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Lisez attentivement l’histoire de ce théâtre dramatique et vous vous apercevrez comme pour le film “chers camarades” qu’elle ne dit pas ce que vous croyez savoir de l’URSS. Le fond est que toute ville doit posséder son patrimoine culturel, théâtral et qu’à la fin de l’URSS cette ville, symbole de l’histoire russe, s’est vidée de ses habitants et que la culture n’a plus été à l’ordre du jour. Autre constat, celui qui bloque l’innovation architecturale par bureaucratie ce n”est pas Staline mais Nikita Khrouchtchev (note de Danielle Bleitrach)
Lorsque le théâtre dramatique Dostoïevski a été construit à Veliky Novgorod dans les années 1980, il ne ressemblait à rien de ce que la ville avait jamais vu auparavant.
24 septembre 2018 Texte Ksenia Litvinenko Images Egor Rogalev
« Moche », « surréaliste », « cosmique », « hors du monde » – c’est ainsi que les gens décrivent habituellement le théâtre dramatique académique Dostoïevski Novgorod, un bâtiment situé sur la rive de la rivière Volkhov, à quelques kilomètres du Kremlin de la ville, au charme ancien. Veliky Novgorod est considéré comme le « berceau de la Russie ». La ville a célébré son 1 150e anniversaire en 2009 et continue d’attirer les touristes qui viennent voir son architecture d’église russe ancienne et sa silhouette de carte postale du Kremlin – murs de briques rouges et tours à baldaquin encadrées de parapets.
La stratégie de l’architecte pour le processus de construction consistait à en montrer le moins possible au ministère de la Culture
La quasi-totalité des habitants de Novgorod âgés de plus de 35 ans ont assisté ou même pris part à la construction du théâtre. Les développements prolongés sur le site ont duré près de deux décennies du début des années 1970 à la fin des années 80, et sont devenus partie intégrante de la mémoire locale. Cependant, derrière son étrangeté évidente, le théâtre de Novgorod est indissociablement ancré dans le paysage environnant.
Le bâtiment a été conçu de manière à être invisible depuis les principaux belvédères de la ville historique; il laisse le centre historique dans son ensemble tout en offrant un contraste radical avec lui. D’une dominante intrigante, il s’étend seul sur un terrain vide. Le théâtre a de nombreuses façades; l’une ressemble aux arcs blancs des églises orthodoxes de Novgorod; un autre donne sur la rivière avec des fenêtres hautes de cinq étages.
En particulier dans les zones centrales de l’URSS, l’architecture post-stalinienne a été standardisée, étouffée par une économie planifiée et des plans quinquennaux. Cependant, à la fin de l’ère soviétique, les expériences architecturales ont repris avec une vigueur renouvelée; les projets d’architectes étrangers et les expériences constructivistes des années 1920 ont eu l’occasion de passer des pages de magazines à la vie. Ils prenaient forme, offrant leur propre version du postmoderne. Comme un sismographe, les bâtiments qui ont vu l’effondrement du système soviétique ont enregistré les bouleversements psychologiques, moraux et sociaux de l’époque.
À la fin des années 1960, lorsque la conception du théâtre a commencé, Novgorod était un grand centre industriel avec une énorme usine radio-électronique attirant de nouveaux habitants. Ainsi, le projet du théâtre est intervenu à un moment où la population de Veliky Novgorod a atteint 200 000 habitants. Selon les règles du gouvernement, une ville de cette taille devait disposer d’une culture appropriée qui répondrait aux besoins de la population.
Le concept architectural et technique principal du projet a été confié à l’architecte Vladimir Somov, membre de Giproteatr, l’organisation d’État responsable de la planification des centres culturels et de divertissement dans toute l’Union soviétique et au-delà. D’autre part, Somov était également membre du studio d’art clandestin Belutin. Figure légendaire, Ely Belutin était un expérimentateur exceptionnel, dont le travail a irrité Nikita Khrouchtchev lors de la célèbre exposition XXX ans de l’Organisation moscovite de l’Union des artistes soviétiques à la galerie du Manège de Moscou en 1962. Somov lui-même a été témoin et a même participé à l’exposition. C’est l’incident qui a conduit à l’interdiction complète de l’art abstrait en Union soviétique.
Par conséquent, ce scandale est devenu le catalyseur de la naissance d’un non-conformisme soviétique critique et semi-clandestin. En tant que peintre secret d’avant-garde, Somov n’était pas un architecte ordinaire d’une entreprise de construction d’État. Au contraire, il a réussi à s’échapper avec son architecture et à transcender l’agenda politique. En fait, le théâtre de Novgorod est avant tout un monument à la vision individuelle d’un homme – Somov, qui a réussi à réaliser sa conviction personnelle que la réalité ne peut être décrite que sous des formes symboliques.
Le symbole du développement futur de Novgorod – le théâtre – a été transformé en monument, soit à un rêve inachevé, soit à l’ombre d’un État qui n’existe plus.
Comme l’a souligné le scénariste du film Novgorod Spaceship, Andrey Rozen, la stratégie de Somov pour le processus de construction était d’en montrer le moins possible au ministère de la Culture pendant la phase de négociation du projet. En fait, l’architecte a transmis un projet au ministère qui parlait en fait de développer un projet légèrement différent sur le chantier de construction.
Pendant plusieurs années, Somov a expérimenté différents designs pour la salle. En conséquence, l’architecte a développé une scène unique en trois parties spécialement pour le théâtre de Novgorod qui pouvait facilement changer de plusieurs manières différentes. Tout en développant l’architecture extérieure du bâtiment, Somov a cherché à concevoir un élément capable de captiver l’imagination du spectateur avant même le début du spectacle. Il a développé une maquette d’une plaque décorative qui couvrait la zone autour du théâtre. Des plaques similaires ont également été utilisées pour la construction de 40 mètres d’acier qui ont été démolis en 2008 après un certain nombre de tentatives de suicide.
Des plaques rondes de formes mystérieuses ont été répétées dans la conception du plafond à l’intérieur du bâtiment. D’immenses salles de théâtre à plusieurs niveaux sont entièrement carrelées de marbre. Au dernier étage du bâtiment, il devait y avoir un café de théâtre avec vue sur toute la ville. Dans les années 1990, l’espace a été cédé à un casino avant de devenir un club de billard.
« J’espère que je pourrai tout restaurer comme il se doit », a déclaré le nouveau directeur de théâtre, Vsevolod Tchubenko, alors que nous traversions le bâtiment quelques heures avant le spectacle. « Je suis vraiment désolé pour cet immense espace inutilisé. Il y a ces escaliers et passages vides, mais l’ancien café au sommet est maintenant en cours de restauration. En raison du fait que le hall est immense, les gens qui viennent à nos spectacles se sentent mal à l’aise et gèlent en hiver. Nous dépensons des millions de roubles par an pour chauffer le public du théâtre seulement. »
Après l’effondrement de l’Union soviétique et la fermeture de la production à grande échelle à Novgorod, la population de la ville a commencé à diminuer, contrairement aux prévisions qui ont motivé la construction du théâtre. Le grand bâtiment est devenu un fardeau pour le budget d’une petite ville de campagne. Tout en étant nostalgique de la grandeur passée du projet, Tchubenko reconnaît la grande difficulté qu’implique la gestion du bâtiment aujourd’hui en décomposition. Le symbole du développement futur de Novgorod a été transformé en monument, soit à un rêve inachevé, soit à l’ombre d’un État qui n’existe plus.
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