Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Trintignant: nous ne sommes pas encore prêts à être communistes

Avant tout merci à toi jean louis Trintignant d’être mort paisiblement de vieillesse, une manière élégante d’ inviter à te suivre: “tu vois ce n’est pas si compliqué”.

“C’est si long !” me disait Aragon quinze jours avant de s’éteindre avec la même élégance mais plus d’impatience. On meurt de la mort des autres parce qu’à chaque mort une part essentielle de vous n’existe plus et le dialogue se resserre autour de simples habitudes. Il y a aussi le pire, la mort de l’enfant, celle à laquelle on est coupable d’avoir survécu. Dans le livre d’entretiens avec la journaliste Catherine Ceylac À la vie, à la mort , il a avoué : “Je suis mort le 1er août 2003, le jour où Marie est morte. À l’intérieur de moi, tout est détruit. Je devais venir la retrouver ce soir-là et je ne suis pas venu. C’était un grand voyage en voiture, quatre ou cinq jours. C’est peut-être de ma faute : si j’avais été présent ce soir-là, elle ne serait sans doute pas morte. Cette culpabilité me pèse beaucoup parce que je suis presque sûr d’avoir raison.”

“Le plus grand sujet, finalement, c’est la mort. Moi, je n’aime que les auteurs qui parlent de la mort. Ceux qui ne parlent pas de la mort ne sont pas très intéressants. Je trouve.” Jean-Louis Trintignant, dans l’émission À voix nue

On meurt de n’avoir plus rien d’essentiel à partager même si l’on est entouré : non les yeux ne peuvent pas en tout temps se fermer et on ne peut pas toujours éluder une discussion par simple fatigue, ne pas réellement répondre en feignant de donner raison. On peut pas toujours avoir la force de refuser le compromis de la survie.

Nous les communistes, nous qui avons eu cette “pensée” communiste, nous avons voulu l’art comme un réel de plus, nous l’avons arraché au “divertissement” de Blaise PASCAL en étant élitaire pour tous. Le divertissement, c’est-à-dire la recherche désespérée d’une consolation face à la difficulté d’être soi, pour échapper à la contingence, à la mort. Nous avons voulu combler ce gouffre de soi-même non par des activités futile (recherche de la notoriété ou de l’enrichissement) mais par une identification à l’espèce humaine, à l’histoire, à la Révolution. Et le faire modestement, comme un honnête ouvrier, devenir un protagoniste timide mais qui aide le metteur en scène à dire ce qu’il a à dire, le mieux et le plus simplement possible. Alors là ça devient estimable. .C’était ça que tu savais : jouer la comédie, être le porteur momentané de ce que l’instant recèle, de l’étreinte qui fatalement se dénoue, la condition humaine, alors dis-moi, l’ego fait-il une fois de plus diversion ou arrive-t-on enfin paisiblement à l’essentiel ? .

Alors peut-être est-ce que l’on meurt de cela, de fermer les yeux et ce n’est pas si difficile puisque l’on n’a plus de contemporain avec qui le partage soit possible. Dans le dialogue qui suit, on peut toujours se dire en matière de consolation que déjà l’interlocuteur de Trintignant André Asséo parait à un certain nombre d’entre nous un sacré imbécile et qu’en revanche Trintignant avec sa réponse ambigüe ouvre d’autres temps. il est dans le futur, et celui-ci est en gestation, mais il n’empêche ces temps là nous ne les verrons pas et ce qui reste à boire de cette période qui est encore là est insupportable, un vide abyssal et la brutalité de ceux qui croient savoir et vous imposent leur ordre du jour futile, seuls ceux qui jouent leur vie s’approchent de ce que nous avons été . (note de danielle Bleitrach dans histoire et societe)

 Dans un livre  « Jean-Louis Trintignant du côté d’Uzès entretiens avec André Asséo » Le Cherche Midi Editeur 2012. Aux pages 146-147, André Asséo l’interroge sur Louis Aragon. Voici le dialogue :

André Asséo – Si tout le monde admet qu’Aragon fut un grand poète, on peut cependant être gêné – même dans La Valse des Adieux  – par tous ses mensonges, en particulier sur le plan politique.

