Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La huitième merveille du monde, par Andrei Doultsev

Il y a 60 ans, Berlin a construit un mur – un rempart de protection contre le fascisme nous raconte Andrei Doultsev, le jour de sa destruction les foules dansèrent en croyant qu’il s’agissait du début d’une ère de paix et de liberté, ce fut le début de la contrerévolution , d’un pangermanisme qui a ressurgi, de l’austérité et de l’expansion de l’OTAN. Andrei nous raconte la véritable histoire de la huitième merveille du monde (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

photo envoyée par Andrei : je viens de trouver cette photo avec les slogans nazi du côté ouest (“Liberté pour Rudolph Hess”)

L’histoire de la Grande Muraille de Chine, qui protégeait l’empire des ennemis, remonte à plus de 2 300 ans. Le mur de Berlin est resté debout pendant un peu plus de 28 ans.

C’est le fruit de la guerre froide. Conformément aux décisions de la conférence de Potsdam des alliés de la coalition antihitlérienne, l’Allemagne et l’Autriche, ainsi que leurs capitales Berlin et Vienne, sont divisées en quatre secteurs – soviétique, américain, britannique et français. Alors que dans les années d’après-guerre, une entente mutuelle entre l’alliance socialiste et le camp capitaliste a été conclue à la condition que l’Autriche soit neutre et n’adhère pas à l’une des alliances militaires – l’OTAN et le Pacte de Varsovie, en Allemagne, au début des années 1950, une opposition farouche existait déjà entre l’alliance socialiste et le camp capitaliste. Contrairement aux propositions pacifiques de Staline et de Molotov (note de Staline de 1952) d’unir l’Allemagne sur la base de la neutralité, le chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer et l’élite dirigeante qui l’entoure, composée, selon les historiens, de 90 % d’anciens cadres du NSDAP, préfèrent recevoir “la moitié de l’Allemagne complètement plutôt que toute l’Allemagne en deux”, comme le rappellera plus tard le premier chancelier de RFA. En 1949, l’appellation‘RFA’ est introduite dans les secteurs occidentaux, en 1955, l’armée ouest-allemande, la Bundeswehr, est fondée et en 1956, le parti communiste est interdit.

La construction du mur de Berlin a été la conclusion logique du conflit des blocs politico-militaires. La construction du mur a commencé le 13 août 1961, conformément à la décision de la réunion des secrétaires des partis communistes et ouvriers du Pacte de Varsovie, qui s’est tenue du 3 au 5 août 1961, et sur la base de la décision de la Chambre du peuple de la RDA du 11 août 1961.

La construction du mur de Berlin a été précédée d’une détérioration de la situation politique autour de Berlin. Les deux blocs militaro-politiques – l’OTAN et l’Organisation du Traité de Varsovie (OTV) – ont confirmé leurs positions irréconciliables sur la “question allemande”. Le gouvernement ouest-allemand dirigé par Konrad Adenauer a imposé en 1957 la “doctrine Halstein”, qui prévoyait la rupture automatique des relations diplomatiques avec tout pays ayant reconnu la RDA. Il a rejeté catégoriquement les propositions est-allemandes de confédération.

En novembre 1958, Khrouchtchev, chef du gouvernement soviétique, accuse les puissances occidentales de violer les accords de Potsdam de 1945. Le gouvernement soviétique propose de transformer les secteurs occidentaux de Berlin en une “ville libre démilitarisée”. Les négociations entre les ministres des affaires étrangères des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France et le ministre soviétique des affaires étrangères à Genève au printemps et à l’été 1959 n’ont pas abouti.

En août 1960, le gouvernement de la RDA impose des restrictions pour les citoyens allemands qui se rendent à Berlin-Est, justifiant cette mesure par la prévention de la propagande revancharde et des tentatives de sabotage et d’incendie criminel. Rien qu’au cours des manœuvres militaires de la RFA en 1961, la frontière de la RDA a été violée 137 fois, et des agitateurs anticommunistes ouest-allemands se sont activés sur le territoire de la RDA et de Berlin-Est. En réponse, l’Allemagne de l’Ouest a rejeté un accord commercial entre les deux parties du pays, ce que la RDA a considéré comme une déclaration de guerre économique. La RDA et les pays de l’OTV n’avaient d’autre choix que de renforcer la frontière de l’État. Sinon, l’Allemagne de l’Est risquait une déstabilisation économique et politique à grande échelle, ce qui aurait eu des conséquences désastreuses pour les pays socialistes et l’Union soviétique elle-même. En 1961, tout le monde en avait conscience. La construction du mur était une garantie de préservation du “statu quo” et offrait une opportunité pour le développement pacifique des démocraties populaires.

