Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

UN DEBAT SUR L’ALGERIE par Jacques Duclos

Si vous relisez les mémoires de Jacques Duclos (1), en particulier dans les années 50 et 60, des textes de ce type abondent. A l’Assemblée, il affronte les insultes mais il ne cède pas d’un pouce sur sa ligne qui défend le peuple algérien, son aspiration à avoir une patrie débarrassée du colonialisme et il le fait au nom de l’intérêt du peuple français. Il ne divise pas, il rassemble et largement parce que l’ennemi est désigné clairement pas psychologiquement mais sur des bases de classes et d’indépendance nationale. La démonstration est toujours complétée par le coût de l’opération, coût en vies humaines, coût en sacrifices pour les peuples et bénéfices pour ceux qui veulent en profiter… Ce discours et sa rhétorique de classe m’inspire deux choses, la première est que pour les raisons que je viens d’énoncer je préfère mille fois cet angle de vue que la charpie actuelle, la deuxième chose est que nous communistes qui à nos risques et périls quitte à perdre des voix avons porté ce discours de paix, d’amitié, d’égalité je refuse d’être confondue avec les colonialistes par un discours qui est trop souvent celui des indigénistes… Tous coupables cela blanchit le capital… (note de Danielle Bleitrach)

Au cours du débat sur la guerre d’Algérie, je prononçais le 25 juin 1959, un discours dont voici quelques passages:

“Mesdames,messieurs, nous sommes saisis de deux projets de loi relatifs à l’Algérie, votés en première lecture par l’assemblée Nationale. Ces deux projets, portant l’un sur le budget et l’autre sur la monnaie de l’Algérie, sont d’inspiration intégrationniste et c’est davantage leur tendance que leur importance réelle qui retient notre attention…
“Je n’ai nulle intention de participer à la discussion ouverte autour du mot “intégration”, dont certains membres de la majorité gouvernementale exigent qu’il soit nettement proclamé alors que d’autres redoutent de le prononcer.
“ce qui demeure dans tout cela,c’est que le gouvernement se déclare résolu à imposer sa volonté au peuple algérien. Il n’est cependant ni simple, ni facile d’atteindre un tel objectif. A entendre certains discours, on a l’impression que les chefs politiques d’aujourd’hui en sont encore à raisonner comme s’ils vivaient au siècle dernier. On est à la fois surpris et inquiet de voir de tels hommes ne pas se rendre compte des bouleversements profonds qui se sont produits dans le monde au cours des dernières décennies.
” On a maintes fois comparé l’Algérie à telle ou telle province française. Certains ont encore recours à de tels arguments pour tenter de justifier une politique d’intégration qui va à contresens de l’Histoire. D’extraordinaires changements, après s’être produits sur le continent asiatique, sont en train de se produire maintenant sur la terre d’Afrique. Il faut être atteint d’une incurable cécité politique pour ne pas voir que la réalité de notre temps se traduit notamment par un développement excessivement rapide du sentiment national des peuples soumis à la domination colonialiste (interruptions à droite)
” L’autre jour, à l’Assemblée Nationale où régnait une ambiance d’intolérance et d’excitation qui, heureusement, n’existe pas ici, Monsieur le Premier ministre a parlé d’une prétendue collusion du Parti communiste avec l’anti-France. Il s’agit là d’une vieille formule maurassienne dont on a pu constater les effets en d’autres circonstances. Je n’insisterai pas sur ce point, pour le moment.
“-M. Roger Duchet._ Il vaut mieux!
“M. Jacques Duclos._ Mais je tiens à souligner qu’on en vient maintenant à nous dire que la guerre d’Algérie aurait pour objectif de défendre la sécurité du continent européen. Ce n’est donc plus de la France dont il s’agit, mais de l’Europe.
” Je ne veux retenir de ces déclarations que la guerre d’Algérie aurait donc pour certains des objectifs extra-nationaux. Tandis que de jeunes soldats risquent leur vie, il y a certains intérêts bien particuliers que connaissent de grandes banques d’affaires et des sociétés pétrolières étrangères.
” Je tiens à souligner cet aspect du problème africain qui peut, à l’occasion, être oppositionnel, véhément et intransigeant. Même le Premier ministre, en d’autres temps, eut l’occasion d’élever d’ardentes protestations contre l’installation au Sahara de sociétés étrangères.
” Les anciens membres du Conseil de la République n’ont certainement pas oublié qu’une question écrite datée du 6 février 1958 et publié au journal officiel était rédigée de la façon suivante:

