Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

DISSOLUTION DE LA KNESSET ET ÉLECTIONS ANTICIPÉES EN SÉRIE : UNE AUBAINE POUR LES COMMUNISTES ISRAÉLIENS, UN ÉCHEC POUR LA DROITE ISRAÉLIENNE

Ce texte emprunté à la JCR est excellent et privilégie l’information, celle qui nous permet d’agir autant que comprendre sans que les oppositions qu’il provoque soient autre chose que politiques. Ici comme ailleurs et pas seulement au Moyen Orient, on s’aperçoit que l’impérialisme américain n’a pas toutes les cartes en main et qu’il n’a cessé de fait de perdre des positions alors même que Trump paraissait remporter des succès en liant toujours plus étroitement les potentats arabes maitres du fondamentalisme avec l’extrême-droite israélienne, mais ici aussi le choix de la paix, de la justice n’a pas pu être totalement étouffé.. Ici aussi il est difficile de prétendre résoudre un conflit, donnant leurs droits aux peuples en ignorant ce qui est en train de bouger au niveau international et les recompositions régionales et en tablant seulement sur l’exaspération des haines racistes et du bon vieil antisémitisme pour tout potage. Ici aussi les communistes tentent d’agir comme en Inde, comme en Amérique latine, un monde nouveau cherche à naître, mais le cadavre de l’ancien pourrit au milieu. (note de Danielle Bleitrach)

24 DÉCEMBRE 2020

Rédigé par Victor-JRCF et publié depuis Overblog

Mercredi 23 décembre, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a annoncé la dissolution de la Knesset, et la tenue d’élections anticipées, pour la quatrième fois en seulement deux ans[1]. Un tel rythme de dissolution montre bien la crise politique profonde dans laquelle est engagée la société israélienne, et sur laquelle nous devrons revenir.

La dernière élection de mars 2020 avait donné lieu à une alliance entre le Likoud de Netanyahou (ouvertement national-libéral) et l’Alliance Bleu et Blanc de Benny Gantz (coalition sioniste de « centre-droit »), les deux partis arrivés en tête. Malgré des convergences (un goût prononcé pour le libéralisme économique et un sionisme partagé), des divergences de fond avaient fait douter à l’époque de la solidité de cette alliance de circonstances (le parti de Gantz est plus laïc que le Likoud, et surtout moins extrémiste dans son sionisme vis-à-vis des palestiniens, ce qui ne pouvait manquer d’engager des tensions à terme). Et en effet, à peine huit mois après cette alliance purement opportuniste, la voilà qui vole en éclat, sur la question du vote du budget par la Knesset (Parlement israélien). Celle-ci avait en effet très mal commencé, avec les diverses poursuites judiciaires – notamment sur des scandales fiscaux – lancées contre  Netanyahou, et une désertion de l’Alliance Bleu et Blanc par nombre de ses cadres et de ses électeurs suite à l’alliance avec un tel personnage, laissant Gantz isolé dans son propre parti. De plus, l’accord de gouvernement prévoyait deux conditions : premièrement, de voter le budget pour deux ans, au lieu de le voter d’une année sur l’autre comme à l’accoutumée ; et deuxièmement, que le poste de premier ministre soit tournant –  Netanyahou commencerait par être premier ministre 18 mois, avant de laisser la place à Gantz pour les 18 prochains mois, qui en attendant serait ministre de la Défense. On voit que la première condition n’est qu’une conséquence de la seconde : voter le budget pour deux ans comme le voulait Gantz lierait les mains de Netanyahou sur une bonne partie de son mandat.

En dehors des désaccords de fond et structurels, la coalition vient donc d’éclater sur la question du vote du budget, aucun compromis n’ayant pu être trouvé sur cette question cruciale, les députés du Likoud voulant absolument voter deux budgets, et ceux du parti de Gantz un seul[2].

Une nouvelle élection législative se prépare donc pour 2021, la quatrième en deux ans. Le parti du Likoud de  Netanyahou part très fragilisé pour celles-ci, celui-ci étant empêtré dans une myriade de scandales financiers et judiciaires digne des meilleurs heures de la « Saga Sarkozy ». La première affaire, révélée en 2016, porte sur une corruption aussi bassement vénale que cruellement courante dans une société capitaliste pourrissante (des « cadeaux » reçus à titre somptuaires). La seconde et la troisième portent sur un échange de « bons procédés » avec des magnats de la presse – c’est-à-dire une couverture médiatique favorable pour  Netanyahou, en échange d’avantages divers. Une autre affaire porte sur de l’argent reçu illégalement de la part d’un homme d’affaires pour financer une campagne électorale. Une autre enfin porte sur un soupçon de corruption de juge, pour éviter des poursuites à la fille de Netanyahou. Malgré les bons sondages pour l’heure pour le Likoud, la crédibilité de  Netanyahou est durablement entamée, ce qui lui causera bien des difficultés pour rassembler en dehors de son cercle d’aficionados.

