Un acte d’accusation dévastateur contre l’UE. Connaissant la qualité des travaux de Perry Anderson, je pense que la lecture de ses trois articles sur l’UE est quasiment obligatoire pour toute personne intéressée à comprendre l’UE et son “archéologie” : il s’agit ici d’un résumé mais il faudrait que nous demandions à Catherine Winch si elle peut nous en assurer une traduction. Ici ma propre traduction d’un résumé de trois articles témoigne de l’importance de cette prise de position. Perry Anderson est un intellectuel anglais de grand renom surtout célèbre pour ses travaux sur le post modernisme et ses critiques marxistes d’autres courants marxistes anglo-saxons s’intéressant plus aux faits culturels qu’à l’économie. (note et traduction de Danielle Bleitrach) https://briefingsforbritain.co.uk/a-devastating-indictment-of-the-eu/ Écrit par Robert Tombs L’éminent intellectuel de gauche Perry Anderson vient de publier un acte d’accusation complet et écrasant contre l’UE depuis ses débuts jusqu’à nos jours. Robert Tombs en fournit un résumé pour ceux qui pourraient rechigner à lire l’ensemble des 50.000 mots. L’éviscération par Perry Anderson du passé et du présent de l’Union européenne dans trois longs articles de la London Review of Books est remarquable d’au moins trois façons. Tout d’abord, pour sa lucidité et sa richesse intellectuelle: mon résumé ne peut en aucun cas se substituer à la lecture de l’ensemble, que je recommande fortement. Si bon nombre de ses arguments sont largement familiers aux critiques de l’UE, ils ont rarement été exprimés avec autant de pertinence, ou avec une telle colère contrôlée et une telle maîtrise des détails. Deuxièmement, parce qu’il vient d’un intellectuel de gauche de premier plan, mais ce ne sera pas une surprise pour les gens de gauche ou pour ceux qui ont suivi certains des écrits antérieurs d’Anderson. Troisièmement, parce qu’il apparaît dans un journal dont l’écrasante majorité des lecteurs doivent être archétypaux des élites métropolitaines : donc tout le crédit est à attribuer aux éditeurs de la LRB. J’attends avec impatience une vague de lettres à l’éditeur essayant de répondre à l’acte d’accusation d’Anderson. Mais jusqu’à présent, il n’y en a pas eu un seul. Le premier article, «The European coup» (17 décembre), est une longue discussion sur l’histoire politique de l’intégration européenne (apparemment un terme américain), en se concentrant sur un livre d’un philosophe-historien néerlandais, Luuk van Middelaar, The Passage to Europe: How a Continent Became a Union (Yale, 2013). L’importance de ce livre est connue, il a été largement salué comme la plus intellectuellement pénétrante et stimulante des nombreuses histoires (souvent mortellement ternes) de l’intégration européenne. Donald Tusk l’a salué comme « le livre le plus perspicace sur la politique européenne d’aujourd’hui ». Sir Ivan Rogers l’a décrit comme « brillant ». Sa justification triomphaliste du projet européen a valu à son auteur des éloges et des nominations prestigieuses en tant que conseiller d’une succession d’éminents politiciens de l’UE. Anderson choisit donc d’analyser l’histoire de l’UE, et sa préhistoire au début du XIXe siècle, à travers les yeux de l’un de ses apologistes les plus intelligents. Mais il transforme la saga triomphale de Middelaar en un examen impitoyable des moyens politiques par lesquels elle a été menée. Middelaar présente sans honte l’UE telle qu’elle a été créée par une série de « coups d’État », à travers lesquels des pouvoirs ont été captés et des changements apportés en court-circuitant ou tout simplement en ignorant les procédures légales et démocratiquement sanctionnées au nom de la nécessité politique, une idée, comme Anderson le montre, qui s’appuie sur un minimum de pensée politique européenne qui croit retourner à Machiavel. L’un des plus cruciaux de ces « coups d’État » a eu lieu à Milan en 1985, lorsque Bettino Craxi, en tant que président du Conseil européen, a jugé qu’une conférence intergouvernementale n’était pas nécessaire pour modifier le traité de Rome, car il ne s’agissait que d’une question de procédure, et non de fond. Pour la première fois, cela a permis de dépasser l’opposition d’une minorité d’États membres, dont la Grande-Bretagne. Middelaar le salue comme un bluff brillant, un « coup d’État déguisé en une décision procédurale ». Ce que Middelaar ignore généralement, mais qu’Anderson souligne, c’est que Craxi était « le politicien italien le plus corrompu de son temps », qui a dû fuir en exil doré en Tunisie pour vivre de ses gains mal acquis. Grâce à Craxi, « la porte a été ouverte » à une série de modifications de traités décidées par les seuls chefs de gouvernement et qui ont créé l’UE. L’article se termine en citant le président de l’UE Herman van Rumpuy (dont Middelaar était un proche conseiller): « Je crois que l’Union est sur-démocratisée. » Le deuxième article, ‘Ever Closer Union?