Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

SAVOIR LIRE UNE IMAGE, UN FACTEUR DE RESISTANCE

J’ai tout de suite repéré dans la sortie de soldats de MARIUPOL la différence entre les premiers soldats, de simples soldats fusillier-marins et à la fin les tordus du bataillon AZOV en dernier. Ils étaient tatoués et la caméra insistait là dessus, mais il y avait un autre fait tout aussi révélateur et qui en général passait inaperçu si on ne parlait pas le russe : autant les premiers étaient maigres, faméliques avec des uniformes sales autant les brutes d’AZOV étaient grasses, bien équipées.

C’est pourquoi j’ai cadré ce ventre replet, rose sur un ceinturon miliaire qui semble souligner la croix gammée et le slogan nazi qui dit exactement le contraire de ce qu’on nous a répété sur les héros de Marioupol.

C’est une constante du nazisme, la distinction au sein de l’armée entre le troufion et même les commandements réguliers avec les SS ceux-ci étaient surnommés “les faisans dorés” et ils imposaient aux autres leurs diktats. C’est ce que j’ai également appris de Fritz LANG en étudiant le film dont il avait travaillé le scénario avec Bertolt Brecht, cette manière d’infliger la terreur par leur “inquiétante étrangeté”, le tatouage joue ce rôle d’esthétisation de la peur y compris par l’ésotérisme mais ces gens-là en retirent des privilèges très concrets, tout doit devenir le signe de leur domination. J’ai dû cadrer ce ventre pour que l’on perçoive bien ce que les plans du défilé ne mettaient pas en évidence, mais comme nous le verrons la parole en russe en était chargée.

Walter Benjamin parlerait d’une image dialectique, celle qui montre les contradictions et les faits agir en exigeant un développement autant que l’histoire qui en fait l’objet d’une étude. Quelle histoire, l’événementiel ou le processus? Lang serait le maître de leur jeu formel puisque le cadre et la géométrie qui intègre acteurs, décor est un rébus angoissant insistant sur la manipulation. Les nazis tenteront de le copier mais lui hait leur vulgarité criminelle, il perçoit le ventre et la lâcheté derrière les parades de pacotille.

Lui comme BRECHT découpait les images de la presse, les faits divers et les rapprochant les uns des autres les faisaient parler de ce que l’endoctrinement cachait.

Revenons-en à l’image de ce ventre tatoué au milieu du défilé et de la “saga” de MARIUPOL telle qu’elle nous a été infligée.

Les mêmes images que celle de la reddition filmée par les Russes, (dans lesquelles les tatouages avaient été supprimées), ont pu être diffusées en occident mais avec d’autres commentaires autrement insérés, l’effet Koulechov (1) et il ne s’agit pas seulement de l’interaction des images mais l’intervention du son et de la parole (2) mais de l’ensemble des institutions sociales et l’effet mnésique acquiert une permanence.

Aucun des commentaires français n’insistait sur la différence entre les premiers sortis et les derniers. Mais telles qu’elles étaient ces images disaient le traitement exemplaire des Russes et étaient contradictoires avec les discours à la fois sur ‘l’évacuation”, il s’agissait d’une reddition et pour les nazis, les derniers sortis cette reddition se faisait alors qu’ils étaient en pleine forme, “gloire à l’Ukraine, gloire aux héros” en prenait un coup. Il suffisait alors d’avoir en mémoire les pleurnicheries des épouses nazies intervenant sur les plateaux, les photos d’enfants réclamant leur papa pour mesurer un peu, rien qu’un peu le caractère de la pression que nous subissions. Isoler l’image et recontextualiser en les intégrant à d’autres, à des faits sur lesquels vous avez déjà travaillé est la solution. Résultat je ne voyais plus que ces peaux propres et grasses portant tatouages, il y avait même un torse quasi féminin avec une amorce de sein.