Pour ce qui est de Gantz et de sa coalition, leur compromission avec un personnage aussi notoirement corrompu que Netanyahou sur la scène nationale leur ferme toute chance de rééditer leurs scores de mars 2020, d’autant que des scissions au centre-droit menacent de lui ravir la plupart de ses électeurs anti-Netanyahou.

Enfin, les partis à la droite de Netanyahou, notamment le Yamina, mené par Naftali Bennett, et Israel Beytenou, mené par Avigdor Liberman, peinent à dépasser les 5 % de voix depuis 2 ans, et ne semblent pas tirer particulièrement leur épingle du jeu en cas de nouvelles élections, malgré des sondages flatteurs pour Bennett, qui pourrait récupérer quelques déçus du Likoud. En effet, Netanyahou a été très critiqué pour sa gestion de la pandémie du Covid-19, et Bennett, très à l’offensive sur ce dossier, pourrait bien marquer des voix à droite par cette tactique. Mais, entre son positionnement à l’extrême-droite sur tous les sujets, et sa volonté farouche de voir Netanyahou quitter la vie politique, sa marge de manœuvre est plus que mince, et il semble condamné à jouer les seconds couteaux[3]

Pour ce qui est de la gauche, la situation est en revanche bien plus prometteuse pour les communistes. En effet, le Meretz, parti travailliste sioniste et de centre-gauche, s’est effondré, et plafonne depuis 2 ans à 5 % des voix, passant de 18,67 % des voix en 2015 à seulement 5,75 % en 2020. Comme dans tous les pays occidentaux, la gauche social-démocrate est frappée d’un discrédit durable, et qui n’ira pas en s’arrangeant.

Mais le plus encourageant dans cette chute, c’est qu’elle s’accompagne d’une véritable percée de la coalition de gauche menée par les communistes israéliens, la Liste Unifiée, qui ont réussi en mars 2020 l’exploit de parvenir à la troisième place, en récoltant 12,67 % des voix. Réunissant le Hadash (communistes israéliens) et les partis arabes de gauche, cette coalition est en progrès électoral constant depuis 2 ans, et il n’y a aucune raison que cette percée ne se poursuive pas, devant un tel délabrement du capitalisme et de l’impérialisme au niveau mondial et en Israël : 4,49 % en avril 2019, 10,60 % en septembre 2019, et 12,67 % en mars 2020.

Ces excellents résultats, dans l’ambiance politique mortifère israélienne, où la surenchère à la droite la plus ultra vire au concours macabre et burlesque, s’expliquent par le choix de la stratégie du Hadash : celle du Front Populaire. En effet, le programme du Hadash, qui se revendique toujours dans ses statuts du marxisme-léninisme, se résume aux 9 points suivants :

« 1. obtenir une paix juste, d’ensemble et stable entre Israéliens et Palestiniens et Israéliens et Arabes.

2. protéger les droits et acquis des travailleurs.

3. développer les services sociaux : santé, éducation, logement, assistance, culture et sports.

4. égalité pour la population arabe d’Israël.

5. éradication de la discrimination ethnique dans tous les cas, défendre les préoccupations des habitants des quartiers désavantagés et des villes en développement.

6. protection des libertés démocratiques.

7.égalité des sexes dans tous les cas.

8.protection de l’environnement et justice environnementale

9. élimination des armes de destruction massive. »

