Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Lisez Lénine, messieurs !

A tous les “patriotes” qui font de la surenchère face à l’agressivité de l’impérialisme US et de ses vassaux, les communistes répondent : on ne peut pas résister aux capitalistes en étant soi-même capitaliste… La leçon est également bonne pour tous ceux qui crient Europe, Europe ou au contraire souveraineté nationale et ne posent jamais les conditions socialistes de la souveraineté, à savoir au minimum non seulement dénoncer les traités mais le faire en ayant reconquis des secteurs clés et la maitrise financière. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)

№52 (31112) 21-24 mai, 202

Auteur : Oleg CHERKOVETS, docteur en sciences économiques.

https://gazeta-pravda.ru/issue/52-31112-2124-maya-2021-goda/chitayte-lenina-gospoda/

Les tentatives de la propagande officielle visant à détourner l’attention des Russes par des slogans à la fois bruyants et irresponsables, tels que “se débarrasser rapidement” du dollar américain et de la dépendance à l’égard de la supériorité technologique américaine, ne sont que des balbutiements impuissants.

À l’approche des élections législatives, les slogans de ce genre, de plus en plus fréquents, que l’on entend dans les talk-shows télévisés les plus populaires, ne sont même pas des tentatives évidentes de tromper les Russes (pour la simple raison que la plupart des téléspectateurs sensés ne croient tout simplement pas à ce genre de bêtises), mais sont simplement la dernière bourde de la propagande. On ne sait jamais, une partie au moins de l’électorat pourrait mordre à cette rhétorique pseudo-patriotique et ajouter des voix à Russie Unie, qui perd en popularité ! On dirait qu’il reste de moins en moins d’attraits au pouvoir…

Mais pour parler sérieusement, comment un pays, qui tente de s’intégrer dans ce même système depuis exactement 30 ans, peut-il soudainement “abandonner” les lois du système capitaliste mondial ? Un pays où, sous nos yeux, les plus hautes autorités et les principaux propagandistes ont déclaré à plusieurs reprises (presque juré !) que la Russie d’aujourd’hui et l’Occident n’avaient plus de différences idéologiques ? Cela a-t-il existé ou non ? Et si c’était le cas, si la classe dirigeante russe et les oligarques des pays développés de l’Ouest n’ont vraiment plus de controverses de classe, alors tout le monde vous dira : s’il vous plaît, messieurs, conformez-vous aux ordres établis dans ce système dirigé par les États-Unis et ses alliés les plus proches !

Et ce système, comme chacun sait, implique le fonctionnement de lois à la fois purement politiques et, bien sûr, économiques, y compris financières. Et la domination inconditionnelle du dollar américain n’est pas seulement le résultat du diktat militaro-politique et diplomatique des États-Unis (bien que cet élément soit certainement présent), mais surtout le reflet de leur leadership économique et scientifique-technologique. Et cela – quoi que l’on puisse prétendre de manière irresponsable sur son écran de télévision – est confirmé par les données les plus récentes.

Tout d’abord, en ce qui concerne la supériorité économique générale des États-Unis sur la Russie de Poutine, malgré les attentes et les déclarations triomphalistes concernant un “décollage” de l’économie russe cette année après la chute de l’année dernière, dans la réalité, au cours des deux premiers mois de 2021, son déclin s’est poursuivi : en janvier, en termes annuels, elle a chuté de 2,2 %, et en février – jusqu’à 2,5 %. Et ce n’est qu’en mars – le dernier mois du premier trimestre – que le PIB a connu une croissance microscopique de 0,5 %. Où voyez-vous un “décollage”  ?

Alors, peut-être que l’économie va “repartir”, et que nous pouvons encore nous attendre à une sorte de décollage, du moins selon les résultats de fin d’année ? La réponse se trouve dans les paramètres de base des prévisions pour les années à venir publiées par le ministère du développement économique à la veille des congés de mai, le 24 avril. Selon ces chiffres, le PIB de la Russie ne progressera que de 2,9 % d’ici à la fin de 2021 (c’est-à-dire si rien ne l’en empêche !). Cela signifie qu’à la fin de cette année, notre économie ne retrouvera même pas les volumes d’avant 2019. Entre-temps, selon les nouvelles prévisions publiées récemment, au même mois d’avril, par le Fonds monétaire international sur le développement de l’économie mondiale et de ses principaux centres, le PIB mondial augmentera de 6 %. Comme nous pouvons le constater, le décalage entre les taux de croissance de la Russie et ceux du monde aura plus que doublé.

