaque fois que quelqu’un parle du premier grand succès d’Orson Welles, il cite Citizen Kane que Welles a tourné quatre ans après Voodoo Macbeth. Pourquoi Voodoo Macbeth est-il tombé dans l’oubli ?

C’est une grande question. Il y a tellement de raisons. Compte tenu de l’époque et les tensions raciales aux États-Unis, cela a été peut-être supplanté par le Mouvement des droits civiques. Mais je ne sais pas. Et même si la pièce a eu un grand succès pendant sa tournée, je ne sais pas si elle était bien reçue par le public blanc du pays. À cette époque, beaucoup de choses produites avec et par des acteurs noirs dans le domaine du théâtre ont été reléguées à Harlem ou dans des zones très spécifiques, comme certains quartiers de Detroit ou des quartiers principalement noirs de Chicago. Pour cela, les gens n’associent pas Voodoo Macbeth à Orson Welles. Dans la conscience collective, cela ne fait pas partie de l’histoire de l’Amérique.

Moi, par exemple, je ne connaissais même pas Rose McClendon avant de faire la lecture du texte pendant la préparation du film Voodoo Macbeth. Et j’ai vécu à New York pendant neuf ans. Je n’arrivais pas à croire que je n’avais jamais entendu parler de cette femme qui était littéralement une diva de Broadway. Je pense simplement que, jusqu’à une certaine époque, il y a parfois une amnésie collective concernant les réussites des Noirs en Amérique.

Et en tant qu’actrice afro-américaine, à quel moment avez-vous entendu parler pour la première fois de la pièce Voodoo Macbeth ?

La même chose : à l’occasion de la lecture du texte pour préparer le film. C’est incroyable. Et comme sur le personnage phénoménal de Rose McClendon, je voulais en savoir plus. J’ai découvert qu’elle était en charge de onze autres unités du projet Negro Theatre Unit aux États-Unis. Mais encore une fois : même si vous étudiez le théâtre, à moins que vous ayez quelqu’un qui soit très engagé et conscient de l’histoire afro-américaine, ni cette production théâtrale, ni l’histoire de la Negro Theatre Unit ou des personnages comme Rose McClendon, sont forcément enseignées.

Quand je pense au Hamlet noir du célèbre metteur en scène Peter Brook ou au Lac des cygnes conçu par la chorégraphe sud-africaine Dada Masilo pour des danseurs noirs, toutes ces productions ont été très applaudies ces dernières décennies en France et en Europe. Aujourd’hui, la question évoquée dans le film Voodoo Macbeth, c’est-à-dire la distribution d’acteurs noirs pour une pièce de Shakespeare, est-elle simplement perçue comme une histoire intéressante du passé ou y a-t-il encore des éléments pour des débats actuels ?

Chez Shakespeare, il y a toujours des histoires, des mythes, des vérités qui sont intemporels. J’aime l’idée d’une distribution entièrement noire quand je pense aux histoires qu’on voit – du moins aux États-Unis. J’entends souvent des acteurs noirs dire : « Nous sommes fatigués de toujours nous voir dans des récits d’esclaves. » Certes, certaines de ces histoires sont merveilleuses, mais les acteurs noirs sont aussi capables de faire et de raconter autre chose. Même aujourd’hui, une production comme Voodoo Macbeth serait exceptionnelle. Et après avoir vu le film, je pense que les spectateurs peuvent vraiment repartir avec une idée plus grande et plus large : les gens sont des gens, peu importe d’où ils viennent. Nous nous battons tous avec les mêmes problèmes. Il y a partout des gens très ambitieux. C’est ça l’histoire de Macbeth et de sa femme.

La soirée d’inauguration du FIFDA et la projection de Voodoo Macbeth auront lieu au cinéma CGR Paris Lilas ce vendredi 2 septembre à 19h30, suivies d’une rencontre en présence de l’actrice afro-américaine Inger Tudor et d’acteurs français invités dont Assane Timbo et Alison Valence.

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 117

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.