Si certains de ces points peuvent sembler très consensuels (et pourraient probablement figurer dans les programmes de n’importe quel parti social-démocrate – comme par exemple les points 6, 7 et 8), d’autres en revanche, dans le contexte de la politique israélienne, peuvent sembler anecdotiques, mais recèlent un pouvoir politique explosif. Ainsi, la revendication de l’égalité entre arabes et juifs israéliens, mettrait à bas tout l’édifice juridique de l’État Hébreu, dont la colonne vertébrale est la discrimination entre arabes et juifs[4]. De même, l’élimination des armes de destruction massive vise les armes nucléaires acquises illégalement par Israël au cours des dernières décennies, afin de terroriser les pays voisins (Syrie, Irak, Iran). Mettre l’accent sur le désarmement nucléaire en Israël est une stratégie payante, car d’apparence minimale (lutter contre la prolifération des armes nucléaires), une telle demande est en réalité maximaliste, car l’impérialisme israélien a un besoin vital de ces armes pour s’assurer qu’aucun État ne vienne troubler son impérialisme au Moyen-Orient. On retrouve ici la clé d’un Front populaire réussi par les communistes, et qui la distingue toujours d’une union des gauches boiteuse et pleine de compromissions, à savoir : l’adoption de points populaires brûlants du moment, qui en eux-mêmes ne sont absolument pas communistes, mais qui dans une situation nationale précise peuvent mener à des prises de positions communistes massives.

Au-delà de ces péripéties électorales, il faut se pencher très brièvement sur les causes de cette crise politique, qui génèrent une instabilité parlementaire rendant Israël ingouvernable. En dehors des causes mondiales qui ont causé une gigantesque crise économique (dont la pandémie n’est qu’un des facteurs accélérateurs), il faut se pencher sur la spécificité du facteur national. En effet, Israël est aujourd’hui à la croisée des chemins. Elle a quasiment annexé et colonisé toutes les terres possibles en Cisjordanie, et se retrouve aujourd’hui bloquée sur deux fronts.

Tout d’abord, sur le plan intérieur. En effet, la naissance de la nation israélienne a été constitué par la spoliation des terres des palestiniens, puis par des vagues d’immigrations successives. Les ashkénazes (juifs d’origine européenne), étant les immigrés les plus récents, ont eu les premiers bénéficier de la spoliation des terres des palestiniens, parfois même simplement en les achetant et en jouant sur la spéculation dans les années 20 et 30 (ici, c’est le « libre marché » qui tient lieu d’impérialisme). Les séfarades (juifs d’origine espagnole et du Maghreb) et les mizrahims (juifs orientaux) sont arrivés après, et n’ont donc pas pu bénéficier de cette première vague de terres faciles à acquérir. Ils ont donc dû pousser vers un sionisme plus extrémiste, afin d’obtenir le même droit que les ashkénazes à la spoliation des terres des palestiniens. En effet, la structure de l’économie israélienne est assez atypique, puisque qu’elle combine de forts secteurs agricole et tertiaire, à un secteur industriel assez faible. L’agriculture, et donc la question des terres y tient donc une place prépondérante, et bien plus que dans les pays occidentaux. C’est là la racine économique des conflits entre les différents types de sionismes : le sionisme soi-disant « modéré » des travaillistes est celui des immigrés ashkénazes qui ont profité il y a longtemps de l’appropriation des terres, et voudraient désormais y mettre fin, en entérinant un statu quo qui leur permettrait de jouir en paix (au Moyen-orient) des fruits de leurs larcins (au sein de la société israélienne) ; quant au sionisme plus extrémiste, il est le fait des séfarades, des mizrahims et des juifs ex-soviétiques, arrivés plus récemment, et qui demandent leur part du gâteau. Or, où aller la chercher ? Réponse : là où elles sont le plus facile à obtenir, en Cisjordanie. Sauf que désormais toute la Cisjordanie est colonisée, et que le besoin de terres continue à se faire de plus en plus pressant (d’autant que l’asséchement des terres généralisé au Moyen-Orient et la pénurie d’eau touche, pour des raisons climatiques, très fortement Israël). Il y a donc ici un premier dilemme : soit en rester là pour ce qui est de la colonisation (ce qui est, comme on le verra, déjà très problématique), soit pousser encore plus loin, mais cela impliquera de se lancer dans des guerres ouvertes avec les voisins arabes pour leur prendre leurs terres. A ce titre, puisque ni le Sinaï ni la Golan ne sont cultivables, il n’est pas impossible que l’impérialisme israélien soit bientôt contraint de lorgner vers le Sud Liban, riche en terres fertiles et frontalières, et en précieux points d’eau, comme le mont Hébron.

