Andrei Doultsev nous a confié cet important article de lui publié sur le site du parti communiste ukrainien. Marianne l’a traduit. Dans un moment, où ce qui se passe en Afghanistan témoigne de la nature de l’hégémonie américaine, Andrei nous fait souvenir que les Etats-Unis ne sont pas seuls à imposer au monde pareille politique dont il dit à juste raison : “Toute politique d’aide à l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine n’est qu’une couverture pour des ambitions néocoloniales. Et les Américains ne sont pas les seuls dans le genre. Aujourd’hui, l’acteur le plus actif de la politique néocoloniale parmi les pays européens est peut-être la République française, qui a marchandé son contrôle politique et économique en Afrique occidentale et équatoriale, cédant à l’Allemagne le rôle principal dans la politique économique de l’UE et acceptant les ambitions colonialistes pangermaniques envers les pays d’Europe orientale.” Chacun de ces mots doit être pesé, la complicité dans le néocolonialisme s’accompagne d’une soumission à l’Allemagne en Europe. Alors qu’interviennent d’importantes élections en Allemagne, la France doit repenser son rôle international faute de quoi ses couches populaires ne pourront pas obtenir la moindre amélioration, division et fascisation seront son lot. Mais nous y reviendrons (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop).
04.08.2021
https://kpu.ua/uk/99569/sahel_trebuet_frantsyja_ubyrajsja
photo : installation au Burkina Fasso d’une statue de Thomas Sankara qui avait provoqué des critiques pour son absence de ressemblance.
Flirter avec l’islamisme ne se termine pas bien, même pour les puissances nucléaires occidentales toutes-puissantes. Un exemple classique d’une telle politique est l’action des États-Unis en Afghanistan depuis l’époque de la guerre froide. Le soutien des Américains aux moudjahidines, présentés par les médias occidentaux comme des “combattants des valeurs occidentales”, alors qu’ils s’opposaient au gouvernement laïc pro-soviétique de la République démocratique d’Afghanistan, s’est soldé par un désastre stratégique de la politique des États-Unis et de leurs alliés au Moyen-Orient : les attentats terroristes du 11 septembre 2001 à New York et à Washington.
Ni les États-Unis ni leurs alliés européens n’ont tiré de leçons du chaos du 11 septembre : la nature de classe, d’exploitation et les tactiques prédatrices de l’impérialisme excluent toute action rationnelle, y compris envers le tiers monde. Toute politique d’aide à l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine n’est qu’une couverture pour des ambitions néocoloniales. Et les Américains ne sont pas les seuls dans le genre. Aujourd’hui, l’acteur le plus actif de la politique néocoloniale parmi les pays européens est peut-être la République française, qui a marchandé son contrôle politique et économique en Afrique occidentale et équatoriale, cédant à l’Allemagne le rôle principal dans la politique économique de l’UE et acceptant les ambitions colonialistes pangermaniques envers les pays d’Europe orientale. C’est la France qui a joué un rôle décisif dans l’abolition de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste et l’assassinat de son dirigeant, le colonel Kadhafi. En 2011, des informations ont filtré dans la presse selon lesquelles des dictateurs africains pro-français (au Congo, au Sénégal, au Burkina Faso, au Gabon et en Côte d’Ivoire) payaient un tribut sous forme de pots-de-vin aux présidents français depuis de nombreuses années.
Dans le même temps, la France prétend avoir renoncé au système de tutelle informel de la France, la Françafrique, qui avait été mis en place par ses services de renseignement sous la direction du conseiller du général de Gaulle, Jacques Foccard, dans les années 1950 dans 14 anciennes colonies et qui s’est fait connaître pour ses méthodes brutales, soutenant les coups d’État contre les dirigeants africains indésirables, appuyant les dictateurs et commanditant des assassinats d’opposants politiques. L’objectif principal de la politique de la Françafrique était de contrer l’influence soviétique et les mouvements de libération populaire sur le continent.
