Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

OPINION: Le discours de Macron a révélé son pari à long terme pour la France, mais est-ce un pari qu’il peut gagner?

À la suite du discours (exceptionnellement bref) d’Emmanuel Macron à la nation et d’une orgie de blâmes et de spéculations, John Lichfield examine comment les mois turbulents à venir sont susceptibles de se dérouler en France. Les Anglais sont orfèvres dans l’art et la manière de juger des contradictions françaises et ce texte ne manque pas de pertinence non seulement dans le diagnostic mais dans la prospective envisagée par Macron: la dissolution de l’assemblée ingouvernable et qui en fait la preuve. Est-ce seulement la France ? même si celle-ci a une manière caricaturale d’ignorer le contexte historique et mondial pour se livrer aux joies nombrilistes, ce qui est le cas des “empires” anciens ou modernes, tous ces jeux d’appareil ne relèvent pas du “long terme” mais d’un très court terme celui d’une hégémonie en train de se déliter avec une montée de l’anomie, l’impossibilité du politique à gérer la lutte des classes dans un vivre ensemble accepté de tous, “un pacte républicain”. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

e.Publié: 23 juin 2022 12:12 CEST
Mis à jour: 25 juin 2022 09:12 CEST

Emmanuel Macron prononçant son discours mercredi soir. Photo de Ludovic MARIN / AFP

En huit minutes mercredi soir, nous avons vu le meilleur d’Emmanuel Macron et le pire d’Emmanuel Macron. Dans son discours télévisé à la nation, il était confiant; il était solennel; il était surtout bref.

Il a reconnu que le parlement suspendu élu dimanche dernier reflétait de « profondes divisions » dans le pays. Il a déclaré que la France devait « apprendre à gouverner différemment… Nous devons construire de nouveaux compromis… fondée sur le dialogue, l’ouverture d’esprit et le respect ».

Mais il n’a pas admis sa part de responsabilité dans l’impasse que les électeurs ont créée. Il a déclaré qu’il avait encore un « mandat clair » de sa victoire présidentielle en avril. Il a appelé à un compromis, mais a déclaré que certaines de ses propres promesses – pas de nouvelles taxes, pas d’augmentation de la dette – étaient intouchables.

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En avril, Macron a reconnu qu’il avait gagné en partie grâce aux votes de personnes qui ne l’aimaient pas mais craignaient davantage Marine Le Pen. Il a promis de gouverner en pensant à eux. Il ne l’a pas fait.

Son alliance a dérivé tout au long de la campagne parlementaire sans défendre fermement le programme présidentiel de Macron, et encore moins proposer de nouvelles idées pour apaiser les électeurs, de droite ou de gauche, qui l’ont soutenu par défaut le 24 avril.

Ce n’est pas la seule raison du gâchis dans lequel se trouve actuellement la France. D’autres facteurs ont joué un rôle : la fatigue des électeurs; l’inflation; l’instinct perpétuel français d’exiger le « changement » mais de résister à tous les changements ; une campagne qui a largement ignoré les menaces croissantes dans le monde extérieur.

La France se trouve aujourd’hui, par accident, dans un monde que la génération actuelle de politiciens français n’a jamais connu – un monde allemand, italien, espagnol ou belge de coalitions, de compromis et d’alliances changeantes.

C’était dans ce monde là – un monde de gouvernements à tourniquet – que Charles de Gaulle a conçu la Cinquième République dominée par la présidence pour le remplacer. Certains soutiennent que le retour du pouvoir parlementaire sera une bonne chose.

Il suscitera un débat politique plus profond et une culture du compromis constructif. J’en doute. La nouvelle Assemblée nationale – avec neuf groupes politiques, dont de grands blocs de la gauche dure et de l’extrême droite – sera plus difficile à gérer pour un ours que l’Athènes de Periclès.

Il y a eu une chasse aux sorcières dans les médias français pour savoir qui est « responsable » du fait que le Rassemblement national de Marine Le Pen est passé de 8 à 89 sièges dans la nouvelle Assemblée.

La gauche, tant en France qu’à l’étranger, a reproché à l’alliance Ensemble! du président Macron de ne pas avoir donné de conseils clairs à ses partisans dimanche dernier pour voter pour la gauche dans des compétitions bidirectionnelles de second tour avec des candidats lepénistes. En conséquence, ils disent que Le Pen a remporté au moins 30 sièges qui auraient pu aller à l’alliance gauche-verte, Nupes.

Ils omettent de souligner – et les médias français n’ont commencé à le souligner que tardivement – que c’est exactement la même chose qui s’est produite, mais plus encore, avec les électeurs de gauche qui ont fait face à des duels de second tour entre Macron et les candidats de Le Pen. Près de 60% des victoires de l’extrême droite – 53 – sont venues dans des luttes entre le Rassemblement national et l’alliance Ensemble! de Macron.