‘ (7 janvier) est un examen attentif de l’histoire et du fonctionnement des principales institutions de l’UE : la Cour, la Commission, le Conseil, le Parlement et la Banque centrale. Les pères fondateurs de la Cour, note Anderson, comprenaient d’anciens nazis, un fasciste italien et un collaborateur français : presque toutes les personnes nommées n’étaient pas des avocats mais des politiciens, comme elles le sont toujours. La Cour a toujours été « le moteur de l’intégration » au détriment des droits juridiques des nations et des organismes de la société civile tels que les syndicats. Elle a effrontément ignoré ou déformé les traités et lois européens, agissant au-delà de ses pouvoirs dans le plus de « coups d’État » de Middelaar. Le plus fondamental était son affirmation selon laquelle le droit européen outrepassait le droit national, une théorie formulée pour la première fois par un autre ancien avocat nazi, Hans Peter Ipsen, mais qui n’avait aucun fondement dans les traités européens. Plus important encore, la Cour est unique au monde en ce qu’elle n’a à rendre de compte à qui que ce soit. Ses décisions sont secrètes, définitives et effectivement irréversibles. En bref, des pouvoirs « qu’aucun analogue dans une démocratie n’a jamais possédé. Anderson soumet les autres institutions de l’UE à un examen similaire. Leurs caractéristiques communes sont le secret, l’inexplicabilité démocratique et le « consensus », « une façade d’unanimité » principalement imposée par l’Allemagne et la France. L’exception est le Parlement, mais cette « composante la moins conséquente de l’Union » n’est en fait que « l’illusion d’une assemblée démocratique derrière laquelle les coteries oligarchiques sont confortablement ancrées ». La Banque centrale, tout comme la Cour, est également unique en son genre pour être totalement irresponsable à l’endroit de toute autorité extérieure, et encore moins de toute institution démocratique, et elle est donc en mesure de rompre les traités qui, en théorie, l’autonomisent. Ce qui a été créé, c’est un système d’oligarchies imbriquées sur un modèle prédémocratique. Les relations horizontales entre les gouvernements des « États membres » (qui ne sont plus des États souverains indépendants) sont plus importantes que les relations verticales entre ces gouvernements et leurs citoyens, à qui les décisions politiques sont présentées comme des faits accomplis sans lien avec les mandats populaires et parfois clairement opposés à ceux-ci. Qui en profite? Certains pays (principalement l’Allemagne) et certains intérêts économiques. Et bien sûr, l’oligarchie elle-même: il suffit de faire un roll-call de ses dirigeants principaux. Christine Lagarde, actuelle présidente de la Banque centrale européenne: soupçonnée de complicité de fraude et de malversation de fonds publics… Ursula von der Leyen …: inculpée en 2015 de plagiat sur 43% des pages de son doctorat de 1990 à la faculté de médecine de Hanovre… Jean-Claude Juncker … a survécu à l’exposition répétée de son implication dans l’évasion fiscale et les politiques facilitant le blanchiment d’argent pour lequel son pays est célèbre … [Le] haut représentant pour les affaires étrangères et la sécurité, l’Espagnol Josep Borrell: contraint de démissionner de son poste de président de l’Institut universitaire européen de Florence pour avoir dissimulé le salaire annuel de 300.000 euros qu’il avait reçu d’une société énergétique espagnole … Mais comme Anderson le démontre (et comme briefings pour la Grande-Bretagne l’a souvent dit), il n’y a aucune preuve d’avantages économiques pour les peuples d’Europe dans leur ensemble, si ce n’est des « installations à faible portée » telles qu’une plus grande facilité de voyage et plus de variété sur les étals des supermarchés. Le dernier article, «The Breakaway» (21 janvier), poursuit son examen de l’histoire politique de l’UE en se concentrant sur les relations de la Grande-Bretagne avec « le projet » de Macmillan à Johnson. Peu de Brexiteers, je pense, seraient en désaccord avec son interprétation globale. Il discute de plusieurs commentateurs britanniques de premier plan, à la fois Remainers [qui veulent rester] (notant la « faiblesse » de leur position, attaquer Leave, mais n’offrant aucune vision de la Grande-Bretagne dans l’UE, et éviter leur regard de ses défauts), et Leavers [qui veulent partir]. Parmi ces derniers, il reconnaît de la « substance » dans les idées de nos amis Noel Malcolm, Richard Tuck et Chris Bickerton, qui diffèrent dans leurs points de départ politiques, mais s’accordent sur la légitimité du Brexit. Compte tenu de ses propres opinions politiques, Anderson est un critique sévère du système de gouvernement britannique. Cela rend la comparaison qu’il établit avec l’UE d’autant plus convaincante: « pour toutes ses lacunes lamentables … Westminster est largement supérieure à cette synarchie laquée ». Il termine sur une note d’interrogation : les nouveaux défis mondiaux pousseront-ils d’une manière ou d’une autre l’UE vers l’«adaptation », ou sa « formule actuelle » (qu’il définit comme « diluer la souveraineté sans démocratie significative, unanimité obligatoire sans égalité des participants, culte des marchés libres sans se soucier du libre-échange ») risque-t-elle de durer indéfiniment? Peut-être a-t-il déjà donné la réponse, écrivant dans son deuxième article que l’Europe est coincée dans un « piège », incapable d’avancer ou de reculer, et maintenue principalement par la « peur de l’inconnu ». |
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drweski
Effectivement, tout ce qui permet, comme le conclut l’auteur, de résumer le maintien de l’UE envers contre toute évidence, et plus largement le maintien du conformisme suranné des élites et des petites-bourgeoisies, c’est « la peur de l’inconnu ». C’est redoutable ! Car dans l’histoire, c’est toujours la peur, et en particulier la peur de l’inconnu, qui a généré les régimes qui, faute de pouvoir avancer, régressaient vers la pire des réactions. Cela fait froid dans le dos car cela semble indiquer que « les années trente sont devant nous ». Bien sûr, « cosmétiquement », elles peuvent prendre, au début au moins, une forme différente, un « look plus friendly » pour parler mode. Mais au final, c’est bien la bête immonde que ce type « d’élites » politiques et sociales tend à réveiller, pour certains consciemment et cyniquement et pour d’autres, par auto-abrutissement. Combien de « libéraux » et de « centristes » sont tombés à l’époque dans le fascisme au moment décisif ? « L’extrême centre » actuel est il si différent ?