Dialectiquement, le mur remplissait deux fonctions : le rempart antifasciste, comme on appelait le mur en RDA, servait non seulement à garantir la paix en Europe et le fait qu’au moins un tiers du monde avait été soustrait à l’oppression du capital, mais aussi à garantir qu’avec l’existence de ce mur, l’Allemagne ne pourrait pas se développer au point de constituer une menace pour la paix. En effet, ce pays a déclenché deux guerres mondiales et a été responsable de l’extermination délibérée de dizaines de millions de personnes en Europe, dont 27 millions de citoyens soviétiques et 6 millions de Juifs. Pour les Allemands de l’Est, le mur garantissait l’absence de chômage et de pauvreté, des loyers bas et des logements abordables, des soins de santé et une éducation gratuits, et pour les Allemands de l’Ouest, des conditions de vie et de travail plus humaines pour un pays capitaliste, car derrière le mur se trouvait une vitrine du socialisme, avec laquelle l’Allemagne de l’Ouest devait rivaliser bon gré mal gré pour éviter le mécontentement de la classe ouvrière chez elle.

Il n’y avait pas de raison objective pour la destruction du mur. Un facteur subjectif est entré en jeu : le mur est devenu une monnaie d’échange dans les jeux politiques de Gorbatchev, Yakovlev et Chevardnadze avec l’Occident. Et pas seulement pour ces traîtres, mais pour tous ceux qui, en raison de zigzags opportunistes, ont naïvement cru à une quelconque “théorie de la convergence” entre le socialisme et le capitalisme et à la possibilité de se mettre d’accord avec des escrocs (Marx aurait ri de l’idée de convergence de ces deux formations historiques) ….

Le fait que le mur, la plus belle merveille du monde, telle que décrite par le dramaturge allemand et élève de Brecht Peter Hacks, était en danger, est apparu clairement au milieu de l’année 1987, lorsque le SPD ouest-allemand et le SED est-allemand ont publié une résolution commune sur “Le différend entre les idéologies et la sécurité commune”. La presse communiste officielle de l’époque a qualifié le voyage à Bonn du président du Conseil d’État de la RDA de “visite historique”. Hermann Gremliza, éditeur du magazine allemand de gauche Konkret, a écrit à l’époque : « L’histoire mondiale a dû retenir son souffle à deux reprises. Moi aussi, et cet événement m’a semblé être une bonne occasion de dissiper un malentendu que nous ne devrions pas traîner avec nous dans les époques ultérieures de l’histoire. C’est une erreur de penser que j’aime le communisme pour ses beaux aspects : les victoires sur le front de la production, où l’usine textile de Neubrandenburg a de nouveau rempli le plan à 108 % ; l’expansion générale des datchas, l’approfondissement et la préservation du patrimoine culturel de Luther à Bismarck, l’assouplissement des voyages à l’étranger, des contacts humains et le basculement des antennes vers l’ouest. Même la déclaration du secrétaire général du SED selon laquelle la frontière entre la RFA et la RDA allait bientôt nous “unir” n’aurait pas eu grâce à mes yeux.

Non, mon affection était et est toujours, une fois passé le stade des résolutions historiques et des poignées de main, pour ces beautés intérieures qui se cachent derrière la laideur extérieure : la contribution inoubliable des communistes à la défaite et au démembrement du Reich allemand ; la construction du Mur et l’extension de la zone restreinte ; la création d’un régiment qui interdit la libre expression à la racaille qui donnait autrefois le ton dans les brasseries et le courrier des lecteurs de Rostock à Suhl comme elle le fait aujourd’hui de Flensburg à Passau.

Rien ne suscite en moi des sentiments plus tendres qu’un pays que les dentistes allemands fuient.

Cependant, c’est un grand bonheur qu’un système qui empêche les maîtres du diviser pour régner de soumettre le monde entier et de réduire toute existence humaine à un seul point – comment voler et exploiter son prochain – qui dresse des frontières bien gardées – géographiques et idéologiques – contre l’idéologie de la Liberté et de la Démocratie, un système qui, peut-être pas à lui seul et sans donner une réponse définitive à la question, ouvre à l’humanité la possibilité d’une autre organisation du monde que celle que Warner Bros, EMI et Bertelsmann proclament comme seule possible, une organisation qui ne reste pas seulement un idéal, mais une réalité qui fonctionne tant bien que mal.»