Les sondages à la sortie des urnes varient, mais tous suggèrent que les électeurs de gauche se sont abstenus, ou même ont voté pour les candidats de Le Pen, pour « bousiller Macron » et que plus encore les électeurs de Macron se sont abstenus ou ont voté Le Pen pour « bousiller » la gauche.

En effet, l’alliance Macron et l’alliance Gauche-Verts se sont tiré une balle dans le pied en abandonnant le soi-disant Front républicain contre Le Pen. Chacun aurait pu remporter au moins 30 sièges supplémentaires si les deux avaient voté l’un pour l’autre. L’alliance Macron aurait même pu obtenir une majorité – ce qui est probablement ce que les électeurs de gauche-verts voulaient empêcher.

Un tollé similaire est en cours contre le camp Macron pour sa prétendue volonté de travailler avec Le Pen et ses députés dans le nouveau parlement. Il y a eu des affirmations peu amènes de la part de certains alliés de Macron. La plupart des hauts lieutenants de Macron ont exclu des accords ou des alliances avec le bloc d’extrême droite.

Mais qu’en est-il de Macron lui-même, qui a demandé à Marine Le Pen lors de leur rencontre mardi si elle envisagerait de rejoindre un gouvernement d’unité nationale ? Il a demandé la même chose à la plupart des chefs de parti qu’il a rencontrés.

Tous ont refusé et comme Macron l’a dit dans son discours de huit minutes, l’idée est irréalisable et injustifiée.

Pourquoi la soulever alors? Surtout avec Le Pen ?

En partie, je pense, parce que Macron croit qu’en tant que président de la République, il ne peut pas prétendre que les 89 députés d’extrême droite n’existent pas. En partie, je crois que Macron joue un jeu d’attente intelligent.

Il ne voit aucune perspective réelle d’une alliance à long terme avec les 64 députés de centre-droit. Il s’attend à court terme à mener des affaires urgentes – y compris un nouveau paquet anti-inflation – par le biais d’alliances ad hoc avec le centre-droit et la gauche modérée.

À plus long terme, il croit (et espère peut-être) qu’une telle coopération est vouée à l’échec. Il veut être perçu comme ayant donné une chance à toutes les combinaisons de paix parlementaire avant de « déclarer la guerre » et de convoquer de nouvelles élections législatives l’année prochaine.

D’où le message d’hier soir. Qu’est-ce que tous les groupes au parlement – y compris les trois groupes favorables à Macron – sont prêts à concéder pour permettre aux affaires vitales du gouvernement de se poursuivre?

Cela aurait pu être une politique plus intelligente si Macron avait dit, plus clairement, qu’il est également prêt à faire des concessions et à écouter les idées des autres.

John Lichfieldnews@thelocal.fr@john_lichfield

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3 Commentaires

  • John V. Doe
    John V. Doe

    “Macron, écouter” L’impossible oxymore. Mais sinon, l’auteur omet de relever que c’est surtout la détestation du bonhomme et de sa politique contre laquelle les Français ont voté à plus de 60%. Contre la violence corollaire à la politique ultra-libérale (comme prévu par son propre créateur), contre la mondialisation inhumaine et sa sociologie déchirée, contre les médias aux ordres, pour un pays qui s’occupe de ses citoyens puisque l’Europe ne le fait pas.

    Ils font juste l’erreur de croire que l’idéologie identitaire ne cache pas une violence, une concentration, une inhumanité et une surveillance omniprésente plus grandes encore.

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  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    Poutine a montré la réactivité et les capacités du gouvernement Russe à s’adapter à des situations nouvelles, exceptionnelles. Il a également été aussi dans le sens de son opposition le KPRF qui a insisté et proposé de reconnaître et défendre le Donbass.

    Les compromis dont parle l’auteur sont des compromis entre semblables, entre serviteurs du grand capital, la main tendue et surtout l’oreille vers les travailleurs est inexistante. Comment en serait-il autrement dans un système où même minoritaire ont peut gagner un poste de direction indéboulonnable quitte à prendre les mesures les plus impopulaires et contre l’intérêt général et même celui de la nation. Comment peut on engager la parole de la France à un sommet de l’OTAN sans débat parlementaire et public ? Ces décisions engagent la sécurité du peuple entier, cet hivers comment allons nous nous chauffer ? Notre principal partenaire commercial verra son industrie à genou sans gaz, quelle anticipation quand l’urgence appelle à l’apaisement avec la Russie et à la fin d’une guerre perdue par l’Ukraine ce qui ne faisait aucun doutes pour n’importe quel militaire ou personne censée.

    La compromission n’est pas au programme de l’action capitaliste, seul l’intérêt à court terme prévaut.

    La compromission socialiste a laissé sa place à une petite bourgeoisie et même parfois à certains bourgeois importants en Russie avec la NEP, en RDA, en Chine lors de la révolution dans sa phase de libération nationale puis dans sa phase d’ouverture, suivie par le Vietnam et à petite échelle à Cuba avec la mise en place de zone spéciales, également tentées en RPDC.