Marianne, chacun le sait, parle le russe, elle m’a confirmé que dans la version russe du défilé, le commentaire russe insistait sur l’état des nazis. Il y a d’abord un des soldats russes qui dit à un nazi tatoué d’Azov “tu es gras toi, ils t’ont bien nourri”. Par ailleurs les commentateurs russes font état de cette différence et l’expliquent par les différences de cantine des uns et des autres, il y a les seigneurs et les autres, le troufion ordinaire recevait un vague porridge journalier et de l’eau croupie, les autres mangeaient à leur faim.

Quand on perçoit ce genre de détails et y compris la manière dont l’image est cadrée par les uns et par les autres, au bout de quelques jours le discours médiatique devient insupportable et on a envie de hurler devant les provocations de nos propres médias. J’en suis là et il suffit que je voie un vêtement jaune et bleu sur nos écrans pour que tout ce cirque de la pseudo impartialité de nos médias me donne envie de fuir.

Mariupol a été un seuil tant les manipulations autour de cet assaut renvoyaient à ce que nous avions vécu Marianne et moi quand nous avons tenté de faire connaitre le crime d’ODESSA. Le refus très conscient de la totalité des médias de faire connaitre ces faits autant que la répétition des expériences de ce type, à chaque intervention US et de l’OTAN. Expérience collective mais aussi individuelle puisque ceux qui auraient dû accueillir mon témoignage le récusaient, le censuraient en me diabolisant autant que leur ennemi, en général j’étais une stalinienne, j’étais au contraire une obstinée qui soulignait les détails ne cadrant pas avec la doxa en temps de guerre. Quelques temps après il s’avérait que mes doutes étaient plus que légitimes, mais aucune réhabilitation ne suivait pour moi en particulier au sein du parti, au contraire, ceux qui avaient diffusé la propagande étaient les dirigeants plus ou moins respectés puisque certains passaient directement à la social démocratie ou dans les allées du pouvoir mais en ce qui me concerne (je ne parle pas seulement de moi en décrivant les faits) j’étais “démonétisée”, y compris dans les associations qui comme celles chargées des amitiés franco-cubaines auraient dû savoir que mon positionnement comme aujourd’hui est très proche sur le plan international de l’île de la liberté comme l’appellent les Russes. Je faisais partie comme ceux de mon espèce des “infréquentables”, ceux dont la censure était légitime.

C’est ce qui me fait penser que le conditionnement dépasse largement les diverses campagnes de l’OTAN et leur hystérisation et une des clés de sa réussite est non seulement la permanence de l’imprégnation mais la capacité à le faire porter par la gauche et les communistes. Par ailleurs nous publions l’interview de Mélenchon, elle exemplaire de la capitulation en rase campagne qui est exigée de celui qui aspire à représenter la gauche dans sa pseudo radicalité, pour être l’opposant officiel en avoir le brevet comme la cour d’Angleterre le délivre à ses fournisseurs.

DANIELLE BLEITRACH

(1) L’effet Koulechov est un biais cognitif de type mnésique (effet de récence, mémoire à court terme), mis en évidence par le théoricien et réalisateur soviétique Lev Koulechov à l’Institut supérieur cinématographique d’État, dont il était directeur, au cours d’une expérience menée en 1921 (ou 1922) auprès de ses étudiants. Au cinéma, l’effet Koulechov est un effet de montage par lequel les spectateurs tirent plus de sens de l’interaction d’un plan (prise de vue) avec un autre plan auquel il est associé, que d’un plan isolé.

(1) Au cinéma le son rend réalistes les images qui autrement conserverait un aspect fantomatique c’est pourquoi le cinéma muet avait un pianiste qui dans la salle où le film était projeté jouait en ponctuant les scènes de ses accords. Le cinéma parlant a conservé la musique et Adorno et Hans Eisler ont écrit un livre important sur le sujet.

Annexe : le quartier général du bataillon AZOV à Mariupol

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4 Commentaires

  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    L’effet Koulechov est un parmi les nombreuses manipulations mentales de masses associées également à la publicité, puis dans le modèle de récompense des jeux vidéos et bien sûr dans la propagande.