Alors que l’intervention française dans les affaires intérieures du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie et de la Libye fait l’objet d’une couverture médiatique, la politique interventionniste de Paris dans le Sahel, la région de savane au sud du désert du Sahara qui comprend le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad, est évoquée de manière sporadique, uniquement dans le cadre de reportages sur l’opération antiterroriste “Barkhane” menée par les forces françaises au Mali contre les groupes djihadistes. Le grand public connaît peu l’histoire du conflit et les causes et les conséquences de la présence française.
Or, c’est précisément dans les pays du Sahel, qui sont en guerre contre les islamistes à cause des actions de Paris, que le slogan “France, dégage !” est devenu de plus en plus populaire, depuis 60 ans qu’ils sont indépendants. Les manifestants, et parmi eux des étudiants, des artistes et des paysans, se font de plus en plus entendre contre la présence des Français et demandent l’abandon du franc africain CFA et la fin de l’intervention militaire de l’armée française, appelée opération Barkhane, en cours au Mali depuis 2013.
L’ampleur de la protestation ne cesse de croître. Des articles de presse, des débats télévisés, des déclarations et des rassemblements ont balayé l’Afrique de l’Ouest et du Centre depuis fin 2019. Des rassemblements de milliers de personnes dans les rues de Bamako, la capitale du Mali, réclament le retrait des troupes françaises du pays, tandis que dans la ville nigériane de Zinder, plus tôt cette année, des étudiants ont publiquement détruit un drapeau français.
Face à la vague de protestations, les responsables français et le président Macron ont exprimé leur “perplexité” et condamné la “campagne de désinformation” menée par les “puissances rivales”, accusant indirectement la Russie et la République populaire de Chine.
Il est intéressant de noter que, depuis janvier 2020, le réseau social américain Facebook a supprimé plusieurs dizaines de faux comptes faisant campagne pour la politique étrangère française et se livrant à une propagande antirusse. La campagne, qui visait des utilisateurs au Mali et en République centrafricaine (RCA), était menée, selon Nathaniel Gleicher, responsable de la cybersécurité de Facebook, par “des personnes associées à l’armée française”. Selon le réseau social, ils “diffusent des rumeurs et de fausses informations au nom d’organisations étrangères ou étatiques de manière coordonnée”.
La campagne de désinformation parrainée par la France comprenait 84 comptes, six pages Facebook et neuf groupes, ainsi que 14 comptes Instagram, et permettait à des individus basés en France d’utiliser de fausses identités pour se faire passer pour des citoyens locaux.
En République centrafricaine, des désinformateurs français ont diffusé des allégations sur une “possible ingérence russe dans les élections” et ont fait la promotion des activités de l’armée française. Au Mali, la propagande française s’est concentrée sur les bienfaits de l'”aide” française, tandis que des utilisateurs individuels ont directement attaqué la politique étrangère russe et chinoise.
“Le Niger, le Burkina Faso, l’Algérie, le Tchad et la Côte d’Ivoire ont également été ciblés par les désinformateurs, mais ‘dans une moindre mesure'”, a déclaré N. Gleicher. “Les individus à l’origine de cette campagne coordonnée ont tenté de cacher leur identité, mais notre enquête a révélé des liens avec l’état-major français”, a ajouté le responsable du département de cybersécurité de Facebook dans un communiqué.
En effet, Moscou a profité d’un environnement défavorable à Paris pour prendre une part du marché des titres en République centrafricaine en 2018. Mais la dureté des conflits internes et de l’opposition publique aux néo-colonisateurs français a une seule racine, à savoir la politique débridée menée depuis longtemps par la France sur le continent africain. “Nous en avons assez. C’est une révolte contre l’ingérence française dans les affaires de nos pays”, résume l’économiste Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire. L’impérialisme français pousse les étudiants et le prolétariat urbain vers des actions de rue. Cette évolution peut s’expliquer par un changement générationnel : les Africains jeunes et d’âge moyen ne comprennent plus le “rôle tutélaire de la France”.