    Ces États présentés comme autoritaires pratiquent concrètement le compromis de classe dans l’objectif de parvenir au socialisme et veillant aux alliances pour contrôler la contre révolution tout en essayant de rester vigilant face à la renaissance et le développement de l’esprit petit bourgeois qui reste présent dans l’idéologie dominante des premières années du socialisme.

    Ces compromis parfois sont à l’origine d’un accroissement de la classe capitaliste comme en RDA où les terres de junkers est mise à disposition de 500 000 nouveaux paysans qui ne sont pas propriétaires privés de la terre mais cependant l’exploitent pour leur propre compte à leur seul profit.

    En Chine la forme privée par action du capitalisme financier classique est présente et représentée par de grands groupes industriels et même encouragée ; ceci sous contrôle de PCC au pouvoir.

    Un discussion qui me semble intéressante sur le compromis de classe et sa pratique en interne et en politique étrangère.

    Défis et problèmes pour la construction du socialisme (Patrik KÖBELE)

    https://socialisme.blog/Defis-et-problemes-pour-la-construction-du-socialisme-Patrik-KOBELE

    Cette compromission de classe mériterait une analyse plus approfondie concernant l’expérience socialiste soviétique qui, à mes yeux, comme la cubaine ont été les formes socialistes les plus avancées. En particulier dans le développement de la mentalité bourgeoise au sein du PCUS et le pourrissement idéologique aussi bien des élites que des masses.

    En RDA quel fût le rôle de la bourgeoisie dans le SED fusion de la social démocratie SPD et du parti communiste KPD ?
    En Pologne les effets de l’opportunisme au sein du PC et ses effets sur les réformes qui ouvriront les portes au mouvement social de Solidarnosc.

    Sur l’expérience d’un non aligné la Yougoslavie nous n’avons pas beaucoup de retour sur ce que sont devenues les coopératives qui étaient un modèle pour certains.

    Ce qui revient souvent dans ces compromis c’est la fragilité du socialisme naissant et l’influence des capitalismes impérialistes coalisés.
    Les nécessités de capitaux en provenance des puissances capitalistes comme la technologie impliquant le commerce avec eux, les guerres anti communistes sur tous les fronts, la persistance de l’idéologie bourgeoise dans les populations et les désirs populaires influencés par l’idéologie bourgeoise en contradiction avec l’intérêt général. Ce fut le cas en RDA où les transports publics en communs efficaces n’empêchaient pas le désir de posséder une voiture personnelle. Sur ce point aujourd’hui les transports en commun et le partage des véhicules sont promus, les plus aisés pouvant facilement vivre dans des villes bien équipées et prendre des moyens de transports en commun efficaces, louer un véhicule si nécessaire contrairement au salarié résidant dans les zones péri urbaines dépendant et contraint à son très cher véhicule personnel. Pourtant ce marquer social que reste la voiture n’est pas encore prêt à disparaître dans la mentalité de la majorité de la population. Même en Chine l’explosion de la vente de véhicules, parfois luxueux y compris en zone urbaine montre la persistance de cette mentalité plus que la nécessité d’avoir un véhicule personnel.

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  • CROCE
    CROCE

    N’importe quel individu, même tiré au sort parmi la pègre de Fleury Mérogis, serait préférable à ce ” dictateur ” qui s’autorise toutes les déviances de la Loi, au nom du ” droit divin ” qui définit les royautés les plus abjectes de la planète !
    Même Louis XVI, qui a pourtant été guillotiné, ne s’est jamais permis de tels privilèges !
    Pour lui, l’Assemblée Nationale, le Sénat, ça n’existe pas, alors que pour entrer en conflit dans quelque région que ce soit, il faut d’abord un accord de l’ O.N.U., et ensuite celui des 2/3 du Congrès français ( Assemblée Nationale et Sénat ).
    Notre pays n’a strictement rien à foutre en Ukraine.
    Ce pays corrompu jusqu’à la moelle par la corruption, aux mains d’oligarques qui s’en mettent plein les poches, et dirigé depuis 2014 par des nazis de la pire espèce, n’appartient ni à la Communauté Européenne, ni à l’ O.T.A.N., et j’espère que ça n’arrivera jamais ( même si c’est le vœu le plus cher des nazis anglo-saxons et des polonais ).
    Toute cette racaille veut la peau de la Russie ?
    Mais qu’ils ne se gênent pas pour nous ! Qui les empêchent d’affronter les russes au sol ?
    C’est ça les Etats-Unis : tout dans la gueule…et rien dans le froc !
    Sauf si les pays attaqués n’ont pas les moyens de se défendre ( encore qu’en Afghanistan… ).
    Pas une arme, pas un char, pas un seul obus, ne doit arriver en Ukraine, et pas un seul français ne doit salir l’honneur de la France en collaborant avec des nazis !
    Allez trouver d’autres crétins pour se faire massacrer à votre place !

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