Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Une fois pour toutes à propos de l’invention du peuple juif

Combien de fois devrai-je subir l’escroquerie intellectuelle de ce livre de Shlomo Sand ? Combien de fois devrai-je répéter cette évidence sociologique qui fait qu’aucun peuple n’est simplement une donnée génétique même si temporairement on arrive à cerner des évolutions mineures. Celles-ci, comme me l’a récemment montré mon propre test génétique, n’ont aucune influence culturelle ou politique et ne coïncident en aucun cas avec une forme politique et sociale, elles permettent simplement de suivre les migrations des groupes humains. Tous les peuples comme toutes les nations sont une invention historique et le travail accompli sous la troisième république, y compris par des historiens jacobins comme Lavisse, concernant l’invention du peuple français ne me démentira pas. L’historiographie républicaine a fait de Charlemagne un empereur français fondateur de l’école laïque et méritocratique… Si on veut parler d’une invention de peuple à propos de ce qui se déroule au Moyen-Orient, il faut peut-être reprendre l’idée esquissée par Darwich de l’invention parallèle du peuple israélien et du peuple palestinien, ils sont nés ensemble en tant qu’exigence nationale et c’est leur affaire, mais il y a des bases culturelles à cette identité commune et elles peuvent fructifier pour peu qu’on les entretienne au lieu d’exaspérer les antagonismes identitaires: par exemple ce thème d’Edouard Saïd sur les peuples de l’exil. Autrement si on fait de la politique, il vaut mieux dénoncer l’impérialisme et la manière dont il organise guerre et exploitation contre tous les peuples.

Être juif c’est encore autre chose… Celui qui me parait avoir pour mon propre cas mieux cerné cela c’est Döblin dans son Voyage en Pologne alors qu’il est assimilé et souhaite se convertir au christianisme. C’est un sentiment d’appartenance à une origine, des non-dits, dont on passe une existence à s’interroger sur la nature, qu’on le fasse sur le divan ou dans les méandres des querelles familiales comme dans une comédie italienne. La psychanalyse est-elle “une science juive” parce que l’obsession commune y rejoint le mythe?

Hier pour la xème fois à partir de la lecture de cette escroquerie intellectuelle qu’est l’invention du peuple juif, un individu est venu m’expliquer ce que c’était qu’être juif et qu’il était malsain de m’obstiner à confondre une religion et un peuple. Il y a des choses qui me mettent hors de moi et ce genre de discours en fait partie: de quel droit vient-on me dire qui je suis? …

Je vais faire un détour pour expliquer si faire ce peut mon indignation. Si faire ce peut parce qu’il y a des gens capables de comprendre ce que je vais vous dire et d’autres qui s’obstinent, les uns parce qu’ils sont stupides, et qu’ils croient savoir tout sur tout, et les autres parce qu’ils sont antisémites. Je vais aussi vous faire une confidence, un juif souvent reconnait un autre juif, moi je reconnais surtout les femmes juives, leur goût de l’errance, leur art de sauter du coq à l’âne… C’est une question d’habitus dirait Bourdieu, de manière d’être. Mais un juif sait aussi quand il a affaire à un antisémite, il sait que celui-ci dieu sait pourquoi se délecte de sa souffrance, en hume le parfum. Ne pas leur donner ce plaisir-là, c’est d’ailleurs ce qui m’a incitée longtemps à ne pas écrire ce texte, je mets déjà des noms sur cette précaution. Je sais qu’il y a des gens qui sont antisémites comme les polonais, ils ont dans leur immense majorité besoin de haïr les juifs, même quand ils n’en ont plus sous la main. Face à des gens comme ça j’éprouve une répulsion mêlée d’une interrogation sur la nature de leur folie. J’ai de la même manière su que Staline n’était pas antisémite parce qu’il comprend l’explication de Kaganovitch. Il interroge ce dernier sur le fait qu’il ne supporte pas les blagues antisémites alors que Mikoïan lui rit aux blagues contre les arméniens. Kaganovitch qui sait que la fleur favorite de Staline est le mimosa lui dit “Nous les juifs, nous avons tellement subi de traitements injustes que nous sommes comme le mimosa un effleurement et la poudre tombe”. Staline interdit les plaisanteries anti-juives au Bureau politique. Si quelqu’un comprend cette idée d’un effleurement il comprend beaucoup de choses et qu’il est inutile si l’on veut réellement une finalité politique de réveiller cette manière d’être à fleur de peau sur l’identité. Kaganovitch est resté jusqu’à la mort fidèle à Staline parce qu’il était lui aussi un bolchevique et qu’il savait pouvoir être délivré de cette haine que l’on retrouve chez Khrouchtchev.