Les anciens maîtres sont principalement blâmés pour une politique monétaire néocoloniale envers les 14 pays africains depuis 1960. Les militants, économistes et opposants africains se battent ouvertement pour abandonner la monnaie héritée des colonisateurs et désormais divisée en deux zones monétaires : le franc CFA ouest-africain et le franc CFA centrafricain. Ces deux monnaies, qui sont rattachées à l’euro, restent sous le contrôle de la Monnaie de Paris, qui garantit officiellement leur convertibilité.
Il est évident que ces monnaies entravent le développement des pays en les privant d’une partie de leur souveraineté. Les Africains préconisent la création de monnaies régionales ou nationales. Au Sénégal, par exemple, le Front pour une révolution anti-impérialiste a lancé une campagne pour l’indépendance monétaire avec un slogan sans ambiguïté : “France, dégage !”
Les développements en Afrique ont pris de court M. Macron, qui avait assuré en 2017 que le franc CFA n’était pas négociable pour la France, et l’ont obligé à changer radicalement d’avis. En décembre 2019, lors d’une visite à Abidjan, il annonce, à la surprise générale, la réforme du franc CFA ouest-africain et la création d’une nouvelle monnaie “éco” pour les huit pays membres de l’union monétaire. Le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo et la Côte d’Ivoire ont l’intention d’abandonner le franc CFA au profit de la nouvelle monnaie, mettant ainsi fin à 75 ans d’utilisation du franc CFA ouest-africain.
Les pays de l’union monétaire cesseront de conserver 50 % de leurs réserves de change en France. Cependant, les membres de l’opinion publique progressiste africaine condamnent la poursuite de la “subordination monétaire”, en particulier l’arrimage fixe à l’euro sous garantie française. Les conditions du franc CFA d’Afrique centrale (Cameroun, République centrafricaine, Tchad, République du Congo, Guinée équatoriale et Gabon) restent inchangées.
L’introduction de la nouvelle monnaie unique ouest-africaine “éco”, qui était prévue pour la fin de 2020, a été reportée sine die. Le gouvernement du Niger a déjà annoncé que le projet de monnaie ne présente actuellement aucun intérêt pour le pays, et au Sénégal, un comité d’initiative sur la souveraineté monétaire contre le projet d’éco a été formé, composé d’une quinzaine de partis et mouvements, qui affirme qu’Emmanuel Macron pousse à l’introduction de la nouvelle monnaie pour protéger la position de la France en Afrique.
Avec la recrudescence des attaques au Sahel, la présence militaire française en Afrique est devenue un sujet de controverse supplémentaire, mobilisant l’opinion publique. Depuis 1960, Paris dispose d’un système de bases militaires fixes ou mobiles dans la plupart de ses anciennes colonies. L’armée française a souvent été utilisée pour amener ou protéger des mandataires français au pouvoir, comme Omar Bongo au Gabon en 1990 ou Idriss Deby Itno au Tchad en 2008. En 2011, l’intervention française qui a permis à Alassane Ouattara de devenir président de la Côte d’Ivoire a été perçue comme un règlement de comptes avec le chef d’État sortant Laurent Gbagbo. Début 2020, plusieurs centaines de conducteurs de la ville camerounaise de Douala ont organisé une action de barrage routier pour protester contre “l’intervention française”.
Depuis 2013, l’opération de l’armée française sous le nom de code Serval, dont les circonstances et les motifs restent controversés, suscite de plus en plus de critiques alors que les groupes armés consolident leurs positions, déstabilisant la situation et alimentant le conflit civil au Mali et au Burkina Faso. De plus en plus de Maliens pensent que la France n’intervient que pour protéger ses intérêts économiques et stratégiques, qu’elle participe à la déstabilisation de pays pour affirmer sa présence militaire ; mais surtout qu’elle s’est rangée du côté des rebelles islamistes touaregs dans le nord du Mali. “Je suis surpris que les militaires français n’aient pas réussi à détruire ces formations terroristes. Luttent-ils vraiment contre les islamistes ou ont-ils d’autres intentions cachées pour leur présence militaire ?” – a déclaré le ministre de la Défense du Burkina Faso, Cherif Sy, à l’hebdomadaire sud-africain Mail and Guardian en juin 2019.