Jean-Louis Trintignant – Ce qui est bouleversant dans ce texte, c’est qu’il en parle. Il reconnaît certaines de ses erreurs. Il était stalinien, et même s’il savait une quantité de choses que nous ignorions, il restait avant tout communiste. “La fin justifie les moyens.” Ce dogme justifie l’attitude d’Aragon.

A. A. – Tu ne penses pas que la responsabilité de l’intellectuel est plus grande que celle exprimée par qui que ce soit d’autre ?

J-L. T. – Je trouve intéressant que ses idées politiques aient guidé Aragon vers une poésie d’autant plus belle qu’elle était nourrie d’opinions profondes, même si elles sont contradictoires. Je trouve l’écriture de Proust magnifique, mais il nous raconte l’histoire d’une bourgeoisie décadente. Personnellement, je préfère Céline, même si ses idées politiques me choquent. Voyage au bout de la nuit remue des sentiments et des idées qui me bouleversent. Et pourtant Céline était sûrement un type détestable, humainement. Si nous avions connu Rimbaud, nous l’aurions certainement trouvé insupportable, sa poésie n’en demeure pas moins magnifique. Il faut différencier l’oeuvre du créateur. Comment se comportaient dans la vie Picasso, Bach, Molière, Van Gogh ? Est-ce vraiment important de le savoir ? André Gide aussi fut communiste.

A. A. – Il n’a pas défendu le goulag, ce qu’Aragon a fait !

J-L. T. – C’est un peu comme le “Pari” de Pascal. Il y a une chance sur mille que Dieu existe. Ce serait la plus belle chose qui puisse arriver. Il vaut donc mieux jouer cette seule chance sur mille et laisser les neuf cent quatre vingt dix neuf autres qui n’ont pas d’intérêt. Je pense que le communisme, c’est ça ! Il était impensable que cette doctrine puisse triompher, mais s’il avait existé la moindre chance de réussite, ça aurait été tellement plus beau que toutes les autres idées politiques et économiques. C’est pour cela que j’ai pensé communiste. Cette idée me plaisait parce qu’elle représentait la solution, et même si je doutais qu’elle fût réalisable maintenant, elle valait la peine d’être défendue.

A. A. – Ne trouves-tu pas que vingt millions de morts pour parvenir à cette solution est un prix un peu lourd à payer?

Jean-Louis Trintignant – Tu as raison, nous ne sommes pas prêts à être communistes. Pas encore, c’est trop tôt ! 

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4 Commentaires

  • Michel BEYER
    Michel BEYER

    Merci de nous faire découvrir cet excellent interview plein de sensibilité.

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  • KALDOR François
    KALDOR François

    Cet article sur JL Trintignan est une fois de plus l’illustration de ce qu’est le plus grand parti politique de France. Quant au qualificatif de Stalinien à propos d’Aragon on peut examiner l’ensemble des reactions intellectuels français et même ailleurs qui se sont manifestés à sa mort. Tous ont été pris de sideration. Regardez les unes de l’époque.
    Toute l’orientation de Ce Soir s’inscrit en faux contre cet adjectif.
    François KALDOR

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  • Taliondachille
    Taliondachille

    Les derniers travaux d’historiens récemment publiés (grâce à l’ouverture de toutes les archives) ramènent le nb de morts dû au Stalinisme à 2,6 M. Moins que la guerre de Corée. La correction ne sera évidemment jamais faite dans nos livres d’histoire…

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    • Daniel Arias
      Daniel Arias

      Si tu disposes de liens vers ces informations, je serais intéressé par plus de détail, ce qui est compté et comment.
      Les purges menées sous la direction de Jadov y sont probablement comptabilisées et imputées à Staline faisant abstraction des luttes internes au sein du PCUS et du contexte international, de la militarisation et montée du fascisme, menaces mortelles et justifiées pour l’URSS.

      Il est curieux comment Staline est le point de crispation accepté y compris par les communistes.
      “Je suis communiste et pas stalinien. Ouf !” il est compréhensible que certains artistes soient prudent avec leur carrière dans une telle atmosphère de chasse aux Rouges.