Ce que Staline avait compris, parce que l’homme était intelligent et surtout parce qu’il était politique, sur le plan théorique il avait avancé sur la question des peuples et des nations, certes on ne peut pas l’exiger du tout-venant des réseaux sociaux et hier je me suis donc une fois de plus heurtée à un individu. Encore un qui, à partir de la lecture de “L’invention du peuple juif“, sans me connaitre a prétendu résoudre la question palestinienne en m’expliquant que je ne devais pas m’obstiner sur une identité factice israélienne et me résigner à ce que les juifs, invention de lord Balfour (en oubliant au passage que c’est la Palestine qui a été l’invention d’Hadrien en lutte contre les juifs révoltés et repris par ledit lord Balfour, mais passons, cela n’explique rien) n’existaient pas. Au passage, la question d’Israël était traitée comme le souhaitait Netanyahou, on faisait un paquet cadeau d’Israël et des juifs. Comme quoi il y a un accord fondamental entre l’extrême-droite israélienne et ce type de raisonnement. Rien de plus antisémite que les évangélistes qui tiennent tant à l’existence d’Israël pour y livrer l’ultime bataille contre l’antéchrist qui ressemble à un communiste.

En tant que peuple juif je veux bien accepter que nous soyons un groupe humain transitoire, nul ne se revendique plus hittite ni cananéen, mais vu la situation ce n’est pas demain la veille et il faut faire avec en évitant les abcès de fixation que certains entretiennent à plaisir.

En revanche, ce qui m’a attachée aux partis communistes et en particulier au PCF, c’est non seulement sa conception de classe mais parce que celle-ci quand elle s’accompagne de curiosité historique et internationale et du primat du politique fait que c’est là où j’ai rencontré le moins d’antisémites. Il y en a mais c’est le seul endroit où ils sont aussi minoritaires et je l’ai encore vérifié dans leur positionnement sur les derniers événements. Il y a dans ce parti un positionnement de classe et une exigence de raison dans le fait politique qui leur interdit certains dérapages.

Ces dérapages sont parfois à prétention savante comme la référence à Schlomo Sand, comme tous les types de raisonnement faussement historiques je ne sais pourquoi ils me mettent hors de moi et j’ai envoyé bouler mon interlocuteur qui m’a reproché ce réflexe alors qu’il était “courtois”.

Voici ce que je lui ai répondu et que je voudrais faire comprendre aux lecteurs de ce blog pour que les choses soient sinon claires à tout le moins plus claires…

vous appelez courtoisie une infamie qui m’insulte en tant qu’individu et qui conduit à une impasse politique…

Insulte sur le plan personnel et impossibilité sur cette base de rassembler tous ceux qui veulent œuvrer à une solution juste sans laquelle il n’y aura pas de paix. Parce que vous ne comprenez rien à ce qu’est être juif, si je suis communiste c’est parce que je suis juive, parce que née en 1938 j’ai été pourchassée, j’ai vu 18 membres de ma famille dans les camps et une seule est revenue. Cette horreur je l’ai à jamais en moi. Être juif n’est pas une religion, Freud et Einstein étaient athées et ils reconnaissaient appartenir au peuple juif, tout en n’étant pas pour le premier pour l’installation en Israël, et le second a refusé d’être président d’Israël parce qu’il ne voyait pas des murs, des frontières, mais une sorte de nouvelle Cordoue, il a dénoncé les dérives de Begin. On n’est pas juif sur la base d’une religion mais sur la base d’une filiation comme bien des proto-états du Moyen Orient, des sociétés de marchands et de pasteurs méditerranéens. De ce point de vue judaïsme et islam ont les mêmes bases et on retrouve la même importance de la filiation, de l’impossible reniement.