Les Maliens sont également irrités par le fait que, dans le cadre de l’opération Barkhane dans le nord du Mali, la France a obtenu des dirigeants du pays qu’ils rétablissent quatre bases militaires permanentes qui avaient été fermées en 1961 après l’indépendance du Mali. Le Mali est le principal fournisseur d’uranium de la France, qui est utilisé pour produire 75 % de l’électricité du pays à partir de centrales nucléaires, et il est le troisième plus grand producteur d’or en Afrique. Le Mali possède également la moitié du territoire du bassin de Taoudéni, qui est riche en gisements pétroliers non exploités. Dans ces conditions, il est difficile de croire aux affirmations de la France sur son “aide” désintéressée.
Le modus operandi des forces armées et des services de renseignement français reste très discutable. La Direction générale de la sécurité extérieure du ministère français de la défense, qui gère environ 800 agents légaux et illégaux, exécute les ordres directs du président français au Mali pour éliminer les rebelles et les terroristes. Le journaliste français Vincent Nouzille a publié en 2015 une enquête, “Assassins de la République”, sur les activités de la cellule clandestine de la direction de la sécurité extérieure du ministère français de la Défense, dans laquelle il conclut que les assassinats de l’agence sont une copie des tactiques de la CIA et que le nombre d’opérations spéciales de liquidation a sensiblement augmenté depuis 2010, sous la présidence de Nicolas Sarkozy et de François Hollande.
En cause, l’arrivée d’un nouveau chef, le général d’armée et grand chancelier de la Légion d’honneur Benoit Puga, membre de la conférence Bilderberg 2017, qui était à la tête de la direction jusqu’en 2016. Puga, dont le père était l’un des organisateurs du putsch des généraux en Algérie en 1961 (mutinerie armée des unités françaises stationnées en Algérie contre la politique d’indépendance de l’Algérie du président de Gaulle), est considéré comme un “faucon” même dans les milieux militaires. On lui attribue une détermination et une brutalité exceptionnelles.
M. Nouzille souligne que les opérations spéciales au Sahel sont menées par la Direction générale de la sécurité extérieure du ministère français de la défense sur ordre direct du président, sans possibilité d’intervention parlementaire ou de rapport à l’Assemblée nationale, ce qui rend effectivement le cercle des décideurs beaucoup plus étroit qu’aux États-Unis, qui disposent d’une commission de contrôle au Congrès. La conséquence est que la politique de renseignement militaire de la France sur le continent africain, et en particulier au Mali, est complètement fermée au public français.
L’alliance de l’armée française avec le Mouvement national de libération de l’Azavad (MNLA) a suscité la méfiance des Africains. En 2012, ce groupe militant a attaqué des camps militaires dans le nord du Mali aux côtés d’islamistes. Peu après, l’armée française en a fait son partenaire dans la guerre contre les djihadistes. Selon l’ancien ambassadeur français dans la capitale malienne Bamako, Nicolas Normand, les Français ont “donné” la ville malienne de Kidal au MNLA après sa libération en 2013. Le fait que le président français Macron ait été le premier à annoncer, en novembre 2019, que le chef du gouvernement malien se rendrait bientôt dans cette ville, toujours contrôlée par le MNLA, a renforcé les soupçons. Aux yeux de nombreux Maliens, c’est la preuve que la France a le pouvoir de pression sur les factions maliennes opposées pour résoudre le conflit du jour au lendemain avec la volonté politique appropriée.