Mais aussi, sur le plan extérieur, la situation se retrouve bloquée objectivement. L’annexion de la totalité de la Cisjordanie est en réalité une malédiction pour le sionisme israélien, qui aura du mal à la gérer. En effet, une fois la colonisation de toutes les terres ou presque, effectuée, quelles sont les solutions possibles ? L’État hébreu voudrait bien prolonger indéfiniment le statu quo actuel, mais un statu quo n’est par définition que très provisoire et fragile : continuer à annexer les terres de Cisjordanie, tout en niant le faire, et laisser une Autorité Palestinienne fantoche gérer… quoi, au juste ? Et bien, plus grand-chose, ce qui contraindra l’État israélien à tôt ou tard devoir prendre les choses en main, et gérer, de façon ouverte et officielle, la totalité des affaires de la Cisjordanie. L’autre solution pour Israël, qui arrivera à terme, c’est de reconnaître la caducité actuelle de la solution à deux États, et de gérer directement toutes les populations arabes de Cisjordanie, qui représentent près de 3,3 millions de personnes. La raison pour laquelle Israël ne veut pas franchir ce pas, c’est que la question de savoir que faire exactement de cette masse de population arabe, profondément hostile à Israël, est en réalité insoluble. En effet, les déporter ailleurs n’est guère envisageable, les pays voisins refuseront de les accueillir pour les simples beaux yeux des sionistes. On n’ose imaginer que quelqu’un puisse en Israël envisager l’extermination pour résoudre ce problème[5]. En faire des apatrides sans droit serait politiquement intenable internationalement, tout comme en faire des citoyens israéliens, même de seconde zone – la peur du renversement démographique étant trop grande en Israël. En effet, si les palestiniens de Cisjordanie pouvaient voter à la Knesset, c’en serait fini de l’État sioniste, les arabes se retrouveraient démographiquement à égalité avec les juifs. La seule solution possible à terme, mais presque intenable, serait pour Israël d’administrer directement les Territoires occupés et les populations arabes, en leur refusant tout droit, et de les traiter officiellement comme une population occupée, sans la médiation d’une quelconque « Autorité palestinienne », avec tous les affrontements que cela ne manquerait pas d’occasionner avec les populations soumises et maintenues dans un état de non-reconnaissance politique et juridique pur et simple. Une telle situation, inédite, serait, pour beaucoup de raisons que nous ne pouvons pas expliquer ici, intenable, tant vis-à-vis de l’Occident impérialiste que des voisins hostiles à Israël. On comprend donc que la seule solution à court terme soit la cécité devant ce problème gigantesque pour Israël, et la volonté de maintenir le statu quo le plus longtemps possible. Mais tant qu’Israël ferra l’impasse sur cette question brûlante et vitale pour elle et son modèle impérialiste et ethno-nationaliste, elle se condamnera à une crise politique sans fin, et qui n’ira qu’en s’aggravant. On comprend donc aussi que dans cette situation, seuls les communistes israéliens auront de vraies solutions à proposer pour résoudre pacifiquement ces contradictions, sans plonger Israël et la région dans un conflit meurtrier qui menace chaque jour un peu plus, et auquel Israël, contrairement à ce qu’a l’air de penser la droite et l’état-major israéliens, n’a strictement rien à gagner, et tout à perdre.


[1]https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20201222-isra%C3%ABl-le-parlement-dissous-les-quatri%C3%A8mes-%C3%A9lections-en-pr%C3%A8s-de-deux-ans-convoqu%C3%A9es?fbclid=IwAR2odC2njtmtE0Zotzhu0xrbhx7soj-wjXE9rkd4S1o6bPI-0KVSzp8WJGQ

[2]https://www.letemps.ch/monde/parlement-israelien-rejette-un-compromis-budgetaire-faisant-craindre-elections

[3]https://fr.timesofisrael.com/malgre-les-sondages-il-semble-peu-probable-que-bennett-detrone-netanyahu/ (site francophone ouvertement sioniste, mais de qualité pour ce qui est de savoir ce qui se passe dans la droite israélienne).

[4]https://www.humanite.fr/israel-lopposition-la-loi-dapartheid-mobilise-juifs-et-arabes-658827

[5]Nonobstant l’ancien ministre de la Défense, Liberman, qui en 2003 déclarait très sérieusement qu’il fallait « enfermer les terroristes palestiniens dans des autobus que l’on ferait couler dans la mer Morte » (pourquoi pas des trains tant qu’on y est !), et lança dans la foulée le très modéré slogan « Rasons Assouan et Téhéran ! », mettant sur le même plan les ennemis d’Israël et ses alliés jugés trop tièdes, en réclamant leur anéantissement (source : https://www.letemps.ch/opinions/lanalyse-lhomme-voulait-guerre-entre-gouvernement-israelien-soccuper-menaces-strategiques).

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