Quant au taux de croissance de certains pays “significatifs”, selon le pronostic que nous envisageons, il sera de plus de 8,5 % en Chine – une perspective qui ne surprend plus, non seulement les lecteurs de la Pravda et autres partisans des idées communistes, mais même leurs opposants. Mais pour nous, il y a autre chose de plus intéressant concernant le sujet en question : les prévisions de croissance de l’économie américaine sont d’au moins 5,5 % (alors que les experts américains, au vu des mesures annoncées par l’administration du président Joe Biden pour soutenir l’économie nationale, s’attendent à une croissance d’au moins 6 %. – O.C.).

Ainsi, nous pouvons constater que, bien que la croissance aux États-Unis reste à la traîne de celle de la Chine et que l’écart entre les deux se resserre (ce dont la Pravda informe régulièrement ses lecteurs), mais, premièrement, l’économie américaine reste supérieure à l’économie chinoise en termes absolus et, deuxièmement, la croissance de l’économie américaine est bien supérieure à celle de la Russie. Cela signifie que l’écart entre l’économie russe, déjà faible, et l’économie américaine, la plus forte du monde, ne se réduit pas (comme dans le cas du rapport États-Unis-Chine), mais se creuse au contraire. Enfin, même dans la “zone euro” – le noyau même de l’Union européenne que les propagandistes de Poutine enterrent régulièrement – la croissance devrait être de 4,3 %, soit beaucoup plus que le taux de croissance prévu pour la Russie.

Ces chiffres ne montrent pas seulement que le fossé continue de se creuser entre l’économie russe et les deux principaux centres de pouvoir du monde capitaliste, les États-Unis et l’Union européenne. Ils confirment également que, si le modèle socio-économique actuel persiste, notre pays n’a plus de ressources pour tenter de rattraper les grandes économies du monde. Ces ressources font totalement défaut ! La Russie d’Eltsine et de Poutine, complètement “inscrite” dans l’économie capitaliste mondiale, reste son maillon faible.

Et cette faiblesse économique ne peut être compensée par aucun “Kalibr”, aucun “Zirkon”, ni même aucun “Poséidon” ! Alors, sur quelle base le pays va-t-il se “libérer” (et ce, de manière “accélérée” !) du dollar américain et des autres dépendances ? En se basant uniquement sur le fanatisme et l’aventurisme de ses cercles dirigeants et de ses journalistes de télévision et analystes politiques flagorneurs ? Et que coûtera cet aventurisme économique à des millions de citoyens ordinaires qui, premièrement, gardent – et, hélas, à juste titre ! –leurs dernières économies en billets verts, et qui deuxièmement, sont toujours obligés d’acheter quantité de marchandises importées, depuis les produits alimentaires jusqu’aux médicaments. Qui, rappelons-le, sont produits aux États-Unis, dans l’Union européenne et au Japon. Eh bien, essayez, messieurs, de renoncer à tout cela, sans créer d’abord vos propres industries de pointe et sans changer l’essence du système socio-économique que vous avez établi en Russie, qui a été dès l’origine programmé pour dépendre de l’Occident !

Cependant, il y a près de 100 ans, en décembre 1921, V.I. Lénine, en présentant un rapport du Comité exécutif central panrusse et du Conseil des commissaires du peuple au IXe Congrès panrusse des soviets, a souligné qu’il était nécessaire de restaurer et de développer les forces productives “non pas sur l’ancienne base, misérable et mesquine, mais sur la nouvelle …”, l’industrie et l’électrification”. Si vous, messieurs les partisans du pouvoir, ne drapiez pas honteusement le mausolée de Lénine chaque année, et si vous ouvriez au moins parfois les œuvres du dirigeant révolutionnaire, vous comprendriez : en ce qui concerne les jours d’aujourd’hui, la remarque de Lénine mentionnée signifie que l’économie doit être construite sur sa propre base de haute technologie, au lieu d’être dépendante de l’état des prochains développements pétroliers et gaziers et de l’importation d’équipements de pointe. Et ensuite – et seulement ensuite ! – on peut penser à un renforcement significatif du rôle de la monnaie nationale et à la réduction correspondante du rôle du dollar.