Depuis fin 2019, des personnalités du monde de la culture ont également rejoint la protestation. Dans une lettre ouverte adressée au président français Macron, le cinéaste et ancien ministre malien de la Culture Cheick Oumar Sissoko a dénoncé le “comportement colonial” de la France, fondé sur la supériorité et le mépris des peuples exploités par les colonisateurs français. Le chanteur populaire malien Salif Keita a quant à lui suscité l’indignation du Paris officiel en déclarant qu'”il n’y a pas de djihadistes en Afrique, mais des mercenaires payés par la France”. Il a accusé le président malien Ibrahim Boubacar Keita, qui a ensuite été renversé par les militaires, de “perdre son temps à se soumettre au bébé politique Emmanuel Macron”.
Le musicien, qui a fait ces déclarations depuis l’étranger, a été accueilli par une foule de supporters enthousiastes à son retour à Bamako. En juillet 2020, Sissoko a publié un livre intitulé “L’homme n’est grand que dans la paix – Nous devons mettre fin à la guerre” avec une postface de Jean Ziegler, rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, dans lequel ce dernier appelle l’Union européenne et les États-Unis à influencer le capital comprador et les multinationales qui pillent le continent africain au nom de la coopération humanitaire.
Surpris par la multiplication des voix et des actions de protestation, les autorités françaises adoucissent le ton. “La France n’a pas de visées néocoloniales, impérialistes ou économiques en Afrique. Nous sommes ici pour la sécurité collective de la région et notre propre sécurité”, a déclaré M. Macron en décembre 2019. Cependant, il ne faut pas oublier que cinq ans plus tôt, le prédécesseur de Macron, François Hollande, avait déclaré : “La France n’a aucun intérêt au Mali”. Elle ne défend aucun calcul économique ou politique”. Dans le même temps, Ag Mahmoud, membre du groupement soutenu par le MNLA et ancien ministre des affaires étrangères de l’Azawad Hama non reconnu, a écrit sur les médias sociaux : “La guerre est menée pour l’extraction de minéraux”.
Que le président Macron ne sache pas cacher son irritation est devenu évident pour les Français, même pendant le soulèvement des gilets jaunes. Fin 2019, il s’est plaint de la “duplicité” des dirigeants africains à l’égard du “mouvement anti-français”. S’adressant aux dirigeants des “cinq grands” pays du Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), il leur a lancé un ultimatum : “J’ai besoin que vous défendiez nos politiques devant vos opinions publiques”. Le président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, s’y est opposé par voie de presse : “Ce n’est pas possible. Nous sommes dans un État démocratique. Nous ne pouvons pas priver qui que ce soit de son droit à sa propre opinion.”
Les autorités françaises sont simultanément préoccupées par le fait que la Russie, la Chine et la Turquie prennent des mesures actives pour étendre leur influence commerciale sur le continent sur la base d’un partenariat mutuel. En octobre 2019, le Forum économique Russie-Afrique s’est tenu à Sotchi, où Nathalie Yamb, membre du parti d’opposition ivoirien, a critiqué la politique française : “La France considère toujours le continent africain comme sa propriété (…) Nous poussons à l’abandon du franc CFA (…) Nous poussons au démantèlement des bases militaires françaises qui, sous couvert de faux accords d’aide militaire, ne servent qu’à permettre le pillage de nos ressources, à former des terroristes et à maintenir des dictateurs à la tête de nos États”. À la demande de Paris, les autorités ivoiriennes ont expulsé Nathalie Yamb, ressortissante suisse, du pays le 2 décembre 2019 pour “actions dénigrant les intérêts nationaux”.
Les présidents africains francophones se trouvent entre le marteau et l’enclume : d’une part, ils subissent la pression des mouvements de libération nationale et de la colère populaire, et d’autre part, ils doivent se soumettre aux exigences de la France, qui poursuit son propre intérêt sur le continent. De nombreux dirigeants africains savent qu’ils ne seraient pas au pouvoir sans l’aide de Paris, et aucun d’entre eux n’oublie la répression subie par leurs prédécesseurs antifrançais, comme Ahmed Sékou Touré en Guinée, qui a été victime d’une déstabilisation complète du pays, ou Thomas Sankara au Burkina Faso, renversé par un coup d’État en 1987 et assassiné par la suite. Ces dernières années, seuls les dirigeants camerounais ont utilisé le levier “antifrançais” contre Paris au sujet de l’avenir du pays : depuis des mois, les médias officiels du pays mènent une campagne antifrançaise.
Paris est nerveux : la situation explosive des pays africains est depuis longtemps le talon d’Achille de la France. Que reste-t-il à faire ? Accepter la décolonisation. Lorsque Salif Keita déclare aux Français : “Partez avant qu’il ne soit trop tard”, il obtient un soutien considérable de la part de ses concitoyens. Mais qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, les politiciens locaux, à quelques exceptions près, ont peur de critiquer la France.
Aujourd’hui, Paris joue sur les faiblesses de ses adversaires anti-impérialistes et anticolonialistes. Le problème des mouvements antifrançais et de libération nationale dans les pays africains est avant tout l’absence totale d’un noyau idéologique unificateur : dans les années d’après-guerre, la critique de l’impérialisme français en tant qu’opportunité de développement national était souvent fondée sur la doctrine marxiste-léniniste. C’était la base de la théorie du socialisme africain, dont le premier président indépendant du Mali, Modibo Keita, qui a abandonné le franc ouest-africain et fermé les bases militaires françaises dans le pays, était l’un des représentants. Mais Keita a été renversé en 1968 et mis en état d’arrestation. Il est mort en 1977 dans des circonstances peu claires.
Le mouvement anticolonial moderne est hétérogène et fragmenté et c’est là sa principale faiblesse. Le gouvernement français en profite pour renforcer sa présence dans la région et mener une politique néocoloniale. À cet égard, Jean-Paul Lecoq, député du Parti communiste français à l’Assemblée nationale, a déclaré : “La tradition coloniale française a été pleinement préservée. La France est fière d’être le berceau de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de la Révolution de 1789, mais elle oublie qu’elle doit avant tout apprendre à la respecter.”
La classe dirigeante française n’est pas prête à faire des concessions. Il est d’autant plus clair que le “retrait” des militaires français du Mali récemment annoncé par le président Macron n’est rien d’autre qu’une déclaration populiste. Le 23 juin, Pierre Laurent, ancien secrétaire national du Parti communiste français et membre du Sénat, a critiqué la politique de Macron dans une lettre ouverte : “Il semble que la ‘rationalisation’ de la politique d’intervention militaire française en Afrique ne soit pas tant un ‘retrait’ qu’un ‘redéploiement’ de nos troupes, visant à un déploiement plus large des forces armées françaises dans davantage de pays. En réalité, la France prévoit de compenser son retrait partiel du Mali en renforçant sa présence militaire au Niger, riche en uranium, ainsi qu’au Tchad et au Mozambique.
Récemment, un accent allemand est soudainement apparu dans la politique néocoloniale menée par Paris : la très enthousiaste République fédérale d’Allemagne, à qui l’accès au continent africain était jusqu’à présent effectivement refusé, a immédiatement répondu à une demande de Paris de soutenir la politique de Macron dans la région. La Bundeswehr a pris la direction de la mission de formation de l’UE au Mali, et le général Jochen Deuer a pris le commandement de 950 soldats de l’UE au Sahel. Environ 110 soldats allemands participent actuellement à cette mission de l’UE. En outre, 880 soldats allemands sont déployés avec les troupes de l’ONU au Mali.
Les Africains sont bien conscients que la “main secourable” tendue par l’UE aux peuples du Sahel, qui souffrent de guerres, de troubles et de pauvreté, ne présage rien de bon pour eux. Et les impérialistes français qui ont invité la RFA dans la région vont bientôt se rendre compte qu’ils ont laissé le renard entrer dans le poulailler.
Andrei Doultsev
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