      Pourtant c’est sous sa direction que c’est consolidée l’URSS, que le nazisme a été vaincu, que la Chine a pu être aidée dans ses fondations industrielles.

      J’avais deux bien jeunes camarades en stage d’informatique: tous deux nés après la chute de l’URSS, l’un Russe ancien prof d’Allemand en Russie, l’autre une jeune ingénieure en électronique doublement diplômée en Chine puis en France.
      Une fois ils m’ont demandé: “mais quel est votre problème avec Staline et Mao en France ? Nous on les aime bien.”.
      Le portrait de Staline est brandi avec fierté dans l’ex URSS, des masochistes nostalgiques des crimes de Staline ? Staline est toujours honoré !

      Qui a honte de la République française de ses bagnes, des colonies, de ses massacres de la grande boucherie de 14 et de la collaboration des années 30 ? Pourtant aucun républicain français ne sera inquiété sur ces sujets et des écoles portant des noms de racistes et colonisateurs, comme Paul Bert, ne sont pas rares encore aujourd’hui, y compris dans els municipalités de gauche.
      L’éducation selon les manuels d’enseignement scientifique de M Paul Bert grand défenseur de la laïcité (le Singe, l’Humain, le Nègre) :
      https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k204462j/f17.item

      Soyons sérieux !

      Pour ma part je n’oublierai pas l’apport des soviétiques et de la direction Stalinienne à la République espagnole et comment quand une partie de ma famille combattait dans les montagnes des Asturies, les chasseurs soviétiques protégeaient le ciel de la République appuyant au sol les chars soviétiques T-26 et BT-5.

      Les troupes soviétiques en Espagne seront celles chargées des premières semaines de résistance à Stalingrad ayant acquis l’expérience de la guerre en milieu urbain.

      https://es.rbth.com/historia/81253-hechos-poco-conocidos-implicacion-sovietica-guerra-civil-espanola

      Tout comme la fin de l’horreur des camps de la mort doit beaucoup à Staline et à l’Armée Rouge, l’un est l’autre ne sont pas dissociables.

      Crimes de Staline et être prêts à être communiste, finalement c’est poser la question de l’action, de quand et comment agir. Des erreurs et des luttes il y en aura, il faut bien agir un jour.

      Gloire à l’Union Soviétique ! Gloire à Staline !
      Ne nous laissons pas voler notre mémoire.
      https://youtu.be/D0xGimfwDL4

      Dimanche dernier je me suis attardé sur cette émission.
      Le journaliste mesurait l’urgence de recueillir les derniers témoignages des survivants ce qui est naturel et inéluctable ; là où je le rejoins c’est sur le grand danger de perdre la mémoire qui elle peut être perpétuée et nécessaire pour prévenir le pire.

      https://www.france.tv/france-2/a-l-origine/3524974-horizon-la-voix-des-morts.html
      A l’origine Horizon : la voix des morts

      « Je ne suis pas juif. Je ne suis pas historien. Je suis journaliste »

      C’est par ces mots que commence le livre de Jean Marie Montali.

      Le meurtre de Muriel Knoll le bouleverse, il décide alors de rencontrer des rescapés de la Shoah en Israël. Et les mêmes questions se posent : pourquoi ?

      Comment peut-on ignorer, ou même rester indiffèrent, face aux pires actes qu’engendre l’antisémitisme ? Y a t-il une banalisation de l’antisémitisme ?

      Outre la banalisation de l’antisémitisme une horreur en soi, une autre banalisation s’installe celle du nazisme avec la falsification de l’Histoire et l’assimilation du communisme au nazisme, voir la Révolution française.

      Cette guerre culturelle idéologique ne peut être ignorée des communistes et nous ne pouvons laisser enfoncer un coin dans la famille communiste divisant sans contextualiser des communistes qui seraient staliniens ou non, étrangers ou non, révolutionnaires ou réformistes.

      Cette unité ne peut être obtenue que par un travail exigeant rigueur et science ; seule voie possible pour une unité solide des prolétaires et la dissipation des illusions bourgeoises.

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