Monsieur Michel Debré demande à monsieur le Ministre du Sahara s’il est informé du fait que, sous une pression étrangère de caractère politique, des établissements français de recherches et d’exploitation de pétrole seraient contraints de signer un contrat avec la plus importante compagnie étrangère du monde, compagnie dont les influences politiques sont bien connues et que ce contrat destiné à assurer l’exploration et l’exploitation de terrains d’une importance capitale, et certains aux frontières du Sahara français, avec des pays étrangers comporterait une clause contraire à la règle officielle dite de “majorité française” annoncée par le gouvernement et selon laquelle la moitié des parts serait accordée à la dite compagnie, créant ainsi une menace pour l’indépendance économique et politique de la nation.”

“Ainsi, en février 1958, monsieur le sénateur Michel Debré manifestait clairement son souci de préserver l’indépendance économique et politique de la France.
“Où en sommes-nous maintenant? Le journal officiel du 4 juin dernier, page 5633, publie le décret du 3 juin accordant un permis exclusif de recherches d’hydrocarbures dit “permis de l’Erg oriental”, à titre conjoint et solidaire, aux sociétés de Participation pétrolières (Pétropar) et compagnie Esso saharienne (S.A.F,), laquelle est liée par contrat à la société américaine Esso Sahara Incorporated.
“Il faut ajouter, pour compléter l’information, que la compagnie Esso saharienne est une filiale de la Standard Oil company. C’est cette même société américaine que visait M. Michel Debré dans sa question écrite du 6 février 1958. La clause dite “de majorité française” n’est pas respectée dans le permis de l’Erg oriental. La participation de l’Esso saharienne est de 50%, celle de la Compagnie française des pétroles est de 35% et celle de Pétropar de 15%. Il y a donc 50 et 50% ; en somme, on réalise aujourd’hui ce qui était prévu depuis un certain temps déjà. En effet, le 7 novembre dernier, l’hebdomadaire US News and World Report écrivait :

” Le Sahara est en train de devenir une partie du monde aussi intéressante pour les Américains que pour les Français. De grandes firmes des Etats-Unis s’y intéressent activement. Des capitaux américains très importants vont y être investis. De très gros accords sont négociés.”

“Ceci annonçait cela.

” Où donc est, dans tout cela, l’intérêt national ? Ne s’agit-il pas avant tout d’intérêts n’ayant que de très lointain rapports avec les véritables intérêts de la France ? Nous, communistes, qui reconnaissons au peuple algérien le droit d’être lui-même, c’est-à-dire le droit à son indépendance, nous entendons faire passer les intérêts de la France avant les intérêts privés de cette nature.

(1) Ces mémoires sont une véritable joie comme d’ailleurs celles de Maurice Thorez. Ces dirigeants sont infiniment respectables, d’une intelligence qui va à l’essentiel et c’est à leur parti auquel je suis fière d’avoir adhéré même si je ne les ai connus personnellement ni l’un ni l’autre… Ma guerre d’Algérie, je l’ai un peu esquissé dans mes mémoires… un peu seulement parce que ça reste fondamental et cela me lie à jamais à ce peuple… Mais j’ai aussi ce souvenir de ces meetings où la jeune femme que j’étais criait “Duclos président”… Nous avions une tout autre conception de la force du parti et de sa nécessité pour que nous soyons libres, que notre idéal de paix et de justice avance et cela ne tenait pas à un poste même pas à celui de président… Comment transmettre cela, c’est si différent… Simplement c’est comme pour l’ignoble égalité entre Staline et Hitler, je ne sais toujours pas ce que je pense de Staline, mais je refuse de confondre celui à qui je dois la vie et celui qui prétendait me l’ôter. Ma mémoire se révulse à cette seule idée… parce que toute mon enfance s’est passée dans la proximité des communistes et je sais de quoi ils étaient faits. De même je sais que mon refus passionné du colonialisme, ma haine de tous les racismes, a trouvé dans le parti un lieu pour s’épanouir, pour apprendre à me battre… Ce parti a été cela et il est encore d’avoir été… Même si parfois il ne reste que cela.

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