Et maintenant nous passons au deuxième élément de la supériorité américaine – scientifique et technologique, soutenu par un mécanisme efficace d’organisation et de gestion de sa mise en œuvre dans la vie pratique et, bien sûr, directement dans l’économie. Ce mécanisme – le transfert rapide des réalisations scientifiques dans la production – a été créé il y a plusieurs décennies et continue de fonctionner aujourd’hui, en évoluant et en s’améliorant constamment et en recevant un soutien complet de l’État. Prétendre qu’elle n’existe pas, comme le font les propagandistes de la télévision, signifie mentir impudemment et sans vergogne au peuple russe. Tous ces éléments réunis signifient que la principale puissance impérialiste conserve un avantage objectif dans la compétition économique.

En parlant de compétition. Si nous nous tournons à nouveau vers Lénine, nous constatons qu’il a écrit sur tout cela il y a longtemps et en détail. Il y a 105 ans, avant la révolution de février, en 1916, dans son ouvrage Sur la caricature du marxisme et de l'”économisme impérialiste”, Lénine écrivait que « les trusts américains sont la plus haute expression de l’économie impérialiste ou du capitalisme monopolistique. Pour éliminer un concurrent, les trusts ne se limitent pas à des moyens économiques, mais ont constamment recours à des moyens politiques, voire criminels ». Et encore : « Le grand capital financier d’un pays peut toujours acheter des concurrents dans un autre pays, politiquement indépendant, et le fait toujours ».

C’est comme si cela avait été dit à propos de notre situation actuelle ! Transformés au cours du siècle dernier en sociétés transnationales, dont la plupart ont leur siège social précisément aux États-Unis, ces trusts d’hier déterminent en grande partie le visage de l’économie mondiale d’aujourd’hui. Leur force réside dans le fait que, d’une part, ils fournissent le leadership scientifique et technologique, en soutenant réellement la science dans les universités et dans les laboratoires de production, d’autre part, ils dirigent les actions de leur propre gouvernement pour mettre en œuvre l’hégémonie mondiale, en continuant à être “la plus haute expression de l’économie impérialiste”. D’autant plus que l’Union soviétique et le bloc des pays socialistes d’Europe de l’Est ne leur font pas de contrepoids depuis maintenant trois décennies.

Lénine revient sur le problème de l’hégémonie du grand capital dans son ouvrage encore plus connu L’impérialisme stade suprême du capitalisme, écrit à peu près à la même époque, auquel la Pravda s’est référée à plusieurs reprises dans ses publications. Lénine souligne : « Nous ne sommes plus confrontés à une lutte concurrentielle entre petites et grandes entreprises, technologiquement arriérées ou technologiquement avancées (comme c’était le cas dans la période pré-impérialiste. – O.C.). Nous sommes confrontés à l’étranglement par les monopoleurs de ceux qui ne se soumettent pas au monopole, à son oppression, à son arbitraire ». En d’autres termes, l’étranglement par les impérialistes les plus forts de ceux qui sont les plus faibles ! Et cela ne reflète-t-il pas la situation d’aujourd’hui ? Alors pourquoi s’étonner si, après avoir accepté les lois du monde des monopoles impérialistes, ces mêmes monopoles vous étranglent et tentent de vous plier à leur volonté par tous les moyens ?

Il n’y a qu’une seule façon de se débarrasser de ce carcan : en rejetant les lois du monde impérialiste et en revenant sur les rails de la construction socialiste. Sans cela, tout appel bruyant à la “libération du dictat américain” reste une hypocrisie et un mensonge.

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