Cela n’est pas concurrent de l’appartenance nationale, les juifs sont souvent de très grands patriotes. Le seul suicidé allemand devant la perte de la guerre de 14-18 était juif, s’il avait attendu un peu… J’ai toujours pensé que l’URSS avec sa double citoyenneté, celle de la nation, la république soviétique à laquelle il était rattaché comme celle culturelle et familiale de ses origines choisies reflétait assez bien l’appartenance juive surtout qu’elle se doublait d’un super patrie messianique les confondant toutes l’Union soviétique… On pouvait y choisir d’y être juif, rattaché au Birobidjian ou non… Comme je disais à mon père: quelle drôle d’idée d’aller s’enfermer dans cette petite terre alors que nous avions le monde… et mon père me disait: “les juifs ont aussi le droit d’avoir leurs fascistes, d’être comme les autres.” On les a, qu’est-ce qu’on en fait ?

Vous ignorez de ce fait la force de cette appartenance, qui de fait familiale, tribale s’est encore accrue d’une dimension messianique puis pour couronner le tout de l’extermination au XXe siècle, ce qui va en tant qu’expérience humaine au-delà de la religion mais aussi le fait qu’il y a un débat fondamental entre nous, qui nous sentons appartenir au peuple juif entre ceux qui y voient un chemin vers l’universel, et ceux qui comme d’autres peuples y voient un nationalisme étroit et criminel.

Comment peut-on être juif en étant athée? D’abord parce que les autres ne cessent jamais de vous considérer comme juif et vous humilient comme vous le faites par ignorance. Par exemple Marx petit-fils de rabbin mais d’un avocat converti est juif pour tous, et lui-même a écrit la féroce critique de la question juive mais haïssait l’imbécillité de l’antisémitisme (dont vous êtes affligé quand vous prétendez nous imposer votre vision négationniste de qui nous sommes) et il a combattu Proudhon et Dühring, des orfèvres en la matière, avec tout le mépris qu’ils ne cessaient de lui inspirer par leur courte vue. Mais pas sur leur antisémitisme stupide mais en montrant les limites de leur pensée parce que ça va avec. Un imbécile qui prétend comme vous expliquer à un juif qui il est est probablement comme Schlomo Sand qui est un anarchiste social-démocrate sans intérêt complètement nul sur le reste… C’est une manière de résoudre la complexité par une seule dimension qui caractérise tous les complotistes et tous ceux qui sont incapables de dialectique.

Je parle d’imbécilité et je m’explique : comment osez vous dans cette situation complexe où une certain nombre d’entre nous choisit la justice pour et contre son peuple mêler vos sales pattes à des ressentis individuels et collectifs et ignorer ce que nous souffrons et à quel point nous devons à chaque instant nous battre contre nous-même? Et nous imposer de ce ton sentencieux cette courte vision de ce que nous serions : oseriez-vous agir ainsi avec un autre peuple et inviteriez-vous un musulman à renoncer à son appartenance pour résoudre la question iranienne ?

Parce qu’être juif c’est simplement être l’enfant de gens qui ont préféré la stigmatisation, le martyre plutôt que renoncer au fait d’être juif. Et au lieu de vous contenter de notre positionnement politique, fruit de la raison autant que de la morale, vous venez exiger que nous nous renions nous mêmes, vous exigez que nous disparaissions pour vos fantasmes comme les nazis l’exigeaient… Et vous vous trouvez courtois… Non vous n’êtes pas courtois vous êtes un imbécile sentencieux qui ne respectez pas ce que nous ressentons et dans le fond sans le savoir seul notre massacre définitif vous contentera. Il n’est pas étonnant qu’il y ait tant de malades antisémites qui aient choisi ce combat et nous interdisent par leur caricature et leur négationnisme de le mener : ils prétendent nous interdire l’existence et de surcroit le droit d’être juste politiquement en assortissant cela d’un reniement. Ils rendent un peu plus insoluble le problème israélo-palestinien, nourrissent les réflexes identitaires en feignant de les abolir non seulement au Moyen Orient mais chez nous.

Faites de la politique, exigez par exemple que s’ouvrent les négociations sur les bases de l’ONU, et faites pression pour que le seul palestinien non déconsidéré, le Mandela palestinien sorte de prison et ensemble battons-nous pour que ce cessez-le feu ne soit pas ce qu’il est malheureusement la victoire temporaire des corrompus et des ennemis de la paix. Bref faisons de la politique, sur des bases de classe, en recherchant la paix entre les peuples sans jouer avec des problèmes identitaires mal maîtrisés.

Je n’accepterai aucun commentaire à ce texte que je ne diffuserai pas plus sur les réseaux sociaux.

Danielle Bleitrach

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 351

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.