    Ceci est connu et étudié mais les résultats ne sont pas diffusés à nos jeunes dans l’éducation nationale, pas beaucoup de cours sur la manipulation ou quand il y en a on prendra bien sûr un vilain pays comme exemple, jamais chez nous ou chez nos maîtres.

    Un exemple de l’éducation à l’image en France en milieu scolaire:

    https://www.clemi.fr/fr/ressources/nos-ressources-pedagogiques/ressources-pedagogiques/travailler-lanalyse-dimage-a-partir-de-laffiche-de-la-spme.html

    Expliquer

    On dévoile alors la légende et on cherche les 5W : qui ? Des Afghans. Où ? En Albanie, dans un complexe hôtelier de la ville balnéaire Shëngjin. Quand ? Le 11 septembre 2021. Quoi ? Des Afghans sont accueillis temporairement et attendent le traitement de leur demande d’asile. Pourquoi ? Ils ont fui après l’arrivée au pouvoir des talibans.

    Après avoir rappelé la nécessité de la légende pour comprendre une photo de presse, on rappelle les faits que l’on approfondira selon le public : que s’est-il passé en Afghanistan en 2021 ? Qui sont les talibans ? Pourquoi certains Afghans fuient-ils leur pays ? Qu’est-ce qu’une demande d’asile ? Sur une carte du monde, situer l’Afghanistan, l’Albanie et enfin les États-Unis.

    L’explication ne posera pas la question qui sont les USA ni comment l’Afghanistan a sombré dans la guerre après avoir été la République Démocratique d’Afghanistan.

    Elle n’expliquera pas non plus pourquoi un symbole des USA dans un hôtel à touristes, probablement déserté suite à la pandémie, dans un ancien pays socialiste livré lui aussi à la mafia.

    Elle n’expliquera surtout pas la manipulation qui consiste à faire croire au mythe de la liberté aux USA, pays rappelons le qui a le plus fort taux d’incarcération au monde, dont la police exécute régulièrement les pauvres, pays qui utilise officiellement la torture dans des centres de détention clandestins dans des pays occupés.

    Le lien ne sera bien sûr probablement pas fait avec Guantanamo ou Abu Graib, pourtant réunissant cette statue du mensonge et le drame de la population Afghane dont les combattants de la liberté étaient financé par les USA, là aussi en fournissant des Stingers pour combattre les ignobles soviétiques.

    Il faut surtout rester dans l’immédiat ne pas laisser apparaître l’Histoire la profondeur qui explique.

    Tout comme on expliquera pas la soudaine apparition de la lutte contre les fakes news, en fait un nouvel outil au service de la censure, les mensonges et manipulations quotidiens de notre presse sur l’Ukraine n’étant jamais analysés. Où seulement parfois par des média proche d’une droite puante pour encore apporter plus de confusion.
    “Si vous soutenez l’opération spéciale, vous êtes pro Poutine, pro LePen, un fasciste quoi !”

    Mélenchon ne démentira pas, il la veut sa place de premier, il doit haïr ce peuple qui ne comprend pas son désir de gloire, lui qui promettait une VI République plus démocratique.

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  • Rouge Trégor
    Rouge Trégor

    On en apprend tous les jours :
    Lors de la visite de Duda à Kiev le 22 mai, l’on apprend que Zelensky a donné son accord pour de nouveaux rapports régionaux, excluant la frontière entre les deux pays, les ressortissants polonais allant bénéficier d’un statut spécial en Ukraine

    https://bordeaux-moscou.over-blog.com/2022/05/l-ukraine-polonaise.html

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    • etoilerouge
      etoilerouge

      L’influence de l’extrême droite polonaise germano americaine . C’est la partition de l’Ukraine ou la guerre de l’OTAN en Ukraine. Si zèlenski tombe l’Ukraine éclatera. Si l’OTAN prend prétexte de la Pologne en Ukraine ce sera la guerre ds tte l’Europe. Avec Macron con à bouffer de la bite c’est l’atomisation assurée. Les USA lâches et veules vendront les armes et compteront les billets.

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      • admin5319
        admin5319

        HUM! peux-tu modèrer tes expressions…

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