Gremliza poursuit en citant la résolution du SPD et du SED : “Les sociaux-démocrates et les communistes font tous deux référence à l’héritage humaniste de l’Europe. Tous deux prétendent perpétuer cet héritage, s’engager en faveur des intérêts des travailleurs, réaliser la démocratie et les droits de l’homme. Mais depuis sept décennies, ils vivent dans une âpre dispute sur la manière de procéder… La dispute sur les positions fondamentales peut contribuer à une compétition fructueuse des systèmes si les communistes et les sociaux-démocrates respectent les principales décisions de l’adversaire, ne cherchent pas à construire une image de l’ennemi, à suspecter les motivations de l’autre partie… Aucune des deux parties ne devrait refuser à l’autre le droit d’exister…

Dans les deux systèmes, il y avait et il y a toujours la crainte que l’autre partie, en raison de ses intérêts et de son idéologie dominante, soit intéressée à étendre son influence et sa sphère de domination. À l’Ouest, cette crainte est liée au fait que la thèse marxiste-léniniste d’un processus révolutionnaire mondial conduise à l’exportation de la révolution et serve à justifier les prétentions soviétiques au pouvoir. Dans le marxisme-léninisme, cette peur est basée sur une analyse marxienne de la nature de la production capitaliste de marchandises, sur les travaux de Lénine sur la nature du capitalisme monopolistique, ainsi que sur la perception et l’interprétation de la stratégie et de la politique anticommunistes dominantes d’aujourd’hui. Par conséquent, dans un processus menant à la sécurité collective, ces craintes doivent être éliminées”.

Gremliza poursuit : « Il va de soi que ceux qui veulent ‘éliminer les peurs‘ promettent de le faire ‘sans effusion de sang‘ et s’engagent à formuler des ‘règles de base de la culture de la dispute politique‘, dont la plus belle est : “Tout ce qui donne l’impression que l’autre partie n’est pas pacifique par principe ou qu’elle est incapable de faire la paix doit être exclu”. Le lecteur aura sans doute deviné que le SED a ses raisons ou au moins ses justifications pour pratiquer ce bradage post-saisonnier des connaissances. Il les a trouvées dans notre nouvelle situation historique mondiale…, dans le fait que l’humanité ne peut que survivre ou périr ensemble. Cette alternative n’a pas d’exemple historique”… Il est vrai qu’une guerre nucléaire ne peut être admise. Au cours des trois dernières décennies, les missiles soviétiques ont réussi à l’empêcher. Les choses sont maintenant telles que les États-Unis peuvent apparemment être contraints de réaliser que leurs armes nucléaires ne seront pas en mesure de garantir la victoire à l’avenir. …Alternativement, bien sûr, la puissance mondiale qui s’effondre et ses alliés pourraient être contraints de tendre la main et de négocier un terrain d’entente. Cela profiterait également à l’apparence extérieure du communisme, par exemple, une satisfaction toujours plus complète de la demande des consommateurs. Puisque le camarade Gorbatchev voudra probablement revenir à Lénine et à ses “peurs”, commençons “sur le sol allemand” par le nouvel État et ses similitudes des deux côtés de la frontière. Et si l’on nous présente un ministre des “relations intra-allemandes”, auquel Eisenhüttenstadt, Leipzig et Schwerin sont déjà subordonnés, nous lui réserverons un bon accueil… Lénine, dans l’un de ses ouvrages, a souligné le danger de la maladie infantile du “gauchisme” dans le communisme. Les maladies séniles de ces derniers ne lui étaient pas connues”. »

Immédiatement après la destruction du mur de Berlin et l’annexion de la RDA par l’Allemagne de l’Ouest, les capitalistes et les politiciens de RFA ont légalement transformé la frontière entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie en une frontière “intra-allemande”. Cela a permis de déclarer les gardes-frontières de la RDA “criminels” et les transfuges “héros”. Le monument dédié aux 26 gardes-frontières de la République démocratique allemande morts sous les balles ennemies dans l’exercice de leurs fonctions militaires a été démoli par les nouvelles autorités en 1994. Les médias bourgeois de la RFA versent aujourd’hui hypocritement des larmes de crocodile pour les 101 “victimes du mur”, non seulement parce que c’est le système capitaliste dont ils font partie qui a forcé les pays du camp socialiste à aller vers le renforcement des frontières par son agression militaire, économique et idéologique, mais aussi dans le contexte du fait que de 2014 à 2019, plus de 19 000 personnes ont été tuées en essayant de traverser les frontières de l’Union européenne.

Le mur, qui a fait en sorte que, durant son existence, le peuple allemand n’ait pas été impliqué dans un seul conflit militaire et que, pour la première fois depuis des décennies, aucune balle n’ait été tirée en Europe, peut à juste titre être appelé la huitième merveille du monde. Il aurait pu tenir plus longtemps, et nous aurions pu vivre sous un ciel de paix et ne pas connaître les guerres et les conflits fratricides qui ont déferlé de la Yougoslavie au Caucase après sa chute ; ne pas connaître les flots de réfugiés fuyant les bombes de l’Occident dans le Moyen-Orient ruiné et l’Afrique pillée. Le problème est que le mur de Berlin n’existe plus.

Andrei Doultsev

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