Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

En Lettonie, tous les non-Lettons deviennent automatiquement des Russes, par Youri Alexeïev*, journaliste

Ici aussi dans ce pays de l’UE la russophobie prend des aspects grotesques et il faut bien mesurer que derrière ces caricatures ce qui est recherché est le bellicisme, l’adhésion à l’OTAN et surtout l’antisoviétisme comme anticommunisme. Mais là où la parodie est véritablement loufoque c’est quand comme en Lettonie ou en Pologne les Ukrainiens pourtant les champions officiels de la russophobie parce qu’ils sont russophones être pris dans la haine inculquée officiellement pour les Russes, c’est-à-dire en fait tout ce qui n’est pas Letton (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

              7 juillet 2021

Un scandale/maïdan a éclaté en Lettonie ce printemps. Le Congrès mondial des Ukrainiens (UWS) a expulsé une organisation appelée Association des sociétés ukrainiennes de Lettonie (AUSL). L’initiateur était l’ambassadeur ukrainien en Lettonie, Alexander Mishchenko.

Sur le site web du Congrès mondial des Ukrainiens est apparue une déclaration fracassante dans le style “abattez-les comme des chiens enragés”.

Citations (la traduction de l’ukrainien est de l’auteur de cet article) : “…il a été constaté que les membres et les dirigeants d’AUSL manifestent clairement une position anti-ukrainienne. Il s’agit notamment de la promotion d’informations anti-ukrainiennes sur différents réseaux sociaux ; d’actions guidées par l’idéologie du ” Monde russe ” ; de la diffusion de désinformations sur la guerre dans l’est de l’Ukraine et de la diffamation du gouvernement ukrainien qui, selon l’association, est un ” groupe fasciste ” qui tue des enfants ; de déclarations discréditant la Révolution de la Dignité… “

“…soutien de groupes radicaux pro-russes en Lettonie portant atteinte à sa souveraineté ; promotion de symboles et de l’histoire soviétiques interdits en Lettonie ; participation de dirigeants et de représentants d’AUSL à des événements de l’ambassade de la Fédération de Russie en Lettonie ; organisation d’événements culturels dans des institutions de la Fédération de Russie et invitation de représentants diplomatiques de l’État agresseur à ces événements…”.

Et je comprends l’ambassadeur d’Ukraine en Lettonie, Mischenko. Il a été nommé ambassadeur par le précédent président du pays, Petro Porochenko. Quelle a été la première chose que le nouvel ambassadeur a vue en arrivant en Lettonie ? Que tous les Ukrainiens locaux (même les membres des communautés ukrainiennes) parlent entre eux et même avec lui exclusivement en russe. Mais ce n’est pas le plus gros problème. En Ukraine même, la plupart des gens parlent russe entre eux. Même les présidents, quand ils ne sont pas sous l’œil des caméras de télévision.

Photo : Erhard Nerger/Global Look Press

La principale frustration a frappé l’ambassadeur ukrainien lorsqu’il s’est rendu compte que les Ukrainiens lettons sont des “vatniks” [porteurs de vestes ouatinées’, une caricature des soviétiques, NdT] et des “kolorados” [nom ukrainien des doryphores, les pro-russes ont été baptisés ainsi à cause de la couleur des rubans de St Georges, NdT]! Ils ne célèbrent pas l’anniversaire de Bandera et ne participent pas aux défilés des nazis lettons sous les drapeaux de la division SS “Galicie”. C’est juste le contraire. Ils participent aux marches du “Régiment immortel”, portent des rubans de Saint-Georges sur la poitrine, ne sont pas enchantés par Maidan-2014 et condamnent la guerre civile dans le Donbass ! Trahison !

L’ambassadeur s’est dit : la Lettonie est un pays européen, tous les Ukrainiens y sont tellement tolérants, gay-friendly, banderistes, qu’il recevrait une affection et une tendresse totales, comme, disons, au Canada. Mais ça n’a pas marché. Les Lettons et les Ukrainiens, qui sont environ 50 000 ici, ont déçu l’Ambassadeur-404 à un point inimaginable. Et, d’après ce qu’on m’a dit, ils l’ont même grossièrement conspué lorsqu’il a essayé d’élever la voix contre eux, vociférant “parlez-moi en russe, pas dans une langue de chien” ! Ils l’ont envoyé (en russe) se faire foutre…Monsieur l’ambassadeur était désespéré…

***

Voilà le problème de l’ambassadeur ukrainien. Après plusieurs années passées en Lettonie, il n’a pas compris que toute personne qui n’est pas lettonne devient automatiquement russe dans ce pays. Ukrainiens, Biélorusses, Tatars, Juifs, Tchouktches et Noirs du troisième âge. Selon le recensement, il y a 150 nationalités en Lettonie. Mais tous ceux qui ne sont pas lettons sont par définition russes.

En Russie, on peut devenir le grand poète russe Pouchkine en étant d’origine nègre. Ce n’est pas comme ça en Lettonie. Pour devenir letton en Lettonie, il faut être né letton. C’est mieux de naître dans une ferme. Si vous n’avez pas cette chance, alors pour les Lettons vous êtes un Russe. Même si vous avez appris la langue locale à la perfection, que vous êtes devenu docteur en philologie lettone et que vous avez passé la moitié de votre vie à participer à des marches aux flambeaux en mémoire de la légion SS lettone.

Nous avons un tel politicien en Lettonie – Andrei Yudin, député du Seim. Toute sa vie consciente, il a essayé de ne plus être Russe et de devenir Letton, il s’est contorsionné dans tous les sens. Il a appris la langue lettone, a exigé que même ses amis russes l’appellent à la manière lettone – Andrijs Judins. Il y a quelques années, il a même présenté une initiative législative visant à autoriser les personnes d’autres nationalités à inscrire la nationalité “lettonne” dans leur passeport, après un contrôle correspondant (de langue lettonne et de nationalisme letton).

Hehehe, ont dit les Lettons professionnels, “Pas question, pseudo-Lettons ! Nous n’avons pas besoin de tels Lettons en peau de lapin. En conséquence, l’initiative législative d’Andrejs Judins a été interdite au Seim, et lui-même s’est retrouvé suspendu entre deux nationalités. Il a quitté les Russes, mais il n’a pas été accepté chez les Lettons… C’est son triste sort. Il n’y a plus que deux nationalités en Lettonie : les Lettons et les non-Lettons. Nous sommes à peu près à 50/50. Je témoigne : il est impossible de devenir letton. Même moi, qui suis à moitié letton (ma mère est lettonne), je ne peux pas devenir un vrai Letton, même si je le voulais. Ils ne t’accepteront pas, tu es métisse.

Même si vous êtes un hacker enragé, un bretteur anti-Poutine féroce, voire un Shenderovich, Makarevich et Novodvorskaya en une seule personne, vous serez un Russe pour les Lettons. Une anecdote amusante : feu Valeria Novodvorskaya et son assistant actuel Konstantin Borovoy sont venus en Lettonie il y a dix ans pour parler aux “Européens” lettons. J’ai assisté à cette conférence par curiosité. Pendant quatre heures, les Lettons les ont torturés verbalement. Ils ont parlé/discouru uniquement en letton lors de la conférence, sans fournir d’interprète à Novodvorskaya ou à Borovoy. Tous, cependant, étaient parfaitement capables de parler russe. Je connais le letton, je riais à gorge déployée, en regardant les visages joyeux et stupides de Novodvorskaya et Borovoy, ils hochaient la tête avec animation à chaque mention de leur nom, ils ne comprenaient que ce mot.

J’explique une fois de plus aux ambassadeurs ukrainiens : nous sommes tous des Russes pour les Lettons et autres Estoniens-Lituaniens. Cela signifie citoyen de deuxième classe par le fait même de la naissance. Et tu ne veux pas être russe, comme Andriy Yudin, mais tu le seras. Peu importe combien vous criez que vous reconnaissez l'”occupation” et que vous détestez Staline/Poutine. Et l’hymne ukrainien “N’est pas encore morte…” n’est pas distingué par les Lettons-Estoniens-Lituaniens de l’hymne “Union indestructible…” [des Républiques soviétiques…, l’ironie est que l’hymne actuel de Russie a la même musique – et le même auteur – que l’hymne soviétique, NdT].

Deuxième anecdote : les “dissidents au régime de Poutine” visitent fréquemment les pays baltes ces derniers temps. De Meduza* à Chulpan Khamatova. Le principal critique de musique rock de tous les temps, Artemy Troitsky, a également déménagé en Estonie pour y établir sa résidence permanente. Pendant environ un mois après son arrivée en Estonie, il a bénéficié de la crème de la crème, étant traîné sur les ondes de radio-TV estonienne pour critiquer Poutine. Puis ils ont arrêté, parce que tout ce qu’il y avait à dire sur l’idée que la Russie est mauvaise avait été dit, et tout le reste n’a que peu d’intérêt là-bas.

Pendant environ six mois, la presse estonienne a publié ses chroniques et articles anti-russes en traduction pour une somme modique. Et puis ça s’est terminé, aussi. Et maintenant, ce critique du rock russe et de Poutine se morfond dans l’anonymat, le manque d’argent et un profond ennui balte. En Estonie, il pleut 360 jours par an. Les cinq autres jours, il y a de la neige et de la pluie…

Le troisième croquis est le plus triste. C’est ce qu’a déclaré Galina Timchenko, la principale “Meduza” de la Fédération de Russie, à l’antenne de la télévision lettone il y a quelques années. Elle a dit avec tristesse qu’elle était déçue par les Russes lettons. Lorsqu’elle a immigré en Lettonie, elle s’attendait à être accueillie par de vrais Russes “européens”, qui détestent farouchement tout ce qui est russe. Mais ici, les principaux Russes se sont avérés être moi, Yuri Alekseev, un vatnik et un kolorad.

C’est exactement ce qu’elle a dit dans l’émission en direct sur la télévision lettone, sous mes yeux, j’étais son adversaire à l’époque, dans cette émission sur la télévision lettone. Et dans ses yeux, il y avait une surprise sincère : comment vous, les Russes lettons, pouvez-vous ne pas détester la Russie, comme je la déteste ?

À cette époque, les programmes en russe étaient rares à la télévision lettone. Maintenant, il n’y en a plus. Et il n’y en aura pas à l’avenir.

*un autre article, à ne pas manquer, de ce journaliste : https://histoireetsociete.com/2021/06/01/la-lettonie-a-perdu-sa-place-au-paradis-sovietique-paryouri